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Bill Blaikie

Canadian Legislatures 1992 par Robert J. Fleming, Global Press, 1992.

Le livre de Robert Fleming, intitulé Canadian Legislatures 1992 présente une information et une analyse complètes pour ce qui est de l'étude comparative des législatures. Les étudiants inscrits à des cours de politique parlementaire et électorale trouveront aux troisième et quatrième parties du livre Legislative Information et The American Counterpart une kyrielle de faits et de chiffres portant sur la gestion financière des législatures, les programmes de rémunération, les prestations de retraite, l'hébergement et les allocations de voyage. Cependant, pour ce qui est d'évaluer le caractère actuel des législatures canadiennes, le livre de Robert Fleming ne répond pas à nos attentes bien que les première et deuxième parties Political Commentary et Round Table on Government and its Institutions comptent d'excellents articles.

Le volet analytique du livre souffre de l'absence de contributions des parlementaires ou des législateurs mêmes. M. Fleming termine son introduction par une profession de foi « dans les élus » et affirme que si des changements doivent être apportés, « il faudra commencer par l'infrastructure ». Malheureusement, cette affirmation manquait de vigueur puisqu'elle n'a pas été suivie d'une analyse de la part même des politiciens. Dans le même ordre d'idée, l'appel aux changements fait suite à un appel à la mobilisation dans le but de « mettre sur pied des organismes non affiliés au Parlement dont le mandat serait d'évaluer...pour que prévalent l'équité et la gestion prudente des deniers publics ». Cette affirmation dénote de la naïveté ou un parti-pris idéologique à l'égard de ce que les non législateurs pourraient recommander et, en fait, du degré d'acceptabilité que ces recommandations pourraient avoir aux yeux de la population. Pourquoi les deniers publics seraient-ils à priori mieux gérés s'ils étaient confiés aux Campeau ou aux Reichman de ce monde? Le ton de tout le livre participe d'un certain programme politique canadien qu'on ne perçoit ou reconnaît et, à plus forte raison, analyse nulle part.

Le programme en question est celui de ceux qui voudraient réduire grandement les rôles que jouent l'État et le secteur public dans la vie des Canadiens et des Canadiennes. Et quelle meilleure façon de mousser ce programme qu'en provoquant un cynisme indu dans la population à l'égard de la classe et de la démarche politiques. Si les députés, eux-mêmes représentants du peuple, peuple qui les élit, peuvent être discrédités, alors le reste s'ensuit assez facilement. Le livre de Robert Fleming aurait pu et aurait dû fournir une certaine analyse critique, par exemple, de la campagne lancée par la National Citizen's Coalition (NCC), et dont les députés sont la cible, des demi-vérités sur le régime de retraite qui forment les piliers de sa stratégie, et du fait que cette discréditation des députés concorde non seulement avec les besoins de levées de fonds de la NCC, mais aussi avec l'attitude globale de celle-ci à l'égard de la légitimité d'un État activiste. Au lieu de cela, Fleming ne fait qu'appuyer subtilement un côté de la médaille, ce qui donne raison jusqu'à un certain point à ceux qui l'ont accusé d'avoir produit une version sophistiquée de Capital Scandal, ce recueil de cynisme irréfléchi et sélectif, qu'on a voulu faire passer récemment pour une analyse du Parlement. Le régime de retraite des députés doit effectivement faire l'objet d'un examen distinct, comme l'a indiqué Audrey McLaughlin, chef du NPD, non pas cependant en fonction de la grille d'analyse et du programme de la NCC, ou de la confiance qu'a Robert Fleming dans le secteur privé.

Ce n'est pas par hasard, simplement, qu'à une époque caractérisée par la privatisation, la déréglementation et la souveraineté du marché via des traités de libre-échange, les partisans de ces piliers de politique de droite montent une attaque contre l'incarnation la plus accessible et la plus vulnérable de l'État au sein de la collectivité. L'article portant sur la publicité d'opinion aurait pu être accompagné, ce qui aurait été utile, d'une étude sur la façon dont les tactiques déployées par la National Citizen's Coalition se réduisent à une forme de publicité, non pas d'opinion, mais négative dont les motifs devraient vraiment éveiller les soupçons; que cette publicité vise le régime de retraite des députés ou la « terreur » qu'inspirait Ed Broadbent, terreur qu'il doit inspirer encore plus aujourd'hui en sa qualité de président du Centre international des droits de la personne et du développement de la démocratie.

La position de Robert Fleming sur la pension des députés, mise à part son analyse financière, semble être fondée sur un thème qui est repris ailleurs dans le livre, soit la classe présumée indésirable des politiciens de carrière ou « professionnels ». Dans la section consacrée aux prestations de retraite, on dit des régimes actuels qu'ils avaient probablement leur raison d'être « durant les années 60 et 70, à l'époque où les gens sur le marché du travail s'attendaient à obtenir un emploi et à demeurer au sein de la même organisation pendant des années ». En 1992, cependant, comme la sécurité d'emploi est « pour ainsi dire disparue et qu'une carrière composée de multiples emplois est devenue la norme », les régimes devraient être modifiés pour tenir compte de cette réalité. En fait, c'est précisément pour cela que des changements ont été apportés au régime de retraite des députés en 1981; la période d'admissibilité pour toucher une pleine pension fut alors réduite à 15 ans – elle était de 25 ans – et les cotisations des députés ont augmenté de 7 à 11 p. 100.

De toute façon, on nous demande d'accepter l'hypothèse voulant qu'il y ait quelque chose de mal à faire de la politique une vocation, à moins bien sûr, comme M. Fleming le suggère peut-être, que l'idée même de vocation soit surannée. Dans son article, Hershell Ezrin appuie ce point de vue et demande qu'on limite le nombre de mandats que peut remplir un député de façon à éviter la formation d'une « classe de politiciens professionnels » et à promouvoir « l'alternance obligatoire des mandats avec des emplois dans le vrai monde »; car la politique ne doit pas être perçue, selon la notion véhiculée, comme étant la « vraie vie ». Dans cet ordre d'idée, les Stanley Knowles, qui sont députés pendant des dizaines d'années, font carrément fausse route. Ils devraient diversifier leur carrière et vendre des assurances ou des gadgets pendant quelque temps de manière à se rendre vraiment utiles aux yeux de la NCC et de ses compagnons de route. La vérité est que les politiciens souhaitent quelquefois que les gens qui ne font pas de politique connaissent plus intimement le vrai monde de la politique ainsi que la nature humaine, comme celle-ci s'exprime au sein d'une démocratie. Faire face à ces réalités peut constituer une vocation en soi, noble en plus, et non pas simplement un bref répit des occupations que l'on prétend plus utiles.

Les articles signés par Dalton Camp et Doug Fisher, tous deux des commentateurs politiques chevronnés, sont très utiles. Celui de Dalton Camp Lament for Partisanship peint un intéressant portrait de « l'esprit » des nombreuses discussions sur la réforme, où il est question du «désavoue de la politique, de l'esprit de parti et du système de confrontation qui existe au Parlement». On oppose au côté pratique, mais surtout aux responsabilités qui se rattachent à la règle de la majorité actuelle (laquelle implique notamment la solidarité et la responsabilité collective des groupes parlementaires), d'une façon peut-être trop polémique ou simpliste, le chaos qui pourrait prévaloir si les plus zélés des réformateurs avaient gain de cause. Mais au cœur des groupes parlementaires se trouve une valeur, qu'il y aurait lieu peut-être de modifier ou de rendre plus visible, mais qui demeure néanmoins essentielle. Cette valeur réside dans le fait qu'on s'attend à ce que les gens qui briguent les suffrages appartiennent à un groupe identifiable, lequel souscrit à des politiques identifiables, et qu'ils ne « retournent pas leur veste quand bon leur semble » dans leur recherche d'une « démocratie plus vraie », comme l'explique Dalton Camp. La responsabilité, en d'autres mots, ne s'applique pas uniquement à ce que les mandants peuvent dire en ce moment, mais aussi à ce que le ou la candidate a dit dans le passé. L'acceptation non critiquée des votes libres et des procédures de rappel, de dire Dalton Camp, aurait pour effet de réduire le rôle du premier ministre à celui d'« enjoleur agaçant, obligé uniquement d'être obligeant ». Il aurait pu ajouter que ce type d'aplatventrisme politique serait endémique, touchant jusqu'aux simples députés, et que les activités des groupes de pression des tierces parties, qui seraient entreprises au jour le jour et non plus uniquement au moment des élections, rendraient la vie politique insoutenable; il est question surtout des groupes de pression les plus nantis mentionnés ailleurs dans le livre.

Dans son article intitulé Lament for Parliament, Doug Fisher regrette l'existence d'un parlement, de celui du moins qui se trouvait au cœur de la pensée et de la vie politique pro forma de notre pays. Fisher soutient que les députés sont écartés du pouvoir réel par une combinaison de facteurs, notamment la trop grande importance accordée aux dirigeants, la multiplicité des groupes de réflexion, groupes d'intérêt et experts-conseils, la Charte des droits et libertés, le fédéralisme exécutif et les sondages, apparatchiks et discipline de parti excessifs. Tous ces facteurs mènent, selon Fisher, à une « dictature des dirigeants, sanctifiée par une majorité parlementaire ». C'est une analyse qui, pour moi, ne sonne pas faux compte tenu de ma propre déception par rapport à l'existence ou à l'absence de centralité des députés. J'estime que les petits bénéfices, l'affairisme et l'atomisation du travail du député, parmi ce que Fisher appelle «un cocon de personnel et de services dispendieux», constituent une forme de compensation inconsciente accumulée pour la perte de statut réel.

Les articles de Hershell Ezrin et de Michael Adams (intitulés respectivement Political Parties et Current Political Processes) sont représentatifs de « l'esprit» que Dalton Camp critique. Les deux articles, celui d'Ezrin surtout, auraient été plus instructifs s'ils avaient été accompagnés d'au moins un article signé par un député, qui se serait prononcé contre l'idée actuellement répandue voulant que les votes plus libres et une réduction de la discipline de parti découlent des commentaires des gens devant la Commission Spicer, ou de la hausse des « mouvements de contestation politique » comme le Reform Party vraisemblament. L'article d'Ezrin est particulièrement contrariant. Il semble que la plupart de ses principales recommandations auraient pu être tirées directement du rapport final du Comité spécial sur la réforme de la Chambre des communes, présidé par Jim McGrath, déposé en juin 1985; le rapport mettait l'accent entre autres sur les pleins pouvoirs donnés au simple député, la modération du rôle que joue la discipline de parti, la restauration du pouvoir de la Chambre et l'examen des nominations. L'article d'Ezrin traduit son ignorance des faits ou du fait que les recommandations de McGrath ont été appliquées dans une mesure significative; celles qui ne l'ont pas été suscitent toujours des débats et sont sans cesse modifiées. Ezrin croit que le « renouveau parlementaire et politique passe nécessairement par une importance plus grande accordée au député » et à la Chambre des communes; le centre d'intérêt n'étant plus la réforme du Sénat, devenue une obsession. Je suis d'accord. Mais Ezrin lui-même fait partie du problème. A l'instar des « constitutionomanes » qu'il critique, lui-même est incapable de se focaliser sur la Chambre, c'est-à-dire sur ce qui a déjà été accompli à la Chambre des communes, et sur ce que les députés ont déjà tenté pour promouvoir le type de culture politique dont Ezrin se fait le champion. Là où les députés ont échoué dans leurs tentatives, surtout lorsqu'ils ont dû se battre contre le pouvoir qui se trouve présentement entre les mains des chefs de parti, ou du CPM, les médias et les soi-disant experts n'ont rien arrangé en préférant parler d'une réforme abstraite plutôt que de celle qu'on s'efforce tant bien que mal de mettre en œuvre. Si on accordait autant d'intérêt à ce que différents députés ou comités ont tenté de réaliser au cours des dernières années qu'aux questions « constitutionnelles », le cynisme à l'égard des députés serait peut-être moins généralisé. En l'absence d'un tel intérêt, les députés sont immobilisés par l'échec du pouvoir même qu'ils essaient d'éroder.

A Round Table on Government and Its Institutions est une série d'articles brefs mais percutants rédigés par des Canadiens. Knowlton Nash résume « l'esprit » de Camp par la métaphore « plus de temps de glace pour la population », qui est beaucoup plus facile à comprendre; d'autres articles vont droit au but. Frederic L. R. Jackman Changing the Political Culture, engage les représentants des médias « à s'efforcer davantage de comprendre et de gérer l'impact de leurs interventions ». John Meisel Seeking the Common Good, regrette qu'une notion comme celle de «l'intérêt national» soit tombée en désuétude à une époque et dans une société où existe « un pluralisme à tout crin ». David Taras demande la réglementation des sondages et de l'information qui en découle afin de refaire une place aux « fermes convictions ». Enfin, l'article de Timothy Reid Building Up A Core of Prospective Leaders, mérite vraiment notre attention, surtout parce qu'il reconnaît que tous les groupes de dirigeants au Canada pourraient bien être trop captifs de leurs propres perceptions, et qu'ils devraient s'en dégager. Le reste du livre de Robert Fleming appuie, dans une trop grande mesure, l'idée que cette responsabilité n'incombe qu'aux politiciens.

Bill Blaikie, député
Winnipeg-Transcona


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 15 no 3
1992






Dernière mise à jour : 2020-09-14