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Johnathan Malloy

Parliamentary Democracy in Crisis Sous la direction de Peter Russell et Lorne Sossin, Toronto, University of Toronto Press, 2009

La crise politique de la fin de 2008 a marqué ce qui a peut-être été la plus longue semaine de l’histoire de la vie politique canadienne. Il n’y a pas si longtemps de cela et voilà que, déjà, nous disposons d’une étude théorique complète de ces événements incroyables.

Intitulé Parliamentary Democracy in Crisis et paru sous la direction de Peter Russell et Lorne Sossin, le nouvel ouvrage est un recueil de textes qui arrive à point nommé et présente des argumentations solidement étayées sur tous les aspects de la crise. Seize experts chevronnés de la politique et de la Constitution canadiennes abordent l’ensemble des facettes des événements de décembre 2008.

La gouverneure générale a-t-elle pris la bonne décision? À quoi ressemblerait un gouvernement de coalition? Pourquoi tant de Canadiens ont-ils estimé que personne ne pourrait remplacer le gouvernement conservateur « élu »? Ces questions et bien d’autres encore sont passées au crible dans cet ouvrage, avec une profondeur et une perspicacité qui font défaut au moment où une crise fait rage.

L’un des principaux thèmes de ce livre est que les événements de décembre sont l’aboutissement de pressions qui s’accumulaient depuis un certain temps et que, comme l’écrit Gary Levy, cette crise n’est pas apparue du jour au lendemain. Des gouvernements minoritaires, le changement et le roulement au sein des partis politiques, et des délibérations de plus en plus polarisées au Parlement : tous ces facteurs ont engendré des tensions et des pressions nouvelles à l’intérieur du régime parlementaire.

Depuis 2004, nous avons vu des votes saisissants à propos de motions de confiance, la politique constante du bord du gouffre pratiquée par les chefs de parti, de nouvelles propositions relatives au Sénat, le changement d’allégeance de députés bien en vue et un sentiment répandu de paralysie des comités de la Chambre, sans parler de trois élections générales. Le système s’est trouvé tiraillé dans tous les sens, jusqu’à de nouveaux extrêmes. Mais, de l’avis des rédacteurs en chef et d’au moins certains auteurs, « en dernière analyse, le système a fonctionné » (titre du chapitre de David Cameron) et notre régime parlementaire a donné la preuve, une fois de plus, de son essentielle durabilité.

L’ouvrage s’efforce de réduire le déficit du savoir (xiv) et nous présente des exposés savants, mais accessibles, sur les institutions constitutionnelles et parlementaires canadiennes. Un constat préoccupe beaucoup les divers auteurs, à savoir que la crise a fait apparaître à quel point de nombreux Canadiens ne sont pas au courant ou sont dangereusement mal informés de nos institutions et de leurs conventions. Le gouvernement n’est pas « élu » directement par les Canadiens. Les gouvernements de coalition ne sont ni illégaux, ni sans précédent au Canada. Les auteurs font des mises en contexte et nous communiquent des informations de base et des analyses qui dissipent une grande partie de la confusion. Le compte rendu de la crise, sous la plume de Michael Valpy, est particulièrement utile; il nous aide dès maintenant à nous souvenir exactement de ce qui s’est vraiment passé et il continuera de le faire à l’avenir.

Cela ne veut pas dire que les auteurs ont tous la même ligne de pensée. En particulier, on trouve dans l’ouvrage un débat animé sur la question clé de savoir si la gouverneure générale a pris la bonne décision. C.E.S. Franks fait valoir qu’indépendamment du bien-fondé de la demande de M. Harper, le refus de la prorogation risquait de déchirer le pays de multiples façons. La gouverneure générale a soupesé ses options et, au bout du compte, elle a pris la bonne décision.

Mais, selon Andrew Heard, « la gouverneure générale n’était pas liée par son devoir normal d’agir en fonction de l’avis du premier ministre », lequel avis était « inconstitutionnel »(55). L’auteur affirme que le fait d’accorder la prorogation a établi un précédent dangereux en vertu duquel des premiers ministres, à l’avenir, pourront revendiquer leur droit de suspendre le Parlement à tout moment, pour quelque raison que ce soit(60). D’autres auteurs ne contestent pas nécessairement la décision vice-royale, mais Jean Leclair et Jean-Francois Gaudreault-DesBiens soutiennent que la crise montre la nature potentiellement « fragile » de l’institution(117), tandis que Sossin et Adam Dodek proposent un processus plus transparent, dans le cadre duquel les gouverneurs généraux pourraient justifier leurs décisions par écrit plutôt que de garder le silence.

S’agissant d’un gouvernement de coalition, les divers auteurs estiment, à l’unanimité, que la formule est fondamentalement légitime, mais ils sont divisés à l’égard de la proposition précise des libéraux et des néo-démocrates. Lawrence LeDuc et Graham White font tous deux remarquer que les coalitions sont pratiquement la norme dans de nombreuses démocraties parlementaires et qu’elles peuvent être très stables et démocratiques. En fait, White fait valoir qu’une coalition aurait fort utilement secoué la démocratie parlementaire canadienne, la faisant avancer « au-delà du statu quo insatisfaisant qui immobilise et castre le Parlement depuis beaucoup trop longtemps […] y a-t-il quelqu’un qui pense sérieusement que le Parlement fonctionne encore? » (150-151). Pour sa part, Grace Skogstad attire l’attention sur le déséquilibre régional et sur l’absence du parti qui a recueilli le plus de voix aux dernières élections générales, et elle soutient que l’indignation exprimée, particulièrement par de nombreuses personnes de l’Ouest, « ne devrait pas être interprétée comme un rejet de tous les gouvernements de coalition »(164).

Au bout du compte, les auteurs sont tous préoccupés par le fait que la crise a laissé trop de questions en suspens. Pour reprendre les mots de Peter Russell, « l’absence d’un consensus politique sur les principes fondamentaux de notre constitution fait planer une grave menace sur la stabilité de notre démocratie parlementaire »(148). Les auteurs s’inquiètent particulièrement des arguments de M. Harper et de ses conseillers, voulant que la coalition était illégitime et que, on ne sait trop comment, les Canadiens avaient élu directement un premier ministre et un gouvernement. D’un autre côté, fait remarquer Russell, la crise et les discussions nous permettent « de sortir du grenier ces conventions constitutionnelles non écrites et insaisissables […] et de voir si l’on peut en fixer la teneur pour qu’elles fassent consensus et soient accessibles à la population »(148). Ce ne sont pas tous les auteurs qui sont d’accord sur la possibilité de fixer le sens de ces conventions, mais nombreux sont ceux qui pensent qu’il faut en faire plus pour expliquer et faire comprendre les rouages de notre système de monarchie constitutionnelle et de gouvernement parlementaire.

Tel est précisément l’apport de cet ouvrage. Nous ne pouvons, par manque d’espace, énumérer tous les auteurs ni tous les chapitres, mais ce thème saura intéresser particulièrement les lecteurs de la Revue parlementaire canadienne. La diversité des sujets fait que chacun y trouvera son compte (même si tout le monde devrait s’intéresser à chacun des chapitres!). Cet ouvrage réjouira particulièrement les enseignants. Avant même que la crise n’éclate, nous étions gravement à court d’études à jour sur la charge de gouverneur général ou sur les gouvernements de coalition. Cet ouvrage constitue un recueil de textes très précieux. Les rédacteurs en chef, auteurs et éditeur méritent nos louanges pour avoir produit aussi rapidement un ouvrage aussi important et éclairant sur une des semaines les plus mémorables de la vie politique canadienne.

Jonathan Malloy
Département de science politique
Université Carleton


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 32 no 2
2009






Dernière mise à jour : 2020-09-14