George Kerr
Red Tory Blues : A Political Memoir, par Heath
Macquarrie, Toronto : University of Toronto Press, 1992, 378 pages.
« Le Parti progressiste-conservateur du Canada
ne regagnera pas la faveur du public en adoptant une approche néo-conservatrice.
Il lui faut plutôt se rappeler que le gouvernement doit se
préoccuper avant tout de ceux qui sont le plus dans le besoin. Parce que
je m’inquiète des valeurs qui sont actuellement à la mode,
j’ai baptisé ces mémoires franches et
sincères : Red Tory Blues ».
Dans l’introduction à ses mémoires
rédigées après plus de trois décennies sur la
Colline du Parlement, le sénateur (et ancien député) Heath
Macquarrie se plaint de l’orientation idéologique adoptée
par son parti au cours des dernières années. Les quelques
progressistes-conservateurs, qui sont plus progressistes que conservateurs,
n’auront pas d’autre choix que de se dire d’accord avec
M. Macquarrie lorsqu’il décrit le démantèlement
des institutions et l’abandon des attitudes que les générations
précédentes de conservateurs avaient jugé essentielles au
maintien d’une nation indépendante s’appuyant sur le soutien
de l’État pour résister à la force gravitationnelle
du continentalisme.
Red Tory Blues se révèle donc autant une
critique du parti de l’auteur qu’un résumé des
mesures à prendre pour combler les apparentes lacunes de ce parti.
Cependant, il constitue avant tout le récit de la vie d’un
politicien où l’on trouve des portraits fidèles de ses
pairs et mentors, ainsi que des comptes rendus captivants des
événements et débats politiques qui ont
façonné le Canada à la fin du XXe siècle.
Même s’il n’a jamais siégé au Cabinet,
M. Macquarrie a toujours joué un rôle public de premier plan,
tant à l’échelle nationale que dans son
Île-du-Prince-Édouard adorée. Sur la scène
nationale, il a appuyé tout un éventail de causes, sans
être toujours certain d’avoir l’appui de son propre parti ou
de la population. Ainsi, il n’a pas hésité à prendre
la défense des Palestiniens. À Ottawa, il travaillait sans relâche
à faire la promotion de son île, et ses descriptions
exubérantes et partisanes de la politique dans cette province valent
bien le prix du volume.
L’autre aspect intéressant de cet ouvrage
réside dans les portraits que M. Macquarrie fait des principales
figures politiques de l’époque. Celui de John Diefenbaker est
corrosif : l’auteur ne se rappelle pas avec affection de sa
première rencontre avec le chef. S’il y a un héros dans ce
livre, c’est Robert Stanfield, qui y est décrit comme
« le meilleur premier ministre que nous ayons presque
eu ». M. Macquarrie décrit particulièrement bien
les luttes que M. Stanfield a menées dans son parti pour mettre un
terme à l’obstructionnisme de son prédécesseur.
Sur son propre rôle de député et de
sénateur, M. Macquarrie est souvent impitoyable : il a
à contrecoeur voté avec son parti en faveur de l’imposition
de la Loi sur les mesures de guerre en 1970 et il l’a
regretté par la suite. Il considère que cette crise est
« la seule occasion où je considère encore aujourd’hui
avoir commis une erreur fondamentale... Même si cela ne m’a rien
apporté de bon, je me suis longtemps repenti de ma propre
apostasie ».
En 1979, M. Macquarrie est nommé au
Sénat, qu’il considère comme une institution plus
compatible et efficace, sauf pendant la période où, à la
fin des années 1990, il « a atteint le comble de la
mesquinerie » à l’occasion du débat sur la TPS. Sur la question de la réforme du Sénat, soit dit en passant,
l’auteur n’est pas du tout partisan d’un Sénat dit des
trois E, puisqu’il reconnaît que l’institution a
été justement efficace parce qu’elle ne s’est pas
servie de tous ses pouvoirs constitutionnels. S’il devenait une seconde
chambre habilitée à prendre un vote de confiance et
bénéficiant d’un mandat électoral, ce Sénat des
trois E ne tarderait pas à s’opposer carrément à la Chambre des communes. Où se situerait alors son efficacité?
L’ouvrage n’est toutefois pas sans
lacune : il constitue en effet un exemple typique du genre de relecture
bâclée qui est pratiquée chez certains éditeurs
modernes, même chez University of Toronto Press. Les desserts deviennent
des déserts, R.J. Manion se transforme en Mansion, Iona Campagnolo
devient encore une fois la plus allitérative Iona Campagnola, et George
Hees n’est même plus digne de la majuscule à son nom de
famille à un moment donné. Il est certain qu’il
s’agit là de petites erreurs, mais leur accumulation devient
irritante, et celui qui a déjà été le professeur Macquarrie
ne les laisserait certainement pas impunies si elles étaient relevées
dans la composition d’un élève.
En conclusion, cet ouvrage constitue tout de même un
ajout valable au rayon des mémoires politiques.
George Kerr, Département
d’histoire Université de Western Ontario
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