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Un processus inconnu mais non secret : La nomination des juges de la Cour suprême
L'hon. Irwin Cotler, député

Le présent article est extrait de son témoignage du 30 mars 2004 devant le Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile de la Chambre des communes.

Le 4 février 2004, le gouvernement Martin a réaffirmé son engagement du 12 décembre 2003, que le gouvernement consulterait expressément le Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile « pour convenir de la meilleure manière d’effectuer l’examen préalable des nominations des juges de la Cour suprême du Canada ». Depuis, le Comité a tenu plusieurs réunions et entendu de nombreux témoins sur ce sujet. Dans le cadre de ce processus, le ministre de la Justice a brossé le tableau de la méthode actuelle de nomination des juges de la Cour suprême lors de sa comparution devant le Comité le 30 mars dernier. 

Permettez-moi de rappeler et de réaffirmer d’emblée les deux thèmes qui ont caractérisé vos délibérations. Tout d’abord, l’examen du processus de nomination est une tâche fort importante pour notre pays. En effet, la Cour suprême, plus haute cour d’appel et arbitre ultime des différends juridiques, n’est pas seulement à l’apogée de notre système judiciaire, mais notre système judiciaire est la pierre angulaire de notre démocratie constitutionnelle.

Autrement dit, notre constitution établit le cadre de la répartition du pouvoir gouvernemental entre le gouvernement fédéral et les provinces — connu aussi comme le fédéralisme légal ou le « processus du pouvoir » — ainsi que les limites de l’exercice du pouvoir gouvernemental, qu’il soit fédéral ou provincial, soit les droits de la personne ou « processus des droits ».

La Cour suprême a la responsabilité constitutionnelle de rappeler les gouvernements à l’ordre lorsqu’ils dépassent ces limites, soit qu’ils outrepassent leurs champs de compétence dans le cadre des relations fédérales-provinciales, soit qu’ils enfreignent des droits en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Il s’agit d’une responsabilité, je me dois de le souligner, que le Parlement a conférée à la Cour suprême; et c’est une responsabilité dont la Cour suprême s’est acquittée avec diligence, sensibilité et équité.

Un deuxième thème qui a caractérisé vos délibérations est l’excellence exemplaire de la Cour suprême dont l’héritage juridique a résonné au-delà des frontières canadiennes.

Les Canadiens et les Canadiennes ne sont pas les seuls à être fiers de notre Cour suprême, cela va de soi. En effet, la Cour est respectée dans tout le pays, et aussi dans le monde entier, comme un modèle de ce qu’une institution judiciaire vitale, moderne et indépendante devrait être. Comme le représentant du Barreau du Québec vous l’a dit l’autre jour, la qualité des juges de la Cour suprême est « impeccable » 1. Le professeur Weinrib a souligné, dans sa présentation, que les tribunaux de pays aussi divers qu’Israël et l’Afrique du Sud citent constamment les décisions de la Cour suprême2. Le premier ministre lui-même a dit récemment que nous avons d’excellents juges à la Cour suprême qui sont reconnus dans le monde entier.

Permettez-moi maintenant d’exposer le processus actuel de nomination, qui repose sur deux principes : premièrement, le cadre constitutionnel régissant ces nominations et, deuxièmement, le vaste processus de consultations qui a donné naissance à cette responsabilité constitutionnelle.

Je commencerai par le cadre constitutionnel. Pour l’heure, notons-le, la Loi sur la Cour suprême confère le pouvoir constitutionnel de nommer les juges de la Cour suprême à la branche exécutive du gouvernement — ou le Cabinet — au moyen d’une nomination par décret en conseil, et la branche exécutive demeure responsable et comptable de l’exercice de ce pouvoir important. La considération fondamentale de ce processus de nomination est de trouver les meilleurs candidats possibles et d’avoir la meilleure Cour possible.

En conséquence, et afin de s’acquitter de cette responsabilité constitutionnelle et de trouver les meilleurs candidats, un processus complet de consultations a été mis sur pied. Malheureusement, ce processus n’est pas bien connu — et même relativement inconnu —, ce qui a fait croire que le processus est à la fois secret et partisan.

Le fait est que le processus est loin d’être secret, on ne le connaît simplement pas. Je voudrais donc, aux fins de transparence et de responsabilité, vous décrire le processus de consultation ou le protocole de consultation qui sert à choisir les membres de la Cour suprême. Je ne puis prétendre que ce processus consultatif ou protocole a toujours été suivi dans le moindre détail; je ne peux que le suivre puisqu’il est le protocole qui me régit.

La première étape du processus est l’identification des candidats. Les candidats sont originaires de la région dans laquelle existe le poste à pourvoir — les régions de l’Atlantique, de l’Ontario, du Québec, des Prairies et du Nord, et de la Colombie-Britannique. C’est une question de convention, sauf pour le Québec car la Loi sur la Cour suprême prévoit que trois des juges doivent venir du Québec.

Les candidats sont sélectionnés parmi les juges des tribunaux ayant compétence dans ces régions, notamment au sein des cours d’appel, et des membres chevronnés du barreau et des universitaires de premier plan dans la région en question. Parfois, des candidats sont d’abord identifiés à la suite de consultations antérieures menées pour d’autres nominations judiciaires.

L’identification et l’évaluation des candidats éventuels sont fondées sur des consultations auprès de diverses personnes. À titre de ministre de la Justice, je consulte les personnes suivantes :

  • la juge en chef du Canada, et peut-être d’autres membres de la Cour suprême du Canada;
  • les juges en chef des tribunaux de la région en question;
  • les procureurs généraux de la région en question;
  • au moins un membre chevronné de l’Association du Barreau canadien;
  • au moins un membre chevronné du Barreau de la région en question.

Je peux également consulter d’autres personnes intéressées, comme des universitaires et des organismes qui souhaitent recommander un candidat. En effet, toute personne peut recommander un candidat. D’ailleurs, plusieurs le font en écrivant au ministre de la Justice, par exemple.

La deuxième étape est celle de l’évaluation des candidats possibles. Le facteur prédominant à ce chapitre est le mérite. En consultation avec le premier ministre, je me sers des critères suivants, répartis en trois grandes catégories : aptitude professionnelle, qualités personnelles et diversité.

Sous le titre d’aptitude professionnelle, voici les facteurs considérés :

  • Le plus haut degré de connaissance du droit, une capacité intellectuelle et analytique supérieure et des habiletés rédactionnelles;
  • Une capacité prouvée d’écouter et de maintenir une ouverture d’esprit tout en écoutant les divers volets d’un argument;
  • Un esprit de décision et un jugement sûr;
  • La capacité de gérer et de partager une charge de travail toujours lourde dans un contexte de collaboration;
  • La capacité de gérer le stress et les pressions rattachés au rôle d’un juge;
  • De solides habiletés de coopération dans les relations interpersonnelles;
  • La sensibilisation au contexte social;
  • Le bilinguisme;
  • Une spécialisation particulière requise pour travailler à la Cour suprême. L’expertise peut être définie par la Cour ou par d’autres.

Sous le titre des qualités personnelles, voici les facteurs considérés :

  • Degré d’éthique personnelle et professionnelle le plus élevé, honnêteté, intégrité, et franchise;
  • Respect et égard pour autrui, patience, courtoisie, tact, humilité, impartialité et tolérance;
  • Sens personnel des responsabilités, bon sens, ponctualité et fiabilité.

En ce qui concerne la diversité, il s’agit d’établir la mesure dans laquelle la composition de la Cour reflète convenablement la diversité de la société canadienne.

Tels sont les critères. En examinant les candidats, je peux aussi prendre en compte les profils de jurisprudence compilés par le ministère de la Justice. Ces profils de jurisprudence offrent des renseignements sur le volume des décisions écrites, les domaines de spécialité, les résultats des appels et la mesure dont ils ont été suivis par les tribunaux inférieurs.

Une fois les évaluations et les consultations terminées, je discute des candidats avec le premier ministre. Il peut y avoir eu préalablement d’autres discussions avec le premier ministre. Un candidat préféré est alors choisi. À son tour, le premier ministre recommande un candidat au Cabinet.  Cela conclut la description du protocole ou processus consultatif actuel.

Le Comité de la justice procède actuellement à l’examen important du rôle que les parlementaires pourraient jouer dans le processus de nomination. Cet examen pourrait inclure à la fois celui du processus de nomination et celui du candidat recommandé par le processus.

Pour ce qui est de l’examen du processus de nomination, nous devons nous rappeler deux facteurs déjà énoncés, c’est-à-dire le cadre constitutionnel qui confère à la branche exécutive du gouvernement le pouvoir de procéder à ces nominations et, par ailleurs, le processus consultatif établi pour mettre en vigueur cette responsabilité constitutionnelle et par lequel les candidats sont identifiés et évalués.

Nous ajoutons maintenant au processus un examen parlementaire.

Quant à l’examen du candidat proposé, la question à poser est celle-ci : quelle forme pourrait prendre cet examen parlementaire concernant le candidat proposé? Et selon quel mécanisme cet examen se déroulerait-il?

Un certain nombre d’options peuvent être envisagées.

D’abord, le Comité pourrait entreprendre son examen en écoutant des représentations du ministre de la Justice sur les motifs de la sélection du candidat. Deuxièmement, le Comité pourrait mener une entrevue directe du candidat. Troisièmement, l’examen pourrait être mené par un comité indépendant composé d’experts pouvant comprendre des représentants du Parlement.

D’autres enjeux pourraient intervenir en dehors des modalités de l’examen. Tout d’abord, quelle serait la composition appropriée du comité menant l’examen? Ensuite, le processus devrait-il être confidentiel, ou une partie de l’examen devrait-elle être publique? S’il s’agit d’une entrevue directe, quelles questions pourraient être posées sans embarrasser le candidat ou politiser le processus?

En conclusion, permettez-moi de cerner un certain nombre de principes directeurs qui pourraient être utiles à cet examen, tout en réglant certaines des questions que je viens d’aborder. Je pourrais ajouter que plusieurs de ces principes ont déjà été soulignés par vos témoins précédents.

Tout d’abord, le principe du mérite. L’objectif primordial du processus de nomination est d’assurer que les meilleurs candidats soient nommés en fonction de leur mérite. Comme l’a fait remarquer le premier ministre, un processus qui décourage les meilleures personnes à se présenter ne vaut pas la peine.

Egalement, les juges de la Cour suprême du Canada devraient, dans la mesure du possible, refléter la diversité de la société canadienne. Une magistrature diversifiée assure que des points de vue variés et pluriels influent sur la résolution des différends.

En deuxième lieu, le système devrait préserver l’intégrité de la Cour suprême et de l’appareil judiciaire. La magistrature est une institution vitale pour le maintien de la règle du droit et la santé de la démocratie du Canada. Il ne faut pas la politiser et il ne faut pas endommager la réputation de ses membres.

En troisième lieu, le système devrait protéger et promouvoir l’indépendance des juges. L’indépendance de la magistrature est une pierre angulaire de notre système juridique et il ne faut rien faire pour saper ou diminuer ce principe.

En quatrième lieu, le système devrait être plus transparent. Comme je l’ai mentionné, le processus consultatif actuel, qui est exhaustif, n’est tout simplement pas connu. Aux fins de transparence, j’ai partagé avec vous le protocole qui décrit ce processus de consultation. J’espère que la publication de ce protocole renforcera la confiance du public à l’égard du processus de nomination et mettra en relief l’excellente qualité des nominations à la Cour suprême grâce à ce processus.

Cette transparence doit se situer sur un continuum. Nous considérons maintenant insérer un processus d’examen parlementaire au protocole qui existe déjà. Certains pourraient suggérer que l’on ne peut atteindre une transparence complète que par l’entremise d’un système d’audition publique semblable à celui qui existe au États-Unis. Par contre, il est important de faire l’équilibre entre l’objectif de la transparence et les autres principes importants dont je viens de vous parler, y inclus l’intégrité de l’institution et le maintien de l’indépendance et de la capacité de chaque juge.

En cinquième lieu, le système devrait reconnaître la valeur de la contribution des provinces. D’ailleurs, le processus de consultation actuel le fait déjà puisque l’on consulte les juges en chef, les procureurs généraux, les présidents du Barreau des provinces intéressées, ainsi que d’autres organisations provinciales qui voudraient formuler des recommandations.

Enfin, le système devrait reconnaître la valeur de l’apport parlementaire, comme ce processus le cherche à faire.

Notes

1.  Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile, Procès-verbal et Témoignages, 25 mars 2004.

2.  Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile, Procès-verbal et Témoignages, 23 mars 2004.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 27 no 2
2004






Dernière mise à jour : 2020-09-14