Yves de Roussan
Pour un Mode de scrutin équitable : La proportionnelle
territoriale, Commission de la représentation électorale, Québec, 1984, 199 pages.
La Commission de la représentation électorale, en
réponse à une résolution unanime de l'Assemblée nationale lui demandant de faire
le point sur le mode de scrutin actuel et de proposer, le cas échéant, des
recommandations, a déposé, le 28 mars 1984, un rapport intitulé « Pour un mode de
scrutin équitable ».
Ce n'est pas là le premier rapport sur ce sujet, mais
il s’agit, selon certains observateurs, de celui qui pourrait le plus
contribuer à une réforme du système électoral québécois. Il ne renferme
cependant pas une analyse originale et inédite. Dès 1982, en effet, le
gouvernement du Parti québécois faisait des propositions de réforme contenant
certains principes sur lesquels s’est appuyé la Commission lors de
l'élaboration de ses propres recommandations. Largement contestée, la
représentation proportionnelle régionale modérée (RPIRM) proposée par le
gouvernement, fût en effet abandonnée et c'est ainsi que la Commission,
organisme neutre, hérita du dossier.
Pour sa part, la Commission a opté pour la
représentation proportionnelle territoriale. Cette formule permet, d'une part,
de conserver en grande partie les liens entre les électeurs et les députés
grâce à la création de 22 territoires électoraux qui respecteraient « les plus
anciennes et les plus récentes subdivisions, soit les municipalités et leur
regroupement en ensembles plus vastes »; elle introduit, d'autre part, le
principe de la proportionnelle au sein de ces territoires.
La Commission a par ailleurs proposé deux hypothèses
de découpage électoral en maintenant, dans les deux cas, un nombre de sièges à
peine supérieur à celui (122) qui existe actuellement. Les circonscriptions
proposées couvrent des superficies très différentes. Selon l'hypothèse 1,
certaines d'entre elles ne regrouperaient que 3 députés (nombre minimum
permis), tel que le territoire du Saguenay-Lac Saint-Jean; d'autres, comme
Montréal Est, atteindraient jusqu'à 19 députés. La création de tels territoires
électoraux répond à la volonté de forcer les députés à agir sur une base
régionale, plus conforme aux réalités politiques du Québec. La Commission
considère d'ailleurs cette transformation majeure comme un point fort de sa
proposition, car elle serait mieux adaptée aux besoins de représentation
politique des Québécois. En effet, les électeurs indiqueraient sur le bulletin
de vote leur préférence pour l'un des partis, ce qui déterminerait, selon un
mode de répartition mathématique préétabli, le nombre de sièges accordés à
chacun des partis dans chaque territoire.
Les formations politiques devront présenter, dans
chacune des circonscriptions, une liste de candidats aux postes de députés,
leur nombre ne devant évidemment pas excéder le nombre de sièges disponibles.
Ce type de scrutin de liste offre deux possibilités :
l'utilisation d'une liste ouverte ou d'une liste fermée. La plupart des modes
de scrutin faisant usage d'une liste ne laissent habituellement pas aux
électeurs le choix d'ordonner les candidats selon leur ordre de préférence. La
liste est préétablie selon des habitudes propres à chaque parti et un vote pour
un parti implique l'acceptation de la liste proposée.
Pour sauvegarder les liens actuels entre le député et
la population, la Commission a indiqué sa préférence pour une liste ouverte
qu'elle a qualifiée elle-même de « panachée ». Une telle formule implique que
l'électeur devrait d'abord voter pour le parti de son choix, puis il aurait le
loisir d'effectuer lui-même son choix de candidats, sans se limiter à ceux de
la liste du parti pour lequel il a préalablement exprimé sa préférence.
Un scrutin de liste ne peut que transformer
fondamentalement le rôle actuel du député, et ce, que les listes soient
ouvertes ou fermées. Une liste fermée implique que l'ordre d'importance des
députés est déterminé par leur parti respectif, et que les chances d'un
individu de se faire élire dépendent donc plus des luttes au sein de chaque
parti ou du bon vouloir des dirigeants que de son enracinement dans le milieu.
Le risque d'accentuer encore l'omnipuissance des partis politiques est donc
très réel.
La liste ouverte soulève également un certain nombre de
questions. En effet, si les électeurs peuvent voter selon leurs préférences, la
lutte pour la première place dans un territoire se fera au grand jour et la
compétition s'engagera également entre candidats du même parti.
Par ailleurs, les individus ayant une certaine
notoriété à la grandeur du territoire seront plus susceptibles de percer que
les autres. Avec une liste ouverte, les députés délaisseront donc les questions
locales et leur rôle d'ombudsman; ils s'en trouveront donc coupés de la
population et de ses besoins. À moins, bien entendu, que les partis ne
répartissent des portions de territoire entre les députés, qui auraient alors à
les gérer, politiquement, mais c'est là présumer beaucoup de réactions de
partis face à l'adoption d'une telle liste.
L'optique qui a amené la commission a proposer ce
panaché est sans aucun doute tout à son honneur Imaginons cependant le cas où,
à la suite d'un moi d'ordre local, un certain nombre de fidèles électeurs d'un
parti X décident d'attribuer leurs votes à un candidat du parti Y, ce qui dans
le contexte des moeurs électorales nord-américaines ne serait pas
particulièrement étonnant. Il est alors fort possible, et même à prévoir,
qu'ils pourraient ainsi déterminer la victoire ou la défaite du candidat du parti
Y, mais non pas forcément celui que les propres électeurs de ce parti auraient
voulu voir battre ou élire.
Dans un autre ordre d'idées, il faut se demander
comment, dans le cadre de la proportionnelle territoriale, se ferait le
financement des campagnes électorales des candidats? Les remboursements des
dépenses électorales seraient-ils versés aux candidats, ou à l'organisation
territoriale de chaque parti? Il est de toute façon presque certain que l'on
assisterait à une inflation des dépenses électorales. Comment se feraient les
nominations des candidats? Par de gigantesques assemblées, ou par décret des
exécutifs de parti? Les questions sans réponse on le voit, restent nombreuses;
surtout si l'on considère que chaque parti devra refondre la presque totalité
de ses statuts internes, sans oublier non plus la rupture du pattern
organisationnel liant le Parti libéral du Québec et celui du Canada, rupture
qui serait de nature à créer certains problèmes au niveau des structures
politiques locales.
Quant à d'éventuels candidats indépendants, la
solution retentie par la Commission a pour effet de créer deux poids deux
mesures. En effet, puisque chaque indépendant serait considéré comme un parti,
il deviendrait impossible pour un citoyen, s’il vote d'abord pour un parti,
d'inclure un indépendant dans la liste des députés qu'il désire voir siéger à
l'Assemblée nationale. Ce même citoyen pourrait cependant inclure dans sa liste
des députés une formation politique différente de celle pour laquelle il a
exprimé sa préférence. Cette situation pour le moins curieuse aurait donc pour
effet de diminuer les votes potentiels accordés aux candidats indépendants.
En fait, tout cela découle directement du fait que les
propositions de la commission ne contiennent aucune comptabilisation nationale
des votes résiduels accordés à un parti politique. Ainsi, seuls les partis
régionaux seraient avantagés, au détriment des partis nationaux allant chercher
des sympathisants dans tout le Québec. La proportionnelle territoriale n'élimine
donc pas véritablement les distorsions rencontrées dans le mode de scrutin
uninominal à un tour; elle ne fait que les atténuer.
La Commission prend par ailleurs position contre la
possibilité qu'ont les députés de devenir indépendants en cours de mandat. Elle
suggère, advenant le cas, que le député en question soit forcé de démissionner
pour être automatiquement remplacé par le premier candidat non élu du même
parti ayant, au sein de ladite circonscription, obtenu le plus grand nombre de
voix. La même procédure s’appliquerait chaque fois qu'un siège se trouverait
vacant, quelle qu'en soit la raison. Voilà donc qui réglerait le sort de toute
élection partielle.
À propos des députés qui deviennent indépendants en
cours de mandat, on ne peut s'empêcher de noter que la Commission n'est pas
véritablement conséquente avec ses propres recommandations. Elle suggère en
effet de laisser à l'électeur le choix de nombreux
représentants en favorisant une liste de type ouvert, mais, du même souffle,
elle nie aux députés la possibilité de changer d'allégeance en cours de mandat.
De deux choses l'une : ou les électeurs ne votent que pour un parti politique,
et on interdit alors aux députés de changer d'étiquette en cours de mandat ou
on permet à l'électeur d'exercer un libre choix grâce à une liste ouverte, et
alors le vote pour le député n'équivaut plus au vote pour le parti et l'on se
doit de laisser au député une grande autonomie.
La proposition de la Commission au sujet des
changements d'allégeance ne vient-elle d'ailleurs pas à l'encontre de l'article
43 de la Loi sur l'Assemblée nationale du Québec qui stipule « qu'un député jouit
d'une entière indépendance dans l'exercice de ses fonctions ? Dans ce contexte,
comment ne pas faire écho à Marcel Adam, éditorialiste au journal La Presse,
lorsqu'il se demande à quoi servira au peuple d'être mieux représenté à
l'Assemblée nationale si notre parlementarisme continue d'être menotté par une
solidarité partisane dont la rigidité quasi-dictatoriale est peut-être sans
équivalent dans les démocraties parlementaires ». (3 décembre, 1983)
La Commission parlementaire qui doit se réunir dans le
courant de la deuxième semaine d'octobre et qui est mandatée pour procéder à
l'analyse du rapport de la Commission de la représentation électorale devra
sûrement se pencher sur ces nombreux points. Il faut espérer qu'elle saura
clarifier le débat et apporter des réponses à certaines de ces questions.
Yves de Roussan
Agent de recherche auprès de M. Guy Bisaillon
Assemblée nationale du Québec
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