Heather MacIvor
Whelan: The Man in the Green Stetson, Eugene Whelan et Rick Archbold, Toronto,
Irwin Publishing, 1986, 32:1 p.; The Rainmaker: A Passion for Politics, Ontario, Keith Davey, Toronto, Stoddart, 1986, 383 pages.
L'humoriste américain Kim Hubbard disait un jour que le fait d'être délogé d'un bon poste
au gouvernement vous donne toutes les chances de faire valoir le moindre talent
d'écrivain. Depuis la défaite essuyée par les libéraux en 1984, les rayons des
librairies canadiennes ont confirmé la véracité de cette remarque. Trois
membres du Cabinet Trudeau sont accourus chez les éditeurs, tout comme un
ancien membre du bureau du premier ministre et un ancien expert resté dans les
coulisses. Leurs livres se sont bien ou mal vendus selon la perception qu'avait
le public de l'auteur ou l'apparente pertinence du sujet traité par rapport aux
drames politiques du moment. Malheureusement, l'empressement de certains
lecteurs à s'enquérir des accusations que le sénateur Keith Davey portait
contre John Turner leur a fait délaisser l'ouvrage le plus intéressant et le
plus agréable à lire de toute la récolte : Whelan: The Man in the Green
Stetson. Cet attachant portrait d'un homme politique non conformiste donne
raison à Whelan de s'être constamment prétendu sous-estimé. Thème qui se
retrouve du reste dans tous les mémoires d'hommes politiques, mais Whelan
montre jusqu'où peut aller l'étroitesse de ces astucieux créateurs d'images et
leur attitude condescendante à l'égard des petites gens, notamment des
fermiers. Whelan est un homme intelligent et un politicien futé qui, de
surcroît, se révèle un bon conteur.
Le récit de Whelan nous transporte d'abord dans l'Ontario rural et relate avec
beaucoup d'intérêt les épreuves d'une grosse famille qui traverse la Crise. Les
premiers chapitres nous font connaître Whelan depuis ses années d'école jusqu'à
l'obtention de son premier poste politique, et nous racontent son mariage et
son entrée sur la scène politique libérale avec humour et élégance (en partie
grâce au coauteur Rick Archbold). Les chapitres quatre à sept décrivent les
années passées par Whelan en tant que député de l'arrière ban sous le
gouvernement Pearson. Les pages abondent en hommages reconnaissants à des
sommités politiques mais on retrouve aussi des analyses perspicaces d'échecs
personnels. C'est dans ces chapitres que se révèle le principal défaut du
livre, soit une tendance de l'auteur à se louanger, qui ne réussit qu'à gâcher
le compte rendu des luttes menées par Whelan à Ottawa. Mais il est loin de
remporter la palme à ce titre. D'ailleurs, pourquoi rédiger ses mémoires si ce
n'est pour s'offrir le luxe de vanter un peu ses mérites ou de faire montre
d'une sagesse rétrospective parfaite? Reste qu'observer un auteur se féliciter
constamment est assez désagréable. Heureusement, l'ensemble du livre fait
oublier ce défaut et garde tout son intérêt et son charme.
Les chapitres décrivant les années que l'auteur a passées sous le gouvernement
Trudeau, tout d'abord à titre de secrétaire parlementaire, puis de ministre de
l'Agriculture, nous donnent en prime un compte rendu souvent excellent de la
façon dont un ministre accomplit son travail au ministère, en caucus, au
Cabinet et en comités ainsi que dans ses déplacements. Ce genre d'information est
rare au Canada où l'on connaît trop de peu de choses sur les activités
quotidiennes du gouvernement. Whelan apporte des réponses précieuses aux
savantes spéculations sur le travail de nos dirigeants.
Ces chapitres du milieu contiennent de nombreuses digressions amusantes. L'une
d'elles relate l'échec du Cabinet à tirer du marasme les producteurs laitiers
québécois au printemps de 1976, épisode qui, à en croire Whelan, rallia au
Parti québécois les votes des populations rurales qui lui étaient nécessaires
pour obtenir sa première majorité. (Pourquoi alors les intellectuels ont-ils
gaspillé tant de tonnes de papier à discourir sur les idéologies politiques du
Québec si la question était aussi simple!) Le ton se gâte au chapitre où il
décrit la dernière décennie du gouvernement Trudeau, mais le chapitre suivant
sur les voyages de Whelan à l'étranger apporte un soulagement bienvenu.
L'auteur ne craint pas d'applaudir le régime castriste de Cuba, les initiatives
du ministre israélien de l'Agriculture, Ariel Sharon, ni les observations
truculentes de la princesse Anne. Whelan raconte avec brio comment, mis au
défi, il a réussi à boire tout autant d'alcool que ses hôtes derrière le Rideau
de fer, et sa description de Mikhaïl Gorbatchev est révélatrice et émouvante.
Enfin, le compte rendu de la rencontre entre Gorbatchev et Peter Lougheed vaut
à lui seul le prix du livre.
Bien que l'ouvrage soit loin d'avoir obtenu l'attention qu'il mérite, le dernier
chapitre a quand même eu quelques échos dans les médias. Il décrit le
don-quichottisme d'un Whelan qui se porte candidat à la direction du Parti
libéral, son renvoi par John Turner et la mesquinerie avec laquelle le nouveau
gouvernement conservateur l'a traité. Le livre ne cache absolument pas
l'antipathie qu'ont toujours eue Whelan et Turner l'un pour l'autre, même si
l'âpreté des premières anecdotes concernant Turner est peut-être le fait
d'événements récents. Les raisons du renvoi de Whelan du Cabinet Turner
demeurent toutefois obscures.
Whelan accuse les acolytes de Turner d'avoir persuadé leur leader que le « gros
Gene » était un poids mort en politique, sans toutefois s'expliquer.
Peut-être que les propos mal rapportés qu'aurait tenus Whelan sur le fait que
les Africains ne portent pas de chapeau ont été perçus par beaucoup comme
racistes et lui ont fait plus de tort qu'il ne voudrait l'admettre. Ou
peut-être est-ce l'appui qu'il a prêté à Chrétien au moment du congrès à la
direction du parti. Quoi qu'il en soit, Whelan, comme presque tous les autres,
prétend avoir déconseillé à Turner de convoquer des élections anticipées. (Si
tous ceux qui l'ont fait étaient alors à ce point perspicaces, peut-être v
aurait-il lieu de remettre sérieusement en question le jugement de Turner.)
L'auteur termine en plaidant en faveur d'un Parti libéral moins prétentieux et
en incitant subtilement les délégués libéraux à un changement de direction et à
une réorientation du parti vers le centre-gauche. Ces quelques paragraphes,
rédigés dans un style beaucoup plus doux, sont moins susceptibles de faire les
manchettes que l'attaque directe lancée par Davey contre Turner, mais ils
témoignent beaucoup mieux du tempérament et de la discrétion de l'auteur.
Tout compte fait, la lecture de Whelan donne l'impression d'un populiste astucieux
et lourdaud qui tente de manœuvrer parmi des bureaucrates et des avocats
politiciens instruits à l'extrême et complètement hors du réel. Mais le
véritable héros du livre est Liz, l'épouse de Whelan. Il la louange fréquemment
et généreusement pour son appui, sa ténacité et son courage, sans exagérer
toutefois, pendant les vingt-cinq années où il lui a fallu jouer le rôle de
femme de politicien, rôle qui n'a pas encore été adéquatement étudié ou
apprécié à sa juste valeur.
De nombreux contrastes opposent Whelan et les mémoires du sénateur libéral Keith
Davey, auteur de The Rainmaker: A Passion for Politics. L'autobiographie du
sénateur Davey n'a pas réussi à provoquer une révolte contre John Turner en
novembre 1986; aussi, l'intérêt qui a stimulé les premières ventes n'a-t-il été
que passager. Il faut donc maintenant juger le livre uniquement d'après ses
mérites, qui sont plutôt faibles par rapport à ceux de Whelan. La lecture du
récit des premières armes d'un politicien n'est nullement captivante;
curieusement, Christina McCall-Newman a bien mieux esquissé le portrait du
jeune Davey dans Grits que Davey lui-même. Dans la toute première page, le ton
de The Rainmaker hésite maladroitement entre l'autovalorisation, la fausse
humilité et la pseudo-profondeur. Le style n'a rien du charme de Whelan, le
contenu est étonnamment dénué d'intérêt et les observations sur l'idéologie
libérale sont souvent confuses.
Deux grandes faiblesses ressortent de ce récit, à commencer par le nombre de pages
consacré a des photographies, la plupart de Davey, les autres dédicacées à
Davey par diverses personnalités politiques. La seconde est la tendance de
l'auteur à insérer de longues listes des maximes, de commandements de
« règles fondamentales » sans parler des noms des commentateurs
politiques favoris de Davey et de longs extraits du rapport qu'il a lui-même
publié sur les médias. Cela est à la fois ennuyeux et étrangement prétentieux
de la part d'un homme qui prétend n'avoir que du mépris pour les intellectuels
pompeux. Enfin, Davey consacre un chapitre étonnamment intéressant à la défense
du Sénat. Il est réconfortant de voir quelqu'un défendre le valeureux travail
accompli au sein des comités sénatoriaux
et, à l'occasion, durant les débats pléniers. À signaler aussi certaines
anecdotes assez intéressantes mais rarement nouvelles ou éclairantes. Les
portraits que brosse l'auteur d'autres personnalités politiques sont
particulièrement décevants compte tenu des rapports étroits qu'a entretenus
Davey avec les grands politiciens libéraux du dernier quart de siècle. Il
semble trop occupé à s'accaparer les feux de la rampe et les personnages de
renom qu'il nous présente demeurent dans l'ombre. Quiconque a eu une carrière
comme celle de Davey aurait dû pouvoir écrire un meilleur livre.
D'une certaine façon, ces deux autobiographies reflètent les bons et les mauvais
aspects de cette nouvelle avalanche d'ouvrages politiques. Ces bouquins
pourraient nous apprendre bien des choses sur le véritable fonctionnement du
gouvernement et rendre un peu moins arides les tableaux savants conçus par les
spécialistes. Les rigoureuses études historiques deviendraient plus accessibles
si elles étaient égayées d'anecdotes personnelles et présentées sous un angle
original. Mais les dangers de l'auto-congratulation, la propension à justifier
des erreurs passées ou à s'engager dans des vendettas littéraires contre
d'anciens adversaires guettent toujours les auteurs. Les politiciens, tout
humains qu'ils sont, résistent difficilement à ces tentations.
Heather MacIvor
Stagiaire parlementaire
Ottawa
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