Revue parlementaire canadienne

Numéro courant
Région canadienne, APC
Archives
Prochain numéro
Guide de rédaction
Abonnez-vous

Recherche
AccueilContactez-nousEnglish

PDF
Le vote par Internet : l'expérience des municipalités canadiennes
Nicole Goodman; Jon H. Pammett; Joan DeBardeleben

Le 26 janvier 2010, l’Université Carleton a accueilli un atelier sur les politiques publiques portant sur le vote par Internet et sur ce que le Canada peut apprendre des cas et des essais, à la fois sur la scène locale et à l’étranger. L’atelier a réuni des universitaires, des experts techniques, des parlementaires, des représentants de partis politiques, des fonctionnaires, des représentants d’autorités électorales et d’autres professionnels du Canada, des États-Unis et d’Europe. Un rapport intitulé Une analyse comparative du vote électronique a été préparé par le Dialogue transatlantique Canada-Europe pour Élections Canada en préparation de l’atelier. Le présent article donne un aperçu des expériences de trois municipalités canadiennes qui ont fait l’essai du vote par Internet et en dégage des enseignements pour d’autres instances gouvernementales. Il est tiré principalement du rapport, que l’on peut consulter sur le site Web du Dialogue transatlantique (Réseau stratégique de connaissances). Cet extrait légèrement revu et corrigé est publié avec l’autorisation d’Élections Canada.

Au cours de la dernière décennie, divers types de vote électronique, particulièrement le vote par Internet, ont suscité beaucoup d’attention comme éventuelles méthodes de vote offrant la promesse de rendre le processus électoral plus simple et plus efficace pour les partis politiques, les candidats, les administrateurs d’élections et, surtout, pour les électeurs. L’expression vote électronique est un terme général désignant une multitude de méthodes de vote faisant appel à la technologie électronique. Il existe trois principaux type de vote électronique : le vote par machine de dépouillement, le vote par ordinateur et le vote par Internet (ou vote en ligne). En ce qui concerne le dernier, il existe quatre types de vote électronique intégrés à Internet : le vote par borne électronique, le vote par Internet à un bureau de scrutin, le vote par Internet de circonscription et le vote à distance par Internet1. Le vote par borne électronique se fait normalement à l’aide d’un ordinateur dans un lieu contrôlé par des fonctionnaires électoraux; ce processus diffère du vote par machine de dépouillement, notamment par le fait que le vote s’effectue sur Internet. Le vote par Internet à un bureau de scrutin se fait à n’importe quel bureau de scrutin à l’aide d’un ordinateur contrôlé par des administrateurs électoraux. Le vote par Internet de circonscription est semblable au vote à un bureau de scrutin, sauf que l’électeur doit se rendre au bureau de scrutin auquel est officiellement rattaché dans sa circonscription. Le vote à distance par Internet permet à l’électeur de voter de chez lui ou de n’importe quel autre endroit ayant un accès Internet. Nous nous intéressons principalement dans cette étude au vote à distance par Internet, compte tenu du fait qu’il est devenu synonyme de « vote par Internet » dans la littérature, qu’il a le plus grand potentiel d’abaisser les coûts des options traditionnelles pour les électeurs et de rehausser l’accessibilité, et qu’il est le plus conforme aux autres développements technologiques dans la société2.

Avantages potentiels du vote par Internet

Les partisans du vote électronique, surtout le vote par Internet, invoquent en sa faveur des arguments liés à la technologie, aux problématiques sociales et à l’administration des élections.

Premièrement, le vote électronique pourrait simplifier le processus électoral et le rendre plus accessible aux électeurs. Cela est particulièrement vrai pour le vote à distance par Internet ou par téléphone, grâce auquel on peut exercer son droit de vote à partir de n’importe quel ordinateur branché sur Internet ou de n’importe quel téléphone fonctionnel. Pour de nombreux électeurs, ces méthodes diminuent considérablement les coûts associés au vote, car elles créent de nombreux points d’accès supplémentaires pour voter. Elles ont le potentiel d’éliminer les longues files d’attente dans les bureaux de vote et de pallier plus efficacement les problèmes d’accessibilité des personnes handicapées ou malades, des militaires, des personnes vivant à l’étranger, des voyageurs ou des retraités migrateurs, ainsi que d’autres groupes de la population, tels que les chefs de famille monoparentale, pour qui aller voter de manière traditionnelle peut s’avérer compliqué. De plus, les méthodes de vote électronique à distance offrent aux électeurs la possibilité de voter à toute heure.

En ce qui a trait à des groupes particuliers d’électeurs, le vote par Internet et par téléphone pourrait aussi favoriser la participation des électeurs considérés comme les plus difficiles à atteindre, particulièrement les jeunes de 18 à 30 ans. Ce sont ces derniers qui connaissent le mieux la technologie, ils en sont les plus fréquents utilisateurs et ils sont sans doute ceux qui profiteraient le plus de l’expansion du vote électronique à distance. Internet et le téléphone pour le vote à distance semblent constituer des moyens particulièrement pratiques d’encourager la participation des jeunes qui, pour leurs études postsecondaires, vivent dans une circonscription autre que la leur et ne sont pas inscrits dans cette dernière pour y voter.

Deuxièmement, le vote par Internet ou par téléphone assurerait une plus grande confidentialité aux personnes handicapées (y compris les personnes ayant une déficience visuelle ou auditive). En votant électroniquement, donc sans l’aide d’autrui, ces électeurs disposent d’un anonymat accru, ce qui favorise l’égalité du vote.

Troisièmement, l’amélioration de l’accessibilité et la création de possibilités de vote supplémentaires pourraient bien avoir une incidence positive sur le taux de participation.

Quatrièmement, d’un point de vue administratif, le vote par Internet et le vote par téléphone produiraient des résultats électoraux plus rapides et plus fiables. Ces méthodes de vote accéléreraient le processus de dépouillement officiel et seraient plus fiables que les machines de dépouillement (utilisant des cartes à perforer, par exemple), auxquelles on reproche parfois des erreurs.

Cinquièmement, à long terme, tous les systèmes de vote par Internet sont potentiellement moins coûteux à exploiter que la méthode traditionnelle avec bulletins de vote, qui requiert l’installation de bureaux de vote avec du personnel. Par contre, les coûts initiaux liés aux appareils et aux bornes peuvent être très élevés.

Sixièmement, la diminution du recours au papier peut procurer des avantages notables pour l’environnement et elle représente l’option « plus verte » lorsqu’il faut voter.

Enfin, tous les systèmes de vote par Internet ou téléphone ont le potentiel d’améliorer la qualité générale des bulletins de vote en réduisant ou en éliminant le nombre d’erreurs sur les bulletins et en faisant en sorte que les électeurs soient mieux informés. En effet, il ne peut y avoir d’erreurs sur les bulletins ni, si on le souhaite, de bulletins annulés, car l’ordinateur ne le permet pas. Si, toutefois, la structure juridique exige d’offrir aux électeurs l’option d’annuler leur vote ou de déposer un vote de protestation, un bouton peut être ajouté dans certains logiciels de manière à ce qu’ils acceptent ces types de vote (ou les refus de voter). De plus, selon l’architecture des systèmes de vote par Internet, il est possible d’afficher des renseignements supplémentaires sur les candidats et leurs positions en vue du vote en ligne. Ainsi, les électeurs peuvent avoir sous les yeux de l’information générale sur les candidats et les programmes des partis et, ainsi, voter de façon plus éclairée.

Inconvénients et risques du vote par Internet

Ceux qui s’opposent au vote électronique, ou qui s’en méfient, évoquent plusieurs inconvénients et risques perçus liés aux différentes méthodes de vote par Internet ou téléphone. Le principal risque cité concerne la sécurité. Ce sont les menaces de virus informatiques et d’attaques de systèmes orchestrées par des pirates qui inquiètent le plus parmi les problèmes pouvant compromettre une élection et la confiance du public à l’égard du vote électronique. Cette inquiétude concerne surtout les ordinateurs personnels. La confidentialité du vote devient source de préoccupations lorsque les ordinateurs utilisés sont non protégés, situés dans des lieux publics ou susceptibles d’être la cible de virus. Parmi les autres problèmes techniques potentiels figurent les pannes d’électricité ou les problèmes de connexion Internet, ainsi que les fermetures ou les pannes de serveur. La fiabilité des méthodes d’enregistrement et de stockage des votes est aussi un important facteur à prendre en considération.

Deuxièmement, on soulève les problèmes d’accès. Les écrits sur le vote à distance par Internet parlent du risque d’un « fossé numérique » pouvant se manifester de deux manières. D’une part, il peut se manifester entre ceux qui disposent d’un ordinateur avec connexion Internet à la maison et ceux qui n’en ont pas. D’autre part, il peut résulter de l’écart entre les vitesses de connexion Internet : ceux qui ont une connexion moins rapide ont un moins bon accès4. À l’opposé, les personnes à revenu plus élevé peuvent s’offrir un meilleur accès. De plus, l’accès est souvent moins cher et de meilleure qualité en zone urbaine. Les personnes à faible revenu et celles vivant en zone rurale sont donc désavantagées. Ainsi, l’expansion du vote par Internet pourrait créer des clivages liés à diverses variables socioéconomiques, dont le revenu, l’éducation, le sexe, la géographie, la race et l’origine ethnique. Ces clivages potentiels pourraient poser problème sur le plan de la participation et de la représentation.

Troisièmement, on dit que le vote à distance par Internet ou téléphone est plus propice à la fraude et à la coercition (ou à l’achat de votes). Il y a fraude lorsque quelqu’un vote au nom d’une autre personne sans en avoir eu la permission, tandis que la coercition se produit lorsqu’un électeur subit des pressions d’autres personnes qui le poussent à voter autrement qu’il l’aurait normalement fait. Dans les deux cas, il y a atteinte à l’intégrité du vote, car il importe que chaque vote comptabilisé reflète l’opinion de l’électeur. Il y a aussi possibilité de fraude si l’avis de convocation de l’électeur, qui contient un mot de passe unique permettant de voter, est intercepté. Dans le cas où le vote ne se fait pas en personne, il est plus difficile de vérifier l’identité de l’électeur. À distance, l’authentification de ce dernier peut être problématique. Les signatures et les mots de passe numériques peuvent aider, mais ne sont pas à toute épreuve et pourraient être échangés.

Quatrièmement, l’aspect « éducation électorale » suscite aussi des inquiétudes. Beaucoup de temps et d’argent doivent être investis pour s’assurer que le public est au courant de l’existence du vote électronique et qu’il comprend comment l’utiliser. À défaut d’une bonne stratégie de communication, il sera difficile d’éveiller l’intérêt des électeurs.

Cinquièmement, la privatisation est source de préoccupation lorsque les administrateurs électoraux cèdent le contrôle à une firme. L’octroi de contrats à des entreprises privées pour la portion électronique des élections peut être mal perçu par certaines personnes et risque, par conséquent, de miner la confiance du public envers le gouvernement et le processus électoral.

Enfin, la plus grande préoccupation sociale est peut-être la menace de désintégration de capital social ou de vie civique. D’après certains, la prolifération de services électroniques pour les élections pourrait altérer la nature de la participation en encourageant plus de gens à voter seuls plutôt qu’avec d’autres dans un lieu de vote. Les opposants estiment que ce développement risque d’éroder la vie civique en ayant une incidence sur les réseaux sociaux locaux et le rôle des groupes liés aux élections.

Essais dans des municipalités canadiennes

Internet a déjà été utilisé dans un certain nombre d’élections locales au Canada. La présente section rend compte des expériences de vote à distance par Internet menées à Markham, Peterborough et Halifax, afin d’évaluer la possibilité d’un système de vote par Internet au Canada.

À ce jour, six provinces ont adopté des dispositions législatives dans le cadre de leur législation électorale municipale de manière à permettre aux municipalités de mettre en œuvre d’autres méthodes de vote ou une certaine forme de vote électronique, ou encore d’adopter un règlement autorisant le recours à de nouvelles méthodes de vote. Ces provinces sont l’Alberta, la Colombie-Britannique, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l’Ontario et la Saskatchewan (consulter la loi sur les élections municipales ou la loi sur les élections des administrations locales de chaque province)5. Bien que la possibilité d’utiliser une autre méthode de vote soit inscrite dans la législation de l’Ontario et de la Nouvelle-Écosse, les conseils locaux de Markham, Peterborough et Halifax ont dû adopter des règlements précisant le genre de méthode qu’ils souhaitaient utiliser et justifiant sa mise en œuvre6. En outre, les trois municipalités ont établi une liste de procédures officielles à suivre et créé des formulaires à utiliser pour le vote par Internet et le vote par machine à dépouillement à Markham et Peterborough, ainsi que pour le vote par Internet et le vote par téléphone à Halifax7.

L’expérience de Markham

Markham, en Ontario, est la première municipalité du Canada à avoir mis en œuvre le vote électronique dans le cadre d’une stratégie exhaustive de mobilisation visant à accroître la participation électorale8. En augmentant la gamme de services offerts aux électeurs et en rendant le vote plus pratique pour ses résidants, la ville de Markham a misé sur le vote électronique pour intéresser la population au processus électoral et l’inciter à voter. En plus du vote par Internet, des machines à dépouillement ont été utilisées afin de favoriser la participation des électeurs handicapés (y compris les malvoyants et les malentendants) et de respecter le caractère secret de leur vote. Les machines étaient dotées des options audio, tactile et « aspirer-souffler » pour permettre à ces groupes d’électeurs de voter sans aide. La ville a également eu recours à ces machines parce qu’elle croyait qu’elles offriraient un dispositif de comptage plus efficace que les procédures traditionnelles de calcul.

Avant de mettre en œuvre le vote électronique en 2003 et en 2006, la ville a effectué de nombreuses recherches approfondies. Bien que des recherches plus approfondies aient été menées avant le vote de 2006, certaines de ces initiatives ont comporté des évaluations d’essais dans d’autres administrations; une analyse comparative des risques des méthodes de vote traditionnelles, par Internet et autres; des consultations auprès d’entreprises de technologies de l’information et des recommandations de leur part; l’examen des données sur les attitudes du public.

Le modèle électronique utilisé par la Ville de Markham comprenait l’option du scrutin à distance par Internet dans les bureaux de vote par anticipation lors des élections municipales de 2003 et 2006, de même que l’utilisation de machines à dépouillement par lecture optique dans tous les bureaux de scrutin le jour de l’élection. Le volet électronique des élections a été administré par Election Systems & Software (ES&S), d’Omaha au Nebraska, entreprise qui avait auparavant testé divers modes de transmission du vote au Royaume-Uni. La Ville de Markham a versé 25 000 $9 en 2003 et 52 000 $ en 2006 à ES&S pour l’élaboration, la mise en œuvre et l’exploitation du site Web10. Les machines de dépouillement des suffrages ont été louées à la Ville à un coût additionnel d’environ 160 000 $ par élection11.

Les électeurs souhaitant voter en ligne devraient se préinscrire et leur nom était alors radié de la liste électorale manuelle. Chaque électeur a reçu une trousse d’inscription en ligne dans le cadre du processus ordinaire de notification.12 La préinscription devait servir de mesure de sécurité supplémentaire et permettre à la Ville de mieux savoir qui avait choisi de voter électroniquement. Au moment de l’inscription, les électeurs devaient créer une question de sécurité unique. Peu après, ils recevaient par la poste un NIP qui leur était propre. Il fallait employer le NIP et répondre correctement à la question de sécurité pour pouvoir voter sur le site Web de la Ville de Markham. Il a été possible de voter par anticipation pendant une période de cinq jours en 2003 et de six en 2006.

Ayant retenu les services de Delvinia Interactive, entreprise qui se spécialise dans la création d’expériences numériques, pour sensibiliser le public au vote en ligne, la Ville de Markham a adopté une méthode unique pour informer ses électeurs au sujet du service de vote électronique. Delvinia Interactive a créé un site Web interactif qui non seulement invitait les électeurs à s’inscrire en ligne et les informait sur le fonctionnement du processus, mais les renseignait aussi sur l’importance de voter. Le site Web comprenait aussi des liens aux pages Web des divers candidats, afin de permettre aux électeurs de mieux connaître les candidats et leur programme. La Ville a fait la promotion du site Web et du vote en ligne au moyen d’envois postaux, de publicités imprimées et d’autres affichées dans les centres commerciaux, de courriels et d’appels téléphoniques, et même d’aimants pour les réfrigérateurs. Cette approche de marketing dynamique est probablement l’une des pierres angulaires du succès du vote par Internet à Markham. Les mêmes services ont été utilisés lors des deux années d’élection13.

Les électeurs de Markham pouvaient voter à domicile, au travail, dans une bibliothèque ou dans un lieu public doté d’Internet, de même qu’à des postes avec écran tactile qui avaient été installés à l’hôtel de ville14. En 2003, 12 000 des 150 000 électeurs se sont préinscrits pour voter en ligne et un peu plus de 7 000 d’entre eux ont voté de cette façon. En 2006, le vote par anticipation en ligne a augmenté de 48 p. 100, alors que 10 639 électeurs se sont prévalus de ce service pour voter. Le taux global de participation en 2003 a été assez similaire à celui de l’an 2000 (environ 28 p. 100), mais la participation au vote par anticipation, où les bulletins de vote Internet sont devenus une option, a connu une croissance considérable (de 300 p. 100, selon les estimations). En 2006, on a enregistré une augmentation d’un pour cent du nombre de bulletins électroniques et la participation globale s’est élevée à 38 p. 100. Les taux d’utilisation et la satisfaction à l’égard du vote en ligne à Markham sont mis en évidence dans les données sur l’attitude de la population recueillies par Delvinia.

Par exemple, pour ce qui est du vote à distance, 82 p. 100 des électeurs qui ont voté en ligne l’ont fait à partir de leur domicile, tandis que 88 p. 100 ont dit qu’ils avaient choisi le vote en ligne principalement en raison de son côté pratique1516. Lorsqu’on leur a demandé s’ils désiraient voter en ligne à des élections d’autres ordres de gouvernement, 90 p. 100 des répondants ont indiqué qu’ils voteraient très probablement au moyen d’Internet lors d’une élection provinciale et 89 p. 100, lors d’une élection fédérale. Ces données indiquent que les résidants de Markham sont très favorables au vote par Internet, du moins ceux qui ont utilisé le service. De plus, certains électeurs qui n’ont pas voté à des élections précédentes (25 p. 100 en 2003 et 21 p. 100 en 2006) ont affirmé l’avoir fait cette fois-ci en raison du côté pratique du vote par Internet9. Tous les électeurs qui ont voté en ligne en 2003 ont indiqué qu’ils voteraient encore de cette façon et 91 p. 100 ont affirmé, lors du sondage de 2006, qu’ils feraient « très probablement » de même. Dans l’ensemble, d’après la rétroaction positive du public et l’augmentation du taux de participation électorale, Markham prévoit continuer d’améliorer son modèle et employer une stratégie électronique semblable lors des prochaines élections, en 2010.

L’expérience de Peterborough

Peterborough a décidé d’offrir le vote par Internet afin de réduire les demandes de vote par procuration et de rendre le processus plus accessible aux électeurs en leur fournissant plus d’occasions de voter. Impressionnée par l’augmentation du taux de participation lors du vote par anticipation à Markham en 2003, la Ville estimait que le vote en ligne offrait une possibilité de faire de même dans la municipalité. La réduction du coût des élections constituait aussi un facteur important. En général, le vote par Internet était perçu comme une étape positive visant à accroître l’accessibilité aux élections en offrant plus d’options de vote aux électeurs10.

Peterborough a utilisé le vote électronique pour la première fois lors de ses élections municipales de 2006 et, à l’instar de Markham, elle prévoit poursuivre et accroître l’utilisation du vote électronique en 2010. La ville est différente de Markham sur le plan démographique : elle est moins urbaine et son électorat est plus petit, comptant 52 116 électeurs. Son expérience du vote électronique est néanmoins très semblable à celle de Markham. Un pourcentage important de ses électeurs possède un ordinateur à domicile et a accès à Internet. Le cas de Peterborough est particulièrement intéressant, car on y trouve un très vaste bassin de personnes âgées (le deuxième plus important au Canada). Le fait que le vote électronique est très populaire parmi les aînés démontre que le vote à distance par Internet n’intéresse pas seulement les jeunes.

Avant de mettre en œuvre le vote par Internet, la Ville de Peterborough n’a pas recueilli de données sur les attitudes du public à l’égard de ce service. Elle a toutefois analysé d’autres cas de vote électronique et évalué les services de plusieurs fournisseurs de systèmes de vote par Internet et les diverses autres méthodes de vote disponibles. La Ville a également lancé une campagne de publicité dynamique visant à informer les électeurs, en particulier les électeurs plus âgés, sur le service. Les centres d’hébergement pour personnes âgées et les centres communautaires ont surtout été visés dans le cadre de cette campagne, dans l’espoir d’intéresser les électeurs plus âgés. Tout comme Markham, Peterborough a décidé d’offrir le vote par Internet pendant cinq jours dans les bureaux de vote par anticipation et a installé des machines à dépouillement dans tous les bureaux de scrutin le jour de l’élection. Les autorités municipales ont accordé le contrat à une entreprise de Toronto, Dominion Voting Systems, pour un coût total de 180 400 $, y compris les frais de location des machines à dépouillement. Le système fonctionnait selon un processus à deux étapes semblable à celui utilisé dans la ville de Markham.

Tous les électeurs inscrits sur la liste électorale ont reçu par la poste une carte ou une lettre d’avis d’inscription qui renfermait, entre autres, un identificateur unique de l’électeur (IUE). Afin d’avoir accès aux services électoraux en ligne, les électeurs devaient entrer dans le système à l’aide de leur IUE et taper de nouveau un code de sécurité appelé CAPTCHA. Pour s’inscrire, les électeurs devaient fournir leur adresse (telle qu’elle était indiquée sur leur avis d’inscription) et leur année de naissance. Ils pouvaient également choisir de recevoir leur NIP par la poste (comme dans le cas des essais de Markham) ou par courriel. Les électeurs inscrits recevaient alors une autre carte avec un NIP selon le moyen qu’ils avaient choisi. Ils devaient avoir en main le NIP et les renseignements d’ouverture de session (numéro d’IUE et code CAPTCHA) afin de pouvoir voter sur le site Web de la Ville de Peterborough.

Dans l’ensemble, l’introduction du vote électronique à Peterborough a été un succès. Le public y a réagi positivement et, bien que les reportages médiatiques négatifs aient été un obstacle au début, il a été possible de surmonter cette difficulté en fournissant des ressources additionnelles aux médias et en les informant au sujet du processus et de la sécurité du système. Il n’y a eu aucun problème ou risque associé à la sécurité. La Ville de Peterborough a indiqué qu’elle avait « instauré d’importantes mesures de sécurité et qu’elle était convaincue que le système était sécuritaire »11. Selon les représentants de la Ville, le processus ne présentait qu’un seul inconvénient : le vote par Internet était limité au scrutin par anticipation. Ils souhaiteraient que le processus soit élargi lors des prochaines élections.

Il n’y pas eu de changement notable sur le plan de la participation en général (elle est demeurée identique au taux de 2003, à 48 p. 100), mais le vote par anticipation a été légèrement plus populaire qu’en 200312. Cette augmentation pourrait s’expliquer par le fait que, mis à part le scrutin en ligne, un seul bureau de vote par anticipation traditionnel était ouvert au public. De plus, le taux de participation aux élections de 2003 était peut-être artificiellement gonflé, car une question référendaire figurait sur le bulletin de vote. Au total, 14 p. 100 des électeurs qui ont voté l’ont fait à l’aide d’Internet (3 473 des 25 036 électeurs). Les bébé-boumeurs représentaient le plus grand groupe d’électeurs en ligne. Plus précisément, 70 p. 100 des électeurs en ligne avaient 45 ans ou plus, et les électeurs âgés de 55 à 64 ans ont été les plus nombreux à se prévaloir de cette option de vote. Seulement 14 p. 100 des électeurs âgés de 18 à 34 ans ont voté en ligne. Ces données, soit le taux plus élevé d’utilisation de cette possibilité chez les bébé-boumeurs, sont intéressantes, car les jeunes, plus que tout autre groupe d’électeurs, ont tendance à dire qu’ils utilisent ou qu’ils utiliseraient le vote par Internet. La mise en œuvre du vote par Internet est plus que probable si les aînés ou les groupes d’électeurs plus âgés souhaitent voter en ligne. Des profils d’utilisation similaires par tranche d’âge se retrouvent également dans les données provenant de Markham et d’Halifax.

L’expérience d’Halifax

La municipalité régionale d’Halifax a offert le vote à distance par Internet pour la première fois en 2008, lors de ses élections municipales et scolaires, dans le cadre d’un projet pilote visant à déterminer la viabilité et la fiabilité du vote électronique. La municipalité a décidé d’offrir à ses résidants la possibilité de voter à distance par Internet mais aussi par téléphone, étant donné que cette dernière option seyait à un plus important segment de la population, particulièrement aux électeurs plus âgés pour qui il n’allait pas de soi d’utiliser Internet. En outre, Halifax comprend un centre urbain et des banlieues, de sorte que, si certaines zones sont largement branchées à Internet, d’autres ne font que commencer à y avoir accès. En offrant le vote par téléphone en plus du vote par Internet à distance, Halifax a donné la possibilité de voter électroniquement à ceux dont l’accès à Internet était limité, voire inexistant.

Avant cet essai en 2008, Halifax avait étudié de manière approfondie les différentes options électroniques et suivi de près les résultats obtenus dans d’autres municipalités ayant intégré le vote par Internet dans leur processus électoral. Le conseil avait établi cinq grands critères conditionnels à l’adoption d’une nouvelle méthode de vote : la préservation de l’intégrité du système électoral; l’augmentation du nombre de méthodes de vote proposées aux électeurs; le potentiel de hausser le taux de participation; une plus grande rentabilité; l’accélération du processus de dépouillement et de communication des résultats. Par ailleurs, quatre éléments se sont vu accorder une attention particulière :

  • l’attribution du contrat à un partenaire de confiance;
  • le niveau de sécurité;
  • l’exactitude des données sur les électeurs;
  • une vérification digne de foi suscitant la confiance des électeurs.

Ce dernier point comprenait l’élaboration d’un règlement très détaillé et d’un document sur les politiques et procédures à respecter.

L’essai d’Halifax touchait 276 000 électeurs admissibles. Le contrat a été octroyé à une entreprise locale, Intelivote, qui s’était déjà occupée des élections de huit petits cantons de l’Ontario en 2006 et de celles de deux circonscriptions du Royaume-Uni en 2007. Pour un coût total de 487 151 $, Intelivote a mis en place un système permettant aux électeurs d’utiliser Internet ou le téléphone pour voter par anticipation. Cette étape du scrutin s’est étendue sur trois jours et a eu lieu deux semaines avant le jour du scrutin13. L’expérience d’Halifax diffère légèrement de celles de Markham et de Peterborough, car les électeurs n’avaient pas besoin de s’inscrire préalablement au vote par Internet ou par téléphone, c’est-à-dire qu’ils pouvaient utiliser ces services quand bon leur semblait. Dans les deux villes ontariennes, le nom des personnes ayant exprimé le désir de voter à distance par Internet (en s’inscrivant en ligne) était retiré de la liste électorale manuelle, alors que la technologie utilisée lors des essais à Halifax ne permettait aux électeurs de choisir la méthode préférée qu’au moment de voter.

L’approche d’Halifax fait aussi exception à un autre égard : les électeurs avaient la possibilité d’annuler leur vote. L’un des principaux inconvénients des systèmes de vote électronique est qu’ils ne proposent pas de façon de refuser officiellement de voter. Intelivote a créé un bouton « refus de voter » qui apparaissait en plus du nom des candidats.

En outre, la méthode adoptée à Halifax permettait aux électeurs de changer de mode de transmission durant le processus de vote. Par exemple, il était possible de commencer à voter à partir d’un téléphone cellulaire en rentrant du travail (p. ex., pour le poste de maire) et de poursuivre (pour les postes de conseillers municipaux ou scolaires) à partir de son ordinateur à la maison14.

Afin d’assurer sécurité et anonymat, il a fallu adopter une série de mesures précises. Chaque Haligonien inscrit sur la liste électorale a reçu une lettre renfermant des instructions sur le vote électronique ainsi qu’un NIP. Durant trois jours, les électeurs pouvaient en tout temps ouvrir une session sur un site Web sécurisé (administré par Intelivote) ou composer un numéro de téléphone afin de voter par voie électronique. Le processus en ligne exigeait que les électeurs réussissent le test CAPTCHA, puis qu’ils entrent leur NIP et leur date de naissance pour authentifier leur identité. Une fois ces étapes de sécurité terminées, un menu indiquait aux électeurs comment voter pour le maire, les conseillers municipaux et les conseillers scolaires.

Pour ce qui est de la sécurité proprement dite, le système utilisé à Halifax et mis au point par Intelivote comprenait quatre phases. La première, un « test d’intrusion », consistait à demander à une entreprise spécialisée en TI de tenter de s’introduire dans le système afin de savoir si les mécanismes de sécurité en place pouvaient efficacement empêcher tout individu ou groupe de l’altérer. La deuxième était l’analyse du système de cryptage qu’utilisaient les serveurs pour communiquer entre eux. Troisièmement, un cabinet de vérification a procédé à une vérification externe de l’ensemble du processus de scrutin. Enfin, une analyse de la sécurité générale du réseau a été menée en vue de prévenir les attaques ou les problèmes.

L’acceptation et le soutien par la population du vote électronique étaient relativement élevés à Halifax. Dès 2004, la municipalité régionale avait commencé à mener des sondages. Soixante-dix pour cent des répondants se disaient en faveur du vote électronique. Alors que 44 p. 100 des gens préféraient toujours se rendre dans un bureau de scrutin, 35 p. 100 auraient voté par Internet si un tel service avait existé. Personne ne s’est opposé au vote électronique aux réunions du conseil municipal, et il n’y a pas eu de manifestations publiques non plus. Le taux de participation électorale global n’a pas augmenté (de 2004 à 2008, ce dernier est tombé de 48 p. 100, ou 125 035 électeurs, à 38 p. 100, ou 100 708 électeurs), mais celui du vote par anticipation, qui n’avait duré que trois jours, mais au cours duquel il était possible de voter par Internet ou par téléphone, est passé de 14 000 électeurs, en 2004, à 29 000, en 200815. Cependant, même si la course à la mairie de 2008 était considérée comme très serrée, elle s’est tenue à peu de temps des élections fédérales, ce qui pourrait être largement en cause dans la baisse du taux de participation.

Les élus municipaux étaient assez satisfaits du projet pilote de 2008 au point de décider de faire de nouveau l’essai du vote à distance par Internet et par téléphone lors d’une élection partielle spéciale tenue le 19 septembre 2009. Cette fois, par contre, la possibilité de voter par Internet ou par téléphone à distance a été offerte en continu (du premier jour de scrutin jusqu’au jour de l’élection inclusivement). On a alors enregistré un taux de participation de 35 p. 100, soit une augmentation de 12 p. 100 à 25 p. 100 comparativement aux trois élections partielles précédentes (21 p. 100, 10 p. 100 et 23 p. 100 respectivement). En outre, 75 p. 100 des votes ont été électroniques (59 p. 100 ont été des votes en ligne).

Cette élection partielle à Halifax était d’autant plus particulière que les candidats avaient à leur disposition un module (conçu par Intelivote) leur permettant de savoir, en cherchant par nom ou par adresse, qui avait voté. Cet outil a fait l’unanimité chez les candidats, qui l’ont utilisé dans diverses mesures. On a constaté un même appui de la part des administrateurs de l’élection, heureux du fait que les bureaux de vote n’étaient pas bondés de représentants de candidats. Même si ces derniers avaient toujours le droit de se présenter dans les bureaux de scrutin, le besoin de ce faire semble avoir été supprimé par la possibilité de suivre la participation en ligne.

De façon générale, le personnel d’Halifax est assez satisfait des essais pour prévoir l’élimination d’un nombre important de bureaux de scrutin aux élections municipales de 2012. Le conseil municipal est d’avis que l’adoption du vote électronique se traduira par « une augmentation du taux de participation, des élections moins coûteuses et des électeurs plus heureux »16. Si tel est le cas, Halifax pourrait devenir une référence dans le développement d’initiatives de vote électronique ailleurs au Canada.

Enseignements tirés de l’expérience des municipalités

En ce qui concerne la participation des électeurs, il est difficile de faire des évaluations à partir des cas de ces municipalités, compte tenu du fait qu’à l’exception de l’élection partielle d’Halifax, les options de vote électronique à distance n’ont été offertes que pour une durée limitée, lors du vote par anticipation. Il n’est donc pas possible de déterminer l’effet que ces options auraient pu avoir sur le taux général de participation. L’élargissement du vote à distance par Internet a bel et bien eu, toutefois, des retombées positives sur le taux de vote par anticipation à Markham, Peterborough et Halifax. En outre, le taux de participation à la récente élection partielle d’Halifax s’est caractérisé par une augmentation notable. Certes, nous ne pourrons évaluer l’effet global du vote électronique sur le taux de participation tant qu’il n’y aura pas d’essais et de collecte de données plus considérables, mais son incidence sur l’élection partielle d’Halifax est prometteuse. Les chiffres du taux de participation au vote par anticipation donnent également à penser que l’élargissement du vote par Internet peut avoir des conséquences positives sur la participation des électeurs.

On peut également dégager d’autres considérations importantes de ces expériences, particulièrement du programme de promotion mis en œuvre à Markham et certains éléments précis tirés de l’approche suivie à Halifax. C’est une condition préalable importante que d’informer les électeurs de la possibilité de voter par voie électronique et de leur expliquer la marche à suivre pour ce faire. L’effet très favorable ressenti à Markham sur le plan de la participation pourrait très bien être le résultat d’une vigoureuse campagne de promotion, et il en a probablement été de même à Peterborough, où les électeurs âgés avaient fait l’objet d’une campagne ciblée.

Le cas tout récent d’Halifax se prête à une étude particulièrement précieuse parce que les électeurs n’avaient pas à s’inscrire au préalable pour voter en ligne, un bouton « refus de voter » permettait aux électeurs de refuser un bulletin, il était possible de voter simultanément par téléphone et par Internet, les gens étaient en mesure de voter pendant toute la période électorale lors des dernières élections partielles, et les candidats pouvaient suivre en ligne la participation électorale, que l’électeur ait voté par Internet ou dans un bureau de vote traditionnel. Cet ensemble de caractéristiques avait pour but de réduire les obstacles au vote, de maintenir l’intégrité du processus électoral et d’accroître les possibilités de voter. Aussi, puisqu’il n’était pas nécessaire de s’inscrire au préalable, le vote à distance par Internet ou par téléphone gagnait toute son utilité.

Par ailleurs, en décidant d’offrir le vote par téléphone en plus de celui par Internet, Halifax a maximisé l’accessibilité au vote. Si la majorité des ménages d’un territoire donné a accès à Internet, la connexion peut être limitée dans de nombreuses zones rurales, et il est possible que certaines personnes soient incapables de se l’offrir faute de moyens financiers. L’installation de bornes Internet dans des endroits publics comme les centres commerciaux, les bibliothèques et les centres communautaires constitue un moyen de rendre le vote par Internet plus accessible à ces groupes démographiques, mais le vote par téléphone offre à ces électeurs la possibilité de voter à distance. Devoir se rendre à un lieu de vote électronique pourrait représenter un aussi grand obstacle que d’avoir à se déplacer jusqu’à un bureau de scrutin normal. De plus, le fait qu’Intelivote permette de changer de mode de transmission en cours de processus est un exemple d’accessibilité accrue et d’efficacité. Les modes de transmission multiples et interchangeables facilitent grandement l’exercice du droit de vote chez certains groupes d’électeurs, notamment ceux qui se trouvent à l’étranger, les professionnels à l’horaire chargé, le chefs de famille monoparentale ainsi que les personnes handicapées.

Il serait utile que les organismes électoraux canadiens élaborent certains objectifs, principes ou repères qui tiendraient compte des attentes des Canadiens en matière de vote électronique. Ceux-ci pourraient comprendre :

  • le maintien de l’intégrité du système électoral,
  • l’accroissement de l’accessibilité et de la commodité pour les électeurs,
  • la hausse du taux de participation électorale,
  • l’innovation et le maintien à la fois des traditions et des usages,
  • l’amélioration de la rapidité du dépouillement et de la communication des résultats,
  • le maintien ou l’amélioration du caractère inclusif du processus électoral,
  • la possibilité de répondre aux changements technologiques et d’attitudes de la société,
  • la préservation et l’augmentation de la transparence du système,
  • la possibilité de continuer à gagner la confiance du public et à la maintenir,
  • la garantie de la rentabilité.

Il serait avantageux, aussi, de poursuivre la recherche sur les logiciels, les protocoles de sécurité et les méthodes d’évaluation des risques.

Toutefois, au bout du compte, les essais et les projets pilotes représentent les seules façons de savoir ce qui fonctionne ou pas. L’essai de méthodes particulières fournit les meilleurs indices permettant de comprendre les critères à respecter pour que le vote par Internet soit une réussite au Canada, ainsi que les avantages et les inconvénients véritables des méthodes électroniques. Une élection partielle peut être un bon point de départ pour ce faire, mais il faudrait un essai à plus grande échelle avant d’introduire le vote par Internet partout au pays. Un essai régional, ou dans un regroupement de circonscriptions choisies, représentatives d’une région, constitue aussi une approche pratique pour un essai. On ne pourra offrir le vote à distance par Internet comme option viable pour tous les électeurs canadiens, en complément à la méthode de vote traditionnelle, qu’après avoir procédé à de telles expériences.

En particulier, les huit étapes ou facteurs de soutien qui sont décrits ci-après constituent des conditions préalables importantes de la mise au point d’une approche de vote par Internet.

Premièrement, il importe d’assurer l’accès. Il faut donc veiller à ce qu’un nombre suffisant de ménages disposent d’un ordinateur branché à Internet, tout en tenant compte des différences entre circonscriptions. L’égalité d’accès peut aussi exiger l’ajout de lieux publics de vote par Internet ou une accessibilité accrue à d’autres méthodes de vote là où le revenu familial est moins élevé, ou dans les zones rurales où la connectivité peut poser problème.

Deuxièmement, il doit y avoir une culture qui soutienne l’initiative. Il faut, à cet égard, un appui du gouvernement, des organismes électoraux, des partis politiques, des candidats et des électeurs. Pour assurer une mise en œuvre en douceur, il importe que toutes les parties touchées par le changement montrent leur soutien et qu’on donne suite aux préoccupations.

Troisièmement, il faut un cadre juridique qui appuie l’utilisation et la mise en œuvre des méthodes de vote électronique. Dans la plupart des cas, les essais canadiens ne pourront avoir lieu que si les parlementaires approuvent la méthode en question et, fort probablement, des mesures juridiques supplémentaires, si l’on souhaite que la méthode fasse partie intégrante du processus électoral canadien.

Quatrièmement, il faut absolument procéder à des recherches et à une évaluation approfondies des essais et des tests menés dans d’autres administrations, ainsi qu’à une analyse des résultats. Il serait utile de poursuivre l’étude des cas abordés dans le présent article pour déceler les caractéristiques particulières des meilleures méthodes, qui pourraient servir à élaborer un modèle au Canada.

Cinquièmement, il importe d’avoir une idée nette des repères et des exigences d’une nouvelle méthode de vote, particulièrement en ce qui concerne les attentes, parce qu’il en ressortira un cadre de travail qui permettra de trouver la méthode de vote électronique ou par Internet qui conviendra le mieux au processus électoral canadien.

Sixièmement, il semble important de se doter d’une campagne de promotion et d’information non seulement pour le lancement, mais pour le maintien fructueux d’une méthode de vote par Internet. En plus d’informer les électeurs sur les diverses méthodes de vote, on pourrait inclure de l’information sur l’importance du vote ou d’autres précisions au sujet des candidats et de leurs programmes électoraux.

Septièmement, des tests pratiques et progressifs semblent essentiels. Par essai progressif, on entend une introduction du vote par Internet dans des élections consécutives, où le nombre d’électeurs visés augmenterait d’une fois à l’autre, ainsi que l’importance perçue du scrutin.

Enfin, on recommande une évaluation appropriée des projets pilotes pour savoir si la méthode employée répond aux objectifs et si toutes les parties prenantes sont satisfaites du changement et de ses répercussions. Il faudra donc sonder les partis politiques, les candidats, les autorités électorales et les électeurs.

Un examen minutieux de la documentation sur le vote par Internet et sur les projets pilotes menés par de nombreuses administrations porte à croire que les positions extrémistes, tant positives que négatives, des répercussions du vote par cette méthode sont surévaluées. Le vote par Internet n’est pas la solution miracle aux causes sociales de la désaffection des électeurs, et il ne redressera pas non plus les attitudes négatives envers les entités politiques. Il permettra toutefois d’offrir plus de possibilités de voter et rendra l’expression des suffrages plus facile.

Par ailleurs, le vote par Internet n’est pas une menace à la démocratie, et les risques d’achat de votes et de fraude ne sont pas plus grands qu’ils ne le sont dans le système actuel. Internet changera sûrement le paysage politique du Canada, qu’il devienne ou non une méthode de vote, puisqu’il fait déjà sentir son influence sur les campagnes électorales, l’accès à l’information et l’administration des élections en général. Certaines inquiétudes bien fondées méritent notre attention et doivent être prises en considération dans la conception d’un modèle donné, mais le succès du vote par Internet dans d’autres administrations donne à penser qu’on peut mettre cette méthode en œuvre et qu’elle contribue effectivement à améliorer le processus électoral pour ses administrateurs et les électeurs.

Notes

1. Michael R. Alvarez et Thad E. Hall, Point, Click & Vote : The Future of Internet Voting, Washington, Brookings Institution Press, 2004.

2. Bryan Mercurio, « Democracy in Decline : Can Internet Voting Save the Electoral Process? », John Marshall Journal of Computer and Information Law, vol. XXII, no 2 (hiver 2004), p. 101-143.

3. Michael R. Alvarez et Thad E. Hall, op. cit.

4. Cette section se fonde en grande partie sur des entretiens et des communications personnelles avec :

Andrew Brouwer, vice-greffier, Ville de Markham;

Dennis Flaherty, gestionnaire, Communications stratégiques, Ville de Markham;

Nancy Wright-Laking, Bureau du greffier municipal, Ville de Peterborough;

Jennifer Sawatzky, vice-registraire de division, Ville de Peterborough;

Linda Grant, directrice du scrutin, Municipalité régionale d’Halifax;

Cathy Mellett, gestionnaire intérimaire, Bureau du greffier municipal, Municipalité régionale d’Halifax.

5. « 2003-2006 Election Cost Rebate and Election», Ville de Markham, 2007.

6. Adam Froman, président, Delvinia Interactive, entretien personnel, 2 octobre et 8 décembre 2009.

7. Kathleen Sibley, « Markham Voters Go From in Line to Online », itbusiness.ca, 12 novembre 2003.

8. Delvinia Interactive, Understanding the Digital Voter Experience : The Delvinia Report on Internet Voting in the 2006 Town of Markham Municipal Election, 2007.

9. CANARIE Inc., « Canada’s First Study on Internet Voting Proves Voters Want e-Democracy », communiqué de presse, 2 février 2004.

10. Ville de Peterborough, Award of P33-05 – Lease of Internet Voting Service and Vote Tabulators – 2006 Municipal Election, conseil municipal de Peterborough, 30 janvier 2006. Rapport FACLK06-002.

11. Nancy Wright-Laking, greffière, Ville de Peterborough, communication personnelle, 23 novembre 2009.

12. James Hoover, Dominion Voting Systems, communication personnelle, 27 août 2009.

13. Tim Bousquet, « iVote : Can Electronic Voting Save Democracy? », The Coast, 18 septembre 2008.

14. Dean Smith, président, Intelivote, entretien privé, 26 août 2009.

15. En 2004, un référendum sur l’ouverture des magasins le dimanche s’est tenu en même temps que les élections municipales, ce qui a accru la participation dans toutes les municipalités.

16. Dean Smith, président, Intelivote, entretien privé, 26 août 2009.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 33 no 3
2010






Dernière mise à jour : 2020-09-14