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Après les élections provinciales de septembre 1990, le Nouveau Parti démocratique a
constitué le gouvernement de l'Ontario pour la première fois de son histoire.
De nombreux nouveaux députés n'avaient aucune expérience à l'Assemblée
législative. L'un deux était président du conseil étudiant de l'Université
Western Ontario à peine quelques mois avant les élections. Il partage ses
impressions à titre de nouveau député avec Susan Allan. L'entrevue s'est
déroulée en juin 1991.
Parlez-moi de vos antécédents politiques?
J'ai commencé à participer à la vie politique il y a environ 10 ans, lors des
élections provinciales de 1981. À une réunion générale des candidats où je
m'étais rendu, j'ai pris à partie un député provincial conservateur à propos
d'une question d'éducation. En fait, il s'agissait plus exactement d'une
question relative au financement des collèges et des universités. Peu de temps
après, je suis devenu membre de l'association de circonscription.
Au début de ma onzième année, je me suis porté candidat au poste de premier ministre du
conseil étudiant, sans succès dans un premier temps. Par la suite, je me suis
présenté de nouveau, j'ai été élu et, plus tard, réélu. Au cours de la première
année de mon mandat, je me suis occupé de l'Association des étudiants d'écoles
secondaires de l'Ontario. J'ai ensuite participé à un camp de formation
d'animateurs, j'ai organisé des conférences à ce sujet et j'ai également pris
part au parlement étudiant qui s'est tenu à l'Assemblée législative à Queen's
Park. On m'avait confié la responsabilité de m'occuper du gouvernement.
À mon arrivée à l'Université Western Ontario, je voulais faire partie du conseil
étudiant. Au cours de ma première année universitaire, je me suis porté
candidat au poste de président du conseil de ma résidence, Saugeen-Maitland,
sans succès. L'automne suivant, je me suis présenté à une élection partielle du
conseil étudiant et j'ai été élu. Au printemps suivant, je me suis porté candidat
à un poste au sein du conseil d'administration, sans succès. L'année suivante,
j'ai été élu président du conseil étudiant. J'ai toujours su, je pense, que
j'allais faire de la politique, mais je visais la scène fédérale, plutôt que
provinciale.
En juillet dernier, alors que je vendais des hot-dogs et des rafraîchissements aux matches
des Tigers de London, une personne de l'association de circonscription est
venue me demander si je ne voulais pas me porter candidat.
Nous savions que les libéraux allaient déclencher des élections pour le début de
septembre et que, après les élections, je serais en mesure de terminer mon
année universitaire. On m'a fait cette demande un vendredi soir et, le lundi
suivant, j'étais presque décidé. Je savais que ce serait une bonne expérience
pour moi.
Pourquoi avez-vous choisi le Nouveau Parti démocratique?
Je crois que cela remonte à plus loin. Je suis en faveur de la « canadianisation », pas
nécessairement de la nationalisation, mais je pense que tout pays exerçant un
contrôle national sur ses ressources et sur ses principaux intérêts a de bonnes
chances de réussir. Même à notre époque de mondialisation de l'économie, il
faut avoir quelques industries nationales qui comptent.
J'imagine que mes origines — je suis le plus jeune de huit enfants — expliquent bien des
choses. Après avoir vendu la ferme familiale, mon père a travaillé dans la
construction, domaine bien sûr toujours aléatoire. Il passait d'un emploi à un
autre, était parfois au chômage et a même bénéficié à une ou deux reprises des
prestations du bien-être social.
À mon avis donc, le gouvernement a la responsabilité d'assurer l'emploi des citoyens
et de trouver des moyens de le faire. Je pense que c'est ce point qui m'a
attiré. Je dois dire aussi que mon père s'y était également intéressé à la fin
des années 60, ainsi que ma sœur aînée.
Bien des gens, y compris vous-même, avez pensé que votre campagne pouvait réussir.
Comment expliquez-vous votre succès?
Si j'ai réussi, c'est, je pense, pour plusieurs raisons. Nous savions que les libéraux
étaient en perte de vitesse dans la circonscription et que beaucoup d'anciens
conservateurs qui avaient voté pour le Parti libéral en 1987 ne voteraient
jamais pour le NPD, mais voteraient pour le Parti conservateur. Nous savions
également que le Parti de l'Alliance des familles allait enlever des voix aux
conservateurs.
Nous nous sommes lancés, avons travaillé et sollicité des votes chaque jour. En
combinaison avec la campagne provinciale, cela a très bien fonctionné. À l'échelon
provincial, nous avons essayé de dire que les deux anciens partis ne donnaient
rien et qu'il n'y avait pas vraiment de différence entre eux. Nous avons été en
mesure de tirer profit du mécontentement provoqué par l'échec de l'Accord du
lac Meech, prouvant ainsi que la politique à huis clos n'était plus de mise.
Nous avions également appris la leçon politique la plus précieuse – ne jamais tenir
les électeurs pour acquis.
Parlez-moi de votre circonscription. Y allez-vous souvent? Quelles sont les préoccupations
de vos électeurs?
Il y a dans ma circonscription deux villes, de 25 000 et 10 000 habitants
respectivement, ainsi que des petits villages. C'est, par tradition, une
circonscription à tendance conservatrice. Oxford est très patriotique et son
patrimoine est fortement britannique. Oxford et Woodstock sont connues comme
capitales laitières du Canada.
En ce moment, je suis dans ma circonscription pratiquement chaque semaine. En
Ontario, l'Assemblée législative siège quatre jours par semaine, le vendredi
étant jour de congé. C'est ce jour-là que j'accomplis le plus de choses dans ma
circonscription. J'essaie de m'y rendre le plus souvent possible.
Beaucoup de problèmes se posent. Bien des gens ont besoin d'aide pour régler les
problèmes que leur pose le gouvernement. Ils ont de la difficulté à comprendre
la bureaucratie; elle ne bouge pas pour eux, alors que parfois elle bouge pour
nous. L'existence de divers paliers de gouvernement complique encore davantage
les choses : a-t-on affaire à un problème qui relève des compétences
municipales et provinciales ou des compétences provinciales et fédérales? Il y
a certainement un problème pour ce qui est de faire assumer la responsabilité
des problèmes par les organisations gouvernementales; en effet, elles donnent
l'impression de vouloir s'en décharger. Je note également beaucoup de
préoccupations au niveau municipal.
En quoi la politique provinciale diffère-t-elle de la politique estudiantine?
La présidence d'un conseil étudiant est, dans une certaine mesure, une bonne école de
formation. Résidences et facultés représentent de petits groupes d'électeurs
ayant leur intérêts particuliers. En ma qualité de président, je devais assurer
l'équilibre entre ces groupes, tout comme je dois le faire pour les divers
regroupements de ma circonscription.
Les étudiants s'adressent au président du conseil lorsqu'ils veulent régler un
problème — dans de nombreux cas, il suffit simplement de renvoyer le dossier à
une tierce partie. C'est un peu la même chose maintenant.
D'autres aspects sont semblables.
Je savais aussi faire un budget. Bien entendu, 3,5 millions de dollars n'est rien par
rapport à 52 milliards, mais j'ai appris comment faire un budget. Ces
compétences sont très utiles.
Il y a tous les jours du nouveau à l'Assemblée législative, comme c'était le cas au
conseil étudiant.
Habituellement, au conseil étudiant, il fallait, depuis le tout début de l'année scolaire,
réagir aux événements. En ma qualité de député, je réagis à de nombreux
problèmes qui se posent dans ma circonscription.
Vos collègues vous ont-ils plus ou moins bien accepté à cause de votre âge?
Les tout premiers mois, j'ai eu l'impression qu'ils se disaient : « Voilà le jeune
qui n'a même pas fini ses études universitaires, qui a bénéficié du raz-de
marée électoral. Peut-être va-t-il gagner en maturité avec le temps. »
En fait, j'avais plus d'expérience en ce qui concerne l'art oratoire et les débats en
public que beaucoup d'autres députés. Après plusieurs interventions à
l'Assemblée, les gens se sont aperçus que je savais ce dont je parlais et ils
ont semblé mieux m'accepter.
Il est intéressant de noter que même si je n'avais que 24 ans au moment de mon
élection, je connaissais Queen's Park grâce au lobbying que j'y avais fait.
Certains des nouveaux députés ne s'étaient jamais rendus à Queen's Park.
Mes études en sciences politiques m'ont permis de comprendre le fonctionnement du
Parlement et de l'Assemblée législative, ainsi que la façon dont s'élabore et
se fait la politique. Beaucoup d'autres députés n'avaient pas eu cette
formation. Bien entendu, il y a toujours quelque chose de nouveau à apprendre,
mais je crois avoir eu une longueur d'avance sur certains de mes collègues,
puisque j'ai pu me sentir à l'aise à Queen's Park assez vite.
Quel est votre rôle au sein du caucus?
Je joue plusieurs rôles. En ce moment, je suis l'un des whips chargés de coordonner les
débats et de vérifier qu'il y a quorum au moment des votes. Je siège également
au sein d'un comité sur les finances et l'économie. Nous avons eu des séances
de consultation avant le budget et, dernièrement, nous nous penchons sur la
question du magasinage outre-frontière.
En tant que simple député, pensez-vous avoir une influence sur le Cabinet?
Le fait que les délibérations du Cabinet se déroulent en secret rend les choses très
difficiles. Les ministres doivent prêter un serment de discrétion; il arrive
donc que nous ayons l'impression de n'avoir aucune influence sur certaines
questions. Des consultations ont lieu, mais la décision finale se prend au sein
du Cabinet.
Le budget peut également être source de frustration. En effet, je n'ai été informé de la
teneur du budget qu'au moment où le trésorier le déposait le lundi après-midi à
16 heures. Une heure et demie plus tard, je devais dire à tous les médias de ma
circonscription ce que j'en pensais. Or, vous savez bien que les premières
réactions ne sont pas toujours les meilleures.
J'espère de tout cœur que nous arriverons éventuellement à savoir ce qui se passe au
sein du gouvernement et, partant, au sein de certaines de nos institutions. Le
caractère partial de la politique rend les choses si contradictoires. On
pourrait espérer que la sagesse collective de 130 personnes, élues au service
des citoyens, pourrait être mise à profit, mais lorsque l'on assiste à de
l'obstruction systématique et que l'on voit comment l'opposition fait son
travail, on se demande s'il n'y aurait pas une meilleure façon de procéder.
En quoi votre vie a-t-elle changé depuis un an?
Je suis beaucoup plus occupé. Je croyais qu'être président d'un conseil étudiant était
astreignant, et tel était le cas. Mais, le rythme de mes occupations est
beaucoup plus trépidant aujourd'hui. Lorsque je suis dans ma circonscription le
vendredi, j'ai 12 ou 13 réunions avec mes électeurs ou d'autres groupes.
Il ne faut pas oublier non plus que je suis maintenant connu. Où que je me trouve
dans la circonscription, les gens veulent me rencontrer et me parler.
Autre amélioration, je n'ai plus besoin de vivre comme un étudiant. J'ai mon propre
appartement que je loue et j'ai remplacé ma Grenada rouillée par une voiture
neuve.
J'acquiers un sens plus aigu des responsabilités au fur et à mesure que je gravis les échelons
de ma carrière. À Western, je m'occupais de questions relatives aux droits des
étudiants et la participation de ceux-ci au processus de décision. Aujourd'hui,
je m'occupe de gens qui perdent leur maison, leur emploi — ce sont des
questions beaucoup plus graves, toutes proportions gardées. En ma qualité de
député, je sens que j'ai une plus lourde responsabilité à leur égard.
Envisagez-vous une carrière en politique?
Ce sera, je crois, aux électeurs d'en décider. Cela dépendra de la confiance qu'ils ont
en moi. J'ai toujours voulu faire de la politique et serais prêt à en faire
longtemps.
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