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Entrevue : L’apport des femmes au Sénat, Lorna Marsden, Joan Neiman, Marjory LeBreton


Octobre, le Mois de l'histoire des femmes, est une initiative de Condition féminine Canada visant à susciter l'appréciation des contributions passées et présentes des Canadiennes et à démontrer que leurs réalisations constituent un élément vital de notre patrimoine. Il est fort à-propos que le Sénat s'associe à ces célébrations, en effet, le mois d'octobre a été choisi parce qu'il coïncide avec la commémoration annuelle de « l'affaire personne ». C'est à la suite de cette affaire, en octobre 1929, que le statut de « personne » avait été accordé aux femmes, ce qui leur a permis d'occuper des sièges au Sénat. Peu après, Cairine Wilson était nommée au Sénat par le premier ministre King. Depuis, de nombreuses femmes ont siégé au Sénat et y ont apporté une contribution très importante.

Le 8 octobre 1993, le Sénat a organisé une table ronde intitulée « Les contributions des femmes au Sénat ». Les participantes étaient Lorna Marsden, présidente et vice-chancelière de l'Université Wilfrid Laurier, sénateur de 1984 à 1992 et ancienne présidente du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie; Joan Neiman, admise au barreau de l'Ontario en 1954, nommée au Sénat en 1972 et, pendant huit ans, présidente du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, et Marjory LeBreton, qui a travaillé au sein du Parti conservateur pendant 31 ans, a été nommée chef adjoint du cabinet du premier ministre Mulroney en 1987 et a été nommée au Sénat en 1993. L'animatrice était Heather Lank, de la Direction des comités du Sénat. Voici quelques extraits des discussions.

Quel a été l'apport des femmes sénateurs?

Le sénateur Joan Neiman : Il n'y a eu au total que 35 femmes sénateurs depuis 1930. À ma nomination, en 1972, j'étais la quatorzième, donc, nous n'avons pas vraiment fait beaucoup de progrès, mais c'est bien que nous soyons une quinzaine aujourd'hui. C'est un début. Je pense que la présence des femmes au Sénat a changé énormément de choses, mais peut-être pas autant que nous l'aurions souhaité.

Le sénateur Marjory LeBreton : Les femmes abordent généralement les problèmes et les solutions d'une manière bien différente de celle des hommes. Les institutions parlementaires, toutes les institutions en fait, auraient tout avantage à compter plus de femmes dans leur rang. Pendant de nombreuses années, le Parlement et la politique étaient considérés comme réservés aux hommes. Cette façon de voir est en train de changer, lentement, mais sûrement. Il importe que les femmes qui entrent en politique et au Parlement se rendent compte, comme j'ai dû moi-même le faire, qu'elles n'ont pas besoin de copier les hommes pour survivre, ni de sacrifier leur « féminité » pour y jouer un rôle de premier plan.

Lorna Marsden : J'ai examiné à fond cette situation à la lumière de trois grandes questions. La première portait sur l'impact qu'ont eu les femmes sénateurs sur la réforme du divorce au Canada.

Le divorce était naturellement une question d'une très grande importance parce que le Sénat a examiné toutes les requêtes en divorce pendant un trop grand nombre d'années. Les hommes et les femmes sénateurs sont donc parmi les grands pionniers de la réforme du divorce au Canada. En fait, il y eut un comité mixte de la Chambre et du Sénat sur la réforme du divorce. Si vous lisez, dans les procès-verbaux, les interventions de Muriel Ferguson, vous les trouverez sans doute extraordinairement intéressantes. Elle faisait partie des Femmes d'affaires et de carrière, de l'Association des femmes diplômées des universités et de divers autres organismes féminins nationaux. Pendant des années, ces organismes ont exhorté le gouvernement à procéder à une réforme du divorce afin de le rendre plus équitable. Les femmes devaient toujours fournir des preuves pour deux motifs de divorce et faisaient face à toutes sortes de complications.

Les diverses associations sont venues témoigner aux audiences sur la réforme du divorce. Nous savons que bon nombre de sénateurs, et certainement Muriel Ferguson, avaient en main les mémoires des associations dont elles faisaient partie. Tous les sénateurs ont posé des questions aux témoins. Toutefois, le sénateur Ferguson en a posé deux très perspicaces aux représentantes de chaque association. La première était la suivante : « Combien de membres compte votre association? », parce qu'elle savait pertinemment que le nombre de membres importait aux politiciens. Elle fit ainsi remarquer que les associations qui s'opposaient à la réforme du divorce étaient en général organisées différemment des autres, de sorte que même si elles rassemblaient des millions de personnes, elles comptaient relativement peu de membres officiels à cause de la structure de leur organisation. Par contre, le Conseil national des femmes du Canada, qui accorde le statut de membre à toutes les personnes qu'il rassemble, compte donc un très grand nombre de membres. Le sénateur Ferguson posait ces questions pour faire consigner ce fait au procès-verbal et pour qu'il en soit tenu compte.

À cette époque, la nouvelle présidente du Conseil national des femmes n'était pas très bien informée. Le sénateur Ferguson lui demanda si elle avait un mémoire écrit sur le sujet. Lorsqu'elle eut répondu oui, le sénateur Ferguson lui demanda si elle avait des exemplaires pour le Comité. Après qu'elle eut répondu qu'elle ne le pouvait pas parce qu'elle n'en avait pas d'exemplaires, le sénateur Ferguson annonça : « Il se trouve que j'ai justement 30 exemplaires », et elle les distribua aux membres. Le mémoire fut donc consigné au procès-verbal, ce qui lui importait avant tout.

Les femmes sénateurs connaissaient en profondeur les questions qui touchaient tout particulièrement la vie des femmes et, grâce à leurs efforts, ces questions ont pu être portées à l'attention du Parlement. Si vous comparez les interventions des femmes sénateurs avec celles des députées, vous constaterez une énorme différence. Les femmes sénateurs sont les mieux informées, les plus au fait de tout. Leurs assises sont plus solides et, pour cette raison, elles ont eu une grande influence.

Si vous lisez les biographies des femmes sénateurs, en particulier des 13 premières d'entre elles, l'une des premières choses qui vous frappe est que chacune était liée, sous un certain aspect, à un organisme féminin ou au mouvement des femmes : l'association des femmes de leur parti, l'association des femmes de leur profession, la Fédération canadienne des femmes diplômées des universités. le club des Femmes d'affaires et de carrière ou le Comité canadien d'action sur le statut de la femme. Par contre, les biographies des hommes, aussi intéressantes qu'elles puissent être, montrent bien sûr qu'ils ne font pas partie d'associations masculines, parce que, au chapitre des institutions, l'univers des hommes et des femmes de ce pays est organisé d'une manière très différente.

Au Sénat, le fait d'être un homme ou une femme entre-t-il en ligne de compte, indépendamment des affiliations et de la fidélité envers un parti ou une région?

Lorna Marsden : Je pense que ce facteur, comme de nombreux autres, joue un rôle très différent de celui du parti et je ne pense pas que ceux qui ont observé le fonctionnement du Sénat aient le moindre doute à ce sujet. Les alliances et les coalitions qui se forment au Sénat n'ont souvent rien à voir avec les partis. C'est ce qui rend le Sénat si intéressant et c'est également la raison pour laquelle nous avons besoin du Sénat; en effet, les coalitions très importantes qui s'y forment permettent de réaliser beaucoup de choses. Nous sommes tous très reconnaissants aux sénateurs des deux côtés de la Chambre du rôle qu'ils ont joué pour empêcher la fusion du Conseil des Arts du Canada et du Conseil de recherche en sciences humaines. Ceux d'entre nous qui sont dans le milieu universitaire se sont beaucoup réjouis du rejet de ce projet de loi.

Le projet de loi sur l'avortement a aussi conduit à la formation d'une autre alliance indépendante des structures partisanes, fondée cette fois sur les convictions personnelles et la volonté d'agir.

Je pense qu'il existe un caucus des femmes. Il n'est pas structuré et ne se réunit pas au déjeuner tous les jeudis, par exemple, mais, quand les femmes ont des intérêts communs, elles se rassemblent. Il serait plus juste de parler d'un réseau plutôt que d'un caucus, car il réunit les femmes des différents partis et même des deux Chambres. L'information circule librement.

Le sénateur Joan Neiman : C'est vrai, mais pas dans une très grande mesure, car nous avons toujours été trop peu nombreuses. Je peux cependant souligner certains faits révélateurs. Le débat sur la Constitution a, assurément, été très important pour nous à cause de la question des droits des femmes autochtones. C'est en se regroupant, certainement pas en fonction de leur affiliation politique, que les femmes ont fait savoir clairement que des changements devaient être apportés à la Constitution pour protéger les droits des femmes autochtones. Quant au succès de cette démarche, c'est une toute autre question. Bon nombre d'entre nous s'intéressent toujours à la question et essaient de corriger la situation.

La question la plus importante dont nous avons discuté récemment est celle de l'avortement. Elle revêtait une très grande importance pour nous. Il s'agissait simplement d'insister sur la voie qui, à notre avis, devait être prise, indépendamment des positions de nos partis politiques respectifs. C'est le vote des femmes qui a fait toute la différence. Nous estimons que notre contribution a été très importante.

Nous nous intéressons à la politique et nous y militons depuis de nombreuses années. Les institutions sont importantes en elles-mêmes, mais l'action des femmes dans leur collectivité est beaucoup plus importante, quel que soit le niveau où elles choisissent d'agir.

Le sénateur Spivak et un groupe de femmes sénateurs ont essayé de former un caucus féminin réunissant des membres de tous les partis, mais cela n'a pas marché. Le temps a joué contre nous. C'était pourtant une excellente idée, qui me plaît d'ailleurs toujours.

Le sénateur Marjory LeBreton : Je suis tout à fait d'accord. Il est très important que les sénateurs, quelle que soit leur affiliation politique, jouent un rôle actif au sein du caucus de leur parti, afin de bien comprendre certaines des questions et de faire valoir leur point de vue lorsqu'il s'agit de dégager un consensus. Cela étant dit, il est des décisions, notamment celles qui touchent les femmes et les enfants, et surtout celles qui concernent les femmes seulement, que je n'appuierais pas, même si 99,9 p. 100 des membres de mon parti étaient de l'avis opposé. Prenons par exemple l'avortement. Je n'appuierais certainement pas une politique qui nierait aux femmes le droit de choisir.

Parce que j'ai été une jeune mère au travail, je suis persuadée de la nécessité de services de garde, et de l'importance de les rendre facilement accessibles. J'ai l'intention de m'appuyer sur mes expériences de vie, non seulement mes expériences personnelles, mais l'expérience que j'ai acquise dans les coulisses de la politique en observant l'attitude des gens envers les femmes. Les intérêts régionaux ne me motiveront pas autant que mes convictions personnelles. Ma condition de femme et mes expériences seront déterminantes. Je sais ce que cela signifie d'être une secrétaire; je sais ce que cela signifie de se sentir menacée. Toute femme qui a travaillé, en particulier dans mon domaine, sait ce que veut dire le harcèlement ou le harcèlement sexuel au travail. J'apporte sans aucun doute des expériences personnelles au Sénat.

À votre avis, devrait-on prendre des mesures quelconques, comme l'établissement de quotas, pour assurer la présence au Sénat d'un nombre minimum de femmes?

Lorna Marsden : Je ne pense pas qu'on devrait fixer de nombre pas plus que je ne suis en faveur d'une représentation proportionnelle de 50 p. 100. Si les sénateurs étaient élus et que la formule des élections était convenable, il y aurait sans doute plus de 50 p. 100 de femmes au Sénat, ce qui serait tout à l'avantage du Canada et du Sénat. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles je m'oppose tout à fait à l'établissement de chiffres. Je suis en faveur de la réforme électorale et, certainement, d'une réforme du Sénat à ce chapitre. Reste à voir si on procédera un jour à la réforme du Sénat, mais, dans cette institution, il se passe déjà beaucoup de choses qui entraînent des changements à l'application des règles, au fonctionnement des comités et à la manière dont l'information est recueillie.

Les hommes comme les femmes peuvent défendre les intérêts des femmes et faire part de leurs réflexions sur la condition des femmes dans la société. Les sénateurs des deux sexes nous en fournissent de nombreuses preuves. Par contre, certaines femmes sénateurs qui ne sont nullement féministes ne partagent pas ce point de vue, et il est normal qu'il en soit ainsi. Je m'intéresse à la question des rapports entre les sexes, mais je ne veux pas qu'on me dise ce que je dois faire parce que je suis une femme; c'est la raison pour laquelle je suis contre les chiffres et les étiquettes.

Trois questions distinctes sont souvent confondues. L'une est la suppression des obstacles qui empêchent les femmes d'avoir accès au Sénat. Tous les obstacles qui constituent de la discrimination fondée sur le sexe doivent disparaître. La deuxième est celle des questions dont est saisi le Sénat. Un examen des procès-verbaux permet de constater que le Sénat, même au cours des années où il était presque exclusivement composé d'hommes, a examiné beaucoup plus souvent que la Chambre des communes des questions qui préoccupaient tout particulièrement les femmes, par le biais d'études spéciales et autres. Le fait que ces questions, par exemple, celle de la violence, aient été portées à l'ordre du jour a une grande importance.

La question qui se pose alors est la suivante : Est-il suffisant d'avoir des femmes en place? La réponse est non, parce que les femmes ont droit à toute la gamme des opinions possibles, et je défendrai toujours ce droit. Personnellement, je préférerais qu'on nomme au Sénat des féministes ou des gens qui partagent la même vision du monde que beaucoup d'entre nous, c'est-à-dire qui prennent les préoccupations des femmes en considération. Toutefois, je sais que bon nombre de femmes défendent des points de vue totalement différents. Si vous examinez les résultats du vote sur l'avortement, vous verrez que beaucoup de femmes ont voté en faveur du projet de loi, mais un bon nombre également s'y sont opposé. Trop souvent ces trois éléments, les obstacles, les questions et les idées personnelles sont confondus sous l'étiquette de « Femmes ».

Le sénateur Joan Neiman : Je n'aime pas l'idée d'établir des chiffres et je m'y oppose parce que cela ne fonctionnerait pas dans un régime électoral. J'ai eu l'occasion de travailler avec Mme Marguerite Ritchie, qui est présidente de l'Institut canadien des droits humains. Cet Institut a accompli beaucoup de travail utile, notamment dans la défense des droits des femmes autochtones et d'autres domaines d'intérêt plus général.

Comme les sénateurs continueront sans doute d'être nommés pendant encore un certain temps, je ne vois pas pourquoi chacun et chacune d'entre nous ne pourrait insister pour qu'un plus grand nombre de femmes soient nommées. Il faut bien entendu reconnaître que cela ne serait pas facile si les sénateurs étaient élus, mais, puisque nous procédons encore par nomination, cela devrait être relativement facile.

Il est important de noter que la population canadienne est actuellement constituée de femmes dans une proportion de 52 p. 100. Le Sénat devrait donc compter un pourcentage plus équitable de femmes, afin de mieux refléter la réalité canadienne. Les femmes, qui ne sont actuellement que 15 sur 104 sénateurs, sont trop peu nombreuses. Il conviendrait de presser notre gouvernement de faire un effort pour corriger ce déséquilibre. C'est possible, et cela ferait toute une différence pour le Sénat ainsi que pour les intérêts et les causes des femmes si nous obtenions un tel changement au niveau des nominations. Le Canada compte un grand nombre de femmes compétentes, intelligentes et actives dans la société, tout autant que des hommes, mais il faut faire l'effort de les trouver et de les faire connaître. Les hommes ne le feront pas; il y aura toujours des gens qui se préoccuperont d'abord d'eux-mêmes ou de leurs amis. Il est donc extrêmement important pour nous toutes de faire un effort pour trouver de bonnes candidates.

Une proportion plus élevée de femmes sénateurs ferait toute une différence. Si le processus de nomination était maintenu pendant encore quelques années, j'aimerais qu'on s'attache à pressentir un plus grand nombre de femmes compétentes, de tout le Canada, pour occuper des sièges au Sénat. Nous pourrions alors entreprendre de sensibiliser davantage les hommes et les femmes aux questions qui touchent les femmes. Les femmes procèdent différemment. En général, elles recourent moins volontiers à l'affrontement; elles préfèrent plutôt prendre le temps d'étudier le problème et de trouver des solutions. Le Sénat pourrait ainsi apporter une précieuse contribution.

Le sénateur Marjory LeBreton : Je ne crois pas à la valeur des chiffres. En fait, l'une des grandes questions du débat sur la réforme du Sénat dans le cadre des accords du lac Meech et de Charlottetown a été de savoir ce qu'il adviendrait des sénateurs qui représentent des régions si le Sénat était élu et si des chiffres étaient fixés; que se passerait-il dans une province qui a droit à six sénateurs et où il y a 14 noms sur la liste? Que se passerait-il si, après l'élection, les six candidats ayant reçu le plus de votes sont tous des femmes? En théorie, nous ne pourrions qu'en prendre trois; il faudrait alors laisser tomber trois ou quatre femmes et prendre les trois hommes qui se sont le mieux classés. C'est notamment pour ces raisons que je ne suis pas favorable au système.

La meilleure façon d'intéresser un plus grand nombre de femmes à la politique est de faire du lobbying, ce à quoi j'ai beaucoup travaillé lorsque j'étais au bureau du premier ministre. Nous avons entrer un grand nombre de femmes, et vous le constaterez si vous comptez le nombre de femmes qui dirigent des agences et des commissions; ce n'est toutefois pas assez. Il faut faire encore plus. Nous devons, en tant que femmes, exercer une pression politique sur nos partis respectifs et faire du lobbying. Nous devons exercer une énorme pression.

Je connais des femmes qui sont anti-femmes. Vous devez travailler avec vos collègues, hommes ou femmes, trouver ceux ou celles qui appuient les questions qui vous tiennent à cœur et oublier les autres. Voilà pourquoi je ne suis pas favorable à l'établissement de chiffres. Il y a des hommes qui soutiennent davantage la cause des femmes que certaines femmes, et vice versa.

Parmi les premières femmes sénateurs, considérez-vous certaines comme des modèles?

Le sénateur Joan Neiman : À mon avis, Muriel Ferguson a été exceptionnelle, et, selon moi, non seulement parmi les femmes sénateurs. Elle s'est d'abord distinguée par sa contribution dans sa propre région, avant d'être nommée au Sénat. Elle a défendu un nombre incroyable de causes. Une fois au Sénat, elle s'est battue pour une réforme des prisons. Juste avant mon arrivée, il y avait six ou sept ans qu'on se battait pour faire adopter des changements dans ce domaine, et le sénateur Ferguson a joué un rôle de premier plan dans ce combat. Avant même son arrivée au Sénat, lorsqu'elle était encore au Nouveau-Brunswick, elle a défendu la cause des femmes au sein de différents groupes comme la National Business Women's Association, et elle a continué tout le temps qu'elle a passé ici. Pour moi, c'est une femme exceptionnelle dont les intérêts dépassaient le cadre étroit de la politique partisane. Elle se préoccupait de la société en général et elle a lutté pour faire adopter les changements qu'elle jugeait nécessaires. Elle est extraordinaire.

Lorsque j'ai été nommée au Sénat, j'étais la septième femme. Certaines étaient déjà à la retraite avant mon arrivée. Le sénateur Renaude Lapointe est une autre femme qui m'a beaucoup influencée. Elle avait été extrêmement active; c'était une journaliste exceptionnelle. Elle avait beaucoup travaillé dans sa collectivité et elle s'intéressait à énormément de choses.

Soyons franches, certaines ont sans doute été nommées principalement parce qu'il fallait nommer une femme. King a nommé Cairine Wilson. Bennett a procédé à la nomination de Mme Iva Fallis. M. St-Laurent a nommé quatre femmes et M. Diefenbaker deux. M. Pearson n'a nommé qu'une seule femme sénateur pendant son mandat. Parfois, naturellement, les nominations dépendaient du nombre de sièges vacants. Il y en avait peut-être peu à l'époque.

Quoi qu'il en soit, très peu de femmes ont été nommées avant l'ère Trudeau, et je pense que certaines l'ont été précisément parce qu'on s'attendait à la nomination de femmes. Malgré cela, on ne s'attendait pas à ce qu'elles jouent un rôle important à cette époque. Elles faisaient partie du décor et étaient la preuve des idées progressistes de nos premiers ministres.

Il y eut aussi des femmes merveilleuses comme Mme Casgrain. une femme exceptionnelle, et Florence Bird, qui fut nommée peu de temps après moi. Au cours des 10 à 15 dernières années, les femmes sénateurs ont joué un rôle de plus en plus actif. De plus en plus, les femmes sont nommées au Sénat parce qu'elles veulent participer à ce qui se fait ici. Le changement qui s'est produit au cours des dernières années a donc, selon moi, été très positif. Les femmes sont maintenant membres de comités ou de groupes à part entière et leur attitude en témoigne. Les femmes ont certes une manière particulière d'exercer leur influence lorsqu'elles unissent leurs forces au profit d'une cause précise, mais leur apport est aussi important que celui des hommes.

Lorna Marsden : Lorsque je suis arrivée ici, j'ai profité du travail accompli par les pionnières, depuis Cairine Wilson, encore que, si elle était encore ici, Florence Bird pourrait nous parier des toilettes du sixième et de la façon dont elle s'y est prise pour les libérer de la domination masculine.

Au cours des premiers jours qui ont suivi ma nomination, le sénateur Inman était encore là. Bon nombre d'entre vous se rappellent certainement du sénateur Inman. Âgée d'un peu plus de 90 ans, elle devait prendre sa retraite. Comme elle ne se déplaçait plus facilement, elle venait de temps en temps au Sénat en fauteuil roulant. Donc, peu de temps après mon arrivée, elle me déclara : « C'est tellement bien qu'il y ait maintenant une autre féministe ici. » J'ai été émerveillée.

Bon nombre des femmes qui m'ont influencée lorsque je suis arrivée au Sénat étaient des femmes que j'avais déjà connues dans les groupements féministes : Thérèse Casgrain et Florence Bird. Il y avait aussi Yvette Rousseau, qui fut un grand chef syndical au Québec. Je l'avais rencontrée au sein du Comité d'action sur le statut de la femme et ailleurs. Il y avait aussi Martha Bielish, de l'Alberta, qui avait beaucoup fait au sein de Country Women of the World, avec les agricultrices et les femmes autochtones du Canada. Quant à Mira Spivak, je l'avais connue auparavant, à Winnipeg. Et Joan Neiman, que je connaissais depuis de nombreuses années parce qu'elle appartenait comme moi au Parti libéral, mais également parce qu'elle avait travaillé à la réforme de la législation concernant les fermes. L'un des aspects importants du travail d'une femme sénateur consiste à rapprocher votre action passée de vos fonctions actuelles et à faciliter les communications entre les collectivités et le Sénat.

À votre avis, quelles questions, dans le prochain Parlement, regrouperont les femmes d'affiliations politiques différentes?

Le sénateur Marjory LeBreton : La santé. S'il est une chose qui tient à cœur aux Canadiens – et nous n'avons qu'à regarder ce qui se produit aux États-Unis – c'est leur régime de soins de santé. Cela ne veut pas dire que ce régime ne pourrait être amélioré, mais, s'il devait y avoir division au Parlement, je pense que les soins de santé en serait la cause. C'est certainement une question à laquelle je m'intéresserai.

Le sénateur Joan Neiman : Une question qui reviendra certainement est celle des droits des femmes autochtones, notamment l'incidence du projet de loi C-3 1, c'est-à-dire ce qu'il a permis ou non d'atteindre. C'est une question à laquelle les hommes s'intéressent peu, même les Autochtones. lis ne veulent pas y faire face. C'est une question qui devrait retenir l'attention des femmes de tous les partis. Il conviendrait également d'aborder la question de la violence faite aux femmes et de la violence qui se manifeste au sein de la famille en général, ainsi que celle du processus judiciaire face à cette question.

On a parlé du régime de soins de santé; cette question s'est posée indirectement dans notre famille, relativement à la recherche médicale et aux montants consacrés à la recherche sur diverses maladies, en particulier le cancer du sein, ainsi qu'à d'autres maladies qui frappent tout particulièrement les femmes. Ce sont des domaines que nous devrions étudier et où nous pourrons faire pression et exercer notre influence.

Lorna Marsden : Je suis d'accord avec tout ce qui a été mentionné, mais je ne pense pas que les soins de santé provoqueront une division entre les femmes et les hommes. C'est possible, mais peu probable. J'ajouterai deux autres questions :  l'une d'elles est la garde des enfants. Si le gouvernement fait preuve d'intelligence, il consultera le Sénat avant de déposer un projet de loi à ce sujet. Il y a aussi la question de la réforme électorale. On procédera certainement à une réforme électorale à la suite du travail de la Commission royale, et il y aura sur cette question des points de vue féminins et masculins totalement indépendants des affiliations politiques.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 16 no 4
1993






Dernière mise à jour : 2020-09-14