Gary Levy
Frank Underhill : Intellectual Provocateur, par R. Douglas Francis, University of Toronto Press,
1986, 219 pages.
Frank Underhill aurait aimé le qualificatif d’intellectuel provocateur, qui
saisit bien l’essence et les limites de ce Socrate du nord, lequel a
consacré quelque 50 ans à « tenter de remuer
l’esprit amorphe du Canada » par ses enseignements et ses
écrits.
Que ce soit comme étudiant à Oxford, comme socialiste Fabian, comme
historien, comme politologue, comme rédacteur du manifeste de Regina du
CCF, comme nationaliste, comme libéral ou comme conservateur de la maison Laurier,
Underhill a toujours estimé, quelle que soit l’étape de sa
vie où il en était, que la seule façon de se rendre utile
était d’être constamment critique.
Le professeur Francis, de l’Université de Calgary, a certes choisi un
sujet digne d’intérêt pour sa biographie, mais le tout est
de savoir si cet ouvrage nous révèle quoi que ce soit à
propos de Underhill qui n’ait pas été déjà
dit dans son classique In Search of Canadian
Liberalism, dans le recueil d’essais de
Norman Penlington en l’honneur de Underhill ou dans divers autres
discours et articles de Underhill ou à son propos. Oui, certains faits
sont nouveaux, mais ils ne sont pas nombreux.
Nous entrevoyons une personnalité dont les sentiments
d’insécurité et d’insuffisance à Oxford ont
peut-être contribué plus qu’il ne l’aurait admis aux
opinions qu’il a émises plus tard à propos des relations de
son pays avec la
Grande-Bretagne. Nous percevons un soupçon
d’arrogance, lorsqu’il a spéculé dans
l’immobilier et qu’il était à
l’Université de la
Saskatchewan et fustigeait la mentalité capitaliste
des Canadiens de l’Ouest.
Le chapitre sur l’épisode de sa vie où il a failli se faire
licencier par l’Université de Toronto nous éclaire
remarquablement sur la façon dont cet établissement et certains
de ces éminents professeurs ont réagi lorsqu’un membre de
la législature a qualifié Underhill de « rat cherchant
à quitter le navire » parce qu’il avait osé
contesté l’aide canadienne à la mère patrie au cours
des années 1930.
Underhill n’a produit aucune étude approfondie sur un sujet important de
l’histoire canadienne. Il n’a jamais été
complètement accepté par un parti politique, car il aimait trop
trouver des failles dans leurs argumentations. Francis traite, dans un style
plus laborieux que coloré, un grand nombre des causes pour lesquelles
Underhill s’est battu – mettre l’histoire
canadienne et américaine au programme des cours, démontrer la
vraie nature de la Confédération, proposition
d’affaires en faveur de certains intérêts précis,
convaincre les socialistes d’être plus pragmatiques et moins
dogmatiques, et défendre la liberté de l’individu comme
pilier de la démocratie libérale.
L’introduction et la conclusion de cette thèse de doctorat révisée nous
convainquent, malgré les répétitions, que Underhill est
allé au fond de la politique canadienne. Les réactions
qu’il a provoquées n’ont rien de surprenant pour quiconque
dit à l’empereur qu’il est nu.
Cet ouvrage présente moins
d’agrément que quelques heures passées à
étudier Underhill lui-même. Il pousse toutefois à lire ou
à relire Underhill, ce qui est en soi très valable. Tout comme
Underhill a eu tendance à susciter chez ses étudiants une plus
grande tristesse mais aussi une plus grande sagesse, on peut se demander
à la lecture de cet ouvrage si la génération actuelle de
commentateurs politiques obsédés par la politique
unidimensionnelle, les personnalités, les droits collectifs et les sondages
d’opinion est capable de produire des intellectuels dignes de
succéder à Underhill. Dans la négative, notre vie
politique n’en sera que plus pauvre et plus confuse qu’elle ne
l’est déjà.
Gary Levy
|