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L'élection de 2008 et la loi sur les élections à date fixe
Guy Tremblay

En 2007, le Parlement a adopté une loi prévoyant une date fixe pour les élections à tous les quatre ans. Cette loi précisait que les prochaines élections se tiendraient le 19 octobre 2009. En septembre 2008, le premier ministre a demandé à la gouverneure générale de dissoudre le Parlement afin qu’une élection ait lieu le 14 octobre 2008. Certains ont affirmé qu’une telle requête était déplacée, voire illégale. Le présent article porte sur les questions juridiques entourant la loi prévoyant des élections à date fixe. 

Les partis d’opposition aux Communes n’ont pas manqué de souligner qu’en déclenchant des élections pour le 14 octobre 2008, le premier ministre Harper a contourné, voire enfreint, la loi qu’il avait fait adopter afin d’instaurer des élections à date fixe1. La disposition principale de cette loi ajoute dans la Loi électorale du Canada l’article suivant : 

56.1 (1) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte aux pouvoirs du gouverneur général, notamment celui de dissoudre le Parlement lorsqu’il le juge opportun. 

(2) Sous réserve du paragraphe (1), les élections générales ont lieu le troisième lundi d’octobre de la quatrième année civile qui suit le jour du scrutin de la dernière élection générale, la première élection générale suivant l’entrée en vigueur du présent article devant avoir lieu le lundi 19 octobre 2009. 

Il faut, selon moi, exclure d’emblée deux interprétations extrémistes de cette disposition. La première interprétation à mettre de côté voudrait que la loi nouvelle ne vise qu’à réduire de cinq à quatre ans la durée maximale des Communes et qu’elle ne change rien d’autre à la situation qui valait antérieurement. Le paragraphe 56.1(1), qui préserve le pouvoir de dissolution du gouverneur général, laisserait donc intacte la faculté du premier ministre de lui faire une recommandation à cet égard. Je crois que ce point de vue ne peut être retenu, parce qu’il viderait de sens la fin du paragraphe (2), qui exige la tenue de la première élection générale en vertu du nouveau système le lundi 19 octobre 2009. 

Aussi contestable, l’approche inverse consisterait à dire que la réserve relative au gouverneur général ne vise qu’à se conformer à la procédure de modification de la Constitution2 et qu’elle sauvegarde seulement un pouvoir que le gouverneur général peut exercer de sa propre initiative. Dans cette perspective, la loi exclurait toute possibilité de recommandation de dissolution de la part du premier ministre. Une telle interprétation doit être rejetée, parce qu’elle porterait atteinte à l’essence du régime parlementaire fédéral ainsi qu’au principe démocratique qui est à la base de la Constitution canadienne. Contrairement à la situation qui prévaut dans le régime présidentiel des États-Unis, le gouvernement et le Parlement au Canada disposent l’un à l’égard de l’autre d’un droit de vie ou de mort3. Afin de faire contrepoids à un éventuel vote de censure aux Communes, il faut que le gouvernement et le premier ministre conservent le droit de demander la dissolution du Parlement. 

La disposition fédérale sur les élections à date fixe permet donc au premier ministre de déclencher des élections par suite d’un vote de censure aux Communes. Mais elle ne le dit pas en toutes lettres et elle laisse place à d’autres possibilités. Certes, dans le cas d’un gouvernement majoritaire, la disposition en question a fait perdre au premier ministre la faculté de choisir le moment de l’élection par simple calcul électoraliste. Mais en va-t-il toujours de même dans le cas d’un gouvernement minoritaire? Dans un tel cas, l’opposition aux Communes a-t-elle seule le pouvoir de décider ou non d’une élection anticipée (en refusant de voter la censure lorsque les circonstances ne font pas son affaire — et en la votant dans le cas contraire)? L’idée que le gouvernement minoritaire dispose d’une marge de manœuvre comparable à celle des partis d’opposition est certes défendable. À la fin de l’été 2008, pendant l’ajournement des Communes, le premier ministre Harper a rencontré les trois chefs des partis d’opposition puis déclenché une élection générale sous prétexte que ceux-ci n’accordaient plus leur confiance au gouvernement. À mon point de vue, le premier ministre n’a pas alors enfreint l’article 56.1 de la Loi électorale du Canada, même si des considérations électoralistes ou partisanes l’ont inspiré. 

L’absence de sanction judiciaire 

La légalité du déclenchement des élections pour le 14 octobre 2008 reste tout de même discutable et elle est de fait contestée par le groupe Démocratie en surveillance en Cour fédérale. Mais même si la loi a été enfreinte, divers principes juridiques amèneront les tribunaux à refuser de sanctionner cette illégalité. 

D’abord, ce sont des conventions constitutionnelles (et non pas des règles de droit strict) qui régissent l’exercice de ses pouvoirs par le gouverneur général. Cela vaut pour l’exercice du pouvoir de dissoudre le Parlement, pouvoir expressément préservé par le paragraphe 56.1(1) précité de la Loi électorale du Canada. En l’occurrence, la convention constitutionnelle la plus pertinente veut que le gouverneur général ne procède à une dissolution qu’à la recommandation du premier ministre. Or il est parfaitement clair, depuis les opinions émises par la Cour suprême en 1981 et 1982 à l’occasion du rapatriement de la Constitution, que les tribunaux peuvent se prononcer sur l’existence (ou l’inexistence) d’une convention constitutionnelle, mais qu’ils ne peuvent assurer la sanction d’une telle convention4. Dans la mesure où la solution du litige dépend de la convention constitutionnelle que laisse subsister l’article 56.1 de la Loi électorale du Canada, une cour de justice ne pourrait conclure de manière contraignante. 

Indépendamment des conventions constitutionnelles, les tribunaux sont susceptibles de constater que se pose en l’espèce une question purement politique et de la déclarer non justiciable. Dans une affaire où le vérificateur général du Canada n’avait pas obtenu l’accès aux documents que la loi lui permettait de consulter, la Cour suprême a conclu que son seul recours était de se plaindre aux Communes5. La Cour a fait remarquer qu’il y avait là fondamentalement un différend entre les pouvoirs législatif et exécutif et elle a souligné que le refus du gouvernement de fournir les renseignements réclamés pouvait influer sur l’évaluation que l’opinion publique fait de la performance de ce gouvernement. Des considérations de même nature valent dans l’hypothèse où le premier ministre Harper aurait agi illégalement en déclenchant les élections : son initiative résulte d’un différend entre le Parlement et le gouvernement, différend que l’électorat est appelé à arbitrer. Une cour de justice pourrait aussi trouver que le gouverneur général est un forum plus approprié pour voir au respect de la loi ici en cause. De toute façon, l’illégalité alléguée peut trouver sa sanction dans la seule arène politique. 

Enfin, les principes de nécessité, de primauté du droit et de l’autorité de facto empêchent également la sanction judiciaire de cette supposée illégalité. Les principes en question ont été appliqués par exemple pour faire en sorte que les lois manitobaines inconstitutionnelles (parce que unilingues) aient quand même des effets (le temps nécessaire pour les édicter de nouveau dans les deux langues)6. Dans le cas qui nous occupe, une cour de justice ne saurait « annuler » les élections du 14 octobre 2008 plusieurs mois après qu’elles aient été tenues ni prétendre ressusciter la Chambre des communes illégalement dissoute. La nécessité de préserver le système démocratique et l’ordre de droit positif obligerait à reconnaître la validité de l’élection générale du 14 octobre 2008 et des actes posés par la suite par les autorités publiques. 

En définitive, je crois que la nouvelle disposition fédérale sur les élections à date fixe n’empêche pas un gouvernement minoritaire de demander au gouverneur général de dissoudre le Parlement, parce que ce gouvernement doit jouir, à cet égard, d’une marge de manœuvre comparable à celle de l’opposition aux Communes. Assurément, la décision prise par le premier ministre Harper (et sa façon de procéder) constitue un précédent qui pourra éclairer l’interprétation à donner non seulement à la loi fédérale, mais aussi à toutes celles qui existent dans les provinces et qui préservent le pouvoir de dissolution du lieutenant-gouverneur7. Il reste que, indépendamment de l’interprétation qui lui sera donnée, la législation prescrivant des élections à date fixe ne peut pas recevoir de sanction judiciaire a posteriori, après qu’elle a été enfreinte. Avant sa violation, par contre, il serait possible d’obtenir d’une cour de justice une déclaration quant à sa portée. Un gouvernement pourrait, de même, saisir la Cour d’appel ou la Cour suprême, à l’occasion d’un renvoi, d’une question concernant l’interprétation à donner à ce texte de loi. 

Notes 

1. Loi modifiant la Loi électorale du Canada, L.C. 2007, c. 10. 

2. En vertu de l’alinéa 41a) de la Loi constitutionnelle de 1982, il faut l’accord des chambres fédérales et des dix provinces pour modifier la « charge » de gouverneur général, ce qui comprend son pouvoir de dissoudre le Parlement : SEFPO c. Ontario (Procureur général), [1987] 2 R.C.S. 2, p. 46-47. 

3. Sur les moyens de contrainte du parlement et du gouvernement dans le régime parlementaire canadien, voir Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, p. 607-611. 

4. Renvoi : résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753; Re : opposition à une résolution pour modifier la Constitution, [1982] 2 R.C.S. 793. 

5. Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources), [1989] 2 R.C.S. 49. 

6. Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721. 

7. Des élections à date fixe aux quatre ans ont été prescrites en Colombie-Britannique, à Terre-Neuve-et-Labrador, en Ontario, à l’Île-du-Prince-Édouard, au Nouveau-Brunswick, en Saskatchewan et au Manitoba. 


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 31 no 4
2008






Dernière mise à jour : 2020-09-14