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Aamir Taiyeb
La présidence est
une fonction ancienne et vénérable. On a beaucoup écrit au sujet de la
présidence à Westminster, là où cette charge, tout comme la plus grande part de
la tradition parlementaire du Canada, trouve son origine. Toutefois, la charge
de président au Parlement britannique n’est pas la même que celle qui est
assumée au Parlement canadien, tout comme elle diffère aussi quelque peu dans
chacune des treize assemblées législatives des provinces et territoires. Le
présent article porte sur certains aspects de la charge de président en Ontario,
notamment sur l’élection du président, le rôle du président à la Chambre, le
rôle de président comme représentant de l’Assemblée législative, et l’importance
de sa personnalité. Ce faisant, il essaie de nous faire mieux comprendre le rôle
du « primus inter pares » en Ontario.
Tout récemment, en mai 2008, dans un rapport intitulé
L’ancien redevient actuel : Observations sur la réforme parlementaire,
Thomas Axworthy a recommandé que le président de la Chambre des communes utilise
davantage son « prestige moral » pour influer sur le bon fonctionnement et
l’efficacité des travaux de la Chambre. Il exhorte également le président à
profiter de son autorité pour mettre fin aux impasses au sein des comités
parlementaires1. On peut donc en conclure que la présidence jouit
toujours d’une grande estime partout au Canada. Il est également significatif
que l’autorité du président, du moins au palier fédéral, découle directement de
la Constitution. En effet, l’article 46 de la Loi constitutionnelle de 1867
précise que « l’orateur présidera à toutes les séances de la Chambre des
communes ».
De même, la Loi sur l’Assemblée législative de
l’Ontario autorise le président à jouer divers rôles importants, y compris celui
de chef du Bureau de l’Assemblée. En Ontario, selon le protocole, le président
vient au quatrième rang de l’ordre de préséance, derrière le
lieutenant-gouverneur, le premier ministre et le juge en chef. Tout au cours de
l’histoire de cette province, les présidents ont exercé une influence
considérable sur la destinée des institutions les plus importantes de l’Ontario.
L’élection du président
Le processus d’élection du président est prévu dans le
Règlement, c’est-à-dire dans les règles de procédure qui régissent les
délibérations de l’Assemblée législative de l’Ontario. Selon l’article 3 du
Règlement, le greffier préside l’élection et le vote se fait au moyen d’un
scrutin secret. Le candidat qui a obtenu le plus grand nombre de voix est
déclaré vainqueur par le greffier.
Il n’existe pas de données officielles sur les campagnes des
candidats à la présidence en Ontario. On peut penser que la charge de président
et celle de ministre sont de même niveau, mais les députés ne peuvent toutefois
pas faire campagne pour accéder au Cabinet, comme c’est le cas pour la
présidence. Tout député peut faire campagne pour être président tant qu’il ne
siège pas au Conseil exécutif ou qu’il n’est pas chef d’un parti reconnu à la
Chambre. La présidence est peut-être prisée en raison des privilèges rattachés à
cette charge (un appartement dans l’édifice de l’Assemblée législative à Queen’s
Park et un salaire plus élevé) ou encore parce que le président jouit d’une
influence et d’un respect considérables à la Chambre. Peu importe la ou les
raisons qui poussent les députés à briguer ce poste, il est significatif que
cinq d’entre eux aient tenté leur chance après l’élection générale de 2007.
Chacun d’entre eux a d’ailleurs essayé d’influencer d’une manière ou d’une autre
le choix de ses collègues. Par exemple, Ted Arnott, député de
Wellington—Halton Hills, a envoyé une lettre de style électoral à tous les
députés, dans laquelle il exprimait, entre autres, son désir de rehausser le
décorum à la Chambre2. Les autres candidats, eux, se sont entretenus
individuellement avec leurs collègues députés.
L’ancien président David Warner a rapporté que, pendant la
campagne à la présidence de 1985, tous les candidats avaient été autorisés à
s’adresser à chacun des caucus des partis pour promouvoir leur candidature en
personne3. M. Warner a même fait des démarches auprès de ses
collègues dans les corridors, ou bien attablé devant un café à l’Assemblée. Bien
que la procédure officielle n’ait pas changé depuis 1985, l’approche actuelle
des candidats, elle, semble être beaucoup plus discrète.
La plupart des répondants étaient d’accord avec l’énoncé
suivant ou ne se sont pas prononcés à ce sujet : « Les candidats font souvent du
lobbying auprès de leurs collègues pendant l’élection ». Par ailleurs, tous les
répondants ont convenu qu’« on ne devrait pas permettre aux candidats de faire
du lobbying auprès de leurs collègues en raison la possibilité de conflits
d’intérêts. » Toutefois, la question la plus intéressante est peut-être la
dernière de cette section : « En général, l’élection du président est juste,
ouverte et transparente. » Deux répondants se sont dits en désaccord avec cet
énoncé.
L’élection du président
|
Énoncé
|
Tout à fait d’accord/D’accord
|
Ne sais pas
|
En désaccord/En total désaccord
|
Les candidats font souvent du lobbying auprès de leurs
collègues pendant l’élection
|
84 %
|
8 %
|
8 %
|
On ne devrait pas permettre aux candidats
de faire du lobbying en raison de la possibilité de conflits d’intérêts
|
100 %
|
0
|
0
|
En général, l’élection du président est
juste, ouverte et transparente
|
70 %
|
15 %
|
15 %
|
Certains répondants ont insinué, sans toutefois apporter de
preuve concrète, qu’il était arrivé que le Cabinet du premier ministre s’ingère
dans l’élection du président. Les anciens présidents Gary Carr et Chris
Stockwell semblent avoir été victimes d’un tel procédé; peut-être s’agit-il là
d’un vestige malheureux des temps passés, alors que le choix du président
revenait presque entièrement au premier ministre.
À Westminster, le processus électoral a évolué au fil des
ans. À moins qu’il n’ait agi de façon inacceptable ou aberrante, le président
est habituellement réélu sans opposition. Bien entendu, il doit se porter
candidat à l’élection générale et remporter la victoire, mais, même là, la
tradition veut que les partis ne présentent pas de candidats dans la
circonscription du président en exercice. Ainsi, on assure une certaine
continuité et on transcende la partisannerie et les partis politiques. Selon
certaines personnes interviewées dans le cadre de la présente étude, l’Ontario
n’a tout simplement pas atteint la maturité voulue pour adopter cette pratique
toutefois au Canada, Lucien Lamoureux s’est présenté deux fois comme candidat
indépendant et a été élu sans qu’aucun des principaux partis politiques ne
présente de candidat. Selon l’ex-vice-président de la Chambre des communes
Marcel Danis, :
Lucien Lamoureux a semé des idées nouvelles qui
pourraient bien s’ancrer un jour dans notre tradition
parlementaire : d’abord, il a inauguré la notion de continuité de la
présidence; ensuite, à partir de là, il a émis l’idée qu’un [p]résident qui
cherche à se faire réélire à une élection générale devrait mener sa campagne
en dehors de l’arène des partis politiques4.
Peu importe la valeur de chacun de ces
arguments, en Ontario, le vent du changement fera peut-être évoluer cette
fonction sacrée dans cette direction. Le sondage contenait une question ouverte
sur le rôle du président à l’extérieur de la Chambre. Voici certaines des
réponses obtenues :
Un président capable de rassembler les députés est
efficace; pour ce faire, il pourrait organiser des soupers avec les
députés, etc.
Faites savoir à vos électeurs que vous êtes encore
leur représentant. Participez aux activités quotidiennes de Queen’s
Park : p. ex. l’administration, les soupers hebdomadaires avec les
députés. Il est important d’être disponible pour les députés et leur
personnel.
Un bon administrateur. Un diplomate affable.
Quelqu’un de présent sur la scène internationale pour améliorer la
réputation de notre pays.
S’intéresser vivement au fonctionnement et à la
mission des institutions représentatives/parlementaires, bien les
comprendre et accepter de transmettre ces connaissances, de façon
captivante, avec ceux qui s’y intéressent.
Le président doit être impartial dans ses
commentaires; ne pas faire de commentaires devant les médias, notamment
au sujet des députés de tous les partis lors d’activités, de cérémonies
ou de soupers qu’il organise ainsi que lorsqu’il est à la tête d’une
délégation à une conférence.
Un intérêt pour les questions et la procédure
parlementaires ainsi qu’un désir de faire valoir les principes du
parlementarisme et de favoriser l’échange d’idées et de pratiques.
Participer activement et visiblement aux activités
éducatives, cérémoniales et communautaires; défendre efficacement les
dossiers de sa circonscription, mais de façon à ne pas compromettre son
impartialité à la Chambre.
Posséder certaines qualités personnelles comme avoir
une excellente écoute, se soucier de la collectivité, être accessible,
respecter la diversité culturelle, être irréprochable sur le plan moral,
être modeste et avoir un style de vie sain et positif. Posséder une
certaine expérience professionnelle et politique, notamment connaître
comment sont prises les décisions politiques, comprendre le processus et
savoir comment et quand le président peut exercer une influence sur les
décisions qui touchent ses électeurs tout en travaillant en coulisse.
Éprouver un grand respect pour l’institution et être conscient des
objectifs et des aspirations des députés constituent également des
atouts.
Connaissance de base des politiques gouvernementales
et des groupes d’intérêt — mais son influence globale est très limitée.
Très bien comprendre le fonctionnement de l’Assemblée
et à quel point il est important que celle-ci soit indépendante de
l’exécutif. C’est crucial pour vraiment travailler dans l’intérêt de
l’institution.
Paraître bien informé, avoir confiance en soi et être
impartial.
Concilier les
besoins de l’opposition et ceux du gouvernement
Le rôle de président est essentiel dans notre système :
Indépendamment de la taille et de la composition d’une
assemblée, tous les présidents demeurent les ultimes responsables du
maintien d’un équilibre entre deux principes fondamentaux de la démocratie
parlementaire : la majorité a le droit de mener ses travaux d’une manière
ordonnée et la minorité a le droit de se faire entendre. Cette
responsabilité confère au président un rôle de premier plan dans notre
régime de nature parlementaire5.
Le président a donc l’ultime
responsabilité de répondre à la fois aux besoins de l’opposition et à ceux du
gouvernement à la Chambre. Le tableau qui suit résume les réponses aux questions
du sondage.
La première question avait pour but de déterminer si les
présidents étaient perçus comme étant partiaux lorsqu’ils appliquaient le
Règlement. Or, aucun des répondants ne semblait être de cet avis. Les présidents
sont aussi généralement perçus comme étant plutôt dépendants de l’aide des
greffiers en matière de procédure parlementaire. Il est toutefois important de
souligner que tous les présidents qui ont rempli le sondage croyaient qu’ils
avaient une assez bonne compréhension des règles de la Chambre. La troisième
question, qui portait sur la « pertinence » des questions débattues à la
Chambre, avait été conçue afin de savoir si les répondants croyaient qu’il
s’agissait d’un aspect important de la charge de président. Les sondés
semblaient croire en très grande majorité que c’était le cas, peut-être parce
que le règlement de bon nombre de législatures permet au président de statuer
sur ces questions.
Le rôle du président à la Chambre
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Énoncé
|
Tout à fait d’accord/D’accord
|
Ne sais pas
|
En désaccord/En total désaccord
|
La plupart des présidents sont totalement impartiaux
lorsqu’ils appliquent le Règlement/les règles de la Chambre
|
100 %
|
0
|
0
|
La plupart des présidents dépendent entièrement de
l’avis des greffiers en matière de procédure (au lieu de se fier au
leur)
|
70 %
|
15 %
|
15 %
|
Le président devrait pouvoir statuer sur la
« pertinence » des sujets discutés à la Chambre
|
92 %
|
0
|
8 %
|
La Chambre serait plus efficace si le président pouvait
statuer plus souvent sur la « qualité » des
commentaires/débats/questions (p. ex., pour éviter les répétitions
inutiles lors des débats)
|
77 %
|
8 %
|
15 %
|
Les présidents défendent souvent leurs priorités ou
celles de leur parti à la Chambre/au Parlement
|
0
|
0
|
100 %
|
Contre toute attente, la quatrième question est celle qui a
suscité la plus grande divergence d’opinions dans ce sondage. En personne, les
répondants ont exprimé leur réserve au sujet du pouvoir du président de limiter,
d’écourter ou d’empêcher un débat à la Chambre en fonction de sa perception de
sa « qualité ». Ces sondés croyaient qu’il s’agissait d’une pratique hasardeuse
qui affaiblirait la démocratie et la liberté d’expression à la Chambre. Deux
répondants, un parlementaire d’expérience aujourd’hui à la retraite et un
greffier principal, estimaient toutefois que cette idée avait du bon. À la
lumière de cette réponse, l’auteur est d’avis que cet aspect de la présidence
mériterait d’être étudié plus en profondeur. En effet, d’une part, le fait
d’inclure un tel pouvoir discrétionnaire dans le règlement pourrait permettre
aux présidents de statuer sur la qualité des débats et faire en sorte que la
Chambre fonctionne de façon plus efficace, mais, d’autre part, ce pouvoir
risquerait de limiter le droit des députés d’exprimer leurs opinions et leurs
croyances ouvertement, sans empêchement ni entrave, dans l’enceinte de la
Chambre.
Voici les réponses à une autre question ouverte sur les
moyens que pourrait prendre le président pour rehausser le décorum à
l’Assemblée :
Un président peut améliorer le décorum à la Chambre
s’il fait très attention à la façon dont il traite les gens, s’il
applique les règles de manière uniforme, juste et ferme, et s’il tient
chaque député responsable de sa conduite. Appliquer les règles de façon
uniforme, juste et ferme — un président contribue grandement au maintien
du décorum s’il n’a pas de « favori » parmi les députés et s’il sait les
tenir tous également responsables de leur conduite.
La Chambre fonctionne bien dans sa forme actuelle. La
Chambre est ce qu’elle est.
Faire preuve de cohérence et d’humour, mettre fin aux
attaques personnelles rapidement. Permettre de véritables débats entre
tous les partis.
a) S’assurer de traiter tous les députés de manière
absolument égale; b) ne pas débattre des décisions courantes autant que
la tradition de la période des questions ne semble le permettre : rendre
sa décision et passer à autre chose sans laisser la chance au député de
contester sa décision indéfiniment, en particulier s’il s’agit de ce que
j’appellerais un « comportement habituel ».
Rendre une décision stricte lorsqu’il s’agit d’une
remarque blessante dirigée vers une personne.
Asseoir son autorité comme protecteur crédible et
impartial des privilèges et des usages parlementaires.
Appliquer les règles de la Chambre de manière
uniforme; user efficacement de son prestige moral afin de rehausser le
niveau des débats.
S’entretenir en privé avec les leaders
parlementaires, les chefs de parti et les députés; faire des
déclarations à la Chambre, avoir des discussions informelles avec les
députés qui ne respectent pas le décorum.
Appliquer les règles de manière uniforme et proactive
à la Chambre, et chercher davantage, grâce à des mesures de
sensibilisation significatives, à faire mieux comprendre le travail du
Parlement et de tous les députés.
Être juste et ferme. Appliquer les règles de façon
uniforme lorsqu’un député utilise un langage non parlementaire ou agit
de façon inacceptable. Toujours avoir un bon sens de l’humour.
L’importance de la
personnalité
Nous avons été assez surpris du nombre de répondants qui ont
souligné l’importance de la personnalité du président. En effet, la plupart
d’entre eux considéraient qu’il s’agissait d’une des plus importantes qualités
chez un président, lui accordant souvent une plus grande place qu’à certaines
compétences essentielles comme la connaissance de la procédure parlementaire. La
gentillesse, l’humour et l’amour du travail semblent être des marques
distinctives des bons présidents, et leur « style personnel » constitue
peut-être leur meilleur atout.
Un haut fonctionnaire a souligné qu’il était important que le
président ait des « affinités » avec les gens qui l’entourent à l’Assemblée, en
particulier avec le personnel de l’organisation. On a cité l’exemple de l’ancien
président Warner qui a fait des efforts sincères pour « nouer des liens » avec
les employés, tentant même de personnaliser ses relations avec eux en faisant
parvenir à chacun une carte d’anniversaire. Selon cette personne, de tels
gestes, aussi simples soient-ils, ont grandement contribué à rehausser le moral
de l’ensemble des employés.
Comme c’est le cas pour les autres grandes organisations, les
résultats, l’efficacité et la productivité de l’Assemblée législative sont, en
grande partie, tributaires de ses dirigeants. En qualité de premier responsable
de l’administration, le président donne évidemment le ton à l’organisation et
influe sur sa productivité. La plupart des observateurs s’entendent pour dire
qu’en tant que « chef » de l’organe législatif de la province d’Ontario, il est
essentiel que chaque président comprenne cet aspect important de son rôle et que
sa personnalité convienne à cette fonction.
Comme l’indique le tableau ci-dessous, en général, on
considère que les présidents sont impartiaux lorsqu’ils s’acquittent de leurs
tâches à l’Assemblée. Si l’impartialité constitue l’un des aspects de la
fonction, être perçu comme étant impartial est sans aucun doute encore plus
important. La destitution d’un président est d’ailleurs presque toujours liée au
fait que les gens le perçoivent généralement comme étant partial. En fait, la
majeure partie des répondants se sont dits d’avis que plusieurs anciens
présidents à Queen’s Park, en particulier ceux qui n’avaient pas réussi à se
faire réélire malgré leur charge, avaient été partiaux à la Chambre dans le
passé. Il faudrait, dans une certaine mesure, être un peu naïf pour croire que
tous les présidents sont toujours impartiaux. Après tout, malgré leur charge,
les présidents en exercice demeurent souvent membres de leur parti politique. Il
y aurait moyen d’atténuer ce problème en explorant la possibilité d’une
«présidence continue », comme on le mentionne plus loin, sans quoi il serait
difficile d’imaginer comment un président pourrait échapper aux accusations de
partisannerie qui sont portées de temps à autre contre lui dans l’exercice de
ses fonctions.
La personnalité du président
|
Énoncé
|
Tout à fait d’accord/D’accord
|
Ne sais pas
|
En désaccord/En total désaccord
|
Les présidents font souvent preuve de partisannerie
|
23 %
|
8 %
|
77 %
|
La perfomance d’un député à la Chambre dans le passé
constitue un facteur important afin de juger s’il pourra faire un bon
travail à la présidence
|
54 %
|
8 %
|
38 %
|
Les opinions étaient partagées sur la deuxième question, à
savoir si l’on pouvait se fier à la performance passée d’un président à la
Chambre pour juger de son rendement futur. Environ 54 p. 100 des répondants
croyaient que la performance passée d’un président était importante, alors que
38 p. 100 étaient en désaccord avec cette hypothèse. Ces résultats peuvent
laisser croire au lecteur qu’un candidat potentiel à la présidence devrait se
préoccuper beaucoup de sa performance à la Chambre, mais les députés dont le
rendement n’est peut-être pas parfait ne devraient pas passer leur tour. En
effet, la performance à la Chambre constitue l’un des critères sur lequel on
peut se fier pour évaluer les capacités d’un futur président, mais il ne faut
pas oublier qu’il en existe bien d’autres.
La troisième question ouverte, qui portait sur la
personnalité du président, a suscité les réponses suivantes :
Faire preuve d’impartialité. Chercher à connaître
tous les députés de l’Assemblée.
Être sérieux, bien connaître sa matière. Avoir un
profond respect pour les traditions de l’institution.
Avoir un bon sens de l’humour. Être à l’écoute des
autres. Ne pas porter de jugements catégoriques. Être impartial. Être
disposé à écouter tout le monde.
Une capacité intrinsèque à envisager les problèmes
sous tous les angles.
Écouter les autres attentivement. Envisager les
problèmes de façon rigoureuse et équilibrée. Une personnalité discrète,
quelqu’un qui ne réagit pas de façon émotive.
Être diplomate et juste. Avoir l’esprit de décision.
Être intègre. S’intéresser à la procédure, aux usages
et aux traditions. Une neutralité irréprochable. Accepter de faire des
compromis durant les débats et la période des questions, tout en tenant
compte du décorum, des règles du débat et de la protection des droits de
tous les députés.
La cohérence — être flexible quand c’est nécessaire,
avoir le sens de l’humour.
Être juste. Être accessible. S’impliquer et être
humble, tout en défendant vigoureusement ses convictions et ses
décisions et en étant suffisamment ouvert pour écouter des opinions
divergentes.
Avoir une bonne écoute. Avoir le sens de l’humour.
Coup d’œil sur la
diplomatie parlementaire
Selon presque toutes les descriptions du rôle de président,
l’un de ses aspects est celui de représentant de l’Assemblée législative
(recevoir des dignitaires étrangers, assister à des activités officielles en
tant que représentant de l’Assemblée, représenter celle-ci sur la scène
internationale, diriger des missions dans d’autres parlements).
Cet aspect est sans doute le moins étudié, du moins pour ce
qui a trait à Queen’s Park.
Divers présidents ont envisagé ce rôle sous des angles
différents. Dans le journal qu’il a rédigé alors qu’il présidait l’Assemblée
législative de l’Ontario, David Warner a ainsi écrit qu’il considérait cet
aspect de son travail comme étant peut-être le plus agréable et le plus
intéressant6. Lors d’une interview, l’ex-président Warner a fait les
observations suivantes au sujet du rôle international du président :
Compte tenu de son rôle, le président est perçu comme
étant impartial, ce qui peut lui ouvrir davantage de portes que dans le cas
du gouvernement en place. Il peut établir des relations d’État à État ou
d’assemblée à assemblée en ayant recours à la « diplomatie discrète ». Il
est possible de faire ce genre de travail en consultant auparavant le
ministère des Affaires étrangères. De plus, le président n’est pas perçu
comme ayant des intentions cachées. Il est plus facile pour lui d’établir de
telles relations que pour un ministre avec des ambassadeurs. Par exemple,
j’ai régulièrement dîné avec de nombreux consuls généraux à Toronto. De
telles initiatives diplomatiques réduisent le fardeau du gouvernement7.
Durant son mandat, le président Warner a eu
recours à une forme de « diplomatie parlementaire » parallèle qui se voulait à
la fois un appui et un complément aux démarches de l’État ou de gouvernements
provinciaux sur la scène internationale. Récemment, les présidents du Sénat et
de la Chambre des communes ont traité de cette question dans les termes
suivants :
En notre qualité de présidents du Sénat et de la Chambre
des communes, notre principal rôle est de présider les délibérations de
notre chambre respective et de participer à l’administration de celle-ci. La
situation que nous venons de décrire fait cependant ressortir un aspect
moins connu du rôle que nous jouons dans la promotion des relations
diplomatiques avec d’autres parlements et pays. Nous croyons que la
diplomatie parlementaire canadienne doit être un complément important des
initiatives diplomatiques prises par le gouvernement dans notre régime
politique fédéral. Voici une brève description de notre contribution, à
titre de présidents, et de celle de tous les membres du Sénat et de la
Chambre des communes aux relations interparlementaires et, en particulier, à
la promotion de la démocratie, de la bonne gouvernance et du système
parlementaire canadien sur la scène internationale8.
De telles déclarations contribuent à
démontrer que la notion de diplomatie parlementaire est à la fois acceptée par
les parlementaires et très répandue parmi eux. L’Union interparlementaire,
association internationale rassemblant des parlements nationaux, a d’ailleurs
publié un guide à l’intention des parlementaires intitulé Parlement et
démocratie au vingt-et-unième siècle : guide des bonnes pratiques, dans
lequel la diplomatie parlementaire fait l’objet d’une étude approfondie9.
En tant que chefs de leurs assemblées respectives, les présidents jouent un rôle
spécial sur la scène internationale comparativement aux simples députés.
L’Assemblée nationale du Québec constitue peut-être un modèle à ce chapitre,
puisque c’est le président qui exerce la direction des relations
interparlementaires et internationales de cette institution10.
Quatre objectifs fondamentaux régissent les relations
internationales de l’Assemblée nationale :
1. Le maintien et le renforcement de l’efficacité de
l’institution parlementaire et des élus dans l’exercice de leurs fonctions
de législation, de contrôle, de prise en considération de questions
d’intérêt public et de représentation.
2. La participation active de l’Assemblée nationale à
l’édification d’une communauté mondiale fondée sur la démocratie, la paix,
la justice et la prospérité.
3. L’amélioration du positionnement international de
l’Assemblée contribuant ainsi au rayonnement accru de la société québécoise.
4. Le rayonnement institutionnel de l’Assemblée au sein
des réseaux interparlementaires11.
Il faut évidemment préciser que le
Québec constitue, en quelque sorte, une exception dans le domaine des relations
interparlementaires en raison de son histoire très particulière et de son désir
de se distinguer sur la scène internationale. Bien que les affaires étrangères
relèvent en grande partie du gouvernement fédéral, le Québec a su utiliser
efficacement l’Assemblée nationale pour entretenir de facto des « relations
internationales ». Néanmoins, sur la scène canadienne, le Québec demeure un
exemple intéressant d’utilisation efficace et grandissante de la diplomatie
parlementaire à l’échelle internationale. Le tableau suivant présente les
résultats de certaines questions du sondage sur le rôle du président comme
représentant de l’Assemblée législative.
Les réponses à la première et à la dernière question étaient
en grande partie les mêmes. Presque tous les répondants ont convenu que a) la
plupart des présidents représentent efficacement le pays ou leur province ou
leur parlement respectifs auprès des représentants étrangers, et que b) les
présidents contribuent à améliorer les relations internationales avec les autres
instances. Ces réponses dissipent tous les mythes sur l’efficacité du rôle
assumé par le président à l’échelle internationale, du moins si l’on se base sur
les réponses des participants à ce sondage.
Le rôle du président comme représentant de l’Assemblée
|
Énoncé
|
Tout à fait en accord/D’accord
|
Ne sais pas
|
En désaccord/En total désaccord
|
La plupart des présidents représentent efficacement le
pays, leur province ou leur parlement à l’étranger
|
92 %
|
0
|
8 %
|
Le président entreprend souvent des projets indépendants
à l’étranger au nom du pays de sa province ou du parlement (p. ex.,
échange, accord)
|
54 %
|
23 %
|
23 %
|
Les présidents sont efficaces pour améliorer les
relations internationales avec les autres instances (en dirigeant des
délégations à l’étranger ou en accueillant des dignitaires étrangers)
|
92 %
|
0
|
8 %
|
En ce qui a trait à la deuxième question, Le président
entreprend souvent des projets indépendants à l’étranger au nom du pays, de sa
province ou de son parlement, les réponses étaient assez partagées : un peu plus
de la moitié des répondants étaient d’accord avec cet énoncé, contre 23 p. 100
qui ne l’étaient pas et 23 p. 100 qui n’avaient pas d’avis sur le sujet. À la
lumière de ces résultats, l’auteur croit que les présidents pourraient très bien
entreprendre plus de projets indépendants; leur imagination et le temps dont ils
disposent étant leurs seules limites. Autrement dit, s’ils le veulent, les
présidents peuvent se lancer dans des projets comme des missions commerciales,
des échanges parlementaires, un soutien législatif aux démocraties naissantes et
des accords d’amitié avec d’autres législatures.
La dernière question ouverte portait sur le rôle du président
comme représentant officiel de l’Assemblée législative ou du Parlement et a
suscité les réponses suivantes :
Rencontrer régulièrement des
ambassadeurs et des consuls généraux. Participer à des rencontres dans
d’autres pays.
De nos jours, le président travaille beaucoup plus
dans les coulisses dans ce domaine.
Certains présidents comprenaient mieux que d’autres
les caractéristiques uniques de cette charge. En général, les présidents
qui ont bien réussi à ce poste sont ceux pour qui la présidence était
une véritable fonction et non un prix de consolation pour ne pas avoir
été nommé au Cabinet. Je citerais l’exemple du président Stokes, dont la
présidence (1977-1981) a été couronnée de succès parce qu’il était d’une
rigoureuse impartialité et qu’il était prêt à prendre des décisions
fermes et à les maintenir.
Selon moi, les présidents qui aspirent à ce poste
sont plus efficaces. Les présidents qui sont nommés en raison de
compromis politiques sont moins efficaces, parce que les députés en
général les voient d’un œil moins favorable.
En élaborant des programmes pédagogiques, en les
appuyant et en y participant de façon efficace.
Une participation active et visible aux activités
éducatives, officielles et cérémonielles; une participation active au
sein des forums et organismes interparlementaires.
Certains présidents sont plus à l’aise que d’autres
quand vient le temps de rencontrer des dignitaires, d’organiser des
activités ou de faire la conversation.
Bien connaître les problèmes et les enjeux
internationaux ainsi que l’histoire des divers pays.
Être un bon diplomate. S’intéresser à l’élaboration
de programmes qui profiteront à d’autres pays (p. ex., pour
l’alphabétisation).
Conclusion et recommandations
Une tendance intéressante semble se dégager de ma recherche :
cette fonction, que beaucoup jugent pourtant comme étant réglementée, neutre et
prévisible, peut varier énormément d’un titulaire à l’autre. Certains présidents
sont plus « interventionnistes » que d’autres. On pourrait classer parmi les
présidents « interventionnistes » ceux qui ont une forte présence sur la scène
internationale et ceux qui sont plus susceptibles de rechercher la qualité dans
les débats, de faire souvent des déclarations ou des commentaires et
d’entreprendre des projets indépendants à l’assemblée législative ou ailleurs.
Les présidents moins interventionnistes sont peut-être moins susceptibles de
faire des vagues; ils envisagent leur rôle comme celui d’un gardien ou d’un
administrateur rigoureusement neutre. Ils sont également les plus susceptibles
de se reconnaître dans les mots que l’ancien premier ministre Bill Davis a
utilisés pour décrire sa longue carrière politique et ses succès électoraux : le
style fade fonctionne. Certains pourraient soutenir que la personnalité et
l’expérience, plus que toute autre chose, peuvent expliquer ces évidentes
variations. Chose certaine, celles-ci contribuent à enrichir, à développer et,
ce qui est le plus important, à faire constamment évoluer cette institution.
À la lumière de mes observations et de mes
recherches, j’aimerais formuler les recommandations suivantes :
On devrait établir des lignes directrices pour
s’assurer que les candidats suivent une procédure précise quand ils font
campagne pour accéder à cette fonction. Le premier ministre et le bureau du
Conseil des ministres ne devraient sous aucun prétexte s’ingérer dans la
campagne.
L’idée d’une présidence continue mérite une étude
plus approfondie dont le Comité permanent de l’Assemblée législative
pourrait peut-être se charger.
Il devrait y avoir des réunions de suivi obligatoires
avec les députés qui ont été « désignés par leur nom ». Le président
devrait également rencontrer ceux qui ont été réprimandés en Chambre
(sans être désignés par leur nom) au-delà d’un certain nombre de fois
dans la même semaine.
La portion du budget du président consacrée aux
activités internationales devrait être augmentée pour permettre de tenir
davantage de ces activités à l’étranger.
Le président devrait prendre l’initiative
d’encourager tous les députés à s’impliquer dans les activités de
diplomatie parlementaire. Queen’s Park devrait être un exemple dans des
domaines comme les échanges parlementaires, les accords d’amitié,
l’accueil de dignitaires et le développement démocratique dans les pays
pauvres. Le président est appelé à jouer un rôle clé dans ces domaines.
Il serait peut-être avantageux de disposer de lignes
directrices plus claires qui permettraient au président de déterminer si
les députés sont hors sujet et d’éviter les répétitions inutiles.
Notes
1. Thomas S. Axworthy, L’ancien redevient
actuel : Observations sur la réforme parlementaire, Kingston, Centre d’étude
de la démocratie, Écoles d’études politiques, Université Queen’s, avril 2008,
p. 30.
2. On trouvera la version
intégrale de la communication, y compris le texte de la lettre, à l’adresse
http://www.cpsa-acsp.ca/papers-2008/Taiyeb.pdf.
3. Interview avec David Warner, ancien
président de l’Assemblée législative de l’Ontario, 12 mai 2008.
4. Marcel Danis, « La Présidence : vers une tradition
d’indépendance », Revue parlementaire canadienne, vol. 10, no 2,
été 1987, p. 18.
5. Gary Levy, « L’évolution de la présidence », Revue
parlementaire canadienne, vol. 21, no 2, été 1998, p. 7.
6. David Warner, journal personnel, Bibliothèque de
l’Assemblée législative de l’Ontario.
7. Interview avec David Warner.
8. Diplomatie canadienne : l’approche canadienne,
discours prononcé par le président du Sénat, Noël A. Kinsella, et le président
de la Chambre des communes, Peter Milliken, le 4 mai 2007. Disponible à
l’adresse http://www.sen.parl.gc.ca/nkinsella/PDF/Speeches/ParlDiplomacy-f.pdf.
9. Union interparlementaire, Parlement et démocratie au
vingt-et-unième siècle : guide des bonnes pratiques, disponible à
l’adresse http://www.ipu.org/PDF/publications/democracy_fr.pdf
10. Rencontre avec la Direction des relations
interparlementaires et internationales, Assemblée nationale du Québec,
décembre 2007. Visite de stagiaires de l’Assemblée législative de l’Ontario à
l’Assemblée nationale du Québec.
11. Rapport d’activité de l’Assemblée nationale du
Québec 2002-2003. Publié par l’Assemblée
nationale du Québec.
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