Revue parlementaire canadienne

Numéro courant
Région canadienne, APC
Archives
Prochain numéro
Guide de rédaction
Abonnez-vous

Recherche
AccueilContactez-nousEnglish

PDF
Parjure, outrage et privilège : les pouvoirs de coercition des comités parlementaires
Blair Armitage; Charles Robert

Le présent document porte sur l’histoire du privilège et de l’assermentation de témoins ainsi que sur les enjeux qui s’y rapportent. En somme, il y est soutenu que les pouvoirs relatifs à l’outrage que possèdent les comités ne suffisent pas toujours à exiger la comparution de témoins ni à les contraindre à témoigner; que, en prévoyant par voie législative le pouvoir de faire prêter serment, en soustrayant les témoignages sous serment aux protections habituelles du privilège en cas de parjure et en confiant aux tribunaux la responsabilité des poursuites dans les cas de parjure, le Canada a créé un mécanisme plus efficace pour sévir contre ceux qui mentent à un comité parlementaire; que les dispositions de la Charte garantissant la primauté du droit et l’application régulière de la loi peuvent entrer en conflit avec les pouvoirs de coercition du Parlement; que d’autres pouvoirs allégués, comme la capacité d’imposer des amendes aux contrevenants, peuvent également être contestables; que le pouvoir de sanctionner l’outrage et d’imposer des amendes ne peut plus être affirmé avec certitude tant que les tribunaux ne se seront pas prononcés. Comme solution, les auteurs proposent qu’on réalise une étude exhaustive des privilèges et des pouvoirs du Parlement en ce qui concerne ses comités et qu’on envisage de faire en sorte que les comités soient équipés correctement pour agir à l’égard des interprétations des droits juridiques et humains qui ont cours depuis l’adoption de la Charte. 

L’utilisation de pouvoirs de coercition par le Parlement a deux fonctions identifiables : contraindre ou punir. La contrainte peut servir dans le cas de témoins qui hésitent ou répugnent à coopérer; il s’agit d’une situation immédiate. Les sanctions servent après le fait, à l’encontre de témoins dont le comportement a été jugé offensant pour la dignité du comité. La possibilité de recourir à la contrainte ou aux sanctions est laissée entièrement à la discrétion du comité, sous réserve de confirmation par la Chambre. L’histoire de ces pouvoirs de coercition et leur efficacité n’ont pas fait l’objet d’études ni d’observations très importantes. L’ouvrage Le privilège parlementaire au Canada, de Joseph Maingot, est l’un des seuls qui aient abordé la question, mais son analyse ne se prétend pas exhaustive, et Maingot ne se demande pas vraiment si ces pouvoirs conviennent encore de nos jours, bien qu’il soit sensible à l’évolution du contexte juridique provoqué par l’ajout de la Charte à la Constitution. Faudrait-il revoir ces pouvoirs pour en maximiser l’utilité dans le contexte contemporain? Se sont-ils ressentis de la proclamation de la Charte, qui garantit les droits individuels, notamment l’application régulière de la loi et la protection contre l’auto-incrimination? 

Les privilèges et les pouvoirs du Parlement du Canada découlent des pratiques et traditions parlementaires britanniques. En Angleterre, la Chambre des communes exerce depuis des siècles ses pouvoirs à l’égard de l’outrage. Comme élément de la Haute Cour du Parlement, elle avait le droit inhérent d’insister sur une coopération complète des témoins convoqués à la barre de la Chambre ou devant l’un de ses comités. Le refus de se conformer aux demandes d’information pouvait entraîner diverses sanctions, dont des remontrances, des réprimandes et, assez fréquemment, l’emprisonnement. 

Il se trouve que l’affirmation fructueuse de la suprématie du Parlement, à la fin du XVIIe siècle, a confirmé ces pouvoirs et a également contribué à des excès dans leur utilisation. Le jugement rendu dans l’affaire Stockdale v. Hansard comprend une liste d’excès commis pendant un siècle1. Parmi les pires exemples, il faut noter la violation des biens privés de députés, comme le braconnage et des intrusions, voire l’éviction de locataires pour non-paiement du loyer. Ces excès n’avaient aucun lien avec une interprétation stricte de la notion d’outrage, car les faits ne constituaient pas une entrave au fonctionnement de la Chambre ni à la participation des députés. Ces pratiques excessives ont fini par être tempérées, et, ce qui convient mieux, on a limité le recours aux pouvoirs en matière d’outrage aux cas où il fallait faire respecter les ordres de la Chambre dans la poursuite de ses travaux. 

Outre le pouvoir relatif à l’outrage, la Chambre des communes a réclamé le droit de faire prêter serment aux témoins, droit qui lui a été intégralement conféré par voie législative en 1871. À la différence de ce qu’on observait à la Chambre des lords, les Communes ne possédaient pas ce droit de façon inhérente parce qu’elles n’exerçaient pas de fonctions judiciaires. Par contre, elles s’occupaient de questions quasi judiciaires comme les élections contestées et les requêtes en divorce. Les premières tentatives d’audition de témoins sous serment ont été entachées de procédures irrégulières. Lorsque des députés étaient également magistrats, on pouvait leur demander de faire prêter serment aux témoins. Il est arrivé aussi que des témoins soient envoyés prêter serment à la barre de la Chambre des lords. Ces pratiques, qui n’étaient pas autorisées par la loi, ont été utilisées sporadiquement pendant une centaine d’années, jusqu’à leur abandon, au milieu du XVIIIe siècle. 

Si on préférait entendre les témoins sous serment, c’est en partie à cause d’au moins deux raisons. D’abord, il s’agissait de faire comprendre aux députés comme aux témoins le sérieux de certaines des délibérations des comités. Deuxièmement, le nombre croissant de projets de loi d’intérêt privé accentuait le besoin d’entendre les pétitionnaires sous serment, pour éviter que le Parlement ne légifère en s’appuyant sur des informations fausses. 

Le Grenville Act de 1770 a été la première loi à remplacer cette approche fragmentaire par une démarche plus systématique. Il s’agissait de permettre aux comités qui étudiaient les cas d’élections contestées de se comporter davantage comme s’il s’agissait d’un procès. Cette même loi a également autorisé la Chambre des communes à faire prêter serment à des témoins à la barre dans certains cas. Diverses modifications ont été apportées à cette loi et à d’autres lois analogues après 1770, de façon à étendre la portée de l’action des comités et les sujets pour lesquels ils pouvaient faire prêter serment. Les questions étudiées étaient surtout des élections controversées et des cas de divorce. 

Pour finir, le Parliamentary Witnesses Oaths Act de 1871 a accordé à la Chambre des communes et à ses comités le droit de faire prêter serment sans aucune restriction. Pour en reprendre le texte, « toute personne ainsi interrogée qui a délibérément livré un faux témoignage est passible des sanctions pour parjure ». Avant l’adoption de ces textes législatifs, l’article 9 du Bill of Rights interdisait aux tribunaux d’utiliser le moindre élément des délibérations parlementaires comme preuve à quelque fin que ce soit. Les lois permettant l’assermentation des témoins, plus particulièrement la loi de 1871, ont levé cet obstacle en prévoyant une exception législative à l’article 9. Cette interprétation a été confirmée par le Comité mixte du privilège parlementaire du Royaume-Uni en 19992 et par Maingot3. Jusqu’à l’adoption du Defamation Act 19964, qui permet une utilisation limitée du Hansard par les députés comme élément de preuve dans les actions en diffamation, le parjure était la seule exception à l’article 9. 

Ces exceptions à l’article 9 n’ont pas entravé les pouvoirs de coercition du Parlement, au contraire. À cause de l’ajout du pouvoir d’assermentation, on pouvait retenir contre les témoins deux accusations distinctes, l’outrage et le parjure. Selon les circonstances, on pouvait porter une accusation ou l’autre ou encore les deux. Ce fait a été reconnu dès 1844 dans la première édition de l’ouvrage d’Erskine May, Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament. Le rapport britannique de 1999 sur le privilège a également signalé cette double responsabilité, sans exprimer de préoccupation particulière, mais un juge britannique a manifesté une certaine inquiétude récemment au sujet de la possibilité de résultats contradictoires, s’il était donné suite aux deux accusations. En réalité, la chose ne s’est jamais produite et elle semble fort peu probable5

On ne trouve au XIXe siècle que trois exemples d’accusations de parjure qui ont été recommandées par la Chambre des communes. Ils sont tous les trois antérieurs à la loi de 1871 et il s’agit, dans tous les cas, de faux témoignages relatifs à l’examen, par un comité, d’une élection contestée6

Ces exemples ont suscité l’impression que des poursuites pour parjure ne peuvent être intentées que sur recommandation de la Chambre, ou que des poursuites doivent être intentées si la Chambre le demande. Cette position ne semble guère fondée. Comparaissant en 1869 devant un comité spécial des Communes, Erskine May a proposé une autre interprétation. Comme on lui demandait s’il ne pouvait y avoir mise en accusation pour parjure qu’avec la permission de la Chambre, May a répondu par la négative : 

… la Chambre des communes serait dans la même position que tout autre tribunal qui fait prêter serment; et la loi du parlement dirait, comme ce fut le cas dans la loi de 1858, que « toute personne ainsi interrogée qui a délibérément livré un faux témoignage est passible des sanctions pour parjure». C’est maintenant le cas en ce qui concerne les comités relatifs aux projets de loi d’intérêt privé, ainsi que les comités de la Chambre des lords; et je ne vois pas pourquoi la Chambre des communes serait traitée différemment7

May s’est servi de l’exemple des tribunaux pour montrer que la décision de porter une accusation de parjure serait prise, en fin de compte, à la discrétion de l’autorité chargée des poursuites. La décision n’a pas à dépendre d’une autorisation ni même d’une plainte des Communes. Cette position a été appuyée tout récemment encore, en juillet 2007, dans un rapport du comité constitutionnel de la Chambre des lords chargé d’étudier le rôle du procureur général8

Les pouvoirs de coercition demeurent une caractéristique du Parlement britannique. Ils sont toujours considérés comme utiles, mais le rapport britannique de 1999 sur le privilège en a recommandé une actualisation. Loin de proposer que ces pouvoirs fassent l’objet de compromis ou soient réduits, le comité a présenté des moyens de les rendre plus efficaces, notamment en ajoutant le pouvoir d’imposer des amendes pour punir les auteurs d’outrage. 

Expérience canadienne après la Confédération 

Les privilèges de la Chambre des communes de Westminster ont été consacrés par l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, ce qui englobe implicitement l’article 9 du Bill of Rights et tous les pouvoirs inhérents qui permettent de sévir en cas d’outrage. Le pouvoir de faire prêter serment n’était pas compris dans cet ensemble. La nécessité de ce pouvoir n’a toutefois pas tardé à devenir évidente et des mesures ont été prises rapidement pour l’accorder9

L’incapacité de faire prêter serment était considérée comme un obstacle dans l’étude des requêtes en divorce, car les divorces étaient alors accordés par projet de loi d’intérêt privé. Dans les mois qui ont suivi sa création, le Sénat a été saisi d’un projet de loi sur un divorce qui présentait de graves difficultés, notamment l’incapacité du Sénat d’interroger les témoins sous serment10. Le Parlement britannique avait légiféré en 1858 pour donner aux comités de la Chambre des communes de l’empire le pouvoir de faire prêter serment aux témoins. Ce pouvoir était limité à l’étude des projets de loi d’intérêt privé, mais, au Canada, ce pouvoir n’avait pas encore été accordé, de sorte que le comité sénatorial a préféré se reporter aux témoignages sous serment livrés à la Cour supérieure, à Montréal11

Pour éviter de se conformer à ce précédent étrange et d’éprouver des difficultés dans des cas semblables par la suite, le Parlement a immédiatement adopté la Loi sur les serments, en 1868. Le pouvoir de faire prêter serment était limité aux cas de témoins qui comparaissaient à la barre du Sénat, et il était consenti seulement aux comités spéciaux de chacune des deux chambres chargés d’étudier les projets de loi d’intérêt privé. 

En 1873, le scandale du Pacifique a renforcé l’impression qu’un pouvoir d’assermentation plus général était nécessaire12. Le gouvernement était empêtré dans des allégations de ristournes sur des marchés visant le Chemin de fer du Pacifique. L’examen parlementaire de la question était limité, parce que le pouvoir de faire prêter serment aux témoins était insuffisant. Une nouvelle Loi sur les serments a été adoptée pour accorder un pouvoir plus général à cet égard, loi qui s’inspirait de l’exemple britannique, qui remontait à deux ans plus tôt. 

Le gouvernement britannique a désavoué la Loi sur les serments au motif qu’elle était inconstitutionnelle, parce qu’elle outrepassait les limites de l’article 18. En 1875, le Royaume-Uni a modifié l’Acte de l’Amérique du Nord britannique pour permettre au Parlement du Canada d’actualiser ses privilèges de temps à autre, pourvu que ces privilèges demeurent semblables à ceux des Communes britanniques. À la session suivante, en 1876, le Parlement du Canada a adopté une nouvelle loi qui donnait aux deux chambres le pouvoir général de faire prêter serment à des témoins. Au départ, les comités ne pouvaient exercer ce pouvoir que si, au cas par cas, la Chambre leur en donnait l’autorisation. Cette dernière loi donnait également la possibilité de faire une affirmation solennelle au lieu de prêter serment. Ces dispositions demeurent, en grande partie, inchangées de nos jours. 

Il y a au Canada peu d’exemples de controverse découlant de l’utilisation du pouvoir relatif à l’outrage. Deux exceptions, l’affaire McGreevy et l’affaire R.C. Miller, révèlent les limites de ce pouvoir et montrent qu’il est plus faible qu’il n’est censé l’être. 

En 1891, le Comité des privilèges et des élections de la Chambre des communes a étudié des allégations d’irrégularités dans de nombreux marchés de l’État valant des millions de dollars. Au centre des allégations, la conduite d’un député, Thomas McGreevy. Membre du Parti libéral-conservateur de MacDonald, il a été député de 1867 à 1891. Au cours des années 1880, il a accepté des montants considérables pour exercer son influence comme commissaire du port de Québec et trempé dans d’autres incidents de corruption qui lui ont rapporté près de 250 000 $. 

Le Comité a opté pour une approche analogue à celle d’une enquête. Son rapport renvoyait à plus de 400 pièces et à quelque 1 200 pages de témoignages recueillis auprès de 80 témoins assermentés. Le rapport visait presque exclusivement à documenter l’affaire pénale. Le Comité ne s’est guère attardé aux questions administratives découlant des faits, par exemple la responsabilité des ministres et les améliorations de la politique propres à prévenir d’autres scandales semblables13

Pour l’essentiel, McGreevy a coopéré avec le Comité. Il a comparu et a accepté de témoigner sous serment. Toutefois, il a refusé fermement de coopérer sur un point : le 12 août 1891, le Comité lui a demandé à maintes reprises de révéler le nom de la personne à qui il avait versé 20 000 $. Les membres du Comité voulaient plus particulièrement qu’il réponde aux allégations voulant qu’il ait, directement ou indirectement, versé cet argent au ministre des Travaux publics. Malgré l’insistance du Comité, McGreevy a refusé de répondre. 

Le 13 août 1891, le Comité a fait rapport à la Chambre, qui, à son tour, a ordonné à McGreevy de se présenter à son fauteuil. Comme il ne l’a pas fait, le président a émis un mandat d’arrestation et ordonné au sergent d’armes d’incarcérer McGreevy. Par la suite, le sergent d’armes a dit qu’il était incapable de le retrouver. Le 29 septembre 1891, la Chambre a expulsé McGreevy. 

L’affaire McGreevy a été parmi les premiers cas où un comité a examiné des allégations d’irrégularités graves dans les marchés de l’État. Quelle qu’en soit la valeur sur d’autres plans, elle illustre les limites du pouvoir relatif à l’outrage comme moyen d’obtenir la coopération des témoins, fût-ce sous serment. La Chambre a exercé la totalité de ses pouvoirs, tout d’abord en ordonnant au témoin de se présenter, puis, au bout du compte, en l’expulsant comme député. Il reste que le Comité n’a jamais obtenu réponse à toutes ses questions. 

À l’évidence, la Chambre des communes était exaspérée par les limites de son pouvoir, face à l’outrage au Parlement. Et cette exaspération a été aggravée par le comportement de McGreevy et la conviction que plusieurs témoins entendus par le Comité s’étaient parjurés14. Le 12 avril 1892, la Chambre a adopté une résolution autorisant l’utilisation de la transcription des délibérations de ses comités, des pièces recueillies et d’autres documents comme preuve dans les instances judiciaires visant une gamme d’infractions, notamment la conspiration, le détournement de fonds et le parjure. 

La Chambre était pleinement consciente que cette résolution dérogeait directement à ses propres privilèges. Voilà ce que révèle le libellé de la résolution, qui comprend une mise en garde explicite disant qu’elle ne devait pas être utilisée comme précédent. Voici un passage de la résolution : 

… cette chambre, tout en se désistant de ses privilèges dans ces cas particuliers [...] ne cède en aucun sens ses droits imprescriptibles et indéniables… 

La décision de rendre les documents disponibles pour faciliter les poursuites a probablement eu peu d’effet, voire aucun; ce fut en grande partie un geste vain. Le gros des documents a été soumis aux ordonnances ordinaires de la cour visant la production de documents15. Ceux qui ont témoigné devant le comité (en dehors de l’accusé) pouvaient facilement être cités à comparaître. Les seules inculpations au pénal pour lesquelles on aurait pu se fier aux documents parlementaires étaient celles de parjure, pour lesquelles les transcriptions des délibérations de comité étaient déjà admissibles aux termes de la Loi sur les serments

L’affaire R. C. Miller 

Au printemps de 1912, le Comité des comptes publics de la Chambre des communes a essayé de voir si des pots-de-vin avaient été versés pour des marchés de l’État mettant en cause la Diamond Light and Heating Company. Il a convoqué son ancien président, R. C. Miller, à titre de témoin, mais celui-ci n’a pas tenu compte de cette assignation. 

Un an plus tard, en février 1913, il a enfin comparu, accompagné d’un avocat, il a prêté serment, mais il a refusé de répondre à toutes les questions parce que ses réponses pouvaient lui nuire dans un litige en instance. Le Comité a fait rapport de ce refus de coopérer, et la Chambre a ordonné à Miller de se présenter à la barre. Le 18 février, il l’a fait, accompagné d’un avocat, il a prêté serment, mais il a de nouveau refusé de répondre aux questions. 

La Chambre a alors ordonné sa mise en détention jusqu’à ce qu’il accepte de répondre aux questions ou jusqu’à ce que la Chambre ordonne sa remise en liberté. Il a été mené à la prison du comté de Carleton. On ne trouve dans les Journaux aucune trace d’ordre de libération, et il n’a jamais comparu de nouveau pour répondre aux questions. On présume qu’il est resté en prison jusqu’à la prorogation de la Chambre, le 6 juin, quelque trois mois et demi plus tard. 

Devant un témoin obstiné et déterminé, la Chambre a, une fois de plus, été incapable d’obtenir sa coopération au moyen de ses pouvoirs ordinaires relatifs à l’outrage. Si lui et son avocat étaient au courant de l’affaire McGreevy, il a peut-être craint que le Parlement ne communique son témoignage au Comité pour qu’il serve de preuve dans son procès au civil. Dans l’affirmative, la décision du Parlement de se désister de ses propres privilèges dans l’affaire McGreevy a eu pour conséquence un affaiblissement de sa capacité de persuader d’autres témoins de coopérer. 

La possibilité d’une conséquence aussi paradoxale a été au cœur d’une décision judiciaire récente portant sur la Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires. La Commission avait refusé d’autoriser le contre-interrogatoire des témoins fondé sur des déclarations qu’ils avaient faites antérieurement au Comité des comptes publics de la Chambre des communes. Pour motiver le rejet d’une demande de révision judiciaire, la juge Tremblay-Lamer a écrit notamment : 

… il est important pour la démocratie canadienne qu’un témoin puisse parler ouvertement devant un comité parlementaire. Cet objectif sera accompli s’il ne craint pas, au moment où il témoigne devant ce comité, que l’on puisse utiliser ses paroles par la suite pour le discréditer dans une autre instance [...] L’incertitude quant à la portée du privilège qui lui est accordé peut accentuer le sentiment de vulnérabilité d’un témoin et l’empêcher de s’exprimer ouvertement, ce qui réduirait évidemment l’efficacité des audiences devant les comités parlementaires16

Mme la juge Tremblay-Lamer a signalé qu’il y avait un danger à modifier après coup la protection accordée aux témoins par le privilège parlementaire. Une fois informés de cette possibilité, les témoins, incertains de l’étendue de ce privilège, seraient moins portés à donner des réponses complètes et véridiques. L’efficacité du processus parlementaire, dont la crédibilité serait douteuse, serait gravement menacée. De façon analogue, la Loi sur la preuve au Canada, adoptée en 1893, interdit, dans certaines circonstances, l’usage de témoignages incriminants livrés sous la contrainte, dans des instances ultérieures, au pénal ou au civil, ou les rend inadmissibles17. Le principe de justice naturelle sous-jacent à cette loi peut également expliquer pourquoi des autorités comme Maingot et le Comité mixte du privilège parlementaire, au Royaume-Uni, rejettent l’idée d’une dérogation rétroactive18. Tous deux soutiennent que tout régime permettant de faire exception au privilège doit être appliqué avant le fait, par l’adoption d’un texte législatif explicite disant qu’une dérogation au privilège parlementaire, prévue par la loi, ne peut être faite par la suite au moyen d’une résolution. Leur assertion est appuyée par des précédents comme la Loi sur les serments. Les poursuites pour parjure à l’égard de déclarations faites par un témoin doivent, par définition, reposer sur la preuve présentée au Parlement ou à l’un de ses comités et supposent nécessairement l’invalidation ou la remise en question d’un débat ou d’une instance dans un tribunal ou un endroit extérieur au Parlement. 

Comités du divorce 

Au cours de ses 15 premières années d’existence, le Parlement a étudié 18 requêtes en divorce. À l’époque, ces requêtes donnaient lieu à une intervention législative et étaient traitées comme tout autre projet de loi d’intérêt privé. Une fois franchies les étapes préliminaires, dont la publication d’un avis et la présentation d’une preuve de signification à la barre du Sénat, la requête était renvoyée à un comité spécial. Le rapport du comité faisait l’objet d’un long débat au Sénat. 

On n’a pas tardé à prendre conscience que cette procédure fort longue était peu pratique. En 1888, un processus simplifié a été mis en place et un comité sénatorial permanent sur le divorce mis sur pied19. La Chambre des communes possédait également un comité chargé des divorces, mais ses travaux venaient presque toujours après ceux du Sénat. Le comité sénatorial est resté actif pendant plus de 80 ans. Il a été dissous en 1969, après que la Loi sur le divorce a établi des modalités uniformes de divorce dans le cadre judiciaire pour l’ensemble du Canada, y compris au Québec et à Terre-Neuve, les dernières provinces à avoir utilisé les modalités parlementaires20

Les témoins qui comparaissaient devant le comité sénatorial sur le divorce devaient toujours prêter serment. Leur interrogatoire sous serment constituait un élément essentiel pour juger du bien-fondé de la requête en divorce et décider s’il y avait lieu ou non d’accorder celui-ci. Dans une intervention au Sénat en 1962, le sénateur Arthur Roebuck, qui a longtemps présidé le Comité sur le divorce, a signalé l’importance du serment en disant que ce comité avait éprouvé des difficultés à cause des faux témoignages, qu’il y avait, à ce moment-là, trois personnes qui avaient été reconnues coupables et incarcérées et que d’autres causes étaient en instance21. Chaque cas où on soupçonnait le parjure avait été signalé au procureur général de la province22

L’étude des cas de divorce était un travail vraiment très lourd pour les membres du Comité. Dans les années 1960, ils avaient des centaines de requêtes en divorce à étudier à chaque session. En laissant au procureur de l’Ontario le soin de s’occuper des allégations de parjure, puisqu’il est le chef des agents d’application de la loi à l’égard de tout crime commis dans le territoire de la province, les membres du Comité étaient plus à même de se concentrer sur les requêtes qui leur étaient soumises, sans devoir se mêler de sévir contre les témoins soupçonnés d’avoir menti. En outre, le ministère public pouvait réclamer des sanctions plus lourdes que celles imposées pour outrage23. Voilà qui semblait souhaitable, étant donné que le parjure avait donné lieu à l’adoption d’une loi fédérale mal fondée. Lorsque les prévenus étaient cités devant un juge, tous plaidaient coupable, et l’un d’eux a reçu une peine d’emprisonnement de cinq ans, ce qui est bien plus qu’une sanction pour outrage. Ce processus pénal n’empêchait pas le Sénat d’intenter également des poursuites pour outrage, mais il semble qu’il ne l’ait jamais fait. 

Contexte actuel 

Le pouvoir de sanction pour outrage est demeuré à peu près statique depuis le début de la Confédération. La dernière modification importante du pouvoir d’assermentation des témoins a été apportée il y a 113 ans, en 1894, année où la Loi sur les serments a été modifiée pour permettre aux comités des deux chambres de faire prêter serment et autoriser le remplacement du serment par l’affirmation solennelle. Depuis, le contexte dans lequel les pouvoirs relatifs au privilège et les pouvoirs connexes sont utilisés a changé radicalement. Les privilèges, plus particulièrement les pouvoirs de coercition, sont rarement invoqués. Leur adaptation à un contexte moderne est entravée par des lacunes sur les plans de la compréhension pratique et de l’application concrète. L’accès à l’information pour le Parlement risque d’être compromis si ces pouvoirs, notamment les pouvoirs de coercition, ne sont pas optimisés en fonction du contexte actuel. 

Le Parlement agit maintenant sur la place publique, ce qui est radicalement différent de la situation qui régnait il y a un siècle. Les délibérations parlementaires sont diffusées largement et instantanément par des moyens électroniques. Les médias de masse, les chaînes d’information continue et un large accès par Internet ont pour conséquence que l’exercice des pouvoirs est examiné de façon plus large et plus critique que cela n’était possible il y a cent ans. Les soupçons de parjure peuvent maintenant venir de sources extraparlementaires. 

Au cours des 60 dernières années, l’appareil gouvernemental a connu une croissance exponentielle. Dans les premières années de la Confédération, le Cabinet comptait moins d’une douzaine de ministres. De nos jours, il y en a fréquemment jusqu’à une quarantaine. Le Parlement surveille près de 100 ministères, offices, organismes, commissions, « organismes de service spécial » et sociétés d’État. 

Il faut de plus en plus avoir un accès facile à des renseignements sûrs pour alléger le travail difficile qu’exige l’examen approfondi d’une organisation aussi complexe que le gouvernement du Canada. Par voie de conséquence, il est de plus en plus impérieux de veiller à ce que des témoins disposés à coopérer livrent des témoignages complets, conformes à la vérité et exacts. 

Les pouvoirs de coercition du Parlement sont apparus bien avant que les droits de la personne ne soient consacrés par la Constitution, dans la Charte. La décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Vaid montre qu’on ne peut tenir pour acquises les hypothèses reçues au sujet des pouvoirs et des privilèges du Parlement24. La conclusion ici (dans le contexte du présent article) est qu’il faut revoir ces pouvoirs de coercition et les mettre à l’abri de toute contestation. Plus particulièrement, le pouvoir d’incarcération, lorsqu’il est exercé à des fins punitives, est vulnérable aux contestations fondées sur la Charte

La constitutionnalisation des droits a également entraîné une évolution des attitudes à l’égard des institutions publiques. Maintenant qu’on peut faire respecter ses droits en invoquant la Constitution, on semble avoir moins de déférence, et il y a eu récemment un certain nombre de causes judiciaires dans lesquelles des privilèges et pratiques parlementaires ont été contestés25. Dans ces conditions, les témoins récalcitrants ou peu coopératifs risquent de se faire plus nombreux, rendant les pouvoirs des comités donc d’autant plus importants. 

Les ministères et les programmes gouvernementaux se sont multipliés, mais le nombre de comités parlementaires chargés de les examiner a également augmenté. Pour assumer cette charge de travail, le Parlement a dû rationaliser son rôle et ses procédures internes. Il a rationalisé les travaux des chambres en fixant des limites de temps pour les débats, en simplifiant l’étude des crédits et en adoptant des règles d’attribution de temps. Chacune des chambres a délégué une grande partie de son travail à des comités permanents et à des mandataires importants du Parlement, comme le vérificateur général. 

Dans les années qui ont suivi la Confédération, il n’y avait guère qu’une poignée de témoins qui comparaissaient au cours d’une session. Aujourd’hui, les témoins se comptent par milliers et des mémoires sont présentés au cours de toutes les sessions. Par conséquent, le nombre d’heures consacrées aux travaux des comités a augmenté considérablement, tout comme celui de rapports produits. Il importe de signaler que ce travail monopolise la majeure partie du temps des comités. On a fort peu besoin d’interroger les témoins sous serment, car la majorité d’entre eux comparaissent volontairement pour exprimer leur opinion, pour donner leur avis sur des politiques et des projets de loi. Les serments sont désormais réservés presque exclusivement aux enquêtes portant sur des faits concrets et visant à établir la vérité ou une séquence d’événements. 

Le Parlement a beaucoup fait pour s’adapter à l’expansion de ses responsabilités, mais fort peu pour examiner — a fortiori actualiser — ses pouvoirs de coercition. 

Options 

Après une évolution de contexte qui s’étale sur plus d’un siècle, il est peut-être temps de revoir les outils qui sont à la disposition du Parlement pour garantir son accès à l’information. Le meilleur moment pour le faire, c’est avant que ces pouvoirs ne soient contestés. La qualité de l’information et l’efficacité des outils qui permettent de l’obtenir témoignent de la robustesse d’un gouvernement démocratique et d’un sain processus d’élaboration de la politique d’intérêt public. 

La première option à envisager est un statu quo plus solide. Un examen rapide permettrait de conclure que les pouvoirs de sanction pour outrage et le droit de faire prêter serment aux témoins suffisent. L’évolution observée dans le contexte politique et le contexte des communications peut ne pas faire ressortir la nécessité de modifications d’importance. Malgré tout, il peut y avoir place pour une amélioration de la compréhension, pour rendre plus cohérente et efficace l’application des pouvoirs par l’élaboration de critères de procédure permettant aux présidents de décider dans quelles circonstances il y a lieu d’interroger les témoins sous serment. En outre, les documents préparés pour informer les témoins donnent une profusion de détails sur la façon de présenter un exposé efficace devant un comité. Ils expliquent également la protection que le privilège confère aux témoins. Par contre, ces documents ne sont pas exhaustifs, et ils ne donnent aucune information explicite sur les conséquences auxquelles les témoins s’exposent s’ils ne coopèrent pas ou s’ils induisent délibérément un comité en erreur, qu’ils soient sous serment ou non. 

Les pouvoirs de coercition sont bien établis et ils ont été exercés de façon fructueuse par le passé. Cette « force d’inertie » est le grand avantage du maintien du statu quo. Il n’en demeure pas moins qu’un examen donnerait l’occasion de faire appel aux pratiques exemplaires, de renforcer ces pouvoirs à l’ère de la Charte et d’être réaliste au sujet des pouvoirs qui peuvent être exercés dans un contexte donné. Le risque de contestation judiciaire ou politique du recours à ces pouvoirs pourrait être atténué si un examen aboutissait à une procédure fondée sur des principes et cohérente pour encadrer leur utilisation dans l’intérêt de la politique d’intérêt public et de la responsabilisation en démocratie. 

L’inconvénient du maintien du statu quo est qu’il écarte la possibilité d’innover en ce domaine. On raterait une occasion de concevoir des outils pour garantir efficacement la production d’information pour le processus parlementaire. Il existe un risque notable de contestation judiciaire, surtout en ce qui concerne les éléments de ces pouvoirs qui vont directement à l’encontre des protections accordées par la Charte

Une autre issue possible d’un examen serait la décision d’abandonner simplement des pouvoirs qui sont restés largement inutilisés et dont l’étude de l’expérience passée met l’utilité en doute. Dans un rapport récent du service de recherche du Congrès, les pouvoirs inhérents de sanctionner l’outrage sont décrits comme « inconvenants, encombrants, exigeants en temps et relativement inefficaces » 26. Il est possible d’établir un constat semblable au Canada. 

L’avantage de l’élimination du pouvoir d’incarcération en général, suivant la recommandation du rapport du Royaume-Uni sur le privilège, est d’abolir un élément du privilège que bien des gens considèrent comme anachronique et même préjudiciable à la dignité du Parlement. Cela écarterait aussi le risque de conflit avec les droits garantis par la Charte

Le risque de cette approche, c’est que le Parlement constate, après les avoir abolis, qu’il a besoin de ces pouvoirs. Au milieu d’un conflit avec un témoin qui pose problème, il ne serait pas possible de rétablir un pouvoir qui a été éliminé par voie législative. Cette abrogation constituerait aussi une approche simpliste qui ne tient pas compte de la complexité des enjeux qui sont à l’origine du pouvoir de sanction pour outrage. 

Enfin, il est possible d’entreprendre un examen pour étudier les possibilités d’actualisation des pouvoirs existants ou même d’élaboration de nouveaux moyens de répondre aux besoins en information de qualité dans le processus parlementaire. Les possibilités sont nombreuses et l’expérience d’autres pays indique des innovations qui pourraient s’adapter aux besoins du Canada. Les moyens d’application pourraient aller d’une modification des pratiques à l’adoption de nouvelles règles ou de nouveaux articles du Règlement, en passant, dans certains cas, par la promulgation d’une loi. 

Par exemple, le Parliamentary Privileges Act australien de 1987 prévoit le pouvoir d’imposer des amendes pour punir l’outrage. Il s’agit d’une solution moyenne entre l’admonestation et l’emprisonnement. Le Comité mixte britannique a recommandé que son parlement s’engage également dans cette voie, mais ces amendes seraient imposées par la Chambre dans le cas des parlementaires et par les tribunaux dans celui des non-parlementaires.  

Le Congrès américain s’est inspiré du modèle britannique du XIXe siècle, celui de la pénalisation des faux témoignages par le truchement du pouvoir inhérent de sanctionner l’outrage. Il est allé plus loin en externalisant le moyen de traiter avec les témoins qui ne coopèrent pas, de façon plus générale, et il a rendu le comportement non coopératif passible de sanctions pénales. En outre, à l’égard du pouvoir de sanctionner l’outrage, les États-Unis ont prévu une « troisième voie » : le dispositif juridique de l’outrage au civil a été ajouté à l’arsenal du pouvoir inhérent et du pouvoir pénal. Le dispositif civil, qui accorde à un tribunal le pouvoir d’entendre tout recours fondé sur une poursuite pour outrage intentée par le conseiller juridique du Sénat, a nettement allégé la charge liée à l’exercice des pouvoirs de sanction de l’outrage et aidé à trouver une solution moyenne entre la sanction à peu près dénuée de sens qu’est l’admonestation, et la solution qui se trouve à l’autre extrême, l’emprisonnement. 

Le Canada a emprunté le modèle américain de pénalisation de la non-coopération lorsqu’il a établi certains offices, organismes et commissions aux termes de la Loi sur les enquêtes. Pourtant, on n’a jamais songé à utiliser cette approche pour élargir les pouvoirs d’enquête des comités parlementaires. L’utilisation du processus pénal, qui peut résister aux contestations fondées sur la Charte, présente le net avantage de réduire au minimum les incertitudes juridiques. 

Ces dernières années, la Chambre des communes a envisagé deux fois de passer outre à ses propres privilèges relativement au témoignage de certaines témoins27. Comme nous l’avons déjà dit, plusieurs autorités s’interrogent sur les conséquences juridiques du recours à une résolution à cette fin. Si l’on veut que cette tactique devienne une arme de l’arsenal du Parlement, l’examen aiderait à définir et à mettre en place des fondements juridiques à cet égard, une série de critères permettant de décider quand recourir à ce moyen, et une procédure adaptée. 

L’innovation dans le domaine des privilèges n’est pas sans risques. Le remplacement de pouvoirs anciens et bien établis par des procédures nouvelles comporte aussi le risque d’autres contestations judiciaires. Néanmoins, un examen approfondi qui tienne compte du contexte politique, juridique, constitutionnel et social moderne aiderait à élaborer des approches innovatrices qui prévoient et atténuent ces risques. 

Conclusion 

Le pouvoir de sanction pour outrage et l’utilisation du serment demeurent des outils utiles pour maintenir la capacité des comités de convoquer les témoins et de réclamer les renseignements dont les parlementaires ont besoin pour faire correctement leur travail. Aujourd’hui plus que jamais, il est essentiel d’avoir accès à de l’information sûre si l’on veut que le Parlement soit efficace dans ses fonctions en matière de législation et de responsabilisation. Par ailleurs, il est tout aussi nécessaire de prendre conscience du contexte juridique et social en évolution dans lequel le Parlement travaille. La Charte a profondément transformé les attitudes à l’égard des droits de la personne. Raison de plus pour revoir sérieusement la façon dont le Parlement utilise ses pouvoirs de coercition. 

Les formes classiques de remontrances et de réprimandes ne constituent pas forcément le moyen le plus efficace de persuader des témoins récalcitrants ou entêtés de coopérer. Les affaires Thomas McGreevy et R. C. Miller, demeurent des rappels utiles de la limitation des pouvoirs de coercition du Parlement. Et désormais, l’emprisonnement, soit le pouvoir de coercition extrême, pose problème des points de vue politique et juridique. On peut se demander si une peine de prison imposée par les Communes ou le Sénat pourrait résister à une contestation judiciaire en l’absence de garantie d’équité en matière de procédure. Fait tout aussi important, une application incohérente des privilèges au moyen de dérogations, comme dans l’affaire McGreevy, risque aussi d’être préjudiciable à la capacité du Parlement d’obtenir l’information ou les éléments de preuve nécessaires pour prendre correctement ses décisions. 

Bien que les comités des deux chambres puissent faire prêter serment aux témoins, les sanctions pour parjure ont été rares; tous les cas qui ont été repérés concernent des requêtes en divorce, avant que le processus du divorce ne soit confié aux tribunaux, en 1969. L’expérience donne toutefois à penser que l’utilisation du pouvoir de faire prêter serment a généralement suffi pour faire comprendre aux témoins qu’il était important de donner des réponses conformes à la vérité. Cette expérience peut fort bien représenter un facteur utile à considérer dans l’examen des pouvoirs de coercition du Parlement. La force de ses pouvoirs tient au fait que toutes les conséquences négatives auxquelles s’expose le faux témoin accusé de parjure relèvent du système de justice pénale qui, au fil des ans, a élaboré des systèmes et des procédures qui sont conformes aux normes juridiques et constitutionnelles. 

Si les pouvoirs de coercition du Parlement sont soumis à un examen, il semble qu’il y ait, au fond, trois grandes options : maintenir les pouvoirs actuels; abolir tous ces pouvoirs ou certains d’entre eux; actualiser les pouvoirs et en élaborer de nouveaux. Au bout du compte, le résultat de l’examen pourrait infléchir les préférences dans un sens ou dans l’autre ou, tout aussi vraisemblablement, dans le sens d’une combinaison des trois options. Quel que soit le choix, un examen devrait faire en sorte que le Parlement soit prêt à faire face aux obstacles à l’obtention de l’information essentielle à son fonctionnement. 

Notes 

1. Stockdale v. Hansard, (1839), 112 E.R. 1112, p.1117. 

2. Royaume-Uni. Parlement. Joint Committee on Parliamentary Privilege, Report and Proceedings, 318, p. 82. 

3. Voir J.P. Joseph Maingot, Le privilège parlementaire au Canada, 2e éd., Chambre des communes et Les presses universitaires McGill-Queen’s, 1977 p. 151-152 et p. 200, n. 71. 

4. Defamation Act 1996 (Royaume-Uni), art. 13. 

5. Pepper v. Hart [1993] A.C. 593 et Prebble v. Television New Zealand [1995] 1 A.C. 321 (P.C.). 

6. Voir les Journals de la Chambre des communes britannique, 8 décembre 1857, p. 10 : Le procureur général est invité à poursuivre Edward Auchmuty Glover pour faux témoignage au cours de l’audience portant sur l’élection de Berwick-Upon-Tweed. Voir aussi les Journals du 23 avril 1866, p. 239 : Henry Chambers a fait un faux témoignage dans l’enquête sur l’élection de Maidstone et le procureur général est invité à intenter des poursuites. 

7. Témoignage d’Erskine May, question 89. 

8. Comité des affaires constitutionnelles de la Chambre des communes britannique, Constitutional Role of the Attorney General, 5th Report of Session 2006-07

9. Le divorce Whiteaves a été l’affaire qui a été à l’origine de la volonté de permettre aux comités spéciaux d’interroger des témoins sous serment. 

10. La Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick avaient des tribunaux du divorce avant la Confédération. Comme la province du Canada ne possédait pas d’instances équivalentes, les demandes de divorces provenant de l’Ontario et du Québec étaient renvoyées au Sénat. Pour de plus amples discussions sur la nécessité d’interroger les témoins sous serment, voir les Débats du Sénat des 31 mars, 30 avril et 4 mai 1868. 

11. Voir les Débats du Sénat, 30 avril 1868, p. 232-234, et les Journaux de la Chambre des communes, 4 mai 1868, p. 275. 

12. Voir les Débats de la Chambre des communes, 18 avril 1873. 

13. Voir Minutes de la preuve [et rapports concernant certaines accusations de J. I. Tarte faites au sujet des soumissions et contrats concernant les travaux du havre de Québec et le bassin de radoub d’Esquimalt, C.B., etc. 15 mai - 16 septembre 1891], Bibliothèque du Parlement. Voir au rapport 7 de ce volume le détail des accusations portées contre McGreevy. 

14. Voir les Journaux de la Chambre des communes, 24 septembre 1891, p. 529. 

15. Voir The Queen v. Connolly and McGreevy, 1 C.C.C. 468, [1894] O.J. no 119, 25 O.R. 151, surtout les p. 473-475. 

16. Gagliano c. Canada (Procureur général) (C.F.) [2005] 3 C.F. 555, par. 77 et 78. 

17. Loi sur la preuve au Canada, par. 5(2). 

18. Voir le témoignage de J.P. Joseph Maingot devant le Sous-comité du privilège parlementaire du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, 16 novembre 2004, p. 39. 

19. Ibid

20. Thomas J. Abernathy, Jr. et Margaret E. Arcus, « The Law and Divorce in Canada », in The Family Coordinator, vol. 26, no 4, octobre 1977, p. 409-413. 

21. Journaux du Sénat, 11 décembre 1962, p. 410-411. 

22. Journaux du Sénat, 1er juin 1954, p. 519. 

23. Les hommes reconnus coupables d’outrage n’auraient pu être gardés en détention que jusqu’à la fin de la session, le 6 février 1963, soit moins de trois mois. La peine maximum pour parjure est de 14 ans, alors que, pour outrage au Parlement, on ne peut être emprisonné que jusqu’à la fin de la session en cours. 

24. Canada (Chambre des communes) c. Vaid, [2005] R.C.S. 667, 2005 CSC 30. 

25. Notamment dans Knopf c. Canada (président de la Chambre des communes), 2006 CF 808, 3430901 Canada Inc. c. Canada (ministre de l’Industrie), (1999), 177 F.T.R. 161, et Ainsworth Lumber Co. v. Canada (Attorney General) and Paul Martin, (2003), 15 B.C.L.R. (4th) 255. 

26. Congressional Research Service, Report for Congress, « Congress’s Contempt Power: Law, History, Practice and Procedure », juillet 2007, p. 15. 

27. Voir plus spécialement le 14e rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, de novembre 2004, et le Rapport du Comité permanent des comptes publics, de juin 2007. 


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 30 no 4
2007






Dernière mise à jour : 2020-09-14