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Repenser la réforme de la Chambre des lords
Le très hon. Sir Alan Haselhurst, député

Depuis sa création, la Chambre des lords, comme toute autre institution parlementaire, est en constante évolution. Le chemin de la réforme a été long et tortueux. L’ironie de la chose, le Canada se pose d’ailleurs des questions semblables au sujet de son sénat depuis à peu près la même époque. Le présent article se penche sur la récente tentative de réforme de la Chambre haute britannique.

Le 3 septembre 2012, le vice-premier ministre, Nick Clegg, a déclaré à la Chambre des communes que le projet de loi de réforme de la Chambre des lords (HCB 52) avait été retiré. Sous des cris de joie, le vice-premier ministre, fer de lance de la réforme, a expliqué pourquoi le projet de loi a échoué après n’avoir passé que l’étape de la deuxième lecture. Étrangement, lors du vote à cette étape, 462 députés ont appuyé le projet de loi, tandis que 124 députés s’y sont opposés1.

La déclaration du vice-premier ministre a mis fin à un processus de deux ans et demi pour modifier la structure et la composition de la Chambre haute du Parlement du Royaume-Uni, un projet qui suit son cours depuis un siècle. Je n’étais pas à la Chambre ce matin-là, mais si j’y avais été, je ne sais pas si j’aurais crié de joie ou de tristesse.

Partisanerie

En 2010, comme ce fut le cas lors d’élections précédentes, le Parti libéral-démocrate a indiqué dans son manifeste qu’il comptait remplacer la Chambre des lords par une deuxième chambre entièrement élue et réduire considérablement le nombre de sièges2. Le Parti conservateur s’est contenté de dire qu’il tenterait d’établir un consensus pour remplacer la Chambre des lords par une deuxième chambre majoritairement élue, reconnaissant que, pour être efficace et efficiente, la deuxième chambre d’un parlement doit jouer un rôle important dans la démocratie, être légitime et jouir de la confiance du public3.

En 2009, le chef du parti de l’époque (l’actuel premier ministre, David Cameron) a toutefois déclaré que la réforme de la Chambre des lords était « une question à aborder au cours d’un troisième mandat ». Néanmoins, cet enjeu avait toutes les chances de plaire aux libéraux-démocrates en 2010, lorsque ces deux partis ont discuté de la formation du premier gouvernement de coalition d’après-guerre. Ainsi, au moment de l’entente de coalition, le Parti conservateur a accepté d’inclure la réforme de la Chambre des lords, déclarant qu’un comité serait établi afin de présenter des propositions pour créer une chambre haute entièrement ou majoritairement élue selon la représentation proportionnelle. Le comité devait présenter une ébauche de motion d’ici décembre 2010. Entre-temps, la nomination des lords serait effectuée de manière à créer une deuxième chambre reflétant la proportion des votes obtenus par chaque parti lors des dernières élections générales4. Avec le recul, il aurait peut-être dû être évident pour les libéraux-démocrates qu’une entente sur la création d’un comité n’équivaut pas à l’adoption d’une loi. Quoi qu’il en soit, entre mai 2010 et septembre 2012, à l’issue de quelque six rencontres de discussion entre les partis, on a rédigé un livre blanc et un projet de loi (CM 8077) et on a formé un comité mixte chargé d’étudier les propositions. Voici les points saillants du projet de loi :

Projet de loi de réforme de la Chambre des lords (HCB 52 12/12)5

Composition

360 représentants élus

90 représentants nommés (pairs nommés à vie)

Au plus 12 lords spirituels (archevêques et évêques) et ministres. Surtout, aucun lord héréditaire.

Représentants élus

120 représentants seraient élus à chaque élection (trois élections, chacune tenue aux cinq ans).

Chaque représentant élu aurait un mandat non renouvelable de 15 ans.

On emploierait le système de listes électorales ouvertes (mode de scrutin à vote unique transférable en Irlande du Nord).

Des districts électoraux seraient créés.

Il serait interdit à un ancien lord élu de briguer les suffrages pour devenir député pour une période de quatre ans suivant la fin de son mandat.

Représentants non élus

Création d’une commission des nominations à la Chambre des lords chargée de recommander des pairs du royaume.

Les lois sur le Parlement de 1911 et 1949

Aucune des deux lois ne serait abrogée.

Composition actuelle de la Chambre des lords (le 8 octobre 2012)6

674 lords nommés à vie

92 pairs héréditaires

26 évêques et archevêques

Bien qu’il soit difficile de déterminer quelle forme aurait pris le projet de loi s’il avait passé toutes les étapes au Parlement, rien dans son contenu ne justifiait qu’on le mette au rancart. C’est en fait une motion de clôture (souvent appelée « guillotine » au Royaume-Uni) qui a signé l’arrêt de mort du projet de loi. Le gouvernement craignait que, sans échéancier défini, les opposants au projet de loi ne fassent systématiquement obstruction au processus jusqu’à ce que le temps alloué à l’étude soit épuisé. Devant l’exigence de contrôler de près l’utilisation du temps de débats, particulièrement à cause de la priorité à accorder aux questions d’ordre économique et financier, il était nécessaire de présenter une motion de clôture. D’une certaine manière, le projet de loi était une nouvelle version de celui présenté par le gouvernement du Parti travailliste précédent et il était appuyé par la majorité des députés de ce parti, mais, ironiquement, c’est le Parti travailliste qui est en partie responsable de sa mort. Les députés travaillistes ne voulaient pas d’un échéancier qui limiterait les débats sur une question constitutionnelle de fond. Mais, tout compte fait, je crois que le projet de loi a été retiré parce que, malgré l’entente de coalition, un trop grand nombre de députés du Parti conservateur ne comptaient pas respecter leurs engagements. La preuve : 91 députés conservateurs d’arrière-ban, dont moi, se sont rebellés.

Contexte

Pour se faire une idée claire du contexte entourant la question de la réforme, il faut se pencher sur l’histoire des réformes elles-mêmes, couronnées de succès ou non. Plutôt que de revoir des siècles et des siècles d’histoire, il est peut-être plus pertinent de commencer au début du XXe siècle.

En 1906, le Parti libéral a remporté une victoire électorale marquante. Il a fait campagne sur la création d’un nouvel État providence et proposé un train de réformes impressionnant. David Lloyd George, chancelier de l’Échiquier à l’époque, souhaitait financer ces réformes au moyen d’impôts, mesure mal vue des aristocrates qui, à titre de propriétaires fonciers, auraient été les plus touchés. Comme les aristocrates représentaient la majorité de la Chambre des lords, le projet allait rencontrer une vive opposition au Parlement. Comme on pouvait s’y attendre, le « budget du peuple » a été défait à la Chambre des lords. Piqué à vif, le gouvernement a déclenché des élections, les a remportées et a forcé l’adoption de son budget. Le gouvernement et la Chambre des communes n’étaient toutefois pas prêts à tolérer quelque contestation de leur autorité démocratique par, dans les mots de Lloyd George, « 500 hommes sélectionnés au hasard parmi les rangs des chômeurs7 ». C’est pourquoi le premier ministre Henry Herbert Asquith a présenté un projet de loi modifiant le pouvoir des lords d’amender les projets de loi de finances et d’y opposer leur veto. Considéré par certaines personnes à l’époque comme le geste le plus scandaleux jamais vu au Parlement, le Parliament Act 1911 a été adopté. Lorsqu’il a été complété par le Parliament Act 1949, la Chambre des lords s’est retrouvée sans pouvoir de veto, sa seule option étant désormais de retarder l’adoption des projets de loi (veto suspensif). Ces lois ne devaient être que temporaires, mais on y a encore recours aujourd’hui, la dernière fois en 2004 pour le projet de loi sur la chasse. Le processus enclenché en 1911 se serait peut-être poursuivi, n’eussent été les deux guerres mondiales, la Crise de 1929, la guerre froide et une foule d’autres bouleversements.

En plus de ces deux lois, certaines conventions sont toujours en place même si elles ne sont pas contraignantes sur le plan constitutionnel. L’exemple le plus notable est la convention de Salisbury, selon laquelle la Chambre des lords ne s’oppose jamais à la deuxième lecture de tout projet de loi émanant de la Chambre des communes qui s’inscrit dans la plateforme électorale du gouvernement élu. Il n’est pas interdit d’apporter des amendements à ces projets de loi, mais ils ne doivent pas les anéantir. Cette convention date de 1945, lorsqu’une entente a été conclue à la Chambre des lords entre le parti majoritaire, les conservateurs du cinquième marquis de Salisbury, et un parti minoritaire, le Parti travailliste de lord Addison. De manière semblable à la situation de 1906, le gouvernement désirait présenter un projet de loi qui ferait du Royaume-Uni un État providence. La convention avait pour but d’empêcher toute obstruction et de faire respecter le principe selon lequel des lords non élus ne devraient pas nuire aux gouvernements élus démocratiquement.

En fait, la convention de Salisbury s’appuyait sur les principes établis dans la « doctrine du mandat », élaborée par l’ancêtre du cinquième marquis, le troisième marquis de Salisbury, qui a été premier ministre pendant la plus grande partie de la fin du XIXe siècle. Les arguments du troisième marquis étaient légèrement différents et penchaient du côté de la Chambre des lords. Selon lui, puisque les opinions exprimées à la Chambre des communes ne reflètent pas nécessairement la volonté du peuple, la Chambre des lords se doit de rejeter les projets de loi particulièrement controversés adoptés à la Chambre des communes (qui soulèvent habituellement des questions constitutionnelles) et d’ainsi laisser la décision à l’électorat8. Les deux codes de conduite sont encore respectés en principe aujourd’hui, mais, depuis que les conservateurs n’ont plus la majorité à la Chambre des lords et que la Chambre elle-même s’affirme davantage, on est de moins en moins enclin à les mettre en pratique.

En plus de modifier le pouvoir de la Chambre des lords par rapport à la Chambre des communes, le Life Peerages Act 1958 et le House of lords Act 1999 ont grandement bouleversé le fonctionnement interne de la Chambre haute. La loi de 1958 a créé des postes de pairs nommés à vie, aussi nommés lords temporels : ce titre n’est pas héréditaire et ne peut donc pas être transmis aux descendants. Le premier ministre pouvait donc désormais nommer des lords à son gré et modifier la dynamique politique de la Chambre. On retient surtout cette loi puisqu’elle a donné aux femmes le droit de siéger à la Chambre des lords. La loi de 1999 se voulait un compromis; elle a retiré la majorité des sièges de lords héréditaires (n’en laissant que 92) et réduit le nombre de sièges à la Chambre, le faisant passer de 1330 à 669.

La dernière modification apportée à la composition et aux pouvoirs de la Chambre des lords a pris la forme du Constitutional Reform Act 2005, qui a retiré à la Chambre son rôle dans le système judiciaire. Par conséquent, les lords juristes ne siégeaient plus à la Chambre, la Cour suprême du Royaume-Uni a été créée et le grand chancelier a cessé de présider la Chambre et d’être juge en chef du Royaume-Uni. La loi a créé le poste de lord président. À ce jour, les deux seules personnes qui ont occupé ce poste ont été des femmes : la baronne Hayman et la baronne D’Souza.

Toutefois, les vrais réformes ne se passent jamais sans heurts, et il y a eu de nombreux échecs au fil du temps. Mentionnons notamment la tenue en 1917 de la commission Bryce, qui demeure peu connue, et, plus récemment, la tentative du gouvernement Wilson en 1967 de modifier les pouvoirs et la composition de la Chambre des lords en retirant le droit de vote aux lords héréditaires. En outre, ceux-ci ne pourraient demeurer à la Chambre que pour le reste de leur vie. La Chambre des lords a accepté les propositions, mais la Chambre des communes s’y est opposée. En fin de compte, le projet de loi a été rejeté à l’étape de l’examen en comité. En raison des réussites du gouvernement travailliste de Tony Blair, une commission royale (Cm 4534), dirigée par le très honorable lord Wakeham, a été créée afin d’approfondir la loi de 1999 et d’apporter un grand nombre de modifications générales. Dans son rapport, la commission présentait les recommandations suivantes:

Le nombre de sièges à la Chambre des lords devrait être réduit à environ 550;

La nomination des pairs devrait relever d’une commission de sélection et non du premier ministre;

Une minorité des lords devraient être élus en fonction des régions. Il y aurait un cycle de trois élections et les mandats accordés seraient d’une durée de 15 ans;

Les sièges héréditaires devraient être éliminés9.

Il est clair que beaucoup de recommandations du rapport Wakeham se retrouvent dans le récent projet de loi de réforme de la Chambre des lords. Cependant, dans les deux cas, les propositions ne sont pas devenues loi. Entre 2005 et 2008, bon nombre de discussions entre les partis, de livres blancs, de débats et de comités ont porté sur des propositions qui comprenaient des mesures généralement semblables, notamment l’abolition des pairs héréditaires, la nomination des pairs par opposition à leur élection, et la durée de leur mandat. Toutes ces mesures ont, au bout du compte, été abandonnées, et aucun gouvernement ne s’est clairement engagé sur cette question ni ne s’est montré suffisamment ferme pour mener ces mesures à bien.

Motifs du retrait du projet de loi HCB 52

Quelles sont mes préoccupations par rapport au projet de loi le plus récent (et ses anciennes incarnations) et pourquoi y a-t-il eu autant de discorde? Je pourrais énoncer une multitude de raisons, mais les plus importantes se résument en quelques points.

Les défenseurs de la réforme croient que l’élection des pairs constitue une panacée pour tous les maux de la Chambre des lords. Ils estiment qu’elle donnerait à la Chambre une légitimité sur le plan démocratique. Leur intention est bonne, mais l’élection des pairs améliorerait-elle réellement la légitimité et le caractère démocratique de la Chambre haute? C’est une question que se pose lord Norton, professeur de science politique et membre du comité mixte qui a examiné le projet de loi. Nous nous opposons, lui et moi, au projet de loi puisque le caractère démocratique ne repose pas uniquement sur le fait d’être élu. Il faut également prendre en considération la reddition de comptes au public ainsi que le rôle et les pouvoirs des pairs. La démocratie est une question de pouvoir du peuple, mais, si le passé est garant de l’avenir, on doit s’attendre à ce que la population cherche à obtenir davantage de pouvoirs. Le concept de responsabilisation ne tient pas la route si les lords élus disposent d’un mandat de 15 ans sans avoir à affronter l’électorat de nouveau.

L’autorité représente une deuxième préoccupation. Toute tentative de réforme de la Chambre des lords doit tenir compte du fait que, quelle que soit sa forme finale, la nouvelle Chambre ne peut pas être en mesure de contester la suprématie (ou, pour utiliser un terme plus en vogue, la primauté) de la Chambre des communes. Il va sans dire que mes collègues et moi-même à la Chambre des communes ne seraient pas disposés à instaurer une réforme qui minerait nos pouvoirs et notre autorité. Cependant, un problème surgit dès que l’on crée une chambre dont une partie ou l’ensemble des membres sont élus démocratiquement : l’autorité de la Chambre basse est remise en question. On pourrait faire valoir que, dans une certaine mesure, la création d’une chambre élue est en soi une contestation de notre pouvoir. D’aucuns diraient que, si les lords sont élus selon la représentation proportionnelle et que les députés de la Chambre des communes sont élus selon un système uninominal majoritaire à un tour, la Chambre des lords gagnerait en crédibilité. On se pose alors la question : s’ils gagnent en crédibilité, les lords seraient alors en mesure de contester les lois et les conventions qui assurent la primauté de la Chambre des communes. Le gouvernement de coalition a tenté d’empêcher que la suprématie de la Chambre des communes soit minée en gardant en place les lois sur le Parlement, en allongeant les mandats des lords et en modifiant la composition de la Chambre, mais rien n’empêcherait une chambre élue de miner l’autorité des députés, surtout si l’on considère que le Royaume-Uni n’a aucune constitution codifiée. De nombreuses personnes, moi y compris, croient que le pouvoir et le rôle de la Chambre haute doivent compléter et appuyer les travaux de la Chambre des communes et non y faire concurrence. Nous estimons également qu’aucun projet de réforme ne devrait être présenté devant l’une ou l’autre des chambres sans que l’on se penche d’abord sur la composition et, surtout, le rôle de la Chambre des lords.

Autre préoccupation : si les lords sont élus, ils pourraient faire concurrence aux députés de la Chambre des communes dans leur circonscription. Qui serait mieux placé pour représenter les électeurs : les lords ou les députés? On n’exigerait pas des nouveaux lords qu’ils s’occupent des questions liées aux circonscriptions, mais je pense qu’ils finiraient par mettre la main à la pâte, volontairement ou non. Il n’y aurait alors aucune limite aux risques de chevauchement et de controverse. À mon sens, un problème similaire pourrait survenir au Canada, dans les circonscriptions fédérales et provinciales.

Abstraction faite de ces arguments, on pourrait faire valoir que la primauté du Parlement du Royaume-Uni repose sur l’exécutif, qui détient beaucoup de pouvoirs à la Chambre des communes et à la Chambre des lords par ses whips et le calendrier des travaux parlementaires. Le Parlement détiendrait possiblement davantage de pouvoirs si la Chambre haute assumait un plus grand rôle. On pourrait également faire valoir que, si la Chambre des lords était élue et qu’elle était davantage en mesure de remplir son rôle et ses fonctions, la Chambre des communes aurait à travailler plus sérieusement pour examiner des projets de loi, adopter des mesures et améliorer la teneur des débats. Toute réforme proposée doit définir le rôle, les pouvoirs et la composition de la Chambre des lords ainsi que sa relation avec la Chambre des communes. Quoi qu’il en soit, tant que ces épineux problèmes ne seront pas réglés, il sera impossible d’instaurer une réforme. La réelle difficulté au Royaume-Uni est que le pouvoir a été transféré de la Chambre de lords aux représentants élus par le peuple sur une période de 700 ans. Personne n’est parvenu à démontrer de manière convaincante comment renverser la vapeur.

L’une des principales réserves que suscite chez moi le projet de loi de réforme de 2012 est le type de lords qui émergeraient de ce processus d’élection. Il est difficile d’imaginer des lords indépendants, ceux qui ne relèvent d’aucun whip et que l’on juge extrêmement compétents, briguer les suffrages. On peut dire la même chose de nombreux anciens des partis qui mettent à profit leur expérience dans la chambre haute actuelle. Il m’est difficile de trouver les avantages potentiels d’une élection des lords. Si l’on utilise la représentation proportionnelle, nous risquons de nous retrouver avec des lords (ou des sénateurs) motivés en grande partie par des questions partisanes. L’établissement de vastes districts électoraux fera en sorte que les électeurs n’auraient pas de réels rapports avec leur lord, de la même manière que les représentants du Royaume-Uni au Parlement européen éprouvent de la difficulté à être reconnus. Une telle réforme ferait de la Chambre haute un lieu « plus partisan » qu’il ne l’est actuellement; les débats qu’il tient aujourd’hui sont plus objectifs et plus constructifs que ceux de la Chambre des communes. De toute évidence, l’élection de représentants à une chambre ne détenant aucun pouvoir ne ferait pas de la Chambre des lords un endroit plus apte à édicter de meilleures lois.

Il y aurait certes des lords élus, mais il ne faut pas oublier le cas des lords spirituels, soit les 26 évêques les plus hauts placés de l’Église d’Angleterre. Devrait-on permettre à 12 d’entre eux de conserver leur siège après la réforme? Bien que le Royaume-Uni soit encore un pays chrétien, les autres confessions ne devraient-elles pas avoir, elles aussi, voix au chapitre? De toute façon, il est clair que le retrait des lords spirituels est une mesure qui ne plaît pas à un très grand nombre de personnes, tous secteurs confondus. Dans un rapport intitulé « Breaking the Deadlock » (Sortir de l’impasse), rédigé en 2007 dans le but d’établir un consensus sur la réforme de la Chambre des lords, qui s’était alors enlisée, on indiquait : « Il existe à notre avis des arguments justifiant le retrait des évêques de la Chambre, mais cette question pose des problèmes encore plus vastes qui pourraient faire dérailler la réforme de la Chambre des lords10 ». Je suis persuadé que c’est encore le cas aujourd’hui.

Dans son témoignage devant le comité mixte sur le projet de loi de réforme de la Chambre des lords, lord Lipsey a indiqué que le coût de la mise en œuvre de la réforme pourrait s’élever à 177 millions de livres la première année, puis à 433 millions de livres entre 2015 et 2020. Ces montants incluent les salaires, les pensions, les élections et le personnel auxiliaire. On peut se demander s’il est possible d’engager une telle dépense dans les circonstances actuelles. Lord Lipsey a indiqué que cette dépense équivaut à l’embauche de 21 000 infirmières11. Bien sûr, la démocratie n’a pas de prix, mais le fait est qu’il est difficile de justifier l’augmentation des dépenses lorsqu’elle est proposée au cours d’un grave ralentissement économique mondial.

Oublions la politique partisane un instant pour prendre le pouls de la population à l’extérieur du « village de Westminster ». On remarque un très faible enthousiasme pour le changement. Je peux compter sur les doigts de la main le nombre de lettres d’électeurs faisant pression pour une réforme de la Chambre des lords que j’ai reçues au cours des 35 années passées à titre de représentant de ma circonscription. À mon avis, alors que le pays tente de se relever de la récession, le public estime que le projet de réforme tombe mal et qu’il s’agit d’une question d’intérêt secondaire et absurde. Selon lui, il est bien plus important que le gouvernement concentre ses efforts sur le renforcement de l’économie. Ce désintérêt s’est manifesté par le faible taux de participation au récent référendum sur la modification du système électoral du Royaume-Uni. Le public a d’ailleurs préféré maintenir le statu quo, même sur cette question.

Ce qui m’apparaissait comme une lacune dans le processus de réforme a été le refus de tenir un référendum sur la question. Cela signifie qu’il n’y aurait aucun débat sur ce sujet à l’échelle nationale, rien qui puisse susciter l’intérêt du public envers ce dossier. Encore une fois, comme pour l’Europe, les questions concernant de profondes réformes constitutionnelles ne resteraient l’apanage que d’un petit groupe d’experts et, bien entendu, des médias.

Malheureusement, puisque le monde ne s’effondrera pas si rien ne change, il est fort probable que la réforme n’aboutisse pas. En réalité, il faudra apporter quelques changements à la Chambre des lords dans les quelques années à venir. On estime que, d’ici 2015, il y aura environ 1 000 lords à la Chambre si rien ne change et si l’on continue de nommer de nouvelles personnes. Ce nombre est tout simplement ingérable, même si tous les lords ne sont pas présents à la Chambre au même moment. Qui plus est, on s’inquiète de plus en plus du fait que la Chambre n’examine plus de manière efficace les projets de loi. Par-dessus tout, si l’on se fie au nombre de cas récents, les pairs doivent être tenus plus responsables de leurs actes, en cas de méfaits. Au cours des cinq dernières années, de nombreux projets de loi ont été déposés à la Chambre des lords à cet effet, notamment celui présenté par le très honorable lord Steel of Aikwood. Son projet de loi sur la suspension des lords est considéré par de nombreuses personnes, plus particulièrement à la Chambre des lords, comme une solution temporaire acceptable pour assurer de manière réaliste la responsabilité des lords12. Le projet de loi se trouve maintenant à la Chambre des communes, mais tout indique qu’il sera rejeté lui aussi, puisqu’il ne jouit pas de l’appui du gouvernement.

Conclusion

Dans la plus récente déclaration du gouvernement de coalition, livrée le 8 octobre, lord Strathclyde, leader de la Chambre des lords, affirme que

« la réforme de la Chambre des lords est désormais un dossier qui incombera aux prochaines législatures. Je peux confirmer que le gouvernement de coalition n’entreprendra pas de réforme de la Chambre des lords au cours de la législature actuelle13 ».

Cette déclaration s’ajoute à d’autres remarques qui indiquent que la réforme est mise de côté pour l’instant. Je me suis opposé au projet de loi de réforme de la Chambre des lords non pas parce que je m’oppose d’emblée à toute réforme, mais à cause de son incapacité à résoudre les questions cruciales des pouvoirs et des responsabilités, à cause du pouvoir qu’il donnerait aux partis politiques de déterminer qui briguerait les suffrages et, surtout, parce qu’il menaçait la primauté de la Chambre des communes. Je crois qu’il faut adapter la Chambre des lords aux réalités du XXIe siècle, à tout le moins à celles du XXe siècle. Je ne saurais dire quelle est la meilleure solution. Peut-être serait-il judicieux d’appuyer le projet de loi de lord Steel ou de poursuivre les discussions entre les partis. Je sens toutefois que le gouvernement n’est plus intéressé par la réforme. Et il semble d’ailleurs que la population ne s’y soit jamais intéressée.

Je crois fermement en la démocratie, et j’estime que l’APC et le Commonwealth devraient promouvoir l’établissement et le développement des institutions démocratiques. Je sais que les gouvernements du Royaume-Uni et du Canada défendent les mêmes principes. Peut-être devrais-je me sentir coupable de tolérer la présence d’une chambre non élue au Parlement. Il est toutefois difficile de se détacher de la façon dont le Parlement du Royaume-Uni a évolué.

À titre de conservateur, je respecte la tradition, mais sans en être l’esclave. Nous devons respecter le passé, mais il faut sans cesse se demander si nos institutions reflètent les besoins et les défis de notre époque. À mes yeux, la véritable condition pour qu’il y ait une démocratie parlementaire est la présence d’une chambre élue par le peuple et tenue de rendre des comptes à la population. Sous réserve que cette chambre ait le dernier mot, l’existence d’un organisme d’examen – peu importe sa composition – est une question de second ordre. Ce qui importe avant tout, c’est que les travaux de la chambre élue demeurent pertinents et efficaces au fil des générations.

Notes

1 HCD 03/09/12, House of Commons Official Report, lundi 3 septembre 2012.

2 Liberal Democrat Manifesto 2010.

3 Invitation to join the Government of Britain – The Conservative Manifesto 2010.

4 The Coalition: Our programme for Government, Cabinet Office, mai 2010.

5 HCB 52 12/13, House of lords Reform Bill, 27 juin 2012.

6 www.parliament.uk/mps-lords-and-offices/lords/lords-by-type-and-party/

7 John Field, The Story of Parliament: History of Parliament in the Palace of Westminster.

8 Glenn Dymond et Hugo Deadman, The Salisbury Doctrine, note d’information de la Bibliothèque de la Chambre des lords, 30 juin 2006. Note LLN 2006/006.

9 Royal Commission on the Reform of the House of lords, A House for the Future, janvier 2000.

10 Reforming the House of lords: Breaking the Deadlock, dernière version, 5 juillet 2007. 11 HCP 1313-III 11/12 / HLP 284-III, Joint Committee on the Draft House of lords Reform Bill, Draft House of lords Reform Bill, volume III, « Other written evidence », témoignage de lord Lipsey, 23 avril 2012.

12 HLB 21 12/13, House of lords (Cessation of Membership) Bill.

13 HLD 08/10/12, House of lords Official Report, lundi 8 octobre 2012.


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Vol 35 no 4
2012






Dernière mise à jour : 2020-09-14