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Entrevue : Patrick Binns, Raymond Garneau, Michael Cassidy


L'opinion qu'un député nouvellement élu se fait du Parlement et de son propre rôle est dicte non seulement par ses premiers observations, mais aussi par l'expérience qu'il a acquise dans divers domaines.  À cet égard, le témoignage des anciens députes provinciaux est particulièrement  intéressant cars ils sont à même de constater les différences qui existe entre les deux types d'assemblée et d'en comparer l'organisation la nature des travaux et le règlement. Trois nouveau élus qui avaient précédemment siège comme députes provinciaux ont été interviewe par la Revue parlementaire canadienne en février 1985.

Pat Binns, députe conservateur de Cardigan a siège à l'Assemblée législative de l'Île-du-Prince-Édouard de 1978 à 1984.  Il a été successivement ministre des Affaires municipale, du travaille, de l'environnent des Affaires, des Pêches et de l'industrie.

Raymond Garneau, députe libéral de Laval-des-Rapides a été au début de sa carrière, conseilleur spécial de l'ancien premier ministre du Québec, Jean Lesage.  Élu pour la premier fois à l'Assemblée national du Québec en 1970 il a été ministre des finances de 1970 à 1976.  Après avoir perdu la course à la direction du parti libéral du Québec en 1978, il a quitté momentanément la politique pour occuper tour à tour, les postes de vice-président du groupe de compagnies d'assurances la Laurentienne, puis celui de président de la Banque d'épargne de Montréal, pour enfin revenir en politique et présenter sa candidature à la dernière élection fédérale.

Michael Cassidy, députe néo démocrate d'Ottawa Centre a connu trois paliers de gouvernement, d'abord à titre d'échevin de la ville d'Ottawa, puis comme député de la circonscription d'Ottawa-Centre à l'Assemblée législative de l'Ontario pendant 13 ans (de 1971 à 1984) et enfin comme député au Parlement fédéral.

Les entrevues ont été réalisé par Barbara Benoit.

Qu'est-ce qui vous a fait quitter la scène provinciale pour la politique fédérale?

M. Binns: C'est un concours de circonstances. J'ai d'abord été sollicité par un groupe de personnes de ma circonscription. Personnellement, je trouvais, depuis un certain temps que la politique fédérale n'était pas suffisamment axée sur le développement régional et, vu que l'économie de l'Île-du- Prince-Édouard est tellement tributaire du gouvernement fédéral, j'estimais qu'il nous fallait améliorer nos rapports, avec Ottawa. J'ai donc pensé que je pourrais être utile notamment cri faisant mieux connaître nos problèmes aux dirigeants fédéraux.

M. Garneau: Je crois que j'avais depuis longtemps dans mon subconscient, l'idée que mon retour en politique devait se faire sur la scène fédérale. En fait, ce sont les circonstances qui m'ont amené à être actif au niveau provincial et à y demeurer de 1963 à 1978. Car, dès le début de mes études en Europe, je me suis toujours intéressé aux questions internationales, surtout dans le domaine économique.

Je n'avais pas pensé que je reviendrais si vite à la politique. Mais il s'est trouvé que plusieurs personnalités libérales québécoises décidèrent de tirer leur révérence lorsque M. Trudeau démissionna. Bien entendu, ceci allait modifier la représentation du Québec au Parlement fédéral. On allait avoir besoin de nouvelles recrues avec une expérience politique et administrative pour assurer la relève. C'est pourquoi j'ai cru que c'était mon devoir de me présenter aux dernières élection.

M. Cassidy: Ayant représenté pendant 13 ans la circonscription d'Ottawa Centre comme député provincial, je nie suis dit que j'avais de bonnes chances de remporter un siège néodémocrate au Parlement fédéral. Sur le plan personnel, j'étais fasciné par le défi politique au niveau fédéral. Maintenant que toute l'attention du pays est centrée sur les questions économiques, il y a beaucoup à faire en politique. Solidement implanté dans l'Ouest. le NPD s'était surtout soucié, par le passé, du développement des ressources naturelles et des questions qui intéressent principalement les citoyens de l'Ouest canadien. Nos préoccupations sont beaucoup mieux équilibrées maintenant, et certains d'entre nous, au caucus, veillent à ce que nous nous intéressions davantage aux décisions de la Banque du Canada. Nous nous efforçons aussi de refléter équitablement les intérêts des régions où nous n'avons pas de député. On m'a, par exemple, confié la direction d'un groupe de députés qui iront sur place étudier les questions qui revêtent un intérêt particulier pour le Québec.

Dans votre circonscription, quel effet a eu votre passage du niveau provincial au niveau fédéral ?

M. Cassidy: La différence a été incroyable. Peu après mon élection en septembre, mon bureau de circonscription a reçu trois fois plus de demandes qu'au cours de la reine période l'année précédente. Mon bureau est resté ouvert tout le temps, mais mon personnel, naturellement, s'est vu confier de nouvelles tâches. Nous ne pouvions dire si ce de demandes était dû à des dossiers laissés en suspens par mon prédécesseur ou tu l'ait qu'un député fédéral est plus cri vue et jouit d'un plus grand prestige. La demande est encore assez élevée mais, comme depuis un mois ou deux, je partage mon bureau de circonscription avec mon collègue provincial néo-démocrate, il nous faudra encore quelque temps pour savoir s'il s'agit d'une augmentation absolue ou non.

Ce qui m'a frappé ici c'est que, mérite si j ai été un député en vue à l’Assemblée législative de l'Ontario et le chef 'd'un parti d'opposition, depuis que je suis député fédéral, on m'invite beaucoup plus souvent à participer à des événements sociaux. Cela prouve assez nettement que les députés fédéraux ont plus de prestige que leurs homologues des assemblées législatives.

À mon avis, il es les dépenses électorales, mais il faudra cri relever le plafond. On s'est rendu compte, au cours de la dernière campagne, que les sommes autorisées ne nous menaient pas très loin et nous avions l’impression que les deux autres partis essayaient de rogner sur les bords et de trouver des combines. En Ontario, par contre, l'absence de limite aux dépenses électorales entraîne beaucoup d'abus.

M. Binns: Naturellement, le style de la campagne devait être différent. Dans les circonscriptions fédérales, il n'est pas aussi facile de rencontrer les électeurs un à un. La communication se fait donc davantage par les médias, les messages postaux, les débats publics, et ainsi de suite. Les candidats n'ont tout simplement pas le temps de s'adresser à chacun de leurs électeurs personnellement.

La loi fédérale prévoit un certain contrôle des dépenses électorales, ce qui est un bonne chose. Tous les partis sont sur le même pied. Dans les provinces, les coûts varient énormément d'une circonscription à l'autre ou d'une élection à l'autre.

Je crois que le simple député fédéral est peut-être un peu moins important que son collègue provincial. Les élus sont plus facilement rejetés par leurs électeurs au palier fédéral. Les citoyens pèsent tous les facteurs : les sondages, la personnalité des candidats et des chefs, les questions en jeu, et ainsi de suite. Naturellement, ces facteurs varient plus ou moins à chaque élection.

Maintenant que je suis à Ottawa, je note que les demandes de mes électeurs sont différentes. On s'adresse moi pour régler des problèmes de pension, de sécurité de la vieillesse, de crédit agricole, pour obtenir des subventions ou des permis de pèche, etc. Quand j'étais député provincial, les demandes de mes électeurs portaient surtout sur l'emploi, et elles étaient particulièrement nombreuses au printemps. Le flot des demandes est maintenant plus régulier.

De nos jours, les gens savent à qui incombe chaque palier de responsabilité. Bien sûr, si l'électeur connaît bien le député, il sollicitera son aide, peu importe que la question relève de sa compétence ou non. Mais le gros du travail à mon bureau de circonscription n'est plus de même nature qu'auparavant.

Je ne sais pas si je suis plus occupé qu'autrefois. Mon bureau de circonscription accapare à peu près 60 p. 100 de mon temps. Comme l'Île-du-Prince-Édouard est petite et relativement isolée, les gens pensent qu'ils peuvent soumettre tous leurs problèmes à leur député. Comme l'activité économique de la province est diversifiée et que le nombre de petites localités est élevé, les problèmes posés au député sont très divers. Bien sûr, en tant que député fédéral, je suis très éloigné de ma circonscription. Il me faut rester en contact par téléphone. Comme député provincial, je n'avais pas besoin d'un bureau de circonscription. Je me rendais à Charlottetown en voiture tous les jours.

M. Garneau: Il y a naturellement une différence entre la taille des comtés. Par ailleurs, les questions de compétence fédérale sont souvent éloignées des préoccupations quotidiennes des citoyens. Les relations entre le député et ses électeurs s'en trouvent changées . Tout le monde ne s'intéresse pas nécessairement aux relations canado-américaines ou à ce qui se passe cri Amérique du Sud. Ces questions ne touchent pas aussi directement les citoyens que la construction d'une nouvelle route ou d'un égout municipal. Je reçois donc moins de demandes individuelles. J’estime que 90 pour 100 de mon temps est consacré aux travaux parlementaires et seulement 10 pour 100 aux activités de mon comté. D'ailleurs, les gens nous ont élus pour venir siéger à la Chambre des communes et pour nous occuper des questions d'intérêt national. Mais il y a aussi de nombreux points communs entre un comté provincial et une circonscription fédérale.

Lorsque j'étais député à l’Assemblée nationale, je représentais le comté de Jean-Talon à Québec. En 1979, j’ai vendu ma maison et suis venu m’installer à Montréal où mes affaires m'appelaient. Je représente maintenant une circonscription qui est à cheval sur la ville de Montréal et sur celle de Laval. Les deux circonscriptions ont beaucoup de points communs : une population urbaine de classe moyenne avec quelques segments plus pauvres et certains groupes avec une éducation plus élevée que la moyenne. La différence est que dans Laval-des-Rapides, j'ai des communautés ethniques – italiennes, grecques et libanaises – qui représentent, avec les anglophones vingt-cinq pour cent de la population.

Quand j'étais ministre des Finances à Québec, j'avais le grand avantage d'avoir l'Assemblée nationale dans mon comté. Je n'allais pratiquement jamais à mon bureau de comté. Ma secrétaire recevait les électeurs, et ceux qui voulaient me parler en personne venaient me voir à mon bureau à l’Assemblée. J'avais donc plus de soirées libres. De plus, tous les bureaux de l'administration provinciale étaient a portée de la main. Si un électeur avait un problème avec la Commission des accidents du travail, par exemple, il allait généralement le régler directement avec le bureau chef. Ma présence régulière dans le comté rendait les contacts plus faciles. Je pouvais fixer la date d'une réunion avec l'exécutif de mon association de comté ou arranger un rendez-vous avec les membres de la Chambre de commerce dans des délais très courts, sans me soucier d'être absent de la Chambre.

Mais dans l'ensemble, les rapports que j'ai maintenant avec mes électeurs sont très semblables à ceux que j'avais au niveau provincial. Il n'y a pas grande différence entre une circonscription provinciale et une fédérale. Le contraste est plutôt entre une circonscription urbaine et une rurale. En milieu rural, la variété des questions que se posent est plus grande. Un député peut représenter 25, 30 ou 40 municipalités. S'il rencontre chaque maire deux lois par année, ça lui fait 80 réunions. Actuellement, si je rencontre deux fois par année les maires que je représente, je n'ai que quatre réunions. Et, bien entendu, dans les circonscription, rurales, la distance, le temps et le coût des déplacements incitent davantage les commettants à s'adresser à leur député lorsqu'ils ont besoin d'aide.

Sur le plan personnel ou familial, votre déménagement à Ottawa a-t-il créé des difficultés?

M. Garneau: Certainement. Lorsque je représentais une circonscription provinciale à Québec même j'avais l'avantage de rentrer chez moi tous les soirs. Je pouvais passer du temps avec les enfants et si je rentrais tard je les voyais le matin au petit déjeuner Maintenant que mes enfants sont grands, les problèmes que posent une résidence secondaire ne sont plus aussi graves qu'ils l'auraient été à l'époque, et ma femme m'est d'une aide précieuse. Ce sont les jeunes députés avec une jeune famille qui ont la vie difficile. Si on regarde le taux de divorce parmi les députés âgés de 30 à 40 ans, on s’aperçoit qu'il est assez élevé. Ca prend beaucoup de caractère et de compréhension de la part du député et de son conjoint pour maintenir l'union conjugale lorsqu’on fait face à tant de problèmes.

M. Cassidy: Mon élection à la Chambre des communes a réglé bien des problèmes. Comme député provincial, j’ai trouvé très fatigant de travailler dans une autre ville que celle où ma famille vivait. Et ce n'était pas facile pour ma famille non plus. Quand j'ai été nommé chef du parti, nous sommes tous venus vivre à Toronto, où nous sommes restés même après ma démission de ce poste. Je plains les députés qui viennent s'installer à Toronto avec leur famille; les ministres eux-mêmes ont tendance à laisser leur femme et leurs enfants dans leur circonscription. Je suis bien content maintenant, tant sur le plan personnel que sur le plan travail, de pouvoir représenter une circonscription qui n’est qu’à dix minutes de marche du Parlement.

À mon avis les propositions en vue de retourner le calendrier parlementaire sont tout à fait logiques : les députés siégeraient intensément pendant trois semaines puis prendraient une semaine de congé pour retourner dans leur circonscription. Ce serait bien mieux que ce que j'ai connu, c’est-à-dire venir à Ottawa pour la fin de semaine, retourner à Toronto le lundi, revenir en avion le mardi soir pour une réunion, puis m’empresser de retourner à Toronto jusqu’au vendredi. Ce genre de vie est exténuant et l'est davantage pour les députés fédéraux qui ont souvent huit ou dix heures de trajet à faire à l'aller et au retour.

M. Binns: Ma famille et moi savions que la vie d'un député fédéral comportait certains sacrifices que je serais souvent absent de la maison et nous avons accepté cela. Je retourne chez moi presque toutes les fins de semaine. D’ailleurs je consacre aujourd'hui plus de temps à ma famille pendant le week end que lorsque j'étais député provincial. Mon bureau de circonscription est tout près de chez moi et je n'ai plus a me déplacer un peu partout dans l'Île. Bien sur je m’ennuie de ma famille pendant la semaine, mais si les miens vivaient  à Ottawa, je les verrais probablement moins car je travaille si souvent le soir. Nous avons dû abandonner l'élevage que nous faisions à la terme et vendre notre cheptel. Mais on s'y remettra plus tard.

Dans quelle mesure êtes-vous satisfait des services dont vous disposez au Parlement à Ottawa: bureau, personnel, services de soutien, etc.?

M. Cassidy  : Les députés fédéraux ont accès à biens meilleurs services qu’au Parlement de l’Ontario. Les ressources sont beaucoup plus nombreuses ici. On veille à ce que les députes soient servis d'abord.

À Queen’s Park les mœurs politiques ont été si marquées par les quatre décennies de gouvernement conservateur qu'il fallait constamment se battre pour obtenir le moindre service. Les députés ministériels n'avaient pas de problème, car bon nombre d'entre eux étaient ministres ou adjoints parlementaires; on était à leurs petits soins, Dieu merci. Si le traitement est différent ici, c'est que les partis se sont succédés plus fréquemment au pouvoir et que les simples députés sont nombreux des deux côtés de la Chambre.

Il est très précieux d'avoir une bonne bibliothèque parlementaire. Naturellement la Bibliothèque du Parlement est beaucoup plus fournie que celle de Queen's Park, bien que celle-ci se soit beaucoup améliorée au cours des sept ou huit dernières années, et qu'elle soit comparable à celles de la plupart des autres provinces.

L’appareil administratif est plus grand à Ottawa, et plus nombreux sont les règlements mais, au moins, on nous les communique. Parfois ils sont bizarres et bien des choses sont frustrantes à mon avis. Ainsi, il ne m'est pas possible d'obtenir des rayons de bibliothèque convenables pour mon bureau; ça n'est pourtant pas si compliqué. Mais, tout compte fait je trouve qu'il règne un certain ordre dans l'administration, ce qui est très louable.

Les députés fédéraux disposent de meilleures ressources en personnel. Encore là, ce n'est pas toujours parfait – mes employés n'ont pas une minute à eux, tant la pression est grande – mais c'est bien mieux qu’au Parlement de l’Ontario. Je crois que ce qui compliquait le plus ma tâche comme député provincial, c'était qu'il me fallait tout faire moi-même, ou trouver quelque bénévole pour m'aider ou bien rivaliser avec mes collègues peut utiliser les ressources très limitées de notre caucus, et ce, simplement pour m’acquitter de mes responsabilités premières, notamment celle de servir de porte-parole efficace de l'opposition. À Queen's Park, il y a encore des députés néo-démocrates qui doivent critiquer des ministères disposant d'un budget de 6 milliards de dollars par année – l'Éducation et la Santé par exemple – et ils ne peuvent compter, pour cela, que sur l'aide d'une personne qui doit à la fois être réceptionniste, secrétaire, recherchiste, etc. et d’une autre pour s'occuper des dossiers du bureau de la circonscription.

M. Binns: Naturellement, les mécanismes du Parlement fédéral et ceux de l'Assemblée législative de l'Île-du-Prince-Édouard ne sont pas comparables. Le Parlement de l'Île-du-Prince-Édouard ne siège pas, en moyenne, plus de trois mois par an. La plupart du temps, les ministres jouent un grand rôle dans l'administration de leur ministère. Tout est à une échelle plus petite et il est facile de connaître les fonctionnaires qui administrent la plupart des programmes. Tout est à la portée de main.

Ici à Ottawa l'appareil est beaucoup plus complexe. Il y a un tas de gens à connaître – et beaucoup que je ne connaîtrai jamais – dont la fonction est en rapport avec ce que je fais. Il me faudra donc plus de temps pour obtenir des résultats, parce qu'il y a plus d'étapes à franchir avant qu'une décision soit prise.

Ici, on a accès à une documentation considérable. Les choses sont plus difficiles à repérer, et mon personnel et moi-même devons mettre plus de temps à les trouver, mais il ne m’est jamais arrivé, jusqu'à présent, de ne pas trouver ce que je cherchais.

Certaines séances d'orientation offertes aux nouveaux députés m'ont été très utiles. Un député administre en quelque sorte, une véritable petite entreprise. On lui fournit une certaine aide financière et le droit d'embaucher du personnel. On lui donne certaines lignes directrices, mais après cela, c'est à lui à décider ce qui sera le mieux pour ses électeurs et ce qui répondra le mieux à ses besoins pour bien les servir. Il lui incombe d'installer ses bureaux, de les doter en personnel, de les meubler et de les administrer efficacement. Normalement, le député provincial de l'Île-du-Prince-Édouard ne dispose ni d'un bureau de circonscription ni d'un personnel propre. Ces séances d'information m'ont donc été utiles. Elles m'ont fait connaître les services de soutien mis à ma disposition par le bureau du whip, entre autres, et comment les utiliser. La procédure législative étant assez semblable à celle des assemblées législatives, j'avais donc moins besoin de formation dans ce domaine.

Selon vous, la procédure législative du Parlement est-elle satisfaisante? Y a-t-il des réformes qui s'imposent?

M. Garneau: J’ai vu bien des changements au règlement au cours de ma carrière et, bien que je ne sois pas un spécialiste en la matière, je crois due la meilleure chose est encore la bonne volonté des députés. Sans cela, rien ne peut marcher. Il y a, toutefois quelque chose que je veux mentionner au sujet du fonctionnement de la Chambre des communes : les séances avant lieu de 11 à 18 heures, les députés n’ont pas beaucoup de temps pour prendre connaissance des dossiers et consulter des gens. Si on n'a qu'une semaine pour étudier un projet de loi complexe, on ne peut le faire qu'entre 9 heures et 11 heures le matin ou en soirée. Mais on a souvent de la correspondance ou d'autres documents à lire et il faut bien prendre le temps de manger. Lorsque j'étais à l'Assemblée nationale, on siégeait à partir de 15 heures. On avait donc toute la matinée pour se préparer et rencontrer des groupes ou des commettants. Mais, naturellement, il y en a qui disent que les séances en soirée ne sont pas sans inconvénient et qu'elles sont une perte de temps. Je laisserai donc à ceux qui ont plus d'expérience que moi le soin de suggérer des réformes viables.

M. Cassidy. On a bien fait de supprimer les séances du soir, mais cette question est délicate. Les séances du soit viennent de très loin et je trouve ridicule qu'on siège de 20 heures à 22 h 30 deux jours par semaine en Ontario. Peut être devrions-nous commencer plus tôt le matin, à 7 h 30 ou 8 heures. On le fait de plus en plus au cabinet du premier ministre et à Washington.

En général, nos institutions politiques sont très souples et puissantes. Leur efficacité dépend principalement de deux facteurs: la compétence des gens qui les dirigent et notre culture politique. Le manque d'harmonie entre les diverses composantes du pays nous imposent des contraints. Le Canada est un pays beaucoup plus difficile à gouverner maintenant qu'il ne l'était il y a quelques années. Nous, faisons face aux difficultés que connaissent tous les pays occidentaux, le fardeau du fédéralisme en plus.

Certaines réformes s'imposent. Il faut améliorer la circulation de l'information, donner au Parlement et aux assemblées législatives les moyens de comprendre certaines des questions qui gagnent en importance.

Nul doute que la période des questions à la Chambre des communes se déroule beaucoup mieux qu'à l’Assemblée de l'Ontario. Selon moi, c'est principalement parce que le président doit, conformément à la tradition, se montrer très ferme dans l'allocation du temps. Ainsi, bien que la période des questions ne dure que 45 minutes, nous avons l'occasion de poser environ six séries de questions par jour. À l'Assemblée de l'Ontario où la période des questions dure une heure. nous ne pourrions poser que quatre ou cinq séries de questions qui, bien sûr, tendraient à être plus longues. La période des questions à Ottawa est toutefois plus animée. Elle retient davantage l'attention. Comme la presse suit de plus près la période des questions, les propos qui y sont échangés entre parlementaires sont vite rapportés. À Queen's Park, la presse semble être extrêmement à l'aise avec le gouvernement au pouvoir.

La présence des caméras de télévision est une autre différence. Les seules images que nous avons des délibérations de Queen's Park sont celles prises par les journalistes qui ont le droit d'apporter des caméras vidéo à la tribune de la presse. Les angles et l'éclairage sont toutefois mauvais et les journalistes tendent à se limiter à de courtes prises de vue. J'ai fait partie du comité qui a recommandé la télédiffusion des délibérations de l'Assemblée législative de l'Ontario et les députés ont permis aux journalistes d'utiliser des caméras vidéo, puisque c'est une façon peu coûteuse de rendre nos délibérations publiques. Malheureusement, on n'a pas poussé plus loin. Il est selon moi beaucoup plus sain de télédiffuser la période des questions et le reste des délibérations. Certains de mes électeurs et d'autres citoyens se font une opinion à partir des débats télévisés. Je suis donc en faveur de télédiffuser les délibérations des comités de ce Parlement. Le temps est venu de mettre cette idée en application.

Une des différences entre la Chambre des communes et Queen's Park au niveau de la procédure est qu'à l'Assemblée législative de l'Ontario les ministres peuvent faire des déclarations à n'en plus finir et les porte-parole de l'opposition n'ont pas droit de réplique. Ces déclarations peuvent durer près d'une heure et la période des questions se prolonge alors jusqu'à 16 heures. À ce moment-là, les journalistes sont partis et tout orateur parle pont ainsi dire dans le vide. À la Chambre des communes, il est rare que soient prononcées des déclarations semblables, en partie parce que les porte-parole ont droit de réplique. On réserve plutôt les premières minutes de la période à des députés qui voudraient faire des déclarations sur des points d'intérêt public et je pense que cette façon d'étaler des questions au grand jour a du bon sens.

De même, la règle limitant les commentaires sur les projets de loi à 10 minutes à la Chambre des communes a énormément contribué à animer le débat.

La structure et les fonctions des comités sont-elles différentes de celles des comités des assemblées législatives?

M. Garneau: Oui. Dans l'ensemble, les mécanismes législatifs des deux paliers se ressemblent au point d'être du pareil au même. La différence la plus marquée se trouve dans le fonctionnement des comités à Québec, lorsqu'un ministre déposait un projet de loi, il était présent à toutes les étapes de son examen pour le défendre de A à Z. Au Parlement fédéral, le ministre n'assiste pas nécessairement aux délibérations du comité qui examine le projet de loi article par article. Il lui arrive de témoigner et de répondre à des questions, mais le gros du travail se fait avec les fonctionnaires du ministère. Par exemple, le Comité permanent des comptes publics, dont je suis membre, ne voit que rarement le ministre des Finances. Le comité procède lui-même à l'audience des témoins et le ministre n'y vient que s'il est convoqué. Je trouve cette procédure intéressante. Elle tend à réduire la responsabilité ministérielle directe, mais c'est peut-être la seule façon de fonctionner dans un pays aussi vaste que le Canada où les ministres sont souvent appelés à se rendre dans les régions. Par contre, cette procédure a un avantage : comme le ministre n'est pas là, les députés ministériels ont une plus grande responsabilité à assumer en comité, puisque ce sont eux qui doivent faire adopter le projet de loi.

C'est peut-être aussi pourquoi les hauts fonctionnaires ont plus de poids à Ottawa qu'à Québec. Et cela s'explique par l'ampleur de la tâche du ministre et par l'étendue du territoire canadien. Le ministre se doit de déléguer de plus en plus de responsabilités et évidemment, il ne peut connaître dans le détail tout ce qui relève de lui. Il lui faut se lier à ses fonctionnaires, surtout en ce qui concerne les questions administratives. Il m'est arrivé plusieurs fois, au cours des six années où j'ai été ministre des Finances du Québec d'être félicité et critiqué pour des choses que j'ignorais totalement.

M. Binns: Le haut degré de spécialisation, et la rigidité des structures qui en découle, m'ont frappé, à l'administration fédérale. A l’Île-du-Prince-Édouard, les députés doivent être bien informés sur tous les programmes et les services des gouvernements, autant fédéraux que provinciaux. En effet, l'économie de cette province est si diversifiée qu'on a quotidiennement affaire à des agriculteurs, des pêcheurs. des petits entrepreneurs, des organismes municipaux et des groupes communautaires.

À Ottawa, je fais partie du Comité permanent des pêches et de l’agriculture et ces deux domaines occupent à eux seuls une grande partie de mon temps.

Les comités semblent très bien fonctionner. Jusqu'à maintenant, je les ai trouvés assez souples. Un simple député a tout le loisir d'exprimer ses opinions et de faire part de ses inquiétudes à un ministre, il des hauts fonctionnaires. etc. Une des faiblesses des comités est que les pouvoirs sont limités et, qu'en général, ils ne peuvent que formuler des recommandations. Le système est ainsi fait et je m'en accommode. De toute façon, des arguments persuasifs mènent souvent à des changements.

Je suis heureux que le gouvernement ait établi un comité chargé de réviser la procédure. C'est un domaine complexe. Bien sûr, le Cabinet donne essentiellement le ton à la Chambre et le simple député emboîte le pas. Le défi consiste à rehausser le rôle du simple député. Il y aurait lieu entre autres de confier aux comités plus de responsabilités en ce qui a trait à la gestion des finances. Je ne suis toutefois pas convaincu qu'il faille modifier aussi radicalement un système qui, dans l'ensemble, a assez bien fonctionne jusqu’à maintenant.

Les députés comprennent-ils et respectent-ils suffisamment les dispositions du Règlement de la Chambre et les utilisent-ils?

M. Cassidy: Selon moi, le Règlement est complexe et il n'est pas nécessaire d'en connaître tous les articles. Les partis tendent donc, à juste titre, à confier à un député ou deux la tâche d'étudier à fond le Règlement et n’exigent des autres membres que d'en avoir une vue d'ensemble. Bien que j'aie toujours été au fait des règles parlementaires c'est en me trompant et en me faisant corriger que j'en ai le plus appris à cet égard.

Le caucus est-il organisé différemment à Ottawa?

M. Garneau: Le nombre joue un rôle important dans l'organisation du caucus. Après les élections de 1978 au Québec, les Libéraux détenaient un gouvernement majoritaire avec 102 députés. Ceci posait des problèmes d'organisation et de coordination. Mais quand on a 211 députés, comme en ont les Conservateurs présentement ca deviennent rudement compliqué. Ils ont besoin d'un amphithéâtre chaque fois qu'ils veulent se réunir. Quant aux Libéraux, ils sont environ 120, en comptant les sénateurs.

Je pense que les caucus régionaux ont une plus grande importance au niveau fédéral. Ce n'est pas seulement une question de nombre. En effet, les différences entre les diverses régions du Canada sont beaucoup plus marquées que celles qui existent entre les régions d'une province.

L'autre différence concerne les sujets abordés aux réunions des caucus provinciaux et fédéraux. Quand j'étais à Québec, on a rarement parlé des ententes avec le marché commun, des relations avec les États-Unis ou de la défense nationale. Par contre, à Ottawa, ces sujets sont de notre compétence, et ils s'élèvent souvent au-dessus des querelles partisanes.

M. Binns : Nous avons ici un caucus provincial et un caucus régional qui se recontrent à intervalles réguliers. Le caucus régional est très utile. Il crée un esprit de fraternité entre les députés d'une même région et nous donne l'occasion de discuter de questions que nous ne pouvons peut-être pas aborder dans le cadre de nos autres travaux, au sein des comités permanents par exemple.

M. Cassidy: Le caucus de notre parti a été rajeuni au cours des dernières élections, mais nous avons tant à faire que nous ne savons pas par où commencer. Notre participation aux principaux comités est presque égale à celle des Libéraux et nous sommes pratiquement sur un pied d'égalité avec eux pour poser des questions à la Chambre. Nous disposons donc questions à la Chambre. Nous disposons donc de près de la moitié du temps réservé à l'opposition, ce qui nous donne l'extraordinaire possibilité de développer des thèmes, puisque nous pouvons poser trois ou quatre questions sur un point précis. Chacun de nos députés, toutefois, doit investir énormément d'efforts et de temps à cette tâche.

Au cours des premiers mois, notre charge de travail ne nous a pas permis de multiplier les contacts sociaux informels avec d'autres membres du caucus. Je dispose maintenant d'un peu plus de temps pour rencontrer mes collègues néo-démocrates. Les 23 députés qui ont siégé à la chambre dans des conditions très difficiles au cours de la dernière législature sont très liés. Il faudra encore quelque temps avant que tous les nouveaux députés soient complètement intégrés à ce groupe.

L'organisation d'un caucus dépend en fait des ressources dont peuvent disposer les partis d'opposition pour faire leur travail. Un député de l'opposition n'a à son service que trois ou quatre employés, ce qui est insuffisant pour lui permettre d'accomplir sa tâche.

Il faut également reconnaître l'importance des déplacements. Les députés du gouvernement, et tout particulièrement les ministres, peuvent se déplacer beaucoup plus librement que ceux de l'opposition. Un député de l'opposition essaie toujours de faire un court voyage à de multiples fins. Peut-être son déplacement serait-il plus profitable s'il pouvait se limiter à une question par voyage.

Y a-t-il beaucoup de contacts entre les députés des différents partis?

M. Cassidy: C'est curieux, à Queen's Park, les députés d'un même caucus ont généralement leur bureau dans une même partie de l'édifice. Ici, au Parlement, les bureaux des députés sont dispensés. Dans chaque corridor on trouve trois ou quatre bureaux de conservateurs, deux ou trois de libéraux et de néo-démocrates. Les membres des différents partis ont ainsi davantage l'occasion de communiquer entre eux, ce qui est sain pour l'institution.

M. Binns: Les contacts sont déterminés par deux facteurs autres que l'appartenance à un parti. Les députés d'une même région tendent à avoir des intérêts communs, malgré leurs divergences d'opinion. En outre, des liens se créent selon le domaine de travail, au sein des comités permanents, par exemple. Étant donné la très forte majorité conservatrice dans cette législature, j'ai plutôt tendance à m'associer avec des conservateurs.

Y a-t-il trop de roulement au Parlement? Vaudrait-il mieux pour l'institution que plus de gens passent leur vie en politique?

M. Garneau: Il est certain que le Parlement actuel est un cas extrême. La plupart des députés libéraux ont une longue expérience. Certains y sont depuis 15 ou 20 ans. Si la population décide de faire un grand nettoyage, c'est son droit. C'est le privilège de toute démocratie. Le système américain, qui prévoit une rotation au Sénat, assure une meilleure continuité mais on voit mal comment on pourrait l'adapter à notre régime parlementaire. En Europe, on trouve des hommes politiques qui sont là depuis cinquante ans; ils sont incrustés dans la vie publique comme des fleurs dans les tapis. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose. Un politicien a intérêt à s'éloigner de la vie publique pendant quelque temps. J'ai l'impression d'être un meilleur député grâce à l'expérience que j'ai acquise au cours des cinq dernières années.

M. Cassidy: Je crois qu'il est sain d'y entrer et d'en sortir. Nul doute qu'une personne qui a une dizaine d'années d'expérience au sein d'une assemblée législative peut contribuer énormément à la vie publique. Mais chaque institution doit sans cesse se renouveler. Ceci se fait en partie par des changements de postes et des départs à la retraite. Dans la plupart des cas, les bons députés demeurent. Il arrive, cependant, que certains des meilleurs et des plus intelligents se fassent concurrence dans la même circonscription et que l'un d'eux doive alors céder sa place. Toutefois, un système totalement stable ne serait pas seulement ennuyant, il serait moins efficace.

Est-il important d'avoir de l'expérience à la fois au niveau provincial et au niveau fédéral?

M. Cassidy: C'est difficile à dire. Mon expérience au niveau municipal m'a été utile lorsque je suis entré à l'Assemblée législative de l'Ontario parce que la politique municipale n'est pas, par essence, fondée sur la confrontation. Je pouvais recueillir l'appui d'autres gens sans m'inquiéter des allégeances politiques. J'y ai beaucoup appris sur l façon de bâtir un consensus. De toute évidence, mon expérience au niveau provincial m'a également permis de m'adapter assez rapidement ici. Je ne crois toutefois pas qu'il soit nécessaire de posséder les deux expériences. C'est bien de pouvoir compter sur des gens qui connaissent les rudiments de la politique provinciale. S'il n'y en avait pas, il serait plus difficile pour le Parlement de comprendre ce qui se passe dans le pays.

M. Garneau: La procédure parlementaire, ce n'est pas du chinois. Il est relativement facile de se familiariser avec les mécanismes de notre système parlementaire. L'important est d'avoir une expérience de la vie, une expérience en administration et d'être formé aux débats publics. Cette expérience peut s'acquérir de bien des façons: en étant député ou ministre, en s'occupant de politique municipale, en participant aux activités des chambres de commerce, des clubs féminins, des organisations paroissiales, des associations sportives, etc. Un politicien doit être capable de comprendre ce qui se passe autour de lui et d'en être le miroir à la Chambre des communes ou dans son assemblée législative. Si on n'a jamais rien administré, si on n'a jamais rendu compte à quiconque de ses pensées ou de ses gestes, on est absolument pas prêt à être député. L'expérience de la vie est nécessaire, mais elle s'acquiert surtout avec l'âge. Certes, il peut y avoir dans un parlement une certaine proportion de jeunes, mais il faut une place à l'expérience et c'est ce qui fait une société civilisée, responsable et sage.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 8 no 1
1985






Dernière mise à jour : 2020-09-14