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L'avenir de Province House, Î.-P.-É.
Olive Crane; Robert Ghiz; Ron MacKinley

Le 29 avril 2010, l’Assemblée législative de l’Île-du-Prince-Édouard a étudié une motion portant sur l’examen de l’entente fédérale-provinciale de 1974 sur la gestion générale de Province House. Les extraits suivants sont tirés du débat sur la motion entre la chef de l’opposition, le premier ministre et le doyen de la Chambre.

Olive Crane (chef de l’opposition) : Au cours des derniers mois, j’ai remarqué que les Prince-Édouardiens s’inquiètent de plus en plus de la gestion de Province House, où siège notre assemblée législative depuis plus de 160 ans. J’ai pris connaissance des préoccupations du public dans les médias, mais elles m’ont aussi été communiquées par des collègues de l’Assemblée et je dois dire qu’elles reflètent les miennes.

Les Prince-Édouardiens soulèvent au moins trois questions importantes. Ils affirment d’abord que la fonction fédérale de Province House en tant que berceau de la Confédération l’emporte actuellement sur la fonction provinciale de l’édifice en tant que foyer traditionnel de la vie politique de l’Île, d’autant plus que les visiteurs sont accueillis à la porte par des agents de Parcs Canada.

Les Prince-Édouardiens s’inquiètent de l’entretien général de l’édifice et de l’attribution des locaux. Des fuites importantes se sont produites dans le toit en ardoise. Province House nécessite aussi d’autres réparations, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Cinquante-trois pour cent de la superficie utilisable sont réservés à l’usage du gouvernement fédéral, dont une grande partie est consacrée à des zones patrimoniales restaurées qui ne sont pratiquement jamais visitées ou utilisées par le grand public.

Enfin, et c’est peut-être là le plus important, les habitants de l’île sont toujours plus nombreux à juger que nous, les Prince-Édouardiens, devrions en faire beaucoup plus afin de favoriser l’interprétation et la célébration de la riche histoire de notre gouvernement représentatif, qui remonte à la réunion de notre première assemblée élue, en 1773. Existe-t-il meilleur endroit que Province House pour mettre en valeur ce patrimoine, à l’aide d’un programme dynamique d’expositions, de conférences et de réunions publiques diverses?

Province House devrait devenir un lieu de célébration vivante de la démocratie sur notre île. Je crois que notre gouvernement provincial devrait assumer une responsabilité nettement plus importante pour ce qui est de l’entretien et de la gestion de Province House, en plus de jouer un rôle plus actif dans le programme d’interprétation de l’édifice proprement dit. Je présenterai brièvement l’histoire de notre île dans l’espoir que l’importance symbolique de Province House se précise. C’est en 1769 que notre île est devenue une entité politique distincte, lorsque nous avons été séparés du gouvernement de la Nouvelle-Écosse. Malgré une faible population et des institutions politiques rudimentaires, notre première élection générale s’est tenue à peine quatre années plus tard et notre première assemblée législative s’est réunie en 1773.

Pour ce qui est de l’ancienneté de notre assemblée législative au Canada, nous occupons la deuxième place, derrière la Nouvelle-Écosse. Il s’agit là d’un patrimoine important, que l’on devrait commémorer beaucoup plus activement qu’on le fait aujourd’hui. Au fil des ans, l’Assemblée a étendu ses champs de compétence et son autorité, mais se réunissait encore dans des endroits assez miteux, dont, paraît-il, une taverne. Finalement, dans les années 1830, nos dirigeants politiques ont commencé à planifier la construction d’un édifice digne de la prospérité croissante et des aspirations de leur société. Il s’agissait de Province House, aussi appelé Colonial Building avant 1873, année au cours de laquelle l’Île-du-Prince-Édouard est passée du statut de colonie de la Grande-Bretagne à celui de province canadienne.

Le Colonial Building a été conçu et construit par Isaac Smith, aussi connu pour la construction de la Maison du gouvernement au début des années 1830, du phare de Point Prim et d’autres lieux d’intérêt locaux. Les travaux ont commencé en 1843 et se sont poursuivis pendant plus de quatre ans, avant l’ouverture officielle, au début de 1847. Le projet était ambitieux par sa taille et sa conception. La pierre employée était une pierre de taille de couleur pâle extraite dans la région de Wallace en Nouvelle-Écosse et le coût a représenté une part importante des dépenses gouvernementales globales au cours des années de construction.

Une fois terminé, l’édifice a constitué une source de grande fierté pour les Prince-Édouardien, un symbole de leur statut de colonie britannique autonome d’Amérique du Nord. Avec l’avènement du gouvernement responsable, en 1851, le Colonial Building est devenu le siège des activités de notre tout premier premier ministre, George Coles; le premier conseil exécutif était composé de personnes ayant été élues à l’Assemblée et non pas seulement nommées par le gouverneur. Au cours de la décennie suivante, à l’été 1864, les Pères de la Confédération sont venus rendre leur célèbre visite à l’Île. Les Prince-Édouardiens étaient très fiers de posséder, dans le Colonial Building, leur assemblée, un édifice d’une grandeur égale à l’occasion historique. Comme l’indique clairement ce rappel historique, à mon avis du moins, la rencontre des Pères de la Confédération de 1864 représente un fait saillant, un événement dans l’histoire de Province House, mais elle n’est jamais qu’un événement dans les 163 années d’histoire de l’édifice.

Je soutiens que le principal thème des activités d’interprétation et de commémoration à Province House devrait être l’héritage de la tradition de démocratie représentative de notre île, de notre propre assemblée législative. Je crois que la répartition actuelle est inéquitable. En fait, la recherche du juste milieu constitue un problème de longue date pour les gouvernements de l’Île. Au début des années 1970, le gouvernement libéral d’Alex Campbell a proposé de céder la propriété effective de Province House au gouvernement fédéral. Seul le tollé général des Prince-Édouardiens a empêché la cession de l’édifice. S’est ensuivi l’accord de 1974 sur Province House, conclu entre le gouvernement du Canada et celui de l’Île-du-Prince-Édouard le 29 octobre 1974. En vertu de ce document, la province a accordé au Canada, pour une période de 99 ans, la possession, l’utilisation et l’occupation exclusive de Province House, à l’exception de certaines zones, qui représentent 47 % de la superficie utilisable de l’édifice. Pour l’utilisation de cette superficie, la province a accepté de payer 47 % des dépenses connexes relatives aux services à frais partagés.

En plus d’être le locataire principal de Province House, le gouvernement fédéral a accepté la responsabilité de l’entretien structurel, des rénovations et de la réparation de la plomberie, des dispositifs de chauffage et des systèmes électriques de l’édifice proprement dit. Enfin, l’accord comporte une disposition permettant de renégocier l’entente ou d’y apporter des modifications, à condition qu’un avis de 30 jours soit donné par l’une ou l’autre des parties.

Vu sous cet angle, l’Assemblée législative de l’Île-du-Prince-Édouard est, en quelque sorte, locataire de son propre édifice. En plus d’être inefficace pour notre assemblée provinciale, cet accord s’accompagne d’un symbolisme qui est loin d’être idéal. Le moment est venu pour les Prince-Édouardiens d’assumer la responsabilité principale de Province House, siège du gouvernement de notre île depuis quelque 163 ans. Si nous le faisons maintenant, nous serons de nouveau en mesure d’accueillir généreusement les visiteurs du reste du Canada, à l’occasion du 150e anniversaire de la Conférence de Charlottetown, dans quatre ans.

Robert Ghiz (premier ministre) : Je vais assurément appuyer cette motion, mais je me dois cependant de mettre une chose en contexte. J’ignore si l’on peut aimer Province House plus que je l’aime moi-même. Je crois que cet édifice constitue un joyau, non seulement pour l’Île-du-Prince-Édouard, mais pour tout le Canada. Il est une institution canadienne. Certes, d’autres provinces peuvent faire valoir leurs propres assemblées, mais j’aime rappeler que cet endroit est le berceau du Canada. C’est pourquoi, à mon avis, il importe de nous associer avec le gouvernement fédéral pour tout ce que nous entreprenons relativement à cet édifice.

Nous entreprendrons le travail en vue des célébrations de 2014, qui seront, je l’imagine, magnifiques. Comme vous le savez, tous les étés se tient une conférence des premiers ministres. Nous étions censés accueillir celle de 2015. Fort heureusement, mon bon ami Dalton McGuinty a accepté de faire un échange afin que la rencontre ait lieu ici en 2014. Je nous imagine, peu importe qui sera premier ministre, costumés à la manière de ceux qui ont pris part à la conférence de 1864.

Cela dit, j’ai aussi des souvenirs récents. Je me rappelle que je venais ici dans mon enfance. Le salon des députés du parti ministériel se trouvait dans la salle attenante à celle-ci, qui sert maintenant de musée. Je crois que cette salle devrait, encore aujourd’hui, être à la disposition des députés. Un nuage de fumée bleu recouvrait alors la salle. Je ne crois pas que nous ne recréerons jamais cette époque. Peut-être pouvait-on aussi y apercevoir un verre de bière de temps à autre. Je ne pense pas que nous retournerons à cette époque non plus. Mais j’aimerais tout de même que cette salle redevienne le salon des députés ministériels. Là encore, toute cette question est matière à débat. Ce qu’il y a de bien à propos des discussions sur ces questions, c’est que tout le monde a une opinion et c’est pourquoi il est important d’organiser des audiences publiques sur ces enjeux et de laisser les membres de l’Assemblée législative débattre de ce qu’ils ont entendu et de leurs points de vue au sujet de Province House.

Je remarque que les gens veulent se réapproprier Province House. Je crois qu’il n’y a rien à se réapproprier. Cet immeuble est toujours le nôtre. Nous sommes toujours Canadiens. La province de l’Île-du-Prince-Édouard en est toujours propriétaire. Certes, un bail a été conclu avec le gouvernement fédéral, mais je suis Canadien, bon sang. Par conséquent, en plus de diriger l’édifice, j’en suis propriétaire parce que j’habite l’Île.

Ce débat ne me plaît pas beaucoup, mais je conviens que cet édifice a besoin de nombreuses rénovations. Je crois que le greffier m’a même indiqué que, selon un rapport de la vérificatrice générale, à Ottawa, les édifices de la capitale nationale ont, eux aussi, besoin de rénovations. Je crois qu’il est très important pour nous d’entretenir les immeubles historiques de notre pays. Je suis tout à fait d’accord qu’il nous faut trouver des façons de rénover ou d’entretenir cet édifice, d’obtenir plus d’appui du gouvernement fédéral.

Pour certains, il faut se débarrasser de ce bail. Signons-le de nouveau et nous pourrons tenir une grande cérémonie de signature. Ce genre de chose ne m’attire pas vraiment. J’admettrai que c’est aussi une question d’argent, parce que le projet est cher. Mais peut-être que, si le gouvernement du Canada nous offrait un fonds de dotation de 50 ou 100 millions de dollars (je lance de gros montants, parce que je crois que nous avons besoin de beaucoup d’argent pour entretenir l’édifice et en assurer la pérennité), une telle entente serait raisonnable. Je ne suis cependant pas d’accord pour dire au gouvernement fédéral que nous allons reprendre l’édifice, que nous n’avons plus besoin du bail et que nous nous occuperons de l’immeuble nous-mêmes. Le projet est onéreux et Province House a une signification non seulement pour les Prince-Édouardiens, mais aussi pour le Canada.

Ron MacKinley, (Ministre des Transports et des Travaux publics) Cette assemblée a été témoin de nombreux moments historiques. À Ottawa, le Parlement aussi pose problème. Je crois que l’ardoise se détache du toit. Nous sommes 140 000 habitants. Nous n’avons pas les moyens de nous en occuper de Province House nous-mêmes. L’édifice est pour tout le Canada. C’est ici qu’est né le Canada. Voilà pourquoi nous devrions établir un partenariat avec le gouvernement fédéral en vertu duquel nous nous chargerions d’environ 20 % des coûts et le gouvernement fédéral d’environ 80 %. Je suis allé au sous-sol évaluer le travail qui doit y être fait. Il faudra des millions de dollars afin que l’édifice soit conforme aux normes. Il faut donc évaluer la situation et trouver un équilibre entre les dépenses et la culture ainsi que les besoins futurs. Une femme a parlé d’un médicament qui lui a fait recouvrer la vue, mais elle ne peut arrêter de le prendre. Nous avons besoin d’obtenir ce genre de médicaments ici, mais ils coûtent cher. Nous devons équilibrer nos priorités. Nous devons aussi collaborer avec le gouvernement fédéral. Notre collaboration a été bonne. Tout ce qu’il faut c’est que plus d’argent soit investi dans l’édifice afin de le moderniser et de l’entretenir. Il est beaucoup plus facile à 30 millions de personnes de s’occuper d’un site patrimonial du Canada que ce ne l’est pour 140 000 personnes. Voilà tout. Cela dit, j’appuie le renvoi de cette motion au comité.

Note de la rédaction : Le Comité permanent de la gestion législative, présidé par Kathleen Casey, a présenté son rapport le 10 décembre 2010. Il a formulé les observations suivantes :

Votre comité considère que la présence continue de Parcs Canada à Province House est nécessaire et qu’elle est dans le meilleur intérêt des Prince-Édouardiens et de tous les Canadiens à long terme, parce qu’elle permet la restauration et l’entretien de l’édifice.

Votre comité exhorte Parcs Canada à s’acquitter des responsabilités qui lui ont été conférées aux termes du protocole d’entente de 1974 sur Province House en ce qui concerne l’entretien structurel de l’édifice.

Votre comité insiste sur le fait que Province House, en plus de revêtir une importance historique nationale, constitue l’édifice provincial le plus important de l’Île-du-Prince-Édouard, et que le gouvernement provincial doit donc veiller plus activement à ce qu’elle soit bien entretenue. Voici ses recommandations :

Que Province House soit complètement restaurée avant le 150e anniversaire de la Conférence de Charlottetown en 2014 et qu’un fonds soit créé pour garantir l’entretien de l’édifice à long terme.

Que l’Assemblée législative joue un plus grand rôle dans la gestion de Province House.

Que le protocole d’entente de 1974 sur Province House soit révisé et que l’Assemblée législative fasse dorénavant partie des signataires.

Qu’un comité sur Province House soit créé.

Que le protocole d’entente révisé prévoie un réaménagement de l’espace alloué à l’Assemblée législative et à Parcs Canada à l’intérieur de l’édifice.

Que le protocole d’entente révisé comprenne un plan de gestion du cycle de vie pour la structure de Province House.

Que l’interprétation de Province House soit élargie et améliorée de manière à inclure la totalité de l’histoire législative et démocratique de l’I.-P.-É., et non seulement la Conférence de Charlottetown de 1864.

Que, dans le protocole d’entente révisé, l’interprétation de Province House soit assurée conjointement par Parcs Canada (expertise sur les messages de la Confédération) et par l’Assemblée législative (histoire coloniale, provinciale et législative de Province House).

Qu’en ce qui concerne l’interprétation et la gestion futures de Province House, des efforts soient déployés, lorsque c’est possible, pour amener les Prince-Édouardiens à participer de nouveau aux processus de leur assemblée législative.

Qu’une division des services aux visiteurs et de la participation des citoyens soit créée au sein du Bureau de l’Assemblée législative.

Que le Bureau de l’Assemblée législative évalue plus en profondeur la possibilité que Province House reçoive la désignation de site du patrimoine mondial de l’UNESCO.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 34 no 2
2011






Dernière mise à jour : 2020-09-14