Chris Stockwell
La Publicité
gouvernementale, Président Chris Stockwell, Assemblée législative de l’Ontario,
le 22 janvier 1997.
Contexte : Les 14 et 15 janvier 1997, les députés d’Algoma (M. Wildman) et d’Oakwood (M.
Colle) ont soulevé chacun pour sa part la question de privilège au sujet de
l’utilisation que le gouvernement a faite récemment de la presse écrite et
parlée pour communiquer son programme et de l’utilisation des deniers publics à
cette fin. Le député d’Algoma a émis des réserves au sujet des publicités
télévisées où le premier ministre parlait des projets de réforme de son
gouvernement. Le député d’Oakwood trouva à redire, quant à lui, à la brochure
que le ministre des Affaires municipales et du Logement a publiée sur le projet
de réforme de l’administration municipale du Grand Toronto. Les deux députés
firent remarquer que les publicités ont paru avant l’étude par l’Assemblée des
mesures législatives nécessaires à la mise en oeuvre des projets de réforme et
avant les audiences publiques sur ces mesures. Ils demandèrent au Président de
déterminer si ces publicités portent atteinte aux privilèges des députés et si
elles constituent un outrage à l’Assemblée. En outre, le 20 janvier 1997, le
député d’Algoma a porté à l’attention du Président une affaire distincte mais
connexe. Selon le député, le ministre des Affaires municipales et du Logement
avait publié le lundi précédent un communiqué où il annonçait que le
gouvernement avait l’intention de remanier les responsabilités des autorités
provinciales et municipales. Le député estimait que le communiqué avait pour
effet de rattacher les publicités télévisées au projet de loi que déposait le
ministre.
Décision du Président Chris
Stockwell :
Permettez-moi d’abord de citer les sources parlementaires relatives au
privilège. L’alinéa 21a) se lit comme suit : « Les privilèges sont les
droits dont jouissent la Chambre collectivement et les députés individuellement
et qui leur sont conférés par la Loi sur l’Assemblée législative et
d’autres lois ainsi que par les pratiques, les précédents, les usages et les
coutumes. » Parmi les privilèges individuels, mentionnons la liberté de parole,
l’immunité d’arrestation en matière civile, l’exemption de l’obligation de faire
partie d’un jury ou de comparaître comme témoin et la protection contre les
mauvais traitements.
Bien que les députés d’Algoma
et d’Oakwood n’aient pas précisé le privilège qu’ils estimaient avoir été violé,
j’ai indiqué la semaine dernière que j’examinerais la question. Au cours de mes
recherches, j’ai trouvé une décision en date du 29 octobre 1980 de la Présidente
Sauvé de la Chambre des communes du Canada, décision portant sur des
préoccupations relatives à l’opportunité d’une campagne publicitaire lancée par
le gouvernement du Canada. En statuant qu’il n’y avait pas présomption
d’atteinte au privilège, la Présidente Sauvé a déclaré : « il doit [...] exister
un lien entre la documentation et la prétendue ingérence dans les procédures
parlementaires. Or, à cet égard, il n’y a rien ou bien peu dans les documents ou
la campagne publicitaire en cause qui ait trait à une procédure parlementaire. »1
Compte tenu de la décision de
la Présidente Sauvé et après avoir examiné toutes les circonstances, j’estime
qu’il n’y a pas présomption d’atteinte aux privilèges dans les affaires évoquées
par les députés d’Algoma et d’Oakwood. Les publicités télévisées ainsi que la
brochure et le communiqué du ministère ne visent pas par des moyens irréguliers
à influencer les députés dans l’exercice de leurs fonctions, pas plus qu’elles
ne briment la liberté de parole en chambre ni ne touchent à une procédure
parlementaire.
Les députés d’Algoma et
d’Oakwood m’ont également demandé de déterminer si les mêmes circonstances
équivalaient à un outrage. Erskine May explique le concept d’outrage dans les
termes suivants:
«En général, tout acte ou toute
omission qui entrave une Chambre ou l’un de ses membres ou de ses fonctionnaires
dans l’exercice de ses fonctions, ou qui tend à produire un tel résultat, peut
être considéré comme un outrage, même s’il n’existe aucun précédent à cet effet.
Il est donc impossible d’énumérer tous les actes susceptibles d’être considérés
comme un outrage, le pouvoir d’imposer des sanctions en pareil cas étant de par
sa nature discrétionnaire [...]
Les paroles ou les écrits
publiés qui discréditent la Chambre ou ses délibérations ont toujours été punis
par la Chambre des lords et la Chambre des communes suivant le principe voulant
que ces actes tendent à entraver les chambres dans l’exercice de leurs fonctions
en portant atteinte au respect qui leur est dû [...] Par ailleurs, les actes
qui, sans viser directement à entraver les chambres dans l’exercice de leurs
fonctions, tendent pourtant à produire un tel résultat indirectement ou en
attirant sur la Chambre la haine, le mépris ou le ridicule ou en abaissant ses
autorités peuvent constituer des outrages »2.
J’ai également examiné deux
décisions importantes citées par le député d’Algoma la semaine dernière. La
première a été rendue par le Président Fraser à la Chambre des communes du
Canada le 10 octobre 1989.
Voici la situation à laquelle
le Président Fraser faisait face. Le ministère des Finances avait fait paraître
une annonce déclarant que « le 1er janvier 1991, le régime de la taxe
fédérale de vente connaîtra des modifications » et qu’une taxe sur les produits
et services « remplacera l’actuelle taxe fédérale de vente ». L’annonce exposait
ensuite les modifications proposées.
Après avoir évalué la situation
sous l’angle du privilège, le Président Fraser l’a évaluée sous l’angle de
l’outrage. En statuant qu’il n’y avait pas présomption d’atteinte au privilège
ou d’outrage, il a établi la distinction entre l’atteinte au privilège et
l’outrage dans les termes suivants :
« En résumé, toutes les
atteintes au privilège constituent des outrages à la Chambre mais les outrages
ne sont pas tous forcément des atteintes au privilège. L’outrage peut consister
en une action ou une omission; il n’est pas nécessaire que celle-ci constitue
effectivement une entrave pour la Chambre ou un député, il suffit qu’elle tende
à produire ce résultat. Les cas d’outrage peuvent aller du manquement mineur au
décorum à l’attaque grave contre l’autorité du Parlement »3.
En statuant qu’il n’y avait pas
présomption d’outrage, le Président Fraser semble avoir convenu avec les
ministres que le gouvernement avait fait paraître ces annonces dans un but
strictement « informatif » et qu’il « n’avait jamais eu l’intention de donner
l’impression que la mesure législative en question ne ferait pas l’objet d’un
débat au Parlement ».
Le député d’Algoma a également
cité la décision que le Président Warner a rendue ici même le 28 mars 1994. Dans
ce cas, le gouvernement avait fait paraître une lettre ouverte dans les journaux
de la région d’Ottawa–Carleton. Signée par le ministre des Affaires municipales,
la lettre pouvait donner à penser qu’un projet de loi qui n’avait franchi que
l’étape de la première lecture serait tôt ou tard adopté. Après avoir examiné la
décision du Président Fraser et les deux précédents concernant notre propre
assemblée, le Président Warner a conclu qu’il n’y avait pas présomption
d’atteinte au privilège ou d’outrage.
Appliquons maintenant ces
sources à la publicité incriminée. En ce qui concerne la publicité télévisée et
le communiqué du ministère mentionnés par le député d’Algoma, j’estime qu’il n’y
a pas présomption d’outrage. Au contraire, la publicité ne fait qu’expliquer en
termes simples et généraux la philosophie du gouvernement et son projet de
réforme. Quant au communiqué, il est rédigé de façon anodine.
Cependant, je trouve beaucoup à
redire à la brochure du Ministère parce qu’elle est rédigée en termes plus
définitifs que la publicité et le communiqué. Elle déclare, entre autres, qu’«
une nouvelle ville sera créée », que « les travaux d’édification de la nouvelle
ville commenceront en 1997 » et que « la nouvelle ville de Toronto réduira le
nombre des politiciens municipaux ».
Comment doit-on interpréter ces
déclarations sans nuances? À mon avis, elles donnent l’impression que l’adoption
de la loi requise est superflue ou courue d’avance ou que l’Assemblée n’a qu’un
rôle formel, accessoire, voire inférieur dans le processus législatif et, ce
faisant, semblent porter atteinte au respect qui lui est dû. Je n’en serais pas
venu à cette conclusion si on avait nuancé ces déclarations ou propositions — et
elles ne sont rien de plus — en précisant qu’elles ne deviendront réalité que si
l’Assemblée les approuve.
Dans les deux décisions que
j’ai citées, le Président Fraser à Ottawa et le Président Warner ici même ont
critiqué vertement les ministres et le gouvernement au sujet des publicités
gouvernementales.
Le Président Fraser a déclaré
qu’il ne serait pas aussi clément à l’avenir dans des circonstances semblables
et que « nous sommes une démocratie parlementaire, non pas une soi-disant
démocratie exécutive ou administrative ». Le Président Warner a déclaré que
l’acte en question avait frôlé de très près l’outrage et demandé au ministre de
se montrer dorénavant plus prudent et plus respectueux des procédures de
l’Assemblée.
Vu que le Président Warner
adressait cette mise en garde très sévère au Ministère dont il est question
aujourd’hui, je considère que ce ministère a été amplement averti.
Il ne suffit pas qu’un autre
Président fasse une autre mise en garde dans des circonstances où le libellé et
la circulation de la brochure semblent à première vue passer les bornes. En
toute franchise, j’estime que les lecteurs de ce document risquent de se
méprendre sur la façon dont fonctionne la démocratie parlementaire en Ontario et
cette méprise porte atteinte au respect dû à nos institutions parlementaires.
Pour ces raisons, je statue
qu’il y a bel et bien en l’occurrence présomption d’outrage. À la fin de cette
décision, j’accueillerai une motion concernant la question de la brochure du
ministère soulevée par le député d’Oakwood.
À propos d’une question
distincte mais connexe, le député de St. Catharines (M. Bradley) s’est interrogé
mardi dernier sur l’inégalité d’accès du gouvernement et de l’opposition aux
ressources de publicité. Il a demandé si le Président avait le pouvoir
d’empêcher le gouvernement de faire de la publicité jugée intéressée et
partisane.
Je voudrais maintenant exprimer
des préoccupations personnelles concernant l’opportunité d’utiliser les deniers
publics pour défendre par la publicité telle ou telle position sur une question
dont la Chambre est saisie. Je ne parle pas ici de publicités payées par un
parti politique, mais bien de l’utilisation de l’argent que versent à l’État
provincial tous les Ontariens sans égard à leur opinion politique.
Personnellement, je trouverais répréhensible que l’argent des contribuables
serve à transmettre un message politique ou partisan. Entendez-moi bien. Les
députés ont parfaitement le droit de débattre une question et d’influencer
l’opinion publique; en fait, cela fait partie de notre tradition parlementaire.
Mais j’estime qu’un gouvernement a tort d’essayer d’influencer l’opinion
publique par des publicités payées avec les deniers publics, ce qui, soit dit en
passant, n’est pas à la portée de l’opposition, au lieu de le faire par le débat
en chambre. Je le répète, ce sont là des opinions personnelles. Bien que je
sympathise avec le député de St. Catharines, je n’ai pas le pouvoir d’examiner
l’opportunité de ces campagnes, à moins qu’elles ne donnent lieu à une question
de privilège ou d’outrage, sujet dont j’ai déjà traité.
Le député de St. Catharines a
également mentionné l’autre jour la Commission de régie interne. Si le député
veut lui présenter une demande, il est libre de le faire et la Commission pourra
répondre à ses préoccupations dans la mesure de sa compétence.
Notes
1. Chambre des communes,
Débats, 29 octobre 1980, p. 4213-14.
2. Voire Erskine May, The Law, Privileges,
Proceedings and Usages of Parliament, 21st Edition (London: Buttterworths,
1985), pp. 115, 121, 124-5.
3. Chambre des communes,
Débats, 10 octobre 1989, p. 4457-61.
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