Ron Landes
Rapport du comité spécial sur la réforme de la Chambre
des communes, document déposé à la Chambre des communes le 18 juin 1985,
124 pages.
Dans son analyse classique de la constitution
britannique au milieu du XIXe, siècle, The English Constitiition, Walter Bagehot décrit le
Parlement britannique comme rien de moins qu'une grande assemblée de
désoeuvrés. Si cette description s'applique à la Chambre des communes du
Canada, il n'en sera plus ainsi après l'adoption des différentes modifications
recommandées dans le Rapport du Comité spécial sur la réforme de la Chambre des
communes. Le rôle de chaque député sera
grandement accru à la suite de modifications au principe de la confiance et de
la discipline de parti. Les députés participeront activement au processus
politique et examineront minutieusement les nominations par décret ainsi que
les détails des décrets lois. Ces tâches contrediront certainement l'impression
que donnent aujourd'hui les députés d'arrière-ban et que traduit ainsi l'ancien
député libéral et maire de Toronto, Phil Givens : « Le député libéral moyen est
aussi inutile que les travons d'un boeuf. » La mise en valeur du rôle et de la
participation des députés aura pour résultat ultime de replacer le Parlement au
coeur du processus politique. C'est du moins ce que les auteurs du rapport
voudraient nous faire croire.
La compréhension et l'appréciation du rapport sont
essentiellement fonction de notre perception de la souveraineté parlementaire. Si
peu de gens contestent que le Parlement canadien a perdu une bonne partie de
son célèbre pouvoir à l'époque moderne (du moins depuis 1896 et depuis qu'une
discipline de parti assez rigide s'est imposée à la Chambre des communes), la
question de l'importance du rôle législatif du Parlement, c'est-à-dire le rôle
central qu'il exerce dans l'élaboration de politiques, peut être sujette à
discussion. Ce point est crucial puisque le rapport se fonde sur l'hypothèse
que l'on peut retrouver un élément perdu (notre naïveté politique peut-être) au
moyen de réformes internes de la Chambre des communes. Le passage qui suit
illustre bien cette idée : En 1985, le but de la réforme de la Chambre des
communes est de faire en sorte que les députés redeviennent de véritables
législateurs et qu'ils retrouvent un rôle de premier plan dans la formulation
des politiques redonnant ainsi à la Chambre des communes la place qui lui
revient dans notre système politique.
À mon avis, il est facile de soutenir qu'en 1985 le
Parlement est plus important que jamais. Par rapport aux époques précédentes,
le Parlement siège aujourd'hui plus longtemps et adopte plus de lois d'ordre
social et économique que jamais auparavant. En outre, la Chambre des communes a
joué un rôle particulièrement important dans le débat constitutionnel de
1980-1982. Nous ne devrions pas oublier la défaite du gouvernement minoritaire
des conservateurs en décembre 1979. Pareils événements ne se produisent
évidemment pas tous les jours, mais ces exemples devraient au moins nous faire
réfléchir avant de mettre une croix dès maintenant sur le régime parlementaire
canadien. Tenons-nous vraiment à revivre les jours heureux où Mackenzie King se
vantait de consulter le Parlement?
Ce qu'ont oublié les auteurs du rapport, c'est que le
pouvoir des institutions est relatif. Celui du Parlement a peut-être diminué
par rapport à d'autres, mais non en pratique, tandis que (s'accroissait) celui
du conseil exécutif et de la bureaucratie s'est accru. Si cette allégation est
fondée, aucune réforme interne de la Chambre des communes ne pourra
vraisemblablement redonner au Parlement son rôle essentiel dans le processus
politique. Ces dernières décennies, par exemple, les députés ont assumé un rôle
de protecteur du citoyen parce que les attentes de la population à leur égard
ont changé, et non parce qu'ils n'avaient rien de
mieux à faire sur la Colline parlementaire. L'idée que se fera la population du Parlement dépendra
davantage de la survie de l'institution que des remaniements de la procédure
parlementaire.
En se méprenant sur la réalité de la souveraineté
parlementaire, les auteurs du rapport ont fait l'erreur d'idéaliser le rôle des
citoyens dans le processus politique. Le Parlement est décrit comme un canal
qui permet à l'ensemble de la population de prendre part à l'élaboration des
politiques. Toutefois, les sondages révèlent que la population ne s'intéresse
ni ne prête beaucoup attention à ce que fait le Parlement.
Ayant presque toujours été un parti d'opposition sur
la scène fédérale depuis 1896, tradition qui a peut-être été radicalement
rompue par les élections de septembre 1984, le Parti progressiste conservateur
a pris l'habitude d'invoquer la nécessité de renforcer le Parlement. Le fait
pour les conservateurs de se retrouver au pouvoir leur a créé un problème.
Existe-t-il vraiment une volonté politique d'accroître les pouvoirs de la
Chambre des communes? On peut croire que plus les conservateurs demeureront
longtemps au pouvoir, moins cette volonté politique se fera sentir. Après la
victoire des libéraux et des néo démocrates sur le premier budget des
conservateurs et après l'abandon du projet de désindexation des pensions de
vieillesse, le gouvernement Mulroney arrivera peut être à la conclusion que le
Parlement est déjà suffisamment fort. Le rôle du Parlement est vu d'un oeil
différent selon qu'on siège à droite ou à gauche du fauteuil du président.
Le point crucial de la réforme parlementaire consiste
à convaincre le gouvernement de renoncer à certains de ses pouvoirs. L'histoire
ne fournit que peu de cas où un parti au pouvoir a, de son propre gré, renoncé
à son emprise sur le gouvernement. Accroître le pouvoir du député moyen et de
l'ensemble du Parlement dans l'élaboration de politiques nécessiterait
l'adoption de réformes qui sont susceptibles d'affaiblir, d'un point de vue
relatif, les pouvoirs du premier ministre et de son cabinet. On ne peut
s'attendre à ce que de bonnes intentions et un dynamisme accru des députés
d'arrière-ban renversent la tendance de ces dernières années à transformer en
régime présidentiel le régime parlementaire canadien.
Les auteurs du rapport soulignent la nécessité d'un
changement d'attitude du gouvernement, de l'opposition et des députés à l'égard
de deux points clés : les votes de confiance et la discipline de parti. Un
changement d'attitude est effectivement nécessaire, quoique probablement
insuffisant. Le rapport n'explique cependant pas comment nous nous déferons de
la rigoureuse discipline de parti, pour commencer. Lequel vient avant l'autre
un assouplissement de la discipline de parti ou un changement d'attitude? Les
bonnes intentions ne donnent pas forcément lieu à une bonne politique ou à des
réformes adéquates.
Aussi longtemps que de la discipline de parti
ressortira au gouvernement, toute réforme parlementaire efficace restera
illusoire. Par exemple, un vote libre ne signifie pas systématiquement
l'absence d'une discipline de parti implicite. L'élection du président de la
Chambre des communes au scrutin secret (rapport, p. 104) ne suffira donc pas à
retirer au premier ministre le véritable pouvoir de choisir et à le redonner à
la Chambre. Après avoir tu ce rapport, on ne peut qu'être en accord avec cette
critique de la réforme parlementaire britannique : l'histoire de la réforme
parlementaire est pavée de bonnes intentions qui n'ont porté aucun fruit.
Ron Landes
Département des sciences politiques
Saint Mary's University
Halifax
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