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Esquisses des parlements et de leur passé
Susanne Hynes

Cette chronique est la première d’une série de vignettes historiques explorant les traditions parlementaires, les parlementaires et les immeubles législatifs du Canada. Nous nous appuyons sur les connaissances d’un réseau établi de bibliothécaires parlementaires et de chercheurs canadiens, mais nous demandons aussi aux lecteurs de nous faire part de leurs suggestions et questions concernant des particularités et bizarreries parlementaires intéressantes du passé. Ces dernières pourraient servir de point de départ pour de futures chroniques. Veuillez communiquer avec revparl@ontla.ola.org.

Dans toutes les capitales du Canada, de nombreuses personnes tirent beaucoup de fierté d’un édifice qui symbolise la démocratie parlementaire et le gouvernement. Les immeubles législatifs attirent les touristes, les lobbyistes, les élèves et les manifestants. Les gens s’y rendent pour apprendre, pour influencer et pour s’imprégner de l’ambiance spéciale qui règne dans un endroit où leurs représentants élus prennent des décisions qui les touchent tous. Parfois, ils s’y rendent aussi pour manifester.

Nous commencerons par un point tournant dans l’histoire parlementaire de Terre-Neuve qui illustre l’importance et la vulnérabilité du plus public des immeubles, l’Assemblée législative. L’histoire a été soumise par Kimberley Hammond, bibliothécaire de l’Assemblée législative de Terre-Neuve-et-Labrador, qui travaille à la rédaction d’un ouvrage sur l’histoire de cette Assemblée législative. Sa province a été la première à être découverte par les Européens et la dernière à se joindre à la Confédération. Ce lieu a parfois été très stratégique, mais il a aussi parfois été presque oublié par les grandes puissances dont il était le plus proche : la Grande-Bretagne, le Canada, les États-Unis et la France. L’édifice Colonial a été le siège du gouvernement jusqu’en 1956.

Une courte phrase qui se retrouve dans les articles de journaux de la journée est particulièrement intéressante : un jeune a volé la masse pendant l’émeute du 5 avril 1932 et un citoyen l’a obligé à la ramener!

La chronique se termine par l’histoire de la masse du Haut-Canada, qui a été pillée par les troupes américaines qui ont incendié le « Palais du gouvernement » du HautCanada pendant la guerre de 1812, et qui a été remise au Canada plus de cent ans plus tard. Il a fallu beaucoup plus de temps pour que cette masse soit retournée.

Manifestations à l’édifice Colonial

Au début des années 1930, la situation économique était sombre dans le dominion de Terre-Neuve. La dette contractée en raison de la participation à la Grande Guerre, de la baisse du prix du poisson et des effets de la Grande Dépression faisaient en sorte que le gouvernement était sur le point de déclarer faillite, avec une dette s’élevant à environ 100 millions de dollars. Parallèlement, une série de scandales politiques avaient avait laissé la population profondément déçue des politiciens et de la politique.

Le 5 avril 1932, ce qui avait débuté comme une manifestation pacifique contre le gouvernement s’est transformé en émeute. Les commerçants avaient accordé une demi-journée de congé à leurs employés et un groupe qui est passé de 2 000 à plus de 3 000 hommes, femmes et jeunes s’est déplacé le long des rues principales menant à l’Assemblée législative. Les manifestants ont réussi à pénétrer dans l’édifice, les 20 policiers qui s’y trouvaient n’ayant pas réussi à les arrêter. Les journaux du lendemain relatent l’histoire.

Avant que le Président ne quitte le fauteuil et n’ajourne les travaux, les premières pierres ont été lancées par les fenêtres à l’étage inférieur. Puis les coups assénés dans les portes menant à la résidence Ryall, à la salle des reporters, aux salles de l’opposition et aux salles occupées par Miss Morris [bibliothécaire parlementaire] ont commencé. En moins d’une heure, toutes les vitres étaient fracassées […] et les policiers et les assistants se sont efforcés d’éteindre les incendies. Avec des piquets et des bâtons, les fenêtres ont été fracassées et les pièces ont été saccagées; les manifestants ont tenté d’accéder à la salle d’assemblée à l’étage. […] Des machines à écrire, des bibliothèques, des livres, des documents, de même que des chaises et des tables, ont été jetés par terre. Ce matin, on pourrait croire qu’une explosion gigantesque s’est produite dans l’édifice de l’Assemblée législative. »
Evening Telegram, 5 avril 1932, p. 4

Un jeune qui tentait de s’enfuir avec la masse a été agrippé par un spectateur, qui l’a forcé à la remettre en place. Un autre jeune a réussi à prendre l’épée du sergent d’armes et s’est rendu devant l’édifice en la tenant bien haut.

Les dommages causés à l’édifice Colonial ont été estimés à 10 000 $ et de nombreuses personnes ont été blessées dans la mêlée. Le premier ministre, Sir Richard Squires, a réussi à s’échapper avec l’aide du clergé local, mais il a démissionné le lendemain.

L’administration suivante, dirigée par Frederick Alderdice, a demandé l’aide du Canada et de la GrandeBretagne. Ces deux pays ont accepté d’offrir leur aide pour la dette, à condition que Terre-Neuve mette sur pied une commission d’enquête pour trouver une solution à long terme. Après 78 ans de gouvernement responsable, le 2 décembre 1933, l’Assemblée législative s’est réunie pour la dernière fois, ayant voté quelques jours auparavant la fin de son existence. Ce qui était censé être un arrangement de courte durée s’est toutefois échelonné sur une période de 15 ans.

La masse du Haut-Canada et la guerre de 1812

La construction du « Palais du gouvernement » du HautCanada situé sur la rue Palace à York (maintenant la rue Front à Toronto) s’est terminée en 1796. Le gouvernement y a tenu des séances jusqu’à l’invasion des forces des États-Unis le 27 avril 1813, pendant la guerre de 1812. Parmi les forces qui défendaient la ville, il y avait une compagnie complète du Royal Newfoundland Regiment, qui faisait partie de l’effectif de 750 hommes qui a été renversé par les 2 650 Américains.

Pendant 11 jours, les envahisseurs, sous les ordres du général Henry Dearborn, ont arboré le drapeau américain dans la ville de York. De nombreux édifices, dont le Palais du gouvernement, ont été pillés et incendiés.

Et, pour couronner le tout, avant de partir, ils ont mis le feu aux deux chambres qui abritaient notre Assemblée législative provinciale et nos Cours de justice. […] et qui avaient été érigées et aménagées au coût de plusieurs milliers de livres. Elles ont été dévorées par les flammes, tout comme les bureaux contenant tous les Journaux, une vaste collection de livres et d’autres biens liés à un tel établissement; seuls les pans de murs étaient toujours là 1.

Avant de mettre le feu à l’édifice, les envahisseurs se sont emparés de la masse du Président et des lions gravés au-dessus de son fauteuil. Un témoin indique que les pilleurs se sont emparés d’un autre trophée : ce qu’ils croyaient être un scalp humain suspendu au-dessus du fauteuil du Président, mais qui était en fait sa perruque.

Les États-Unis ont conservé la masse et l’étendard royal (qui n’a pas été retourné) à l’Académie navale d’Annapolis2.

Le 4 mai 1934, le président Franklin D. Roosevelt a envoyé un message au Congrès pour proposer que la masse soit retournée au Canada. Elle a été remise au lieutenant-gouverneur à Toronto le 4 juillet 1934, 121 ans après avoir été saisie.

  1. Lettre signée « Falkland », Kingston Gazette, 17 août 1813, dans Frank A. Dieterman et Ronald F. Williamson, « Government on Fire », Toronto: eastendbooks, 2001, p. 19.
  2. Franklin D. Roosevelt : « Message to Congress Requesting Authority to Return a Mace to Canada » , 4 mai 1934. Gerhard Peters et John T. Woolley, The American Presidency Project. URL: http://www.presidency.ucsb.edu/ws/?pid=14862.

 


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 38 no 1
2015






Dernière mise à jour : 2020-09-14