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Définir le rôle de député indépendant
Vicki Huntington, députée provinciale

Les indépendants sont les députés élus qui n’ont pas d’appartenance politique officielle. Ils peuvent avoir fait campagne à titre d’indépendants au cours d’une élection, avoir quitté un parti reconnu pendant une législature, ou appartenir à un parti qui n’a pas fait élire au moins quatre députés. Le présent article examine les défis que posent le fait d’agir à titre d’indépendant dans un système où la grande majorité des élus appartiennent à des partis et où les règles et les conventions ont été définies en fonction des partis.

Permettez-moi de commencer en présentant certains antécédents personnels. Pendant la majeure partie des années 1970, j’ai travaillé au Service de sécurité de la GRC, d’abord en tant que civile, puis en tant que gendarme spéciale. J’ai aussi été administratrice de bande pour la réserve indienne de Gitanmaax à Hazelton, en Colombie-Britannique, avant de travailler au sein du groupe de travail sur la Nation Nisga’a.

Mon père a été élu député fédéral en 1974 et j’ai vécu à Ottawa pendant un certain nombre d’années. J’ai travaillé pour le ministère du Solliciteur général, le ministère du Revenu national et le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.

Je suis retournée en Colombie-Britannique en 1988, à titre de directrice des bureaux régionaux de ministres fédéraux à Vancouver. J’ai été élue au conseil municipal de Delta en 1993. J’ai été réélue au conseil en obtenant une forte proportion des votes dans quatre élections municipales subséquentes. Je ne me suis pas présentée en 2008, mais, en mai 2009, aux termes d’une élection très serrée, j’ai battu un ministre libéral très en vue, Wally Oppal, pour devenir députée provinciale de Delta South.

Le gouvernement s’était aliéné la population de South Delta en imposant certains projets et certaines décisions à notre région sans d’abord consulter ni écouter les personnes concernées. Malgré le fait que le député faisait partie du caucus du gouvernement, il semblait que l’objectif de notre représentant était d’imposer les points de vue du gouvernement à notre collectivité, plutôt que l’inverse. Je voulais offrir aux électeurs une solution de rechange qui pourrait représenter vraiment les gens et j’ai choisi de ne pas prendre part au jeu des partis. J’ai alors décidé de me présenter à titre d’indépendante et d’avoir à rendre des comptes aux électeurs de South Delta.

Je suis la première indépendante à être élue en Colombie-Britannique depuis 1949. Celui qui m’a précédé il y a 60 ans, James Mowat, siégeait déjà à l’Assemblée comme député libéral. Il a perdu la course à l’investiture et s’est présenté à titre d’indépendant. Il s’est fait élire et, avant même l’ouverture de la session, il est retourné au Parti libéral. Il était surtout indépendant pour des raisons pratiques.

Mary Ellen Smith est une députée indépendante plus célèbre. En janvier 1918, elle a gagné une élection partielle à Vancouver, la toute première élection où les femmes avaient le droit de vote. Elle a aussi été la première femme de l’Empire britannique à être nommée au conseil des ministres. Elle s’est présentée à titre de libérale aux élections subséquentes, mais elle a conservé son esprit indépendant; elle a quitté le conseil des ministres en raison d’un différend avec le gouvernement. D’autres indépendants ont siégé à l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique, dont au moins huit dans les deux dernières décennies précédant mon élection. Mais, en général, les députés devenaient indépendants à la suite de leur démission ou de leur expulsion du caucus.

Premières impressions

L’une des premières personnes que j’ai rencontrées après mon assermentation a été le président de l’Assemblée, Bill Barisoff, un homme d’une extraordinaire générosité. On m’avait laissé entendre que j’occuperais probablement un petit bureau isolé, au sous-sol. Mais le président m’a plutôt conduit à un bureau magnifique dans la rotonde, attenant à un bureau destiné à mon personnel. Il avait fait déménager le bureau d’éducation publique ainsi que l’infirmière pour m’offrir leurs locaux. Je suppose qu’il a eu des ennuis avec certains députés pour m’avoir donné de si jolis bureaux.

L’étape suivante a été l’organisation de mon bureau. J’ai heureusement fait la rencontre d’une personne qui avait déjà travaillé à l’Assemblée et qui a accepté de venir m’assister pendant au moins une année.

J’ai aussi rencontré le leader de l’opposition à l’Assemblée. Bien que députée de l’opposition, je ne voulais pas faire partie de l’opposition officielle. Mon rôle ne consistait pas à leur faire concurrence ou à leur nuire. J’ai pris bien soin de consulter le leader de l’opposition à l’Assemblée pour déterminer la meilleure façon de me conformer aux besoins de l’opposition, tout en conservant mon indépendance.

Au cours de nos discussions, j’ai clairement indiqué que je ne me rangerais pas du côté des députés de l’opposition s’ils se lançaient dans une attaque au cours de la période des questions. Je voulais conserver mon indépendance par rapport au but de leurs questions. Nous avons déterminé la fréquence de mes interventions à la période des questions. J’ai obtenu le droit d’intervenir tous les six ou sept jours ouvrables, ce qui me satisfaisait pleinement. Quand je voulais poser une question, j’en informais le leader à l’Assemblée. Je voulais les lundis et les mercredis pour respecter les échéances de mon journal local. Il a été déterminé que je ne serais pas la dernière à poser une question, parce qu’il m’était arrivé, un jour, de ne pas pouvoir poser ma question complémentaire. Depuis ce jour, j’ai occupé le milieu de l’ordre des questions de l’opposition. Tous ces détails ont été réglés au fur et à mesure.

Depuis le début de la législature, les deux partis ont changé de leader à l’Assemblée, ce qui est un peu problématique, parce que les personnalités diffèrent et que les deux leaders sont très combatifs. Il règne maintenant une atmosphère de tension et les travaux se font de façon un peu moins collégiale.

J’ai aussi remarqué au début un manque de ressources pour les députés indépendants. Je n’ai pas profité des conseils d’un mentor ou d’un député plus expérimenté et les documents sur le fonctionnement de l’Assemblée n’étaient pas nombreux. La plupart de ces services sont offerts par les caucus des partis et, puisque je n’appartenais à aucun caucus, je devais plus ou moins me débrouiller seule. Il aurait été extrêmement utile de pouvoir compter sur un genre d’aide-mémoire du Bureau du greffier. Peut-être le Bureau du président pourrait-il offrir aux députés indépendants certains des renseignements qui sont normalement offerts aux députés dans un caucus?

Je ne connaissais rien des exigences relatives aux ressources humaines et à l’administration. Il n’existe aucun dépôt central de renseignements. J’ai lu le Règlement sans vraiment tout comprendre et sans être en mesure de déterminer les règles qui s’appliquent particulièrement aux députés indépendants. À titre d’exemple, j’ai été incapable de déterminer les questions qui nécessitent un consentement unanime.

En revanche, mon budget est deux fois plus important que celui des autres députés. Ceux-ci, bien sûr, mettent essentiellement leurs ressources en commun en tant que caucus et ont accès à d’imposants services de recherche et de communication. Deux agents de recherche travaillent pour moi et il me reste suffisamment d’argent pour offrir certaines tâches ponctuelles à un contractuel. Nombre de députés m’envient beaucoup parce que je suis en mesure d’effectuer une certaine part de mon travail avec plus de latitude qu’eux.

Contraintes liées à la procédure et à d’autres considérations

Parce qu’ils ne sont pas officiellement membres d’un parti, les députés indépendants doivent faire face à plusieurs contraintes procédurales, financières et administratives. Par exemple, au cours de la 35e législature de l’Assemblée législative de l’Ontario, le Règlement limitait la participation des députés indépendants à la période des questions, limitait leur possibilité de demander un vote par appel nominal et restreignait leur possibilité de répondre aux déclarations ministérielles.

Au Manitoba, il est arrivé que des députés indépendants ne puissent aisément répondre aux déclarations ministérielles et qu’ils se fassent attribuer moins de questions au cours de la période de questions. Leur représentation aux comités permanents était limitée, tout comme leur accès au financement et au personnel offert aux caucus des partis reconnus.

En Colombie-Britannique, nous avons une longue tradition pour ce qui est de composer avec les députés indépendants. Aux termes de l’élection de 2001, 77 députés libéraux et 2 députées néo-démocrates ont été élus. Selon les règles, les députées de l’opposition devaient être considérées indépendantes. Le 12 juillet 2001, le président Claude Richmond a déclaré que, si l’on ne pouvait accorder le statut d’opposition officielle aux deux députées, l’une de ses principales responsabilités était de « protéger la minorité contre l’oppression de la majorité ». Par conséquent, a-t-il dit, la question des bureaux, des adjoints de recherche et des autres ressources qui leur permettraient de faire leur travail plus efficacement serait examinée avec diligence.

En août 2001, le Comité de régie de l’Assemblée législative a décidé que les deux députées de l’opposition auraient la priorité au cours de la période des questions, qu’on leur accorderait le temps de parole maximum prévu au Règlement et qu’elles auraient le droit de répondre aux déclarations ministérielles. Une des députées de l’opposition assumerait la présidence du Comité des comptes publics et les deux députées seraient invitées à siéger à d’autres comités spéciaux ou permanents, si elles présentaient une demande raisonnable en ce sens. Leurs demandes relatives au changement de la disposition des sièges à l’Assemblée et à l’obtention d’une salle de réunion dans les édifices du Parlement ont aussi été acceptées.

Lors de mon élection en 2009, le président Barisoff m’a dit que ma participation à la période des questions serait reconnue. Il avait indiqué au départ que les occasions seraient plus nombreuses qu’elles ne l’ont été en réalité, mais je crois que cette situation est plutôt liée à l’influence des leaders à l’Assemblée.

L’obtention du droit de parole au cours du processus d’examen des prévisions budgétaires est souvent plus difficile, en plus de constituer une source de tension. Je me suis souvent trouvée prise en sandwich entre les députés de l’opposition qui posaient des questions, le président du comité et les députés du gouvernement. Ces derniers voulaient que je parle le plus longtemps possible pendant l’examen des prévisions budgétaires. Bien entendu, les porte-parole de l’opposition voulaient que je parle le moins possible. Les députés du gouvernement avaient l’habitude de dire : « Vicki, si vous vous levez, vous pouvez parler pendant 15 minutes avant de poser votre question, et vous pouvez le faire autant que vous le voulez. » Quant à eux, les porte-parole voulaient que vous ayez terminé en 5 minutes.

Les porte-parole de l’opposition doivent tenir compte des exigences de leurs caucus et, comme le temps est très limité, nous avons vécu quelques moments de tension. Je ne sais pas si ces problèmes pourront un jour être réglés, mais, de temps à autre, lorsque j’avais le sentiment qu’il était important que j’intervienne, je suis allée voir le leader à l’Assemblée et les choses se sont réglées.

Je ne ferai pas d’obstruction à moins que quelque chose me contrarie vraiment.

En ce qui concerne les comités, j’aimerais obtenir plus de renseignements de la part du président de l’Assemblée. À mon arrivée, les leaders à l’Assemblée m’ont demandé d’indiquer les comités auxquels j’aimerais siéger, en ordre d’importance. J’ai parlé au greffier, qui m’a donné quelques conseils. J’ai ensuite été affectée à deux comités, ceux des comptes publics et des sociétés d’État. Cependant, lorsqu’un autre député est devenu indépendant, le nombre de sièges dans les comités a été réparti entre nous deux. J’ai été quelque peu troublée d’être un jour retirée d’un comité pour faire place à une autre personne. Peut-être mes attentes sont-elles trop élevées ou mon désir de servir mes électeurs trop grand, mais j’ai du mal à accepter cette situation. S’il existe un taux de participation, comment peut-on diviser cette participation à l’infini? Un député n’a-t-il pas droit à un certain taux de participation?

Un dernier point de procédure concerne les rappels au Règlement et les questions de privilège. Un député indépendant dispose du pouvoir considérable de perturber les délibérations en soulevant continuellement des rappels au Règlement. Il peut arriver que j’aie à défendre une question seule ou avec d’autres députés de l’opposition. Alors, le président doit trancher. Mais je préfère la collaboration dans toute la mesure du possible.

Relations avec les autres députés indépendants

En 2011, le président a soudainement eu à composer avec quatre députés indépendants, après plusieurs mois de turbulences politiques en Colombie-Britannique. Les trois autres députés étaient un libéral qui avait quitté le conseil des ministres et le caucus, un libéral expulsé du conseil des ministres et du caucus et un néo-démocrate expulsé de son caucus. Le président a suggéré de nous traiter comme si nous formions un parti et d’attribuer le temps à l’Assemblée en conséquence. Cette solution, qui était parfaite pour le président, me fâchait un peu parce que je considère que je ne suis membre d’aucun parti à l’Assemblée. Mon statut de députée indépendante me plaît beaucoup, sans doute parce que j’ai été si bien traitée par l’Assemblée. Heureusement pour le président et pour moi, les deux députés libéraux ont réintégré leur caucus avant le début de la session suivante et le problème s’est résolu de lui-même.

ependant, l’ancien député néo-démocrate Bob Simpson est resté indépendant, de sorte que l’Assemblée compte actuellement deux députés indépendants. M. Simpson est un homme extrêmement combatif et très expérimenté, qui sait très bien s’exprimer et qui est résolu à se tailler une place en tant que député indépendant. Je tiens plutôt à établir une relation de collaboration au sein de l’Assemblée. Lorsque M. Simpson a joint les rangs des indépendants, j’ai très rapidement constaté que je n’exploitais pas tout mon potentiel pour ce qui est des rappels au Règlement et de la façon de présenter des motions. Sa vaste expérience du système de parti nous aide tous les deux à devenir des députés indépendants plus efficaces.

Tous les deux, nous croyons fermement que nous possédons les mêmes droits que les autres députés, selon le temps accordé. Nous tentons effectivement d’exercer ces droits, lui de façon plus combative que moi. Si je rencontre un obstacle, je tente de le contourner. Si je dois attendre quelques jours, je le ferai. Voilà peut-être la différence entre la façon dont les femmes et les hommes travaillent.

Conclusion

En dépit de mon expérience, je ne propose pas que tout le monde se présente à titre de député indépendant. La tâche est très difficile. Je crois néanmoins que nous verrons de plus en plus de députés indépendants en politique. Les gens sont mécontents. Il ne s’agit pas nécessairement des partis, mais plutôt de la façon dont le gouvernement fonctionne. En général, les députés ne peuvent plus influer sur le gouvernement. On peut dire aux gens que les débats au sein d’un caucus, comme le disait mon père, constituent probablement l’essence même de la démocratie, mais les gens ont besoin de voir que leurs représentants élus changent les choses. Les gens ne savent pas ce qui s’est dit au caucus. À l’extérieur du caucus, le message est très surveillé. Le représentant d’un parti est délégué pour dire ce que le gouvernement veut que les médias et le public sachent. Les membres des partis n’ont pas leur mot à dire parce que, en tant que représentants de partis, ils ne peuvent formuler de critiques publiquement. Mais les gens veulent entendre ces points de vue qui n’ont pas été filtrés.

Nous n’assisterons pas à une explosion du nombre de députés indépendants pour un certain nombre de raisons. Le système de partis est trop bien établi. La classe dirigeante d’une communauté vous laissera tomber dès que vous deviendrez indépendant. Le financement est difficile.

Mais, comme le démontre mon expérience je l’espère, il n’est pas impossible de gagner une élection à titre d’indépendant. Il faut être connu. Votre nom doit être facilement reconnu. Il doit inspirer confiance. Les gens doivent vous croire quand vous leur dites que vous serez leur voix. Toute réflexion faite, je crois qu’il vaudrait mieux que notre système compte plus de députés indépendants.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 35 no 1
2012






Dernière mise à jour : 2020-09-14