Le privilège parlementaire au Canada (deuxième édition), J.P. Joseph
Maingot, c.r., Chambre des communes et les presses universitaires
McGill-Queen’s, 1997, xxv, 426 p.
Le privilège ne cadre pas vraiment avec la définition traditionnelle de
la procédure parlementaire puisqu’il fait appel à des droits juridiques, mais
il ne fait aucun doute que, sans lui, le patrimoine parlementaire que le Canada
a reçu en partage n’aurait pas existé. Comme ni la théorie du privilège ni son
application ne sont restées figées depuis la publication, en 1982, de la
première édition anglaise de l’ouvrage de M. Maingot, cette mise à jour
s’imposait.
Au Royaume-Uni, la Parliamentary Corporate Bodies Act, qui permet
au Parlement d’intenter des poursuites et d’en faire l’objet, a été adopté en
1992. La même année, la Chambre des lords, formée en cour de justice, a élargi
la règle qui empêchait le dépôt de documents parlementaires devant les
tribunaux dans l’affaire Pepper c. Hart. En 1995, le prestigieux
Comité des privilèges des Communes a été transformé en Comité des normes et
privilèges, puis, en 1996, la portée de l’article IX du Bill of Rights
de 1689 a été modifiée par l’adoption de l’article 13 de la Diffamation
Act. Un comité mixte spécial établi en 1997 peut maintenant examiner tous
les aspects du privilège parlementaire. Il devrait d’ailleurs déposer son
premier rapport avant la fin de l’année. En Australie, la Parliamentary
Privileges Act de 1987 précise, entre autres, ce qui est visé par
l’article IX du Bill of Rights et, de ce fait, à l’abri des
tribunaux.
Le Canada a aussi connu d’importants changements. En 1991, l’adoption de
la Loi sur le Parlement du Canada accordait au Bureau de régie interne
de chaque chambre le pouvoir exclusif de décider si l’utilisation des fonds
publics par les députés est acceptable. Une mesure législative adoptée par
l’Assemblée nationale du Québec en 1998 permet à tout député, même ancien, de
se faire rembourser les frais d’avocat et judiciaires lorsqu’il fait l’objet de
poursuites liées à l’exercice de ses fonctions. Une jurisprudence considérable
s’est constituée; le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba de
1985, par exemple, où les tribunaux ont décidé que toutes les lois adoptées
par le Manitoba après 1870 étaient invalides parce qu’on avait omis d’utiliser
le français dans les comptes rendus, les journaux et les textes législatifs; et
MacLean c. The Attorney General of Nova Scotia (1987) où les
tribunaux ont décrété que l’assemblée législative peut destituer, suspendre ou
expulser un député qui jouit de l’immunité parlementaire. Le privilège a aussi
fait l’objet de deux thèses universitaires au Canada : The Contempt
Power of the House of Commons, de Peter Bernhardt (1990), et Parliamentary
Privilege in Canada, de L.M. Lum (1992).
Ce sont toutefois l’adoption de la Charte canadienne des droits et
libertés en 1982, dont l’alinéa 32(1)a) précise qu’elle
s’applique au Parlement et aux assemblées législatives provinciales, et l’arrêt
rendu par la Cour suprême en 1993 dans l’affaire New Brunswick Broadcasting
Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative) qui ont
provoqué cette deuxième édition. Comme M. Maingot le signale, c’était la
première fois que la Cour suprême se penchait sur la question du privilège
parlementaire depuis près d’un siècle, et la toute première fois qu’elle était
saisie d’une question associant la Charte et le privilège parlementaire.
L’arrêt rendu dans l’affaire New Brunswick Broadcasting est d’une
très grande importance, et M. Maingot consacre tout un nouveau chapitre à
son analyse; il émet aussi diverses hypothèses sur les autres incidences que la
Charte pourrait avoir sur le privilège parlementaire. Cette décision a donné
naissance à une nouvelle typologie des privilèges : ceux qui sont
constitutionnellement inhérents et ceux qui ne le sont pas. Pour déterminer si
un privilège est « inhérent en vertu de la Constitution », le
tribunal a établi un critère comportant plusieurs variables :
l’historique, la nécessité, le pragmatisme et la reconnaissance d’autres
réalités constitutionnelles. Si le privilège est constitutionnellement
inhérent, le tribunal n’interviendra pas en vertu de la Charte, car une partie
de la Constitution ne saurait en abroger une autre. La cour devait aussi se
prononcer sur le statut constitutionnel tant des tribunaux que du Parlement. Le
préambule de la Constitution consacre leur indépendance les uns par rapport à
l’autre. Le tribunal a cependant affirmé qu’il lui appartiendra de déterminer
l’étendue et la portée du privilège et la catégorie de privilège dont il
s’agit.
L’arrêt N.B. Broadcasting confirme que les « débats
internes » sur des questions comme la façon dont les délibérations seront
diffusées sont de la compétence exclusive des corps législatifs.
M. Maingot a toutefois l’impression que d’autres privilèges traditionnels
n’échappent pas à la portée de la Charte. Il se peut que la liberté
d’expression, garantie par l’article 2, protège une personne qui est
accusée d’avoir diffamé un député. À l’avenir, il faudra peut-être, en
application du paragraphe 11a), informer les personnes convoquées devant
un comité de la Chambre sur une question de privilège de ce dont elles sont
accusées. Plus important encore, le pouvoir pénal du Parlement, sans lequel,
comme l’a affirmé un juge en chef du Royaume-Uni, la Chambre « sombrerait
complètement dans le mépris et l’inefficacité », n’est peut-être pas
« constitutionnellement inhérent » et va peut-être à l’encontre de l’article 7
(le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité) et de l’article 8 (le
droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies
abusives).
N.B. Broadcasting (1993) et Kielley c. Carson (1842)
sont, au Canada, les deux principales décisions judiciaires qui ont trait au
privilège parlementaire. Dans Kielley c. Carson, le tribunal
a décidé que les pouvoirs des assemblées coloniales d’avant la Confédération se
limitaient à ce qui était raisonnablement nécessaire pour bien s’acquitter de
leurs fonctions d’assemblée législative locale. Contrairement à la Chambre des
communes britannique, ces assemblées n’avaient pas le pouvoir d’arrestation
dans les cas d’outrage commis en dehors de l’assemblée. L’issue de l’affaire Kielley c.
Carson n’avait d’ailleurs rien d’étonnant, du moins pour le Haut-Canada.
Dès 1815, les légistes de la Couronne britannique laissaient entendre que les
privilèges coloniaux et britanniques n’étaient pas les mêmes. On peut toutefois
se demander s’ils n’étaient pas influencés par les tendances politiques de
l’heure, car les autorités gouvernementales étaient bien décidées à éviter
qu’en Amérique du Nord britannique le privilège ne dégénère en des
revendications aussi radicales qu’en Amérique royale, comme Mary Peterson
Clarke le décrit si bien dans Parliamentary Privilege in the American
Colonies (New Haven : Yale University Press, 1942). Selon la juge
McLaughlin, qui écrit pour la majorité dans N.B. Broadcasting, les
racines constitutionnelles du privilège remontent au préambule de la Loi
constitutionnelle de 1867 qui annonce l’intention d’établir « une
constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni ».
Il est ironique que les politiciens de l’époque coloniale aient utilisé ce même
raisonnement pour préciser la portée de leurs privilèges. Ils évoquaient, pour
étayer leurs revendications, le premier discours du Trône prononcé dans le
Haut-Canada le 17 septembre 1792 (dans une cabane au fond des bois
près de Niagara Falls) dans lequel le lieutenant-gouverneur John Graves
Simcoe affirmait : « Je vous ai convoqué ici en vertu d’une loi du
Parlement de la Grande-Bretagne adoptée l’an dernier, qui établit la
Constitution britannique et toutes les formes qui la garantissent dans ce pays
lointain ». Avant la Confédération, la dimension politique du privilège
l’emportait nettement sur sa portée juridique. Il y a tout lieu de se demander,
malgré l’arrêt N.B. Broadcasting, si ce n’est pas toujours le cas.
Le privilège parlementaire au Canada est un ouvrage
merveilleux qui aborde des thèmes intéressants comme l’impact du fédéralisme
sur le privilège, la façon dont les décisions judiciaires ont généralement
contribué à renforcer le privilège, et les assises étonnamment étroites des
prétentions légitimes au privilège (bien que le Parlement demeure,
paradoxalement, soustrait aux lois locales sur la vente d’alcool et que les
visiteurs à la Cité parlementaire soient, lorsque la Chambre siège, à l’abri
des poursuites). Les coquilles signalées dans la critique de la première
édition anglaise parue dans cette revue (automne 1983) ont été corrigées.
La bibliographie compte 27 ouvrages de référence de plus et la Table de
jurisprudence, beaucoup plus facile à consulter parce que mieux espacée et
présentée avec des retraits, a été portée de 168 à 199 entrées. Contrairement à
la première édition, les versions anglaise et française ont paru en même temps.
Des améliorations ont aussi été apportées à l’index. Les remarques sur les
documents dont il est question à la page 72 témoignent peut-être cependant
d’une légère méprise quant à la procédure britannique. A.J. Hastings, de
la Chambre des communes, britannique nous signale que les seuls documents visés
par un ordre d’impression automatique de la Chambre sont les prévisions
budgétaires, les états financiers annuels et certains autres documents à
caractère financier; tous les autres sont imprimés sur l’ordre de la Couronne. Le
privilège parlementaire au Canada est un enrichissement pour la littérature
mondiale sur le parlementarisme et il y a tout lieu d’en féliciter
M. Maingot.
Gary O’Brien
Greffier principal des comités
Sénat du Canada