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Hilary Pearse
La relation étroite entre les représentants parlementaires et les habitants
de leur district géographique est considérée comme un élément essentiel
du système électoral au Canada, au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande.
Au cours des débats sur la réforme électorale, on a généralement reconnu
limportance de la relation entre les circonscriptions géographiques et
leurs représentants sans la mettre en question. Dans le présent article,
lauteure analyse le fondement de lattachement continu à la représentation
géographique. Elle conclut quen définitive, il y a des preuves de limportance
du rôle joué par les représentants élus directement dans les circonscriptions,
mais elle laisse entendre que lattachement à la représentation géographique
a pour conséquence de limiter la gamme des options possibles pour les artisans
de la réforme électorale et dempêcher les partis détudier toutes les
possibilités des nouveaux systèmes électoraux.
Le Canada, le Royaume-Uni, lAustralie et la Nouvelle-Zélande ont en commun
une tradition selon laquelle les divisions électorales sont représentées
par un seul député élu à la pluralité ou à la majorité des voix. À cause
de leur histoire commune en tant que colonies britanniques, les systèmes
politiques actuels du Canada, de lAustralie et de la Nouvelle-Zélande
sont tous basés sur le modèle démocratique du Parlement de Westminster.
Mais il y a des variantes dun système à lautre. Le système uninominal
majoritaire à un tour est actuellement en vigueur au Royaume-Uni et au
Canada et il la été en Nouvelle-Zélande de 1946 à 1993. Dans ce système,
le candidat dans une circonscription uninominale na quà obtenir la pluralité
des voix pour être élu. Par contre, suivant le mode de scrutin proportionnel
utilisé en Australie pour élire les membres de la Chambre des représentants,
les candidats doivent obtenir la majorité absolue des voix. Depuis 1996,
un peu plus de la moitié des députés au Parlement de Nouvelle-Zélande sont
élus suivant le système traditionnel à la pluralité des voix dans les divisions
uninominales, alors que le reste des députés sont élus indirectement au
moyen de listes de parti en proportion des votes obtenus par leur parti
à léchelle nationale. Dans les quatre pays, un seul candidat est élu dans
chaque circonscription géographique, mais, dans le passé, les provinces
canadiennes avaient diverses formes de divisions plurinominales et, jusquen
1950, au Royaume-Uni, des divisions élisaient deux ou trois députés lors
des élections nationales.
Selon Vernon Bogdanor, le système majoritaire uninominal à un tour élaboré
en Grande-Bretagne et dans les colonies britanniques est profondément lié
à la notion de représentation territoriale1. En tant que représentants
de leur circonscription, les députés étaient des avocats qui cherchaient
à redresser les griefs avant dobliger leurs électeurs à payer les dépenses
du gouvernement. La notion de parlement en tant quassemblée chargée de
représenter les intérêts des circonscriptions a plus tard été remplacée
par le concept de Burke, daprès qui le Parlement est lassemblée délibérante
dune nation et son intérêt est celui de lensemble de la nation; au Parlement,
cest le bien commun qui doit servir de guide et résulter de lobjectif
collectif de la nation, non des objectifs ou des préjugés locaux2.
Plutôt
quun « délégué » chargé dexprimer la volonté de ses électeurs, le représentant
est un « fiduciaire » élu par ses électeurs qui apprécient sa sagesse et
qui est chargé de faire preuve de discernement au meilleur de ses connaissances.
Lessor des actuels partis politiques cohésifs a mis davantage en question
la notion de représentation. Une description de la représentation en Australie
sapplique également aux trois autres pays étudiés dans le présent exposé;
selon ses auteurs, la population ne perçoit les représentants élus des
grands partis ni comme des fiduciaires ni comme des délégués de leurs électeurs,
mais comme des partisans3.
Toutefois, à une époque de domination des partis, la perception selon laquelle
le représentant est un délégué de sa circonscription demeure.
Daprès Eulau et Karps, la notion actuelle de représentation comprend quatre
« composantes possibles de la réceptivité ». En plus de la « réceptivité aux
politiques » et de la « réceptivité symbolique », elle comprend la « réceptivité
aux besoins de services » les efforts faits par le représentant afin dobtenir
des avantages particuliers pour les personnes ou les groupes de sa circonscription
et une « réceptivité aux besoins daffectations » les efforts du représentant
afin dobtenir des avantages pour les personnes ou les groupes de sa circonscription
au moyen déchanges subventionnés par le gouvernement, au cours des processus
daffectation des crédits ou des interventions administratives4. De même,
selon Searing, les députés britanniques accomplissent deux tâches en fournissant
des services dans leur circonscription : ils agissent en tant qu« agents
du bien-être social » pour certains de leurs électeurs et en tant que « promoteurs
locaux » des intérêts collectifs de leur circonscription5.
Au Canada, au
Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande, les députés reconnaissent
maintenant quils ont trois principaux rôles représentatifs, définis comme
suit par Studlar et McAllister : ce sont des représentants de leur région
qui se chargent dexprimer les préoccupations et les intérêts de celle-ci,
des partisans qui sont conscients de leur rôle dans leur parti politique
et des législateurs qui mettent laccent sur leur rôle parlementaire en
tant que représentants élus6.
Le travail de circonscription
Le travail de circonscription accompli par les représentants, qui aident
leurs électeurs à résoudre des problèmes particuliers et intercèdent en
leur faveur lorsque cest nécessaire, est considéré comme une partie essentielle
du travail dun député au Canada, au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande.
Selon Fenno, le travail de circonscription consiste essentiellement à aider
les particuliers, les groupes et les localités à sadresser au gouvernement
fédéral. Ce rôle est considéré par les députés des quatre pays comme laspect
le plus important et le plus agréable de leur travail7. Daprès un député
canadien, lorsque les députés se rendent compte que leurs électeurs nont
personne dautre à qui sadresser, ils comprennent, après les avoir aidés,
que cest le service le plus essentiel quils peuvent fournir8.
Cependant, certains universitaires ont mis en doute lefficacité du travail
de circonscription des députés, à cause du petit nombre délecteurs qui
utilisent leurs services et de la disponibilité dautres organismes qui
peuvent les aider.9
À la défense du travail de circonscription accompli par les représentants
aux États-Unis et au Royaume-Uni, dautres ont affirmé quil est important
que les citoyens disposent de cette option au cas où ils en auraient besoin,
peu importe quils aient recours à ce service offert par leur représentant
ou pas. Selon eux, le facteur fondamental nest pas le nombre délecteurs
qui ont reçu laide de leur représentant; en effet, à cause des différences
dans la composition sociodémographique de leur population, certaines circonscriptions
ont beaucoup plus besoin de cette aide que dautres, mais les électeurs
qui nen ont pas besoin peuvent croire que leur représentant serait là
pour les aider, sils avaient besoin de lui10. Selon Cain, Ferejohn et
Fiorina, les votes additionnels recueillis par les représentants dévoués
prouvent que les électeurs apprécient ce service. Au Royaume-Uni, il semble
que les variations dans le travail de circonscription expliquent les revirements
dopinion qui se situent entre 1,5 et 2 p. 100 en faveur des conservateurs
et entre 3 et 3,5 p. 100 en faveur des travaillistes.
En Australie, les avantages électoraux du travail de circonscription ont
été contestés. Studlar et McAllister ont montré que le travail de circonscription
réduit le nombre de votes obtenus par un député à un taux de 0,09 p. 100
lheure pour chaque heure additionnelle de travail accompli par mois, toutes
autres choses étant égales. Selon eux, une ou un député qui affirme quelle
ou il a travaillé 40 heures par mois à chercher à résoudre les problèmes
de ses électeurs et à remplir des obligations officielles peut sattendre
à une réduction de 1,8 p. 100 des votes aux élections suivantes, en comparaison
dun député qui y a consacré 20 heures par mois, toutes autres choses étant
égales. Ils attribuent le rapport négatif entre le travail de circonscription
et lobtention de votes à la réduction dautres activités plus avantageuses
sur le plan électoral, comme le travail accompli pour le parti à léchelle
nationale dans la capitale ou létablissement dun profil dans les médias
à léchelle nationale, ce qui se produit lorsque les députés consacrent
leur temps au travail de circonscription.
Lexistence dautres organismes pour redresser les griefs des électeurs,
comme les centres communautaires, les groupes de défense des droits des
assistés sociaux, les centres de droit locaux et les ombudsmans, a pour
conséquence que les électeurs ne font appel à leur député quen dernier
recours. En 2004, la Commission du droit du Canada a conclu que les recherches
limitées menées sur la représentation géographique semblaient indiquer
que le lien entre les électeurs et leurs représentants élus nétait peut-être
pas aussi important que les chercheurs lont cru initialement.
Il semble que le travail de circonscription accompli par les représentants
nest peut-être ni aussi efficace ni aussi apprécié des électeurs quon
la supposé traditionnellement.
Élection directe et responsabilisation
Lélection directe dun représentant permet aux électeurs de le tenir responsable
de ses actes pendant son mandat parlementaire. Lorsque les électeurs estiment
que la performance du député en place est inadéquate ou quun adversaire
les représenterait mieux, ils peuvent le remplacer lors des élections.
Selon Crewe, la condition indispensable pour quen définitive, un député
soit responsable envers ses électeurs et que des liens étroits soient établis
entre les citoyens, la localité et le Parlement, est lexistence de la
circonscription uninominale11. Du point de vue des électeurs habitués à
élire directement leur représentant de circonscription géographique, lélection
indirecte de celui-ci au moyen dune liste bloquée de parti dans un système
de représentation proportionnelle semble miner la capacité des électeurs
dexiger des comptes de leur représentant. Durant la campagne qui a précédé
le référendum de 1993 sur la réforme électorale en Nouvelle-Zélande, le
groupe de pression en faveur du système uninominal majoritaire à un tour
(la Campaign for Better Government) a exploité cette crainte pour réduire
le soutien en faveur du système mixte proportionnel (Mixed Member Proportional
system MMP). Selon des publicités télévisées, les députés élus au moyen
dune liste de parti ne seraient pas responsables devant lopinion publique,
car ils seraient effectivement nommés par leur parti respectif12.
Dans
les publicités utilisées au cours de cette campagne, les députés de liste
étaient décrits comme des apparatchiks anonymes, ce qui na pas été confirmé,
mais les principaux membres des caucus de parti se font couramment inscrire
en tête de la liste de leur parti comme moyen de rechange au cas où ils
perdraient leur siège de circonscription, pour que les électeurs ne puissent
empêcher la réélection de représentants particuliers. Dans cette situation,
la réélection dun député dépend du nombre de votes obtenus par son parti13.
La responsabilisation des représentants dans les circonscriptions où le
système uninominal majoritaire à un tour est en vigueur a aussi été mise
en doute. Au Royaume-Uni, Crewe a affirmé que la grande majorité des sièges
est imprenable : des raz-de-marée électoraux dont les proportions sont les
mêmes que celui de 1945 en faveur des travaillistes et celui de 1983 en
faveur des conservateurs laisseraient 70 p. 100 des sièges entre les mains
du même parti. Les sièges sûrs incitent plus les députés à négliger leur
circonscription et empêchent les électeurs de punir effectivement ceux-ci
lors des élections. Dans un système politique dominé par les partis, le
même parti gagne toujours les « sièges sûrs », quelle que soit la performance
du député. De plus, la sélection préliminaire des candidats aux sièges
sûrs dépend peut-être plus de la perception de leur loyauté envers leur
parti, selon le comité de sélection du parti, que de leur dévouement envers
les électeurs. Bogdanor est davis que la carrière dun député dépend davantage
de son parti que de ses électeurs. Souvent, un député peut conserver son
siège même sil est impopulaire dans sa circonscription, pourvu que ses
relations avec son parti à léchelle locale demeurent bonnes; mais sil
perd le soutien de son parti à léchelle locale, sa carrière politique
prend habituellement fin.
Au Canada, au Royaume-Uni, en Australie et dans la Nouvelle-Zélande davant
1996, le système électoral exige que les électeurs expriment leur préférence
pour un candidat dans leur circonscription et leur préférence pour un parti
par un seul vote. Les électeurs ne peuvent faire de distinction entre leur
choix dun député et leur choix dun parti pour former le gouvernement.
Lorsque ces préférences diffèrent, cest-à-dire quand le candidat préféré
dun électeur ne représente pas le parti quil préfère, son désir de voter
en faveur du parti de son choix peut lempêcher de tenir son représentant
responsable. Dans les régimes démocratiques basés sur le modèle de Westminster,
où lallégeance partisane est linfluence prééminente exercée sur les électeurs,
il est moins probable que ceux-ci utilisent leur vote pour blâmer un député
impopulaire ou récompenser un député populaire.
La domination des partis et le vote pour lindividu
Dans les quatre pays, linfluence de lallégeance partisane et des attitudes
envers les chefs de parti et les candidats dans les circonscriptions sur
le comportement électoral a été mesurée. On reconnaît que lallégeance
partisane est le principal motif du vote des électeurs, mais les chercheurs
ne sentendent pas sur la mesure dans laquelle ils peuvent voter pour un
candidat en particulier en faisant abstraction de leur préférence pour
un parti. Dans un ouvrage fondamental sur cette question intitulé The Personal
Vote, Cain, Ferejohn et Fiorina définissent comme suit le vote pour lindividu :
[
] la partie du soutien électoral dun candidat fondée sur ses qualités
personnelles, ses qualifications, ses activités et ses états de service.
La partie du vote qui nest pas pour un individu comprend le soutien du
candidat basé sur son allégeance politique, les caractéristiques des électeurs
comme leur classe sociale, leur appartenance religieuse et leur origine
ethnique, leurs réactions à des conditions comme létat de léconomie et
les évaluations du rendement centrées sur le chef du parti au pouvoir14.
Dans les démocraties parlementaires, linfluence des qualités personnelles
et des activités dun candidat sur le comportement des électeurs a traditionnellement
été considérée comme faible. En 1955, Milne et MacKenzie ont qualifié lopinion
selon laquelle les qualités personnelles dun candidat aident peu à obtenir
des votes de tellement répandue quelle nétait plus un paradoxe, mais
une platitude15. Dans le même sens, Cross a affirmé que les députés canadiens
nobtenaient pas un mandat personnel. Selon lui, toutes les études sur
le comportement politique des Canadiens montrent que la grande majorité
des électeurs utilisent leur vote unique pour exprimer leur préférence
pour un parti (et pour un candidat au poste de premier ministre) même
si les seuls noms imprimés sur les bulletins de vote sont ceux des candidats
dans leur circonscription16.
Toutefois, de nombreux chercheurs ont montré que le vote pour lindividu
existe dans les démocraties parlementaires et que, même sil est faible,
il peut jouer un rôle important dans les circonscriptions où la lutte est
serrée. En comparant le vote pour lindividu aux États-Unis et au Royaume-Uni,
Cain, Ferejohn et Fiorina ont conclu que, même si les avantages électoraux
obtenus par un membre diligent du Congrès sont beaucoup plus importants
que ceux obtenus par un député également diligent, les efforts du député
ont des effets perceptibles dont limportance peut augmenter. En Australie,
Bean a démontré que le vote pour lindividu constitue une composante réelle,
mais mineure, de lensemble de facteurs qui déterminent le choix dun parti
lors des élections à la chambre basse du Parlement australien et que ses
effets se situent à entre 2 et 3 p. 100 du vote. De même, Ferejohn et Gains
ont conclu quil existe des preuves de laugmentation du nombre de votes
pour lindividu au Canada, où la bonne réputation acquise par les députés
dans leur circonscription peut avoir une incidence sur leur succès à lélection.
Docherty estime que les effets obtenus en étant un député en place se situent
entre 3 et 5 p. 100 au Canada, ce qui peut permettre de remporter lélection
lorsque la lutte est serrée.
La réforme électorale a donné une rare occasion de déterminer la mesure
dans laquelle le soutien en faveur des députés de circonscription est distinct
du soutien en faveur de leur parti. Dans un système mixte proportionnel,
chaque électeur a deux votes : il vote une première fois pour son candidat
préféré et une deuxième fois pour son parti préféré. En Nouvelle-Zélande,
trois élections ont eu lieu pendant que ce système était en vigueur et
un scénario sest dégagé suivant lequel les deux grands partis, le Parti
travailliste et le Parti national, obtiennent la plupart des sièges de
circonscription, alors que les partis mineurs obtiennent la plupart des
sièges de liste. En 1996, 37 p. 100 des électeurs ont partagé leurs votes;
en 1999, ce chiffre a baissé à 35 p. 100 et, en 2002, il a monté à 39 p. 100.
En pratique, il signifie que la majorité des députés de circonscription
des partis travailliste et national ont obtenu plus de votes que leur parti
dans chaque circonscription. Les députés particulièrement populaires peuvent
obtenir deux fois plus de votes que leur parti.
Dans la plupart des démocraties occidentales, à lexception notable des
États-Unis, le gouvernement représentatif est le gouvernement dun parti.
Mais le vote pour lindividu ne suffit pas à lui seul pour expliquer la
proportion élevée délecteurs qui ont partagé leurs votes. Une proportion
importante de votes partagés sexplique par le désir des électeurs de voter
de façon tactique : ils se rendent compte quil est improbable que le candidat
dun parti mineur gagne dans leur circonscription et ils partagent leurs
votes entre un parti mineur et le candidat dun grand parti.
Les preuves de lexistence du vote pour lindividu existent au Canada,
au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande, mais il est important
de se rappeler de linfluence dominante de lallégeance partisane sur le
comportement des électeurs. Par exemple, Bean a réalisé un test pour déterminer
les variables qui influençaient le vote lors des élections fédérales de
1987 en Australie; linfluence de lallégeance partisane sur le vote était
six fois plus considérable que leffet des attitudes envers les députés
en place.
Les implications relatives à la réforme électorale
Au cours de la dernière décennie, la réforme électorale a fait partie des
principaux programmes politiques au Canada, au Royaume-Uni et en Nouvelle-Zélande.
Au Canada, cinq provinces et un territoire étudient actuellement la possibilité
dune réforme électorale. Le gouvernement fédéral sest également engagé
à étudier les réformes possibles à léchelle nationale. Au Royaume-Uni,
une commission indépendante sur le mode de scrutin a recommandé en 1998
de réformer le système électoral. En Nouvelle-Zélande, lors du référendum
de 1993 sur la réforme électorale, la majorité des électeurs sest prononcée
en faveur de remplacer le système uninominal majoritaire à un tour par
le système mixte plus proportionnel. LAustralie na pas suivi cette tendance
et constitue une exception. On peut affirmer que labsence dimportance
de cette question en Australie sexplique peut-être par linstauration,
en 1948, dun système de représentation proportionnelle pour le sénat australien;
il a facilité la représentation des petits partis à la chambre haute et
réduit la domination des grands partis qui a contribué à faire demander
une réforme électorale dans les trois autres pays.
Les systèmes électoraux étudiés ont été choisis en tenant compte du désir
de maintenir le lien étroit entre les représentants et leur circonscription.
En Colombie- Britannique, la représentation locale est un des trois critères
clés retenus par lAssemblée des citoyens sur la réforme électorale de
la Colombie-Britannique pour évaluer les réformes possibles17.
Les membres de cette assemblée qui représentaient de grandes circonscriptions
rurales se méfiaient en particulier dun système électoral qui augmenterait
la superficie de leur division électorale. La décision de lAssemblée de
recommander ladoption dun mode de scrutin à vote unique transférable
(VUT) plutôt que dun système mixte proportionnel était fondée en partie
sur le fait quun mode de scrutin à vote unique transférable maintiendrait
le même ratio de représentants à électeurs que le système en vigueur, même
si certaines circonscriptions seraient représentées par plusieurs députés.
Par contre, dans un système mixte proportionnel, chaque député de circonscription
représenterait un plus grand nombre délecteurs dans des circonscriptions
dont la superficie serait considérablement agrandie. Les membres de lAssemblée
des citoyens espéraient que les députés des circonscriptions plurinominales
continueraient à représenter une région. Depuis ladoption du mode de scrutin
à vote unique transférable pour la tenue des élections nationales en Irlande
en 1922, une majorité des électeurs irlandais a voté en faveur de conserver
ce mode de scrutin lors des deux référendums tenus en 1959 et en 1968.
Les députés au Dáil sont connus pour mettre laccent sur les questions
locales, mais les chercheurs ne sentendent pas sur la mesure dans laquelle
cela sexplique par le mode de scrutin ou par le localisme de la culture
politique irlandaise.
En 2003, le besoin de maintenir la représentation locale a également influencé
la décision de la Commission de la réforme électorale de lÎle-du-Prince-Édouard.
Comme en Colombie-Britannique, cette commission a limité son choix au mode
de scrutin à vote unique transférable et au système mixte proportionnel.
Mais la petite dimension de cette province a facilité la décision de cette
commission en faveur du système mixte proportionnel. Le rapport Carruthers
indique quun facteur clé qui a incité à prendre cette décision est le
désir des Prince-Édouardiens de continuer à avoir un seul représentant
à léchelle locale. Selon ce rapport, lors des réunions, les habitants
ont clairement demandé que lAssemblée législative continue à être composée
de députés de circonscription, même si leur nombre pouvait être réduit.
Les Prince-Édouardiens voulaient pouvoir sidentifier au député de leur
circonscription et la Commission a accédé à cette demande18.
Ceux qui recommandent dinstaurer le système mixte proportionnel au Québec
et au Nouveau-Brunswick sefforcent non seulement de maintenir la représentation
géographique en conservant un plus petit nombre de circonscriptions uninominales,
mais aussi en préconisant lutilisation de listes de parti régionales.
Au lieu dattribuer des sièges de liste compensatoires en se basant sur
le nombre de votes exprimés pour un parti dans toute la province, on renoncerait
à un élément du caractère proportionnel du système électoral en distribuant
les sièges de liste en fonction du nombre de votes exprimés dans des divisions
régionales pour sassurer que tous les représentants, élus directement
dans une circonscription ou au moyen de la liste de parti, sont au service
dune région bien délimitée sur le plan géographique. Massicotte a reconnu
que lattribution de sièges de liste pour toute la province réduirait les
distorsions quentraînerait lattribution de sièges en fonction du nombre
de votes obtenus, mais, daprès lui, cette solution ne semblerait pas souhaitable
à la plupart des Québécois. Il croit quils sont profondément habitués
à établir un lien entre leur député à lAssemblée nationale et un territoire
donné19. De même, la Commission sur la démocratie législative du Nouveau-Brunswick
prévoit que les députés de liste représenteront une région particulière.
Les députés de liste accompliront du travail de circonscription et les
électeurs qui nont pas voté en faveur du député de la circonscription
pourront sadresser à eux. La Commission prédit que « les députés et députées
dune même région pourraient rivaliser pour rendre les meilleurs services
à la circonscription. Les électeurs et les électrices seraient probablement
reconnaissants20. »
Au Pays de Galles, les tensions entre les députés de circonscription et les
députés de liste ont récemment poussé la commission Richard à recommander le
remplacement du système gallois mixte par le mode de scrutin à vote unique
transférable (VUT), mais les partisans de l’utilisation de listes régionales
dans les systèmes mixtes de provinces canadiennes ont confiance que cette
concurrence sera avantageuse pour les électeurs, sinon pour les politiciens.
La Commission du droit du Canada a également recommandé dintroduire le
système mixte proportionnel à léchelle nationale. Pour maintenir le nombre
actuel de sièges au Parlement tout en créant de nombreux sièges de liste
pour compenser le fait que des partis nobtiennent pas le nombre de sièges
qui correspond à leur proportion des votes, le nombre de circonscriptions
devrait être réduit en augmentant leur superficie. Le relâchement du lien
entre les députés et leurs électeurs en augmentant la superficie des circonscriptions
préoccupait moins la Commission du droit du Canada que les réformateurs
provinciaux. À ce sujet, la Commission a fourni lexplication suivante :
[
] à plusieurs moments pendant le processus de consultation de la Commission,
les citoyens ont indiqué que le lien entre citoyens et députés, bien quil
soit important, pourrait ne plus correspondre vraiment aux valeurs et aux
expériences des Canadiennes et des Canadiens. La population canadienne
est beaucoup plus mobile et diversifiée quautrefois et les citoyens sidentifient
souvent à des communautés dintérêts qui ne se définissent pas géographiquement
ou qui se trouvent à lextérieur de leur secteur de résidence. Une conception
avant tout territoriale de notre système électoral pourrait donc se révéler
quelque peu restrictive21.
Au Royaume-Uni et en Nouvelle-Zélande, la commission sur la réforme électorale
a dû tenir compte de préoccupations similaires. Selon Crewe, la Hansard
Society Commission de 1976 a écarté la possibilité dune réforme traditionnelle
au Royaume-Uni, cest-à-dire ladoption du mode de scrutin à vote unique
transférable (VUT), en faveur dun système mixte par considération pour
le fort sentiment dattachement aux circonscriptions uninominales. En 1998,
la commission Jenkins a exprimé lopinion quun système mixte prévoyant
deux votes était la meilleure solution pour la Grande-Bretagne. Cette commission
a recommandé quentre 80 et 85 p. 100 des députés continuent à être élus
dans une circonscription uninominale, mais en utilisant le mode de scrutin
proportionnel majoritaire plutôt que lactuel système uninominal majoritaire
à un tour, et quun nombre complémentaire de députés soit élu au moyen
dun second vote en faveur dune liste de parti ouverte. Au lieu de recommander
que les députés « complémentaires » soient élus de façon plus proportionnelle
à léchelle du pays comme en Allemagne et en Nouvelle-Zélande, la Commission
a préconisé lélection des députés additionnels dans de petites régions
complémentaires comme les comtés existants ou des divisions métropolitaines
de dimension équivalente, pour quils puissent être tenus responsables
à léchelle locale et avoir des liens avec une circonscription au sens
large. En Nouvelle-Zélande, la Royal Commission on the Electoral System
(commission royale sur le système électoral) a également recommandé en
1986 ladoption dun système mixte pour combiner la représentation proportionnelle
et la représentation traditionnelle des électeurs de circonscriptions délimitées
sur le plan géographique. Selon la Commission, la capacité des électeurs
dexposer leurs préoccupations à leur député, qui assume des responsabilités
précises envers la collectivité locale, est un aspect sain du système néo-zélandais
qui protège les droits des citoyens et aide le Parlement à redresser les
griefs.
Lévaluation des systèmes électoraux en fonction de leur capacité de maintenir
la représentation géographique limite le nombre doptions qui peuvent être
étudiées en excluant, par exemple, les systèmes de représentation proportionnelle
(RP) de liste utilisés dans de nombreux pays dEurope continentale. Elle
change également la nature du compromis inévitable quentraîne lévaluation
de systèmes de remplacement. Fréquemment, il y a un prix à payer pour quil
y ait représentation géographique. Par exemple, plus de femmes sont élues
dans les systèmes électoraux de RP de liste que dans les systèmes uninominaux
majoritaires à un tour22. La cause en est que les listes bloquées de parti
peuvent être utilisées pour augmenter la représentation des femmes ou des
membres des minorités ethniques au moyen de mécanismes comme les quotas
ou le « blocage », par lesquels les partis cherchent à équilibrer la représentation
des groupes démographiques lors de leur choix des candidats de liste. Par
ailleurs, Carty a documenté la résistance des associations décentralisées
de circonscriptions canadiennes aux réformes conçues par les partis nationaux
pour augmenter la représentativité sociale des députés canadiens. Plus
de 80 p. 100 des présidents des associations de circonscription conservatrices
et libérales se sont dits daccord avec un énoncé utilisé lors de son enquête,
selon lequel « il est exagéré de prétendre que les possibilités offertes
aux femmes sont limitées. [Elles] nauraient aucune difficulté à se tailler
une place dans notre circonscription si elles se montraient davantage intéressées23. »
Carty a conclu qu’à cause de la structure des partis canadiens, fondée sur les
circonscriptions, il est plus difficile de tenir compte des importantes
pressions exercées par la société, comme celles visant à remédier à la
sous-représentation des femmes et des membres des minorités ethniques.
On pourrait dire que le maintien de la représentation géographique a peut-être
comme conséquence dempêcher que les députés soient issus de milieux sociaux
plus divers.
Comme il est indiqué ci-dessus, laccent mis sur la représentation géographique
en Nouvelle-Zélande, au Québec et au Nouveau-Brunswick empêche de songer
à donner un rôle représentatif de remplacement aux députés de liste. Selon
Barker et Levine, linstauration du système mixte proportionnel en Nouvelle-Zélande
a donné aux députés de liste loccasion dacquérir un rôle parlementaire
distinctif.24
Les députés de liste néo-zélandais agissent plutôt comme des représentants
parallèles dune circonscription et ils sont décrits comme « 55 députés à
la recherche dune circonscription ». Par ailleurs, les réformes proposées
au Nouveau-Brunswick et au Québec décrivent explicitement les députés de
liste comme les représentants de régions précises.
Conclusion
La représentation géographique a traditionnellement caractérisé les liens
entre les députés et leurs électeurs dans les systèmes modelés sur le Parlement
de Westminster. Mais le présent exposé a démontré quil est légitime de
mettre en doute lattachement culturel aux circonscriptions uninominales
dans les régimes démocratiques inspirés de celui de Westminster. Les rapports
étroits entre les députés et leurs électeurs sont exagérés. Des organismes
de rechange peuvent redresser les griefs des électeurs et il est douteux
que la majorité dentre eux apprécient le travail de circonscription de
leur député. Le lien entre le vote en faveur dun député et le vote en
faveur du gouvernement dans le système uninominal majoritaire à un tour
et le système de représentation proportionnelle limite la capacité des
électeurs de tenir leur député responsable, à moins quils soient disposés
à ne pas profiter de loccasion dexprimer leur préférence pour le parti
qui forme le gouvernement.
Le désir de maintenir la relation étroite entre les députés et leurs électeurs
a influé sur le processus de réforme électorale au Canada, au Royaume-Uni
et en Nouvelle-Zélande en limitant le nombre doptions potentielles aux
systèmes électoraux compatibles avec la représentation géographique. En
Nouvelle-Zélande, on na pas étudié la possibilité que les députés de liste
jouent un rôle représentatif de rechange en représentant les intérêts de
groupes ou en étudiant des questions stratégiques particulières, à cause
de la conception dominante selon laquelle la représentation est reliée
à une circonscription géographique. Selon Crewe, lattachement aux circonscriptions
uninominales au Royaume-Uni est sentimental plutôt que basé sur des preuves25.
Mais lidée selon laquelle il y a un lien étroit entre le député et ses
électeurs constitue une composante clé de la culture politique au Canada,
au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande, quel que soit le jeu
des partis dans ces quatre pays. La représentation géographique est-elle
un aspect suffisamment important des systèmes parlementaires modelés sur
celui de Westminster pour quil soit justifié de limiter le nombre des
options lors de la réforme du système électoral?
Notes
1. Vernon Bogdanor, « Introduction », dans Vernon Bogdanor et David Butler
(dir.), Democracy and Elections: Electoral Systems and their Political
Consequences, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 2.
2. Edmund Burke, « Speech to the electors of Bristol », Works, Londres, S
& C Rivington, 1774.
3. Donley Studlar et Ian McAllister, « Constituency Activity and Representative
Roles among Australian Legislators », The Journal of Politics, volume 58,
no 1 (février 1996), p. 73.
4. Heinz Eulau et Paul Karps, « The Puzzle of Representation: Specifying
Components of Responsiveness », dans Heinz Eulau et John Wahlke, The Politics
of Representation: Continuities in Theory and Research, Londres, Sage Publications,
1987, p. 62.
5. Donald Searing, « The Role of the Good Constituency Member and the Practice
of Representation in Great Britain », Journal of Politics, 47, 1985, p.
348-381.
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25. Ivor Crewe, op. cit., p. 22.
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