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Ian Gray; James Gray
Le présent article vise à calculer les résultats des élections fédérales
de 2004 au Canada si le principe de la représentation proportionnelle, tel
qu’il est appliqué au Parlement écossais, avait été utilisé. Précisons que
c’est un modèle éventuel et qu’il contient plusieurs variables. Cependant,
c’est le modèle recommandé dans un rapport sur la représentation
proportionnelle publié par la Commission du droit du Canada en mars dernier. L’article
ne traite pas des implications d’un système proportionnel, par exemple la
possibilité qu’il y ait toujours un gouvernement minoritaire ou des arguments
pour ou contre un tel système. Ces points sont abordés plus en détail dans le
rapport de la Commission du droit.
Le Parlement écossais repose sur un système
proportionnel mixte. Il y a 129 députés (pour une population d’environ
5 millions de citoyens) avec 73 circonscriptions où le candidat ayant
obtenu le plus grand nombre de votes est déclaré élu (système uninominal
majoritaire, ci-après sièges ou députés locaux). Les 56 autres sont des
candidats proposés par les partis ou des individus — sept sièges dans
chacune des huit régions à démographie variée (ci-après sièges ou députés
régionaux). Par conséquent, 57 p. 100 des députés sont élus selon un
système uninominal majoritaire et 43 p. 100, selon la représentation
proportionnelle.
Les élections locales et les élections régionales ont lieu le même jour
et chaque électeur reçoit deux bulletins de vote — un pour sa circonscription
locale et un pour le parti ou le candidat sur la liste régionale. On peut donc
en même temps être candidat à un siège local et être sur la liste d’un parti
pour un siège régional. Ainsi, un parti peut s’assurer qu’un candidat précis
sera élu, que ce soit en tant que député local ou régional. Cela peut aussi
faciliter l’élection d’un plus grand nombre de femmes. Lors des élections
écossaises de 2003, 50 des 129 élus étaient des femmes (31 des 73 députés
locaux et 19 des 56 députés régionaux).
La méthode de calcul des sièges régionaux va comme suit : pour le
premier siège régional, il faut diviser le nombre de votes obtenus dans la
région par chaque parti ou chaque candidat régional, par le nombre de sièges
locaux que chaque parti a obtenus, plus 1. Ainsi, pour un parti (disons le
Parti travailliste) qui a obtenu 10 sièges locaux dans une région, le
nombre de votes pour sa liste de candidats régionaux est divisé par 11. Pour un
autre parti (disons le Parti vert) ou un candidat individuel qui n’a obtenu
aucun siège local, le nombre de votes régionaux est divisé par 1.
Le parti ou l’individu qui a obtenu le résultat le plus élevé après la
division obtient le premier siège régional. Pour le deuxième siège régional, on
refait le même calcul — diviser le nombre de votes régionaux d’un parti ou d’un
individu par le nombre de sièges locaux qu’il a obtenus, plus 1 —, mais, cette
fois-ci, il faut ajouter le siège régional qu’il a remporté. Ainsi, si le Parti
travailliste a remporté le premier siège régional, le nombre de votes régionaux
est divisé par 12. Dans le cas du Parti vert, le nombre de votes régionaux est,
de nouveau, divisé par 1. Et ainsi de suite pour les sept sièges régionaux
de chaque province.
Les élections au Parlement écossais ont lieu à la
même date tous les quatre ans, sauf si les deux tiers des députés votent en
faveur d’élections anticipées ou si le Parlement ne peut s’entendre sur le
choix d’un premier ministre. Le tableau 1 présente les résultats des élections
de 2003.
Le vote proportionnel pour les grands partis est généralement moindre
que le vote local, car les électeurs ont l’occasion de diviser leurs votes – un
fait que certains considèrent un avantage de la représentation proportionnelle.
Dans le cas du Parti vert, qui n’a proposé aucun candidat dans les
circonscriptions locales, il a obtenu tous ses sièges grâce à la représentation
proportionnelle.
Application du modèle écossais au Canada
Le Canada compte 308 circonscriptions (sièges locaux). Aux fins de
l’application du modèle écossais au Canada, nous avons décidé que les sièges
locaux représenteraient les deux tiers (2/3) du nombre total de sièges, l’autre
tiers (1/3) étant des sièges régionaux. Ce choix correspond aux hypothèses
contenues dans le rapport de la Commission du droit du Canada dans sa
simulation des résultats des élections canadiennes de 2000 à partir du modèle
écossais. Nous avons donc 206 sièges locaux (dépendant du système
uninominal majoritaire) et 102 sièges qui seront répartis selon la
proportion des votes que chaque parti a obtenus. Nous avons ajouté trois sièges
régionaux, un pour chaque territoire, car, autrement, il leur faudrait partager
un siège régional. Cela porte le total de sièges régionaux à 105.
Normalement, il y aurait un vote distinct pour les sièges régionaux à
partir duquel serait calculée la représentation proportionnelle. Étant donné
qu’il n’y a eu qu’un seul vote, le vote pour les sièges locaux, lors des
élections canadiennes de 2004, nous l’avons utilisé comme point de départ de
nos calculs des sièges régionaux.
Par souci de simplicité, et parce qu’il n’y avait aucune liste de
candidats régionaux avec des candidats indépendants ou de petits partis, nous
avons seulement réparti les sièges régionaux entre les partis politiques qui
ont obtenu suffisamment de votes (libéraux, conservateurs, bloquistes,
néo-démocrates et verts).
Nous avons également utilisé les provinces et les territoires comme
unité régionale au lieu de créer des unités plus grandes qui auraient peut-être
été plus logiques. Or, nous avons procédé ainsi afin d’éviter les écueils
constitutionnels éventuels et car il est plus aisé de travailler avec les
données d’Élections Canada pour chaque province ou territoire. Les données
d’Élections Canada que nous avons employées sont les résultats préliminaires
fournis le soir des élections, car elles étaient les meilleures disponibles au
moment des calculs.
Le modèle s’applique en trois étapes. D’abord, le total des sièges pour
chaque province est divisé comme suit : deux tiers (2/3) selon le système
uninominal majoritaire, un tiers (1/3) selon la représentation proportionnelle.
Ensuite, les sièges selon le système uninominal majoritaire (deux tiers du
total) sont répartis selon la proportion de sièges que les partis ont remportés
lors des vraies élections; Enfin, les sièges régionaux (un tiers du total) sont
répartis dans chaque province selon la formule suivie en Écosse décrite
précédemment, au moyen du nombre total de votes obtenus par chaque parti dans
la province concernée.
Le tableau 2 présente les résultats de l’application du modèle écossais
et les compare à ceux des élections fédérales de 2004. La méthode de
répartition des sièges régionaux et ses résultats pour chaque province sont
décrits plus en détail au tableau 3.
Il est évident que l’actuel système uninominal majoritaire ne reflète
pas le vote populaire aussi bien que le modèle proportionnel reflète plus
fidèlement le vote populaire. Un facteur clé qui influe sur la façon dont le
vote populaire est reflété est la répartition des sièges entre le système
uninominal majoritaire et le système proportionnel (dans le modèle, c’est deux
tiers pour le système uninominal majoritaire et un tiers pour le système
proportionnel). Par exemple, une répartition égale (50/50) donnerait plus
d’importance aux sièges régionaux, ce qui aurait pour résultat de refléter plus
fidèlement le vote populaire. Bien entendu, si l’objectif était que le nombre
de sièges corresponde exactement au vote populaire, un système proportionnel
pur serait appliqué.
Le modèle mixte employé ici a pour effet de réduire la prépondérance
d’un parti dans une région donnée. Ainsi :
Dans l’Ouest, où les conservateurs prévalent dans le système uninominal
majoritaire, ils n’obtiennent pas grand chose de plus grâce aux sièges
régionaux.
- De même,
dans les provinces de l’Atlantique et en Ontario, les libéraux
n’obtiennent pas grand chose de plus grâce aux sièges régionaux. En fait,
en Ontario, ils n’obtiennent aucun siège régional. Cela reflète le fait
que, malgré qu’ils n’aient remporté que 45 p. 100 des votes, les
libéraux ont gagné 70 p. 100 des sièges sous le système
uninominal majoritaire.
- Au Québec,
le Bloc remporte seulement deux des sièges régionaux. Les 23 autres
sièges sont répartis entre les autres partis, qui, ainsi, ont tout à
gagner.
- S’il est
vrai que le NPD enregistre des gains presque partout, au Manitoba, il
n’obtient aucun siège régional.
En tant que parti omniprésent dans une province mais inexistant ailleurs
au pays, le Bloc Québécois obtiendrait moins de sièges avec la représentation
proportionnelle. Les libéraux perdraient aussi des points, surtout en raison de
leurs gains disproportionnés en Ontario. Les conservateurs perdraient un ou
deux sièges. À l’instar du Parti vert, le NPD profiterait grandement du système
proportionnel.
En conclusion, un système mixte de représentation proportionnelle, fondé
sur le modèle écossais, refléterait plus fidèlement le vote populaire de chaque
parti, tant à l’échelle nationale que régionale, au profit des partis qui sont
incapables de convertir ce soutien populaire en sièges dans l’actuel système
uninominal majoritaire. Aussi, il permettrait aux partis qui ont
traditionnellement profité du système uninominal majoritaire de conserver
certains de ses avantages.
Tableau 1
Résultats des élections parlementaires écossaises de 2003
|
|
Nbre de sièges
|
% du total des sièges
|
Nbre de sièges locaux
|
% des votes locaux
|
Nbre de sièges régionaux
|
% des votes régionaux
|
Travaillistes
|
50
|
38,8 %
|
46
|
34,6 %
|
4
|
29.3%
|
Nationalistes écossais
|
27
|
20,9 %
|
9
|
23,8 %
|
18
|
20.9%
|
Conservateurs
|
18
|
14,0 %
|
3
|
16,6 %
|
15
|
15.5%
|
Libéraux démocrates
|
17
|
13,2 %
|
13
|
15,4 %
|
4
|
11.8%
|
Verts
|
7
|
5,4 %
|
0
|
0,0 %
|
7
|
6.9%
|
Socialistes écossais
|
6
|
4,7 %
|
0
|
6,2 %
|
6
|
6.7%
|
Député de Falkirk-Ouest
|
1
|
0,8 %
|
1
|
0,8 %
|
0
|
0.0%
|
Sauvons l’hôpital Stobhill
|
1
|
0,8 %
|
1
|
0,6 %
|
0
|
0.0%
|
Union des personnes âgées
|
1
|
0.8 %
|
0
|
0,1 %
|
1
|
1.5%
|
Margo MacDonald
|
1
|
0.8 %
|
0
|
0,0 %
|
1
|
1.4%
|
|
129
|
|
73
|
|
56
|
|
Tableau 2
|
|
Résultats des
élections fédérales de 2004
|
Résultats du modèle écossais
|
|
% du vote populaire
|
Nbre de sièges
|
% de sièges
|
Nbre de sièges
|
% de sièges
|
Libéral
|
36,7 %
|
135
|
43,8 %
|
120
|
38,6 %
|
Conservateur
|
29,6 %
|
99
|
32,1 %
|
96
|
30,9 %
|
NPD
|
15,7 %
|
19
|
6,2 %
|
47
|
15,1 %
|
Bloc Québécois
|
12,4 %
|
54
|
17,5 %
|
38
|
12,2 %
|
Vert
|
4,3 %
|
0
|
0,0 %
|
9
|
2,9 %
|
Autre
|
1,3 %
|
1
|
0,3 %
|
1
|
0,3 %
|
|
|
308
|
|
311
|
|
Tableau 3
Résultats des élections simulées par province, en 2004
|
|
Lib.
|
Cons.
|
NPD
|
Bloc Québécois
|
Verts
|
Total de
sièges par province
|
|
Sièges
(SUM)
|
Sièges
(RP)
|
Sièges
(SUM)
|
Sièges
(RP)
|
Sièges
(SUM)
|
Sièges
(RP)
|
Sièges
(SUM)
|
Sièges
(RP)
|
Sièges
(SUM)
|
Sièges
(RP)
|
Sièges
(SUM)
|
Sièges
(RP)
|
T.-N.-L.
|
4
|
0
|
1
|
1
|
0
|
1
|
0
|
0
|
0
|
0
|
5
|
2
|
I.-P.-É.
|
2
|
1
|
0
|
1
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
2
|
2
|
N.-É.
|
4
|
1
|
2
|
1
|
1
|
2
|
0
|
0
|
0
|
0
|
7
|
4
|
N.-B.
|
5
|
0
|
1
|
2
|
1
|
1
|
0
|
0
|
0
|
0
|
7
|
3
|
Qué.
|
14
|
12
|
0
|
6
|
0
|
3
|
36
|
2
|
0
|
2
|
50
|
25
|
Ont.
|
50
|
0
|
16
|
17
|
5
|
14
|
0
|
0
|
0
|
4
|
71
|
35
|
Man.
|
2
|
3
|
4
|
2
|
3
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
9
|
5
|
Sask.
|
1
|
2
|
8
|
0
|
0
|
3
|
0
|
0
|
0
|
0
|
9
|
5
|
Alb.
|
1
|
5
|
18
|
1
|
0
|
2
|
0
|
0
|
0
|
1
|
19
|
9
|
C.-B.
|
5
|
4
|
15
|
0
|
3
|
6
|
0
|
0
|
0
|
2
|
24*
|
12
|
Yuk.
|
1
|
0
|
0
|
0
|
0
|
1
|
0
|
0
|
0
|
0
|
1
|
1
|
T.N.-O.
|
1
|
0
|
0
|
0
|
0
|
1
|
0
|
0
|
0
|
0
|
1
|
1
|
Nun.
|
1
|
1
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
1
|
1
|
Total de sièges par type et parti
|
91
|
29
|
65
|
31
|
13
|
34
|
36
|
2
|
0
|
9
|
206
|
105
|
*La Colombie-Britannique compte 24 sièges locaux dans ce modèle. Cependant,
puisqu’un député indépendant a été élu, le nombre de sièges locaux répartis
entre les partis s’élève à 23.
Étape 1 : Un tiers des sièges deviennent des sièges régionaux. Si
l’on calcule un tiers des sièges de chaque province et qu’on ajoute un siège
régional à chaque territoire, le nombre de sièges locaux s’élève à 206 et
celui de sièges régionaux, à 105. En Ontario, par exemple, on compte 71
sièges locaux et 35 sièges régionaux, soit un total de 106 sièges.
Étape 2 : Pour chaque province ou territoire, on détermine le
nombre de sièges locaux à répartir entre les partis en divisant les sièges
remportés par chaque parti par deux tiers. Si l’on poursuit avec l’Ontario,
les 75 sièges des libéraux ne sont plus que 50, les 24 sièges des
conservateurs sont réduits à 16 et les 7 sièges du NPD deviennent 5.
Étape 3 : On calcule les sièges régionaux de chaque parti dans
une province selon la formule écossaise décrite plus tôt. Les 35 sièges
régionaux de l’Ontario sont répartis comme suit : conservateurs, 17;
NPD, 14; Parti vert, 4. Les libéraux n’obtiennent aucun siège régional en
raison de leur nombre élevé de sièges locaux par rapport à leur part du vote
populaire.
|
|