Revue parlementaire canadienne

Numéro courant
Région canadienne, APC
Archives
Prochain numéro
Guide de rédaction
Abonnez-vous

Recherche
AccueilContactez-nousEnglish

PDF
Participation électorale : le cas de Scarborough-Rouge River
Derek Lee, député; Ryan K. Powell

Au cours de la 40e élection générale, le 14 octobre 2008, la participation électorale au niveau national est tombée au plus bas niveau jamais enregistré, soit à 58,8 % des électeurs inscrits. Il s’agit d’une réduction de 5,9 points de pourcentage par rapport à la 39e élection générale. Le même phénomène s’est produit dans la circonscription de Scarborough–Rouge River; de fait, la participation électorale y a atteint un creux sans précédent de 47,5 %, le plus bas de Toronto et le dix-septième au pays. Pour la première fois dans l’histoire de la circonscription, plus de la moitié des électeurs inscrits n’ont pas voté. Le présent article porte sur les causes éventuelles de la faible participation électorale au pays en utilisant la circonscription de Scarborough–Rouge River comme modèle. Les auteurs proposeront quelques raisons expliquant un tel déclin.

La circonscription électorale fédérale de Scarborough–Rouge River représente un cas intéressant puisqu’il s’agit de la circonscription la plus peuplée de Toronto et que le nombre d’électeurs inscrits s’accroît constamment. Située dans la partie est de Toronto, au nord de l’autoroute 401, elle présente des caractéristiques qui la distinguent des autres grands centres urbains du pays. Quatre-vingt-neuf pour cent de ses habitants appartiennent à une minorité visible, 68 % sont des immigrants, et 23,6 % sont des jeunes, ce qui est élevé par rapport à la moyenne nationale, et les communautés asiatique du sud et chinoise réunies représentent 61 % de la population.

Le taux de participation de Scarborough–Rouge River à l’élection fédérale de 2008 a été comparé à ceux de Toronto, de l’Ontario et du Canada. Ce faisant, on a constaté que cette circonscription avait non seulement connu un taux de participation plus faible que ces trois entités, mais aussi occupé à ce chapitre le dernier rang parmi les 23 circonscriptions torontoises et l’avant-dernier parmi les 106 circonscriptions ontariennes. D’ailleurs, le taux de participation de Scarborough–Rouge River a été inférieur à ceux enregistrés au niveau tant municipal que national lors des sept dernières élections fédérales. Les données indiquent qu’avec la chute progressive du taux de participation, la différence en points de pourcentage entre celui de Scarborough–Rouge River et ceux de Toronto et du Canada continue de s’élargir à chaque élection. Pour établir quels bureaux de scrutin de la circonscription avaient enregistré les taux de participation les plus faibles, on a comparé le taux de participation de chacun à celui de Toronto dans son ensemble.

Participation des électeurs ayant entre 18 et 24 ans

Au Canada, les jeunes électeurs (électeurs inscrits ayant entre 18 et 24 ans) semblent être moins nombreux à aller voter ces dernières années. La constatation que le taux de participation des jeunes électeurs est inférieur à celui de leurs homologues plus âgés, commune à bon nombre d’études antérieures sur la participation électorale, a été confirmée par des études récentes. De plus, cette tendance semble se manifester dans presque toutes les démocraties établies où la question a été étudiée. Dans un sondage où l’on a interrogé le même nombre d’électeurs et de non-électeurs, on a constaté que le taux de participation à la 37e élection générale n’était que de 22,4 % chez les jeunes de 18-20 ans et de 25 % chez ceux de 18-24 ans. Comparativement au taux de participation élevé des électeurs de 58 ans et plus (81,5 %), celui des jeunes électeurs était inférieur de 36,2 points de pourcentage par rapport au taux de participation national (61,2 %) en 2000. Ainsi, lorsqu’on compare les électeurs de moins de 25 ans à ceux de 65 ans et plus, il y a un écart de 10 à 15 points de pourcentage entre ces deux groupes pour ce qui est de leur participation aux élections1.

Tableau 1
Participation des électeurs de Scarborough–Rouge River aux élections fédérales, 1988-2008

Année

Participation Rouge River
(en %)

Participation Toronto
(en %)

Participation nationale
(en %)

1988

72

75

75,3

1993

65,3

67,7

69,6

1997

62,1

66,1

67

2000

50,5

55,7

61,2

2004

51,1

59,5

60,9

2006

57

65

64,7

2008

47,5

56,4

58,8

Source : Élections Canada, Résultats d’élections antérieures, Scarborough–Rouge River, Résultats officiels du scrutin,
tableaux 4 et 11.

Pourquoi la participation électorale diminue-t-elle chez les jeunes? Les spécialistes en sciences sociales expliquent ce phénomène en se basant sur la théorie du cycle de vie, selon laquelle la tendance naturelle à voter augmenterait avec l’âge. Mais, en fait, les jeunes électeurs voteraient de moins en moins, surtout par rapport à ceux des générations précédentes. Ce déclin peut découler du fait que l’engagement civique est à la baisse chez les jeunes. Dans le présent contexte, l’engagement civique fait référence aux électeurs jouant un rôle actif dans la vie sociale et politique d’une communauté2. Les électeurs ont plus de chances de participer aux élections lorsqu’ils s’impliquent dans les activités politiques de leur collectivité. En d’autres mots, les citoyens actifs d’une collectivité s’intéresseront au processus politique, seront bien renseignés sur ce sujet et donc plus enclins à participer aux élections. Peut-être serait-il pertinent de vérifier si les jeunes jouent un rôle actif dans la vie sociale et politique de la circonscription avant de demander s’ils ont participé aux élections fédérales de 2008.

Cet effet générationnel était manifeste lorsqu’on a observé le comportement de l’électorat canadien durant les neuf élections générales qui se sont déroulées entre 1968 et 2000. De fait, on a constaté que la participation électorale moyenne était tombée à 67 % durant les trois élections tenues entre 1990 et 2000 après avoir atteint 74 % lors des six tenues avant 1990. Ce recul de sept points de pourcentage entre 1990 et 2000 pourrait être attribué à l’effet générationnel. En examinant sur plusieurs générations la propension d’une cohorte à voter, on a constaté qu’au même âge, le taux de participation de la génération du baby-boom (enfants nés entre 1945 et 1959) est inférieur de 2 ou 3 points de pourcentage à celui de la génération précédente (enfants nés avant 1945)3. Les générations subséquentes ont aussi manifesté cette tendance. Le taux de participation de la cohorte de la génération X (enfants nés durant les années 1960) a reculé de 10 points de pourcentage par rapport à la génération du baby-boom. La cohorte née depuis les années 1970 a elle aussi enregistré un recul de dix points de pourcentage par rapport à la génération X. En comparant la plus jeune génération à la plus vieille, on observe que la propension à voter fléchit de plus de 20 points de pourcentage pour la même tranche d’âge. La baisse de la participation électorale pourrait aussi résulter du remplacement générationnel. Les membres de la génération succédant à celle du baby-boom représentaient environ le quart (28 %) de l’électorat en 1988 et la moitié (49 %) en 2000. Inversement, les membres de la génération qui a précédé celle du baby-boom représentaient 35 % de l’électorat en 1988 et seulement 22 % en 2000. Par conséquent, les membres de la génération qui a succédé à celle du baby-boom deviennent de plus en plus nombreux et votent moins. Ici, il est raisonnable de conclure non seulement que les jeunes votent moins, mais aussi que chaque nouvelle génération vote moins que la précédente.

Les données indiquent aussi qu’on compte beaucoup sur les cohortes plus âgées pour maintenir le taux de participation à des niveaux acceptables. Invariablement, l’effet générationnel réduira le taux de participation global, une tendance qui risque de se maintenir. Il est certain que Scarborough–Rouge River n’est pas à l’abri de cette tendance, sa population ayant trois ans de moins que la médiane nationale. Les études effectuées en sciences sociales indiquent que le déclin du taux de participation chez les jeunes a un effet lors des élections fédérales, y compris dans Scarborough–Rouge River.

Accessibilité ou proximité des bureaux de scrutin

On définit l’accessibilité des bureaux de scrutin comme la facilité réelle ou perçue de s’y rendre le jour de l’élection. Dans la circonscription, il y a trois facteurs importants à prendre en considération à cet égard : la distance que les électeurs doivent parcourir, l’accès à un moyen de transport au besoin et l’emplacement des bureaux de scrutin, surtout s’il a changé depuis les élections fédérales, provinciales ou municipales précédentes.

Nous acceptons le principe suivant : plus le bureau de scrutin est éloigné, moins il est accessible. Ce principe ne s’appliquera peut-être pas dans les régions rurales, où les conditions sont très différentes de celles des régions urbaines. Par exemple, les électeurs des régions rurales pourraient généralement être prêts à faire de longues distances pour aller voter, disposer d’un véhicule et avoir moins besoin des transports en commun. Toutefois, ce principe s’appliquerait généralement aux électeurs des grands centres urbains qui pourraient être privés d’un véhicule, avoir besoin des transports en commun ou hésiter à aller voter la nuit tombée (surtout à l’automne). De plus, si le bureau de scrutin est trop loin pour s’y rendre à pied, ne se trouve pas dans un quartier familier, ou n’est pas desservi par un autobus, les électeurs seront peut-être moins enclins à aller voter. Nous croyons que bon nombre de ces facteurs ont pu jouer un rôle dans Scarborough–Rouge River en 2008.

Un pourcentage disproportionné d’électeurs de Rouge River qui travaillent doivent recourir principalement aux transports en commun pour les allers-retours entre leur domicile et lieu de travail, surtout les femmes. Dans Scarborough–Rouge River, c’est le cas de 27,7 % de la population active totale et de 37 % des travailleuses. Par contre, c’est le cas de seulement 11 % de l’ensemble de la population active du Canada. Puisqu’un nombre important de travailleurs habitant Scarborough–Rouge River utilise les transports en commun, on se demande si les électeurs auraient été dissuadés de voter parce que leur bureau de scrutin était trop loin ou situé dans un quartier peu familier ou mal desservi par les transports en commun. De fait, chacun de ces cas aurait pu représenter un inconvénient pour les électeurs qui votent habituellement après leur journée de travail.

L’accessibilité des bureaux de scrutin est un facteur qui pourrait aussi influencer le taux de participation des nouveaux immigrants et des migrants récents de la circonscription. Les migrants sont des personnes ayant déménagé qui lors du recensement vivaient dans une autre municipalité ou à l’étranger cinq ans plus tôt. Ces deux groupes seraient plus susceptibles de ne pas connaître l’emplacement de leur bureau de scrutin et pourraient avoir de la difficulté à le trouver, la nuit tombée, après leur journée de travail. Depuis 2001, 15 575 immigrants sont venus s’établir dans la circonscription, ce qui représente 8,4 % de sa population totale. De plus, 48 % des résidents de la circonscription vivaient ailleurs cinq ans plus tôt. Ce pourcentage représente 58 795 personnes; 33 % d’entre elles sont des non-migrants, c’est-à-dire arrivées d’un autre quartier de Toronto. Le manque de familiarité avec la ville pourrait décourager bon nombre de ces nouveaux immigrants ou résidents de chercher leur bureau de scrutin ou à s’y rendre le jour de l’élection, surtout s’il ne se trouve plus au même endroit ou dans leur quartier. D’après les données recueillies dans trois bureaux de scrutin de la circonscription, nous pouvons aussi avancer qu’en éloignant les bureaux de scrutin des quartiers résidentiels des électeurs, on a malheureusement réduit la probabilité que ces derniers aillent voter. Par ailleurs, certains électeurs peuvent ne pas savoir exactement où ce bureau se trouve, ce qui est pire que d’être obligés de parcourir une distance relativement longue pour se rendre au nouvel emplacement de leur bureau de scrutin, dans leur quartier ou dans un autre. Par conséquent, il est possible qu’au moins certains anciens électeurs et nouveaux résidents de Scarborough–Rouge River n’aient pas su où aller voter le jour de l’élection, du moins ceux dont le bureau de scrutin n’était plus dans leur quartier.

Il convient d’examiner un dernier facteur connexe relativement à l’accessibilité des bureaux de scrutin de Scarborough–Rouge River lors de la 40e élection générale : le déplacement de 23 d’entre eux depuis la 39e élection générale. Ce chiffre est très éloquent, puisque le faible taux de participation pourrait être attribué à l’accessibilité moindre des bureaux de scrutin. Par exemple, le no 402, qui a connu le taux de participation le plus faible (26 %), avait été déplacé d’une école, au 380 Goldhawk Trail, à une autre située dans un autre quartier, au 136 boulevard Ingleton. Il fallait parcourir 1,4 km de plus pour s’y rendre. En 2006, ce bureau avait enregistré un taux de participation qui dépassait de 10,8 points de pourcentage celui de 2008. On estime que les électeurs qui ne connaissaient pas le nouvel emplacement de leur bureau ou qui ne disposaient pas d’un moyen de transport pour s’y rendre auraient jugé qu’il ne s’agissait pas d’un emplacement commode et facile d’accès. Toutefois, selon Élections Canada :

À la 40e élection générale, les Canadiens disposaient d’une variété d’options pour voter et en des lieux accessibles et plus nombreux que jamais. […] Les électeurs se sont dits très satisfaits de l’administration de l’élection. Comme tels, les obstacles administratifs ne semblent pas avoir été un facteur dissuasif important même si, comparativement à la population générale, un plus grand nombre de jeunes électeurs les ont invoqués comme obstacles à leur vote4.

Contrairement à cette observation, le jour de la 40e élection générale, Scarborough–Rouge River comptait 23 bureaux de scrutin qui n’étaient pas très accessibles. En fait, environ 9 441 électeurs inscrits n’ont peut-être pas eu autant de chances de voter que les autres électeurs de la circonscription. Sur les 23 bureaux de scrutin déplacés pour la 40e élection, 21 ont été installés à 1 km d’où ils étaient lors de l’élection précédente. Notre conclusion est que plus un bureau de scrutin est éloigné, moins il est probable que les électeurs s’y rendront pour voter.

Ces vingt-trois déplacements de bureaux ont peut-être grandement influencé le taux de participation de Scarborough–Rouge River et pourraient expliquer en grande partie le recul de 9,5 points de pourcentage enregistré à ce chapitre par rapport à l’élection précédente. De plus, seize bureaux déplacés ont connu un taux de participation extrêmement faible, au moins quinze points de pourcentage de moins que celui de Toronto (56,4 %). Sur ces seize bureaux, dont le taux de participation était inférieur à 41,4 %, quatorze ont enregistré un recul d’au moins cinq points de pourcentage par rapport à l’élection de 2006. Dans d’autres circonscriptions, le déplacement de bureaux de scrutin a peut-être joué. Toutefois, il n’en a pas été ainsi dans Scarborough–Rouge River. Sur les seize bureaux où le taux de participation a été très faible (ceux qui avaient été déplacés), douze ont enregistré un taux de participation inférieur d’au moins dix points de pourcentage à celui de l’élection précédente. Par conséquent, on peut conclure, sans risque de se tromper, que le déplacement de plusieurs bureaux de scrutin à plus d’un kilomètre de leur emplacement initial, obligeant ainsi les électeurs à parcourir une plus grande distance pour s’y rendre, a contribué de façon significative à la participation électorale extrêmement faible dans ces bureaux5.

Désintérêt des électeurs pour la campagne et les résultats électoraux

Le présent rapport ne vise pas à quantifier l’intérêt des électeurs; il ne fait que proposer qu’un désintérêt des électeurs durant la campagne de la 40e élection générale a peut-être contribué à réduire le taux de participation électorale dans certaines circonscriptions. De fait, il s’agit de l’élection générale canadienne où le taux de participation a été le plus bas. Un tel recul pourrait s’expliquer en partie par une désaffection des électeurs. D’après les réactions communiquées après l’élection, les enjeux politiques n’étaient pas assez intéressants pour susciter l’enthousiasme des électeurs, notamment chez un grand nombre d’électeurs libéraux désenchantés qui ont tourné le dos à un chef non inspirant et à la taxe sur le carbone, politique controversée du Tournant vert6.

L’attention des électeurs de Scarborough–Rouge River lors de l’élection fédérale de 2008 a pu baisser aussi pour d’autres raisons. Ici, il est important de faire la distinction entre l’attention et l’apathie des électeurs. Cette dernière signifie que les électeurs ne s’intéressent à aucune forme de participation électorale. Par ailleurs, selon certains, le désintérêt des électeurs peut avoir plus d’une cause. Scarborough–Rouge River n’a pas nécessairement été la seule circonscription touchée par ce phénomène en 2008, mais il est possible d’en proposer deux causes distinctes. En plus du manque d’enthousiasme déjà évoqué, l’attention des électeurs a pu être réduite en raison de la candidature d’un député de longue date (vingt ans), toujours réélu à une majorité écrasante. Il faut reconnaître que ces deux facteurs auraient pu réduire l’attention des électeurs de n’importe quelle circonscription; toutefois, rares sont celles où les députés sont réélus à maintes reprises. Prenons par exemple la circonscription de Crowfoot, en Alberta, dont le candidat élu, un conservateur (Sorenson), se faisait réélire depuis longtemps à une forte majorité. Tout comme la circonscription de Scarborough–Rouge River, le taux de participation à l’élection de 2008 a chuté de 10 points de pourcentage par rapport à celle de 2006, passant de 64,8 à 54,9 %.

Il n’est pas nécessaire de passer en revue les principaux enjeux de l’élection de 2008 puisqu’ils étaient communs à toutes les circonscriptions. Toutefois, il serait intéressant de voir si la candidature d’un député sortant, toujours réélu à une forte majorité, pourrait contribuer à réduire progressivement la participation électorale dans la circonscription qu’il représente. À notre avis, un tel effet sur la participation électorale pourrait se produire puisque les électeurs d’un député réélu plusieurs fois d’affilée pourraient se dire qu’il n’a pas besoin de leur vote pour gagner encore une fois. Cette logique peut être bancale, mais si un candidat gagne habituellement par une majorité considérable, l’électeur peut estimer que son vote n’est pas important. Les circonscriptions de Scarborough–Rouge River et de Crowfoot ont eu de tels candidats, et les résultats des élections de 2006 et de 2008 semblent indiquer qu’il s’agit d’une explication pertinente.

Désintérêt pour les programmes ou chefs de parti

Le désintérêt pour les programmes ou les chefs de parti a pu décourager la population de Scarborough–Rouge River de voter en octobre 2008. D’après les résultats de l’élection, le recul du taux de participation dans la circonscription pourrait être attribué à une moindre participation des électeurs libéraux. Ce facteur expliquait presque à lui seul la réduction du nombre total de suffrages comptabilisés en 2008 par rapport à 2006. De 2006 à 2008, le nombre total de votes exprimés a reculé de 5 749, et le nombre de voix appuyant le candidat libéral, de 6 567, une différence de seulement 818 votes. Et, à l’inverse, en 2004, l’augmentation du nombre de votes pour le candidat libéral correspondait à peu près à celle du nombre total de suffrages enregistrés dans la circonscription.

De 2004 à 2006, le nombre de voix pour les libéraux a augmenté de 7 721 et le nombre total de votes exprimés, de 7 166. Dans une circonscription qui appuie le Parti libéral depuis 20 ans, comme le fait généralement la ville où elle se trouve, les variations de l’appui accordé au programme ou au chef du Parti semblent se manifester dans le taux de participation au scrutin. Essentiellement, les gens « voteraient avec leurs pieds » : ils vont voter quand ils sont inspirés par le programme ou le chef du Parti et s’abstiennent dans le cas contraire (plutôt que de changer d’allégeance politique). Le présent rapport ne vise pas à expliquer pourquoi au juste les électeurs libéraux auraient réagi ainsi au chef ou au programme politique libéraux.

Les votes que le candidat libéral a perdus en 2008 ne se sont pas répartis entre les autres partis. Les données indiquent plutôt que cette perte s’est traduite par une réduction du taux de participation global. Lors de la 40e élection générale, de 600 000 à 700 000 partisans du Parti libéral n’ont pas voté. En fait, dans tout le Canada, 851 525 libéraux de plus ont voté en 2006 par rapport à 2008. Cela signifie que la majorité des partisans du Parti libéral qui n’ont pas voté libéral en 2008 n’ont pas voté du tout, réduisant ainsi le taux de participation global à l’élection. Le même phénomène s’est produit à Scarborough–Rouge River.

Un examen des résultats électoraux de la circonscription de Wellington-Halton Hills, située dans la région du Grand Toronto, révèle qu’au cours des deux dernières élections, son taux de participation a évolué comme celui de Scarborough–Rouge River et peut-être pour la même raison. Le nombre de votes exprimés pour le député conservateur sortant en 2006 et en 2008 était généralement le même; mais le candidat libéral qui est arrivé deuxième en 2008 a obtenu 4 753 votes de moins que celui qui est arrivé deuxième en 2006. Le nombre total de votes exprimés en 2008 a baissé de 4 409 par rapport à 2006. Encore une fois, il est évident que le nombre de votes non obtenus par le candidat libéral équivaut à peu près à la baisse du nombre total de votes exprimés. Ainsi, les votes perdus par le candidat libéral indiquent peut-être que les électeurs ont exprimé leur désintérêt pour le programme ou le chef libéral en ne votant pas du tout.

Il en va de même pour Scarborough–Agincourt, circonscription dont le député de longue date est habituellement réélu à une très forte majorité. Il est clair que la baisse du nombre total de votes exprimés en 2008 par rapport à 2006 et celle du nombre de suffrages appuyant le candidat libéral sont presque égales. Le nombre total de votes exprimés lors de la 40e élection générale a baissé de 4 589 par rapport à la 39e, et le nombre de voix obtenues en 2008 par le député libéral sortant, de 5 270 par rapport à 2006. Peut-être que 681 votes se sont répartis entre les autres partis, mais encore une fois, force est de constater que des partisans libéraux ont montré leur désintérêt pour le programme ou le chef du Parti en s’abstenant.

Mobilité des électeurs

Selon des études effectuées dans le domaine des sciences sociales, le changement de lieu de résidence et les diverses conditions de logement peuvent avoir une incidence sur la participation électorale, ce qui signifie que le taux de participation des électeurs qui déménagent est plus bas que celui des électeurs qui restent où ils sont7. Deux raisons pourraient expliquer cette constatation : la mobilité résidentielle et la mobilité communautaire. L’électeur qui déménage au sein de sa communauté va probablement voter de façon à ne pas briser ses liens sociaux et politiques, mais celui qui change de résidence et de communauté les a brisés et aura donc moins tendance à voter :

Un déménagement perturbe les réseaux sociaux d’information et de soutien politique; il est donc moins intéressant et motivant pour la personne concernée de voter et finalement de participer au scrutin. Dialoguer simplement avec d’autres sur des questions politiques permet de se renseigner et se soutenir mutuellement davantage, mais les nouveaux résidents n’ont pas autant d’occasions de dialoguer que les résidents établis8.

Dans son étude sur le taux de participation des personnes ayant déménagé, M. Highton a comparé la mobilité résidentielle à la mobilité communautaire pour évaluer l’incidence de chacune sur la participation électorale. Il a constaté que le taux de participation de ceux qui demeurent dans leur résidence pendant au moins dix ans dépasse de 14 points de pourcentage le taux de participation de ceux qui y demeurent pendant au plus deux ans. De plus, les gens qui déménagent doivent rétablir leur identité politique, surtout en s’inscrivant pour voter. Selon les observations de M. Highton, tous ceux qui déménagent sont conscients du fait qu’ils doivent s’inscrire pour voter, mais seulement certains [ceux qui changent de communauté] vivent la rupture de leurs liens sociaux.

Selon Statistique Canada, entre 2001 et 2006, 48 % de la population de la circonscription de Scarborough–Rouge River était composée de personnes ayant déménagé. Exactement 69 % d’entre elles étaient des non-migrants – elles avaient changé d’adresse, mais habitaient la même municipalité qu’un an plus tôt. Il se peut que certaines d’entre elles aient changé de lieu de résidence au sein de la circonscription, mais il est plus probable que la plupart des 40 565 non-migrants ayant déménagé venaient d’ailleurs (mais par définition de la même municipalité). Si c’est le cas, la mobilité communautaire a certainement pu avoir une incidence sur la participation électorale de la circonscription compte tenu du nombre de nouveaux venus et du nombre de personnes qui ont changé de lieu de résidence dans la circonscription.

D’après les résultats d’une étude à laquelle ont participé des électeurs américains, le taux de participation des répondants qui avaient vécu pendant au plus deux ans à la même adresse était de 48 %, alors que celui des répondants qui avaient vécu à la même adresse pendant au moins six ans était de 60 %. M. Squire et ses collègues ont constaté que le déménagement a un effet considérable et statistiquement significatif sur la participation électorale lorsque toutes les autres variables sont contrôlées9.

En ce qui concerne l’incidence des conditions de logement à court terme sur la participation électorale, comme dans le cas des locations au mois et des maisons de chambres, on estime que globalement ceux qui louent leur logement voteront moins que ceux qui en sont propriétaires. Selon une étude de l’élection nationale américaine qui définissait les caractéristiques des personnes ayant déménagé, la plupart des personnes définies comme telles (54 %) et qui vivaient à leur adresse actuelle depuis moins de deux ans étaient locataires. Cette donnée a d’ailleurs expliqué leur taux de participation plus faible, puisqu’on a constaté que le taux de participation des propriétaires est plus élevé que celui des locataires. On estime aussi que ceux qui vivent dans un immeuble d’habitation et paient un loyer ont moins tendance à voter que ceux qui vivent dans une maison. Dans la circonscription, tout indique qu’un pourcentage significatif d’électeurs vit dans une maison ou un sous-sol convertis en maison de chambres – maisons qui comptent un plus grand nombre de pièces et de locataires par pièce. Le taux de logements dans Scarborough–Rouge River comptant plus d’une personne par pièce est de 7,4 %, soit six points de pourcentage de plus que dans l’ensemble du Canada. Dans ces cas, on est d’avis que les propriétaires de ces logements sont inscrits en tant qu’électeurs, mais pas nécessairement les locataires puisqu’ils déménagent souvent.

Électeurs travaillant à leur compte ou pour un employeur et qui ont un horaire de travail chargé

Comme beaucoup de circonscriptions, Scarborough–Rouge River compte une classe d’électeurs travaillant à leur compte ou pour un employeur et qui doivent décider s’ils s’absenteront du travail ou de leur entreprise pour aller voter. Pour ces électeurs, le vote serait une situation dont il faut évaluer le rapport coûts-avantages. MM. Dyck et Gimpel (2005) discutent du déclin de la participation électorale et de la nature de l’abstention en termes de rapport coûts-avantages10. La décision de voter ou non comporte-t-elle des coûts? Selon la théorie du choix rationnel, il s’agit en effet d’une décision fondamentale, basée sur ses coûts et avantages. Un électeur évalue l’avantage que représente pour lui le fait de voter en multipliant celui qu’il compte tirer s’il obtient le résultat qu’il souhaite (son parti gagnera) par la probabilité que son vote soit déterminant. Du résultat, l’électeur soustrait ce que son vote lui coûtera. Si la différence est positive, il vote, si elle est négative, il ne vote pas.

Examinons certains coûts et avantages pour un électeur de Scarborough–Rouge River en nous fondant sur une connaissance pratique de cette circonscription. Supposons qu’un électeur souhaite avant tout que le parti qu’il appuie gagne l’élection. Supposons également qu’il vote après le travail avant la fermeture des bureaux de scrutin et que, ce faisant, il a le sentiment que son parti gagnera et que son vote pourrait être un des votes décisifs qui lui permettra d’obtenir le résultat qu’il souhaite. Si ces deux facteurs représentent un coût moins élevé que l’abstention, il y a de fortes chances que l’électeur vote. Toutefois, il arrive parfois que le coût soit réel, auquel cas l’électeur aura moins tendance à voter. Selon certains, même si un électeur croit que son parti gagnera et que son vote sera décisif, il pourrait ne pas aller voter s’il travaille tard le jour de l’élection, que ce soit pour un employeur ou pour lui-même. Dans ces cas, son vote lui coûte trop cher puisqu’il est obligé de renoncer à une partie de sa paye ou de fermer son entreprise plus tôt que d’habitude pour aller voter. Il s’agirait d’un facteur de participation important dans la circonscription, vu le grand nombre de travailleurs et d’entrepreneurs immigrants (67 %) établis dans les quartiers asiatiques et sud-asiatiques, où beaucoup de commerces ouvrent au milieu de la matinée et ferment au milieu de la soirée (comme les bureaux de scrutin). À notre avis, ce facteur intervient dans la participation électorale, mais il n’est pas clair dans quelle mesure il le fait.

Nouvelles exigences d’identification de l’électeur

C’est à l’occasion de l’élection générale de 2008 que l’on a imposé, pour la première fois, des règles d’identification rigoureuses à l’électorat. Beaucoup d’électeurs n’ont pu voter faute d’avoir présenté les bonnes pièces d’identité. Malheureusement, on n’en a pas consigné le nombre. Trois options s’offraient à l’électeur qui devait prouver son identité : il pouvait fournir une pièce d’identité originale, délivrée par un organisme gouvernemental, sur laquelle figuraient sa photo, son nom et son adresse; si cela lui était impossible, il pouvait présenter deux pièces d’identité originales, toutes deux indiquant son nom et l’une d’elles son adresse; sinon, il devait être accompagné par un autre électeur qui était inscrit sur la liste électorale de la même section de vote, qui présentait les pièces d’identité acceptées et qui, une fois ces conditions remplies, répondait de lui par une déclaration sous serment devant le directeur du scrutin. Selon le Rapport sur les évaluations de la 40e élection générale, ces nouvelles exigences représentaient un changement important pour la population canadienne.

On peut certainement se perdre en conjectures sur l’incidence des nouvelles exigences d’identification de l’électeur sur la participation électorale. Scarborough–Rouge River est une circonscription qui compte une très forte proportion d’immigrants (68 %), dont un certain pourcentage qui votait peut-être pour la première fois. Étant également une circonscription qui compte une forte population de jeunes, il ne fait aucun doute que beaucoup de nouveaux électeurs étaient des jeunes. On peut supposer que les électeurs empêchés de voter le jour de l’élection votaient pour la première fois. De plus, la majorité des nouveaux électeurs auraient probablement fait partie de la catégorie des jeunes ou de celle des nouveaux immigrants. Nous ne suggérons pas nécessairement que les règles d’identification ont découragé beaucoup d’électeurs potentiels de voter, mais nous sommes d’avis que les électeurs qui ont été empêchés d’exercer leur droit de vote auraient fait partie d’importantes composantes de l’électorat de Scarborough–Rouge River. Les nouveaux immigrants (15 575) et les jeunes (13 700) représentent 22 % de la population totale de la circonscription (130 555 personnes) et 29 % de la population adulte en âge de voter (99 765 personnes). Par conséquent, comme un nombre inconnu d’électeurs ont été empêchés de voter faute d’avoir satisfait aux exigences d’identification, si un nombre significatif d’entre eux était des jeunes ou des immigrants, ces deux groupes étant probablement aussi de nouveaux électeurs peu renseignés sur le processus électoral, alors les nouvelles exigences d’identification de l’électeur auraient eu une incidence négative sur le taux de participation.

Selon le Rapport sur les évaluations de la 40e élection générale, publié par Élections Canada, 94 % des électeurs ainsi que 92 % des abstentionnistes savaient qu’ils devaient prouver leur identité. Ceux ayant seulement un diplôme d’études secondaires (91 %) ou dont le revenu familial était de 20 000 $ ou moins (91 %) étaient un peu moins informés. L’obligation de présenter une preuve d’adresse était moins connue (85 %) que celle de prouver son identité. Sur le plan régional, les résidents des provinces de l’Atlantique (78 %), du Manitoba et de la Saskatchewan (79 %), ainsi que ceux des régions rurales (80 %), étaient moins informés que la moyenne. Parmi les Autochtones, 84 % pour l’ensemble, 82 % de ceux vivant en région rurale et 78 % de ceux qui n’ont pas voté étaient au courant de la nouvelle exigence. Ces données récentes laissent entendre que la majorité des Canadiens vivant dans les grands centres urbains auraient été mis au courant des changements. Toutefois, elles n’indiquent pas dans quelle mesure les nouveaux immigrants ou les jeunes et les nouveaux électeurs l’auraient été.

Notes

1. Voir Jon Pammett et Lawrence LeDuc, « Pourquoi la participation décline aux élections fédérales canadiennes : un nouveau sondage des non-votants » (Élections Canada : 2003) p. 1, http://www.elections.ca/content.asp?section=loi&document=index&dir=tur/tud&lang=f&textonly=false, consulté le 27 août 2009.

2. Deitland Stolle et Cesi Cruz, « Engagement civique des jeunes Canadiens et ses répercussions sur les politiques gouvernementales » dans Le capital social à l’œuvre – Études thématiques sur les politiques (2005), p. 90, consulté le 28 août 2009, http://www.policyresearch.gc.ca/doclib/BK_SC_ThematicStudies_200509_f.pdf.

3. André Blais dans l’article de Jon Pammett et Lawrence LeDuc, op. cit.

4. Directeur général des élections du Canada, « Rapport sur les évaluations de la 40e élection générale du 14 octobre 2008 » (Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada : Ottawa 2009), p. 9, consulté le 28 août 2009, http://www.elections.ca/loi/res/40eval/evaluation_f.pdf.

5. Une étude effectuée dans le comté de Clark, dans l’État du Nevada (Région métropolitaine de Las Vegas), et semblable à Scarborough–Rouge River montre que la distance à parcourir pour se rendre au bureau de scrutin peut nuire à la participation électorale. Voir Joshua Dyck et James Gimpel, « Distance, turnout, and the convenience of voting », dans Social Science Quarterly, vol. 86, no 3, (2005), p. 531. http://www.polsci.buffalo.edu/contrib/faculty_staff/documents/dyck/dyckDistanceTurnoutVoting.pdf, consulté le 27 août 2009.

6. Andrew Heard, « Historical Voter Turnout in Canadian Federal Elections – 1867-2008 » (Simon Fraser University : 2008) p. 1, dernière mise à jour du site en 2008, consulté le 27 août 2009 http://www.sfu.ca/~aheard/elections/historical-turnout.html.

7. Benjamin Highton, Residential Mobility, Community Mobility and Electoral Participation (2000), p. 116.

8. Craig L. Brians, « Residential Mobility, Voter Registration, and Electoral Participation in Canada », dans Political Research Quarterly, vol. 50, no 1 (Web : 1997) p. 217, http://www.jstor.org/stable/pdfplus/449036.pdf.

9. Peverill Squire, Raymond Wolfinger et David Glass, « Residential Mobility and Voter Turnout » dans American Political Science Review, vol. 81, no 1 (1987) p. 52.

10. Voir Joshua Dyck et James Gimpel, « Distance, turnout, and the convenience of voting », dans Social Science Quarterly, vol. 86, no 3, (2005), p. 531.

Derek Lee est le député de Scarborough–Rouge River. Ryan Powell travaille dans le bureau de ce député. L’article qui suit est une version abrégée de l’original, qui se trouve à www.derekleemp.ca.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 33 no 1
2010






Dernière mise à jour : 2020-09-14