C’est en 1893 que la bibliothèque déménage dans le tout nouvel édifice de l’Assemblée législative, situé à Queen’s Park, à Toronto. À peine quinze ans plus tard, dans son rapport annuel de 1908, Avern Pardoe, bibliothécaire de l’Assemblée, se plaint que la bibliothèque manque d’espace et que les pièces sont « aussi mal adaptées que possible ». Les livres, placés sur des étagères près des fenêtres, sont endommagés par le soleil lorsque les fenêtres sont fermées, et par la pluie et la neige lorsque le vent des tempêtes les ouvre. À cela s’ajoutent les tuyaux de vapeur qui fuient. La crainte d’un incendie est toujours là : étagères, livres, chaises et tables, tout est inflammable, et la grande pièce à aire ouverte favoriserait la propagation du feu, qui aurait « des conséquences désastreuses ».
En décembre 1908, Pardoe écrit à George W. Gouinlock, architecte responsable de l’aile nord projetée, pour lui faire part de ses idées concernant une nouvelle bibliothèque, notamment sur le rayonnage, l’aménagement, l’ameublement, le fenêtrage, l’éclairage et la plus grande résistance possible au feu. Neuf mois plus tard, au moment même où l’on pose les fondations de la nouvelle aile, un incendie se propage à la bibliothèque.
Ce jour-là, Avern Pardoe est en vacances à Muskoka. Son adjoint, Marmaduke Wilson, travaille dans la bibliothèque et est alerté par de grands bruits vers 11 h. Il se précipite alors dans la grande salle, où il voit un début d’incendie dans le grenier. À la fin de l’après-midi, l’aile ouest de l’édifice de l’Assemblée législative est anéantie par les flammes, le toit s’est écroulé et la majeure partie de la collection de la bibliothèque est réduite en cendres ou encore carbonisée et tellement imbibée d’eau qu’on ne peut plus rien récupérer.
Avant même que l’incendie ne soit éteint, l’Université de Toronto offre l’immeuble no 4 de Queen’s Park pour abriter temporairement la bibliothèque, qui y reste finalement trois ans. De retour en ville le 3 septembre, Pardoe déménage rapidement les restes de sa collection et s’attaque aussitôt à la tâche colossale de planifier et de reconstruire. Des lettres conservées par les Archives publiques de l’Ontario révèlent beaucoup d’information sur son travail1.
La correspondance de Pardoe constitue une source fascinante de renseignements sur la gestion quotidienne de la bibliothèque, assurée simultanément avec la planification des nouvelles installations. Le bibliothécaire y traite d’un éventail de questions, petites et grandes : comment les livres doivent être emballés, les livres perdus et les références demandées, les abonnements aux revues et l’obtention d’une clé pour le sergent d’armes. On y observe aussi qu’il fait installer le téléphone, à la demande insistante de sir James Pliny Whitney, premier ministre de l’Ontario, pour faciliter les communications avec sa clientèle, dorénavant établie dans l’édifice d’en face au lieu de se trouver au bout du couloir.
Le 15 septembre, Pardoe commence à répondre à la vague d’offres de fournitures reçues de vendeurs pleins d’espoir et de donateurs bienveillants. Cherchant toujours à économiser l’argent des contribuables, il lance une campagne visant à obtenir des dons d’assemblées législatives, de bibliothèques, d’éditeurs et d’associations. Il écrit plusieurs fois à sir Wilfrid Laurier, premier ministre du Canada, aux premiers ministres d’autres provinces ainsi qu’aux assemblées législatives d’États, à des sociétés d’histoire et à d’autres organisations pour remplacer les livres perdus. Il marchande avec les commerçants de livres et communique avec le maître de poste de Toronto pour tenter de se faire rembourser des timbres qui ont été endommagés par l’incendie.
Comme il fallait s’y attendre, la construction d’une bibliothèque résistante au feu constitue un thème récurrent dans la correspondance de Pardoe. John Ross Robertson, éditeur du Toronto Telegram, qui lui écrit le 5 septembre 1909 lors de la traversée de l’Atlantique à bord du RMS Carmania, tout comme William Folger Nickle, député provincial de Kingston, expriment tous les deux l’espoir que la nouvelle bibliothèque qui renaîtra des cendres de l’ancienne soit aussi résistante au feu que possible.
Snead & Company Iron Works, entreprise métallurgique de Jersey City, dans l’État du New Jersey, est choisie pour fournir l’équipement et le rayonnage de la nouvelle bibliothèque. Elle avait déjà effectué de tels travaux dans nombre de bibliothèques canadiennes et américaines, dont la Bibliothèque du Congrès et la Widener Memorial Library de Harvard. Les nombreux avantages du rayonnage offert par la Snead (étagères ajustables, matériaux ignifugés, facilité d’utilisation et bon éclairage) doivent sembler idéaux pour remplacer une bibliothèque qui était auparavant encombrée et menacée par la poussière, le soleil et les fuites de vapeur, avant d’être détruite par les flammes.
Le déménagement dans les nouveaux quartiers de l’aile nord dure cinq semaines, en septembre et octobre 1912. Selon le rapport annuel de cette année-là, rédigé par Pardoe lui-même, la nouvelle bibliothèque est la seule à disposer d’un rayonnage central entouré de bureaux et de pièces de lecture. Cette configuration permet de surveiller l’accès à la collection et de la protéger de la lumière naturelle et de la poussière, tout en la gardant à proximité des aires de travail. Pardoe décrit alors cette nouvelle bibliothèque faite d’acier et de pierre comme « la seule au Canada qui soit située dans un édifice résistant au feu ».
Le 11 octobre 2009, un nouvel incendie se produit dans l’édifice de l’Assemblée législative de l’Ontario. Un conditionneur d’air installé dans le grenier de l’aile nord prend feu durant la nuit. Cette fois-ci, l’incendie est rapidement maîtrisé, et la bibliothèque ne subit aucun dommage, que ce soit par le feu ou par l’eau.
En 2010, la bibliothèque se trouve toujours à l’endroit même où elle a emménagé en 1912, et ses livres sont toujours sur le rayonnage d’acier qui était, à l’époque, à la fine pointe de la technologie. Grâce à l’incendie de 1909, cette bibliothèque bien aménagée et résistante au feu continue, encore aujourd’hui, à servir l’Assemblée législative de l’Ontario.
Notes
1. Une sélection de ces lettres a été examinée et photographiée aux Archives publiques de l’Ontario le 9 juin 2009. Beaucoup de lettres de Pardoe, sous forme de copies conformes regroupées dans un registre de correspondance, se sont détériorées, et certaines sont presque illisibles. Les lettres reçues, des originaux, sont en meilleur état.