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Octobre,
le Mois de l'histoire des femmes, est une initiative de Condition féminine
Canada visant à susciter l'appréciation des contributions passées et présentes
des Canadiennes et à démontrer que leurs réalisations constituent un élément
vital de notre patrimoine. Il est fort à-propos que le Sénat s'associe à ces
célébrations, en effet, le mois d'octobre a été choisi parce qu'il coïncide
avec la commémoration annuelle de « l'affaire personne ». C'est à la suite de
cette affaire, en octobre 1929, que le statut de « personne » avait été accordé
aux femmes, ce qui leur a permis d'occuper des sièges au Sénat. Peu après, Cairine Wilson était nommée au Sénat par le premier ministre King. Depuis, de
nombreuses femmes ont siégé au Sénat et y ont apporté une contribution très
importante.
Le 8
octobre 1993, le Sénat a organisé une table ronde intitulée « Les contributions
des femmes au Sénat ». Les participantes étaient Lorna Marsden, présidente et vice-chancelière de l'Université Wilfrid Laurier, sénateur de 1984 à 1992 et
ancienne présidente du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des
sciences et de la technologie; Joan Neiman, admise au barreau de l'Ontario en
1954, nommée au Sénat en 1972 et, pendant huit ans, présidente du Comité sénatorial
permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, et Marjory LeBreton,
qui a travaillé au sein du Parti conservateur pendant 31 ans, a été nommée chef
adjoint du cabinet du premier ministre Mulroney en 1987 et a été nommée au
Sénat en 1993. L'animatrice était Heather Lank, de la Direction des comités du
Sénat. Voici quelques extraits des discussions.
Quel a été l'apport des femmes sénateurs?
Le
sénateur Joan Neiman : Il n'y a eu au total que 35 femmes sénateurs depuis
1930. À ma nomination, en 1972, j'étais la quatorzième, donc, nous n'avons pas
vraiment fait beaucoup de progrès, mais c'est bien que nous soyons une
quinzaine aujourd'hui. C'est un début. Je pense que la présence des femmes au
Sénat a changé énormément de choses, mais peut-être pas autant que nous
l'aurions souhaité.
Le
sénateur Marjory LeBreton : Les femmes abordent généralement les problèmes et les
solutions d'une manière bien différente de celle des hommes. Les institutions parlementaires,
toutes les institutions en fait, auraient tout avantage à compter plus de
femmes dans leur rang. Pendant de nombreuses années, le Parlement et la
politique étaient considérés comme réservés aux hommes. Cette façon de voir est
en train de changer, lentement, mais sûrement. Il importe que les femmes qui
entrent en politique et au Parlement se rendent compte, comme j'ai dû moi-même
le faire, qu'elles n'ont pas besoin de copier les hommes pour survivre, ni de
sacrifier leur « féminité » pour y jouer un rôle de premier plan.
Lorna
Marsden : J'ai examiné à fond cette situation à la lumière de trois grandes
questions. La première portait sur l'impact qu'ont eu les femmes sénateurs sur
la réforme du divorce au Canada.
Le
divorce était naturellement une question d'une très grande importance parce que
le Sénat a examiné toutes les requêtes en divorce pendant un trop grand nombre
d'années. Les hommes et les femmes sénateurs sont donc parmi les grands
pionniers de la réforme du divorce au Canada. En fait, il y eut un comité mixte
de la Chambre et du Sénat sur la réforme du divorce. Si vous lisez, dans les
procès-verbaux, les interventions de Muriel Ferguson, vous les trouverez sans
doute extraordinairement intéressantes. Elle faisait partie des Femmes d'affaires
et de carrière, de l'Association des femmes diplômées des universités et de
divers autres organismes féminins nationaux. Pendant des années, ces organismes
ont exhorté le gouvernement à procéder à une réforme du divorce afin de le
rendre plus équitable. Les femmes devaient toujours fournir des preuves pour
deux motifs de divorce et faisaient face à toutes sortes de complications.
Les
diverses associations sont venues témoigner aux audiences sur la réforme du
divorce. Nous savons que bon nombre de sénateurs, et certainement Muriel
Ferguson, avaient en main les mémoires des associations dont elles faisaient
partie. Tous les sénateurs ont posé des questions aux témoins. Toutefois, le
sénateur Ferguson en a posé deux très perspicaces aux représentantes de chaque
association. La première était la suivante : « Combien de membres compte votre
association? », parce qu'elle savait pertinemment que le nombre de membres
importait aux politiciens. Elle fit ainsi remarquer que les associations qui
s'opposaient à la réforme du divorce étaient en général organisées différemment
des autres, de sorte que même si elles rassemblaient des millions de personnes,
elles comptaient relativement peu de membres officiels à cause de la structure
de leur organisation. Par contre, le Conseil national des femmes du Canada, qui
accorde le statut de membre à toutes les personnes qu'il rassemble, compte donc
un très grand nombre de membres. Le sénateur Ferguson posait ces questions pour
faire consigner ce fait au procès-verbal et pour qu'il en soit tenu compte.
À cette
époque, la nouvelle présidente du Conseil national des femmes n'était pas très
bien informée. Le sénateur Ferguson lui demanda si elle avait un mémoire écrit
sur le sujet. Lorsqu'elle eut répondu oui, le sénateur Ferguson lui demanda si
elle avait des exemplaires pour le Comité. Après qu'elle eut répondu qu'elle ne
le pouvait pas parce qu'elle n'en avait pas d'exemplaires, le sénateur Ferguson
annonça : « Il se trouve que j'ai justement 30 exemplaires », et elle les
distribua aux membres. Le mémoire fut donc consigné au procès-verbal, ce qui
lui importait avant tout.
Les
femmes sénateurs connaissaient en profondeur les questions qui touchaient tout
particulièrement la vie des femmes et, grâce à leurs efforts, ces questions ont
pu être portées à l'attention du Parlement. Si vous comparez les interventions
des femmes sénateurs avec celles des députées, vous constaterez une énorme
différence. Les femmes sénateurs sont les mieux informées, les plus au fait de
tout. Leurs assises sont plus solides et, pour cette raison, elles ont eu une
grande influence.
Si vous
lisez les biographies des femmes sénateurs, en particulier des 13 premières
d'entre elles, l'une des premières choses qui vous frappe est que chacune était
liée, sous un certain aspect, à un organisme féminin ou au mouvement des femmes
: l'association des femmes de leur parti, l'association des femmes de leur
profession, la Fédération canadienne des femmes diplômées des universités. le
club des Femmes d'affaires et de carrière ou le Comité canadien d'action sur le
statut de la femme. Par contre, les biographies des hommes, aussi intéressantes
qu'elles puissent être, montrent bien sûr qu'ils ne font pas partie
d'associations masculines, parce que, au chapitre des institutions, l'univers
des hommes et des femmes de ce pays est organisé d'une manière très différente.
Au Sénat, le fait d'être un homme ou une femme
entre-t-il en ligne de compte, indépendamment des affiliations et de la
fidélité envers un parti ou une région?
Lorna
Marsden : Je pense que ce facteur, comme de nombreux autres, joue un rôle très
différent de celui du parti et je ne pense pas que ceux qui ont observé le
fonctionnement du Sénat aient le moindre doute à ce sujet. Les alliances et les
coalitions qui se forment au Sénat n'ont souvent rien à voir avec les partis.
C'est ce qui rend le Sénat si intéressant et c'est également la raison pour
laquelle nous avons besoin du Sénat; en effet, les coalitions très importantes
qui s'y forment permettent de réaliser beaucoup de choses. Nous sommes tous
très reconnaissants aux sénateurs des deux côtés de la Chambre du rôle qu'ils
ont joué pour empêcher la fusion du Conseil des Arts du Canada et du Conseil de
recherche en sciences humaines. Ceux d'entre nous qui sont dans le milieu
universitaire se sont beaucoup réjouis du rejet de ce projet de loi.
Le projet
de loi sur l'avortement a aussi conduit à la formation d'une autre alliance
indépendante des structures partisanes, fondée cette fois sur les convictions
personnelles et la volonté d'agir.
Je pense
qu'il existe un caucus des femmes. Il n'est pas structuré et ne se réunit pas
au déjeuner tous les jeudis, par exemple, mais, quand les femmes ont des
intérêts communs, elles se rassemblent. Il serait plus juste de parler d'un
réseau plutôt que d'un caucus, car il réunit les femmes des différents partis
et même des deux Chambres. L'information circule librement.
Le
sénateur Joan Neiman : C'est vrai, mais pas dans une très grande mesure, car
nous avons toujours été trop peu nombreuses. Je peux cependant souligner
certains faits révélateurs. Le débat sur la Constitution a, assurément, été
très important pour nous à cause de la question des droits des femmes autochtones.
C'est en se regroupant, certainement pas en fonction de leur affiliation
politique, que les femmes ont fait savoir clairement que des changements
devaient être apportés à la Constitution pour protéger les droits des femmes
autochtones. Quant au succès de cette démarche, c'est une toute autre question.
Bon nombre d'entre nous s'intéressent toujours à la question et essaient de
corriger la situation.
La
question la plus importante dont nous avons discuté récemment est celle de
l'avortement. Elle revêtait une très grande importance pour nous. Il s'agissait
simplement d'insister sur la voie qui, à notre avis, devait être prise,
indépendamment des positions de nos partis politiques respectifs. C'est le vote
des femmes qui a fait toute la différence. Nous estimons que notre contribution
a été très importante.
Nous nous
intéressons à la politique et nous y militons depuis de nombreuses années. Les
institutions sont importantes en elles-mêmes, mais l'action des femmes dans
leur collectivité est beaucoup plus importante, quel que soit le niveau où
elles choisissent d'agir.
Le
sénateur Spivak et un groupe de femmes sénateurs ont essayé de former un caucus
féminin réunissant des membres de tous les partis, mais cela n'a pas marché. Le
temps a joué contre nous. C'était pourtant une excellente idée, qui me plaît
d'ailleurs toujours.
Le
sénateur Marjory LeBreton : Je suis tout à fait d'accord. Il est très important
que les sénateurs, quelle que soit leur affiliation politique, jouent un rôle
actif au sein du caucus de leur parti, afin de bien comprendre certaines des
questions et de faire valoir leur point de vue lorsqu'il s'agit de dégager un
consensus. Cela étant dit, il est des décisions, notamment celles qui touchent
les femmes et les enfants, et surtout celles qui concernent les femmes
seulement, que je n'appuierais pas, même si 99,9 p. 100 des membres de mon
parti étaient de l'avis opposé. Prenons par exemple l'avortement. Je
n'appuierais certainement pas une politique qui nierait aux femmes le droit de
choisir.
Parce que
j'ai été une jeune mère au travail, je suis persuadée de la nécessité de
services de garde, et de l'importance de les rendre facilement accessibles.
J'ai l'intention de m'appuyer sur mes expériences de vie, non seulement mes
expériences personnelles, mais l'expérience que j'ai acquise dans les coulisses
de la politique en observant l'attitude des gens envers les femmes. Les
intérêts régionaux ne me motiveront pas autant que mes convictions
personnelles. Ma condition de femme et mes expériences seront déterminantes. Je
sais ce que cela signifie d'être une secrétaire; je sais ce que cela signifie
de se sentir menacée. Toute femme qui a travaillé, en particulier dans mon
domaine, sait ce que veut dire le harcèlement ou le harcèlement sexuel au
travail. J'apporte sans aucun doute des expériences personnelles au Sénat.
À votre avis, devrait-on prendre des mesures
quelconques, comme l'établissement de quotas, pour assurer la présence au Sénat
d'un nombre minimum de femmes?
Lorna
Marsden : Je ne pense pas qu'on devrait fixer de nombre pas plus que je ne suis
en faveur d'une représentation proportionnelle de 50 p. 100. Si les sénateurs
étaient élus et que la formule des élections était convenable, il y aurait sans
doute plus de 50 p. 100 de femmes au Sénat, ce qui serait tout à l'avantage du
Canada et du Sénat. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles je
m'oppose tout à fait à l'établissement de chiffres. Je suis en faveur de la
réforme électorale et, certainement, d'une réforme du Sénat à ce chapitre. Reste
à voir si on procédera un jour à la réforme du Sénat, mais, dans cette
institution, il se passe déjà beaucoup de choses qui entraînent des changements
à l'application des règles, au fonctionnement des comités et à la manière dont
l'information est recueillie.
Les
hommes comme les femmes peuvent défendre les intérêts des femmes et faire part
de leurs réflexions sur la condition des femmes dans la société. Les sénateurs
des deux sexes nous en fournissent de nombreuses preuves. Par contre, certaines
femmes sénateurs qui ne sont nullement féministes ne partagent pas ce point de
vue, et il est normal qu'il en soit ainsi. Je m'intéresse à la question des
rapports entre les sexes, mais je ne veux pas qu'on me dise ce que je dois
faire parce que je suis une femme; c'est la raison pour laquelle je suis contre
les chiffres et les étiquettes.
Trois
questions distinctes sont souvent confondues. L'une est la suppression des
obstacles qui empêchent les femmes d'avoir accès au Sénat. Tous les obstacles
qui constituent de la discrimination fondée sur le sexe doivent disparaître. La
deuxième est celle des questions dont est saisi le Sénat. Un examen des
procès-verbaux permet de constater que le Sénat, même au cours des années où il
était presque exclusivement composé d'hommes, a examiné beaucoup plus souvent
que la Chambre des communes des questions qui préoccupaient tout
particulièrement les femmes, par le biais d'études spéciales et autres. Le fait
que ces questions, par exemple, celle de la violence, aient été portées à l'ordre
du jour a une grande importance.
La
question qui se pose alors est la suivante : Est-il suffisant d'avoir des femmes
en place? La réponse est non, parce que les femmes ont droit à toute la gamme
des opinions possibles, et je défendrai toujours ce droit. Personnellement, je
préférerais qu'on nomme au Sénat des féministes ou des gens qui partagent la
même vision du monde que beaucoup d'entre nous, c'est-à-dire qui prennent les
préoccupations des femmes en considération. Toutefois, je sais que bon nombre de
femmes défendent des points de vue totalement différents. Si vous examinez les
résultats du vote sur l'avortement, vous verrez que beaucoup de femmes ont voté
en faveur du projet de loi, mais un bon nombre également s'y sont opposé. Trop
souvent ces trois éléments, les obstacles, les questions et les idées
personnelles sont confondus sous l'étiquette de « Femmes ».
Le
sénateur Joan Neiman : Je n'aime pas l'idée d'établir des chiffres et je m'y
oppose parce que cela ne fonctionnerait pas dans un régime électoral. J'ai eu
l'occasion de travailler avec Mme Marguerite Ritchie, qui est présidente de
l'Institut canadien des droits humains. Cet Institut a accompli beaucoup de
travail utile, notamment dans la défense des droits des femmes autochtones et
d'autres domaines d'intérêt plus général.
Comme les
sénateurs continueront sans doute d'être nommés pendant encore un certain
temps, je ne vois pas pourquoi chacun et chacune d'entre nous ne pourrait
insister pour qu'un plus grand nombre de femmes soient nommées. Il faut bien
entendu reconnaître que cela ne serait pas facile si les sénateurs étaient
élus, mais, puisque nous procédons encore par nomination, cela devrait être
relativement facile.
Il est
important de noter que la population canadienne est actuellement constituée de
femmes dans une proportion de 52 p. 100. Le Sénat devrait donc compter un
pourcentage plus équitable de femmes, afin de mieux refléter la réalité
canadienne. Les femmes, qui ne sont actuellement que 15 sur 104 sénateurs, sont
trop peu nombreuses. Il conviendrait de presser notre gouvernement de faire un
effort pour corriger ce déséquilibre. C'est possible, et cela ferait toute une
différence pour le Sénat ainsi que pour les intérêts et les causes des femmes
si nous obtenions un tel changement au niveau des nominations. Le Canada compte
un grand nombre de femmes compétentes, intelligentes et actives dans la
société, tout autant que des hommes, mais il faut faire l'effort de les trouver
et de les faire connaître. Les hommes ne le feront pas; il y aura toujours des
gens qui se préoccuperont d'abord d'eux-mêmes ou de leurs amis. Il est donc
extrêmement important pour nous toutes de faire un effort pour trouver de
bonnes candidates.
Une
proportion plus élevée de femmes sénateurs ferait toute une différence. Si le
processus de nomination était maintenu pendant encore quelques années,
j'aimerais qu'on s'attache à pressentir un plus grand nombre de femmes
compétentes, de tout le Canada, pour occuper des sièges au Sénat. Nous
pourrions alors entreprendre de sensibiliser davantage les hommes et les femmes
aux questions qui touchent les femmes. Les femmes procèdent différemment. En
général, elles recourent moins volontiers à l'affrontement; elles préfèrent
plutôt prendre le temps d'étudier le problème et de trouver des solutions. Le
Sénat pourrait ainsi apporter une précieuse contribution.
Le
sénateur Marjory LeBreton : Je ne crois pas à la valeur des chiffres. En fait,
l'une des grandes questions du débat sur la réforme du Sénat dans le cadre des
accords du lac Meech et de Charlottetown a été de savoir ce qu'il adviendrait
des sénateurs qui représentent des régions si le Sénat était élu et si des
chiffres étaient fixés; que se passerait-il dans une province qui a droit à six
sénateurs et où il y a 14 noms sur la liste? Que se passerait-il si, après
l'élection, les six candidats ayant reçu le plus de votes sont tous des femmes?
En théorie, nous ne pourrions qu'en prendre trois; il faudrait alors laisser
tomber trois ou quatre femmes et prendre les trois hommes qui se sont le mieux
classés. C'est notamment pour ces raisons que je ne suis pas favorable au
système.
La
meilleure façon d'intéresser un plus grand nombre de femmes à la politique est
de faire du lobbying, ce à quoi j'ai beaucoup travaillé lorsque j'étais au
bureau du premier ministre. Nous avons entrer un grand nombre de femmes, et
vous le constaterez si vous comptez le nombre de femmes qui dirigent des
agences et des commissions; ce n'est toutefois pas assez. Il faut faire encore
plus. Nous devons, en tant que femmes, exercer une pression politique sur nos
partis respectifs et faire du lobbying. Nous devons exercer une énorme
pression.
Je
connais des femmes qui sont anti-femmes. Vous devez travailler avec vos
collègues, hommes ou femmes, trouver ceux ou celles qui appuient les questions
qui vous tiennent à cœur et oublier les autres. Voilà pourquoi je ne suis pas
favorable à l'établissement de chiffres. Il y a des hommes qui soutiennent
davantage la cause des femmes que certaines femmes, et vice versa.
Parmi les premières femmes sénateurs,
considérez-vous certaines comme des modèles?
Le
sénateur Joan Neiman : À mon avis, Muriel Ferguson a été exceptionnelle, et,
selon moi, non seulement parmi les femmes sénateurs. Elle s'est d'abord
distinguée par sa contribution dans sa propre région, avant d'être nommée au
Sénat. Elle a défendu un nombre incroyable de causes. Une fois au Sénat, elle
s'est battue pour une réforme des prisons. Juste avant mon arrivée, il y avait
six ou sept ans qu'on se battait pour faire adopter des changements dans ce
domaine, et le sénateur Ferguson a joué un rôle de premier plan dans ce combat.
Avant même son arrivée au Sénat, lorsqu'elle était encore au Nouveau-Brunswick,
elle a défendu la cause des femmes au sein de différents groupes comme la
National Business Women's Association, et elle a continué tout le temps qu'elle
a passé ici. Pour moi, c'est une femme exceptionnelle dont les intérêts
dépassaient le cadre étroit de la politique partisane. Elle se préoccupait de
la société en général et elle a lutté pour faire adopter les changements
qu'elle jugeait nécessaires. Elle est extraordinaire.
Lorsque
j'ai été nommée au Sénat, j'étais la septième femme. Certaines étaient déjà à
la retraite avant mon arrivée. Le sénateur Renaude Lapointe est une autre femme
qui m'a beaucoup influencée. Elle avait été extrêmement active; c'était une
journaliste exceptionnelle. Elle avait beaucoup travaillé dans sa collectivité
et elle s'intéressait à énormément de choses.
Soyons
franches, certaines ont sans doute été nommées principalement parce qu'il
fallait nommer une femme. King a nommé Cairine Wilson. Bennett a procédé à la
nomination de Mme Iva Fallis. M. St-Laurent a nommé quatre femmes et M.
Diefenbaker deux. M. Pearson n'a nommé qu'une seule femme sénateur pendant son
mandat. Parfois, naturellement, les nominations dépendaient du nombre de sièges
vacants. Il y en avait peut-être peu à l'époque.
Quoi
qu'il en soit, très peu de femmes ont été nommées avant l'ère Trudeau, et je
pense que certaines l'ont été précisément parce qu'on s'attendait à la
nomination de femmes. Malgré cela, on ne s'attendait pas à ce qu'elles jouent
un rôle important à cette époque. Elles faisaient partie du décor et étaient la
preuve des idées progressistes de nos premiers ministres.
Il y eut
aussi des femmes merveilleuses comme Mme Casgrain. une femme exceptionnelle, et
Florence Bird, qui fut nommée peu de temps après moi. Au cours des 10 à 15
dernières années, les femmes sénateurs ont joué un rôle de plus en plus actif.
De plus en plus, les femmes sont nommées au Sénat parce qu'elles veulent
participer à ce qui se fait ici. Le changement qui s'est produit au cours des
dernières années a donc, selon moi, été très positif. Les femmes sont
maintenant membres de comités ou de groupes à part entière et leur attitude en
témoigne. Les femmes ont certes une manière particulière d'exercer leur
influence lorsqu'elles unissent leurs forces au profit d'une cause précise,
mais leur apport est aussi important que celui des hommes.
Lorna
Marsden : Lorsque je suis arrivée ici, j'ai profité du travail accompli par les
pionnières, depuis Cairine Wilson, encore que, si elle était encore ici,
Florence Bird pourrait nous parier des toilettes du sixième et de la façon dont
elle s'y est prise pour les libérer de la domination masculine.
Au cours
des premiers jours qui ont suivi ma nomination, le sénateur Inman était encore
là. Bon nombre d'entre vous se rappellent certainement du sénateur Inman. Âgée
d'un peu plus de 90 ans, elle devait prendre sa retraite. Comme elle ne se
déplaçait plus facilement, elle venait de temps en temps au Sénat en fauteuil
roulant. Donc, peu de temps après mon arrivée, elle me déclara : « C'est
tellement bien qu'il y ait maintenant une autre féministe ici. » J'ai été
émerveillée.
Bon
nombre des femmes qui m'ont influencée lorsque je suis arrivée au Sénat étaient
des femmes que j'avais déjà connues dans les groupements féministes : Thérèse
Casgrain et Florence Bird. Il y avait aussi Yvette Rousseau, qui fut un grand
chef syndical au Québec. Je l'avais rencontrée au sein du Comité d'action sur
le statut de la femme et ailleurs. Il y avait aussi Martha Bielish, de
l'Alberta, qui avait beaucoup fait au sein de Country Women of the World, avec
les agricultrices et les femmes autochtones du Canada. Quant à Mira Spivak, je
l'avais connue auparavant, à Winnipeg. Et Joan Neiman, que je connaissais depuis
de nombreuses années parce qu'elle appartenait comme moi au Parti libéral, mais
également parce qu'elle avait travaillé à la réforme de la législation
concernant les fermes. L'un des aspects importants du travail d'une femme
sénateur consiste à rapprocher votre action passée de vos fonctions actuelles
et à faciliter les communications entre les collectivités et le Sénat.
À votre avis, quelles questions, dans le
prochain Parlement, regrouperont les femmes d'affiliations politiques
différentes?
Le
sénateur Marjory LeBreton : La santé. S'il est une chose qui tient à cœur aux
Canadiens – et nous n'avons qu'à regarder ce qui se produit aux États-Unis –
c'est leur régime de soins de santé. Cela ne veut pas dire que ce régime ne
pourrait être amélioré, mais, s'il devait y avoir division au Parlement, je
pense que les soins de santé en serait la cause. C'est certainement une
question à laquelle je m'intéresserai.
Le
sénateur Joan Neiman : Une question qui reviendra certainement est celle des
droits des femmes autochtones, notamment l'incidence du projet de loi C-3 1,
c'est-à-dire ce qu'il a permis ou non d'atteindre. C'est une question à
laquelle les hommes s'intéressent peu, même les Autochtones. lis ne veulent pas
y faire face. C'est une question qui devrait retenir l'attention des femmes de
tous les partis. Il conviendrait également d'aborder la question de la violence
faite aux femmes et de la violence qui se manifeste au sein de la famille en
général, ainsi que celle du processus judiciaire face à cette question.
On a
parlé du régime de soins de santé; cette question s'est posée indirectement
dans notre famille, relativement à la recherche médicale et aux montants
consacrés à la recherche sur diverses maladies, en particulier le cancer du
sein, ainsi qu'à d'autres maladies qui frappent tout particulièrement les
femmes. Ce sont des domaines que nous devrions étudier et où nous pourrons faire
pression et exercer notre influence.
Lorna
Marsden : Je suis d'accord avec tout ce qui a été mentionné, mais je ne pense
pas que les soins de santé provoqueront une division entre les femmes et les
hommes. C'est possible, mais peu probable. J'ajouterai deux autres questions :
l'une d'elles est la garde des enfants. Si le gouvernement fait preuve
d'intelligence, il consultera le Sénat avant de déposer un projet de loi à ce
sujet. Il y a aussi la question de la réforme électorale. On procédera
certainement à une réforme électorale à la suite du travail de la Commission
royale, et il y aura sur cette question des points de vue féminins et masculins
totalement indépendants des affiliations politiques.
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