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Entrevue : Doug Mowat et Percy Wickman


Doug Mowat représente la circonscription de Vancouver-Little Mountain, à l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique, et Percy Wickman est député d'Edmonton-Whitemud au Parlement albertain. Ils ont tous deux passé une grande partie de leur vie d'adulte dans un fauteuil roulant, mais cela ne les empêche pas de participer pleinement à la vie politique du Canada. Gary Levy les a interviewés séparément au sujet de leur expérience, ainsi que des difficultés que rencontrent les handicapés et des possibilités qui leur sont ouvertes.

Pourriez-vous brièvement décrire votre vie avant et après votre accident?

Percy Wickman : Je suis né à Thunder Bay et j'y ai grandi. Après avoir abandonné mes études en 9e année, j'ai occupé divers emplois sans grande ambition. L'accident de travail qui m'a paralysé m'a aussi forcé à faire le point. En fait, j'ai souvent dit que cet accident avait été un mal pour un bien, puisqu'il m'avait amené à reprendre mes études, à m'occuper d'affaires communautaires et, à la longue, à me présenter à des élections.

Chacun réagit différemment devant l'adversité. Certains perdent leur motivation et se résignent à la vie en établissement ou aux possibilités relativement limitées du travail à la maison. Si j'ai pu vivre une vie mieux remplie depuis mon accident, je le dois en partie à mon épouse. Quand le conjoint n'est pas à la hauteur du défi, l'handicapé doit refaire sa vie seul. Ma femme m'a toujours été d'un secours exemplaire. Notre fils est né quelques mois après mon accident et bien sûr, sa présence m'a également porté à faire des efforts pour réussir ma vie. Heureusement pour moi, aussi, j'ai eu un physiothérapeute qui s'est intéressé personnellement à ma réadaptation. Un travailleur social m'a aussi aidé à me rendre compte de la nécessité de me recycler (et m'a signalé que je pouvais me faire payer pour reprendre mes études).

Doug Mowat : J'ai été blessé en 1947, en jouant au football à l'école. J'avais alors 18 ans et j'étais actif dans les sports et le mouvement scout.

À cette époque, on faisait bien peu pour les paraplégiques. Il n'y avait ni transport, ni assurance-maladie, ni possibilités d'emploi. Le paraplégique était censé passer le reste de ses jours en établissement et, en fait, j'ai passé plus de deux ans au Vancouver General Hospital.

Ma mère, qui était une femme très forte, a décidé que je vivrais à la maison. Après plusieurs mois de désœuvrement, j'ai décroché un premier emploi comme répartiteur de taxis, à 25 cents l'heure. Vu que je ne disposais d'aucun moyen de transport, le propriétaire venait me chercher et me ramenait pour un dollar par jour. Ce n'était sans doute pas une très bonne affaire, mais cela me permettait de sortir de la maison et de rencontrer d'autres personnes. À la longue, je suis passé à l'équipe de nuit : le salaire était un peu plus élevé et, lorsque je pouvais trouver quelqu'un pour me conduire, j'épargnais un dollar.

J'ai quitté cet emploi parce que le propriétaire m'a refusé un congé pour assister au mariage d'un ami proche. Cette décision a été difficile à prendre, parce qu'elle signifiait que je retournais entre les quatre murs de la maison, mais j'ai décidé à ce moment-là que je devais mener ma propre vie et qu'il m'importait beaucoup d'assister à ce mariage.

Plus tard, j'ai travaillé dans un établissement de nettoyage à sec, j'ai vendu des voitures et j'ai acheté une boutique de fleuriste. En 1960, j'ai joint les rangs de l'Association canadienne des paraplégiques, dont je suis maintenant le directeur administratif.

Je ne souhaite à personne de devenir paraplégique, bien sûr, mais cette situation m'a quand même permis d'accomplir des choses que je n'aurais jamais accomplies autrement.

Pourquoi avez-vous décidé d'entrer en politique?

Percy Wickman : J'y ai goûté pour la première fois lorsque j'étais étudiant en administration des affaires à l'Institut de technologie du nord de l'Alberta. Quelques étudiants voulaient que je pose ma candidature à la présidence du conseil étudiant. J'hésitais, mais j'ai fini par me présenter à la vice-présidence. J'ai été élu, et j'ai bien aimé être en mesure d'influer sur le cours des événements.

Je me suis joint à d'autres militants handicapés, surtout pour participer à la lutte en vue de faire indexer l'indemnisation des accidents du travail. J'ai commencé à assister aux réunions du conseil municipal pour suivre l'étude de questions telles que le transport en commun. À un moment donné, lors d'une élection partielle, j'ai posé ma candidature au siège que Mme Kiniski avait occupé pendant de nombreuses années. Mon équipe électorale se composait de mon beau-frère, venu de Thunder Bay pour quelques semaines, et de moi-même. Nous avons dépensé une centaine de dollars en publicité et pour l'impression d'affiches que nous avons posées sur des poteaux de téléphone. Je me suis classé troisième à partir de la queue, parmi une douzaine de candidats, mais j'ai quand même obtenu plus de 1 000 votes et cela m'a beaucoup encouragé. J'ai appris également qu'on ne peut pas se faire élire sans une bonne organisation et sans argent. Je me suis présenté encore trois fois avant de remporter la victoire.

Il y a des gens qui aiment tenir la vedette, et j'imagine que c'est mon cas.

Doug Mowat : Mon premier contact avec l'administration publique s'est produit au moment où je jouais au basket-ball, au sein d'une équipe commanditée par le marchand d'automobiles chez qui je travaillais. De nombreux centres communautaires étaient inaccessibles aux handicapés, et certaines personnes prétendaient que nous devions nous faire construire nos propres installations. Je n'étais pas d'accord : à mon avis, il fallait plutôt rendre les centres existants plus accessibles.

J'ai adhéré à une ligne non partisane dont j'ai été nommé candidat à l'échevinage. Il y avait 55 candidats pour 10 sièges, et je me suis classé treizième. C'était un résultat respectable mais j'ai quand même décidé d'être moins ambitieux et, l'année suivante, j'ai été élu à l'un des sept sièges de la commission des parcs. Lors des élections provinciales de 1983, Grace McCarthy, qui avait elle aussi été membre de la commission des parcs, m'a demandé de me présenter comme Créditiste. J'ai d'abord décliné son offre, mais Mme McCarthy est très persuasive, et j'ai fini par accepter.

J'ai décidé de poser ma candidature à l'Assemblée législative en partie parce que j'avais remarqué que beaucoup de décisions de la commission des parcs devaient être soumises à l'approbation du conseil municipal et que, à son tour, celui-ci dépendait souvent, pour ses décisions, des lois adoptées à Victoria. Il me semblait logique de vouloir accéder au niveau où se prenaient ces décisions.

Quels sont les principaux critères d'accès à un édifice public en fauteuil roulant?

Percy Wickman : Le besoin le plus évident est celui d'une rampe, mais une rampe en pente douce. J'en ai vu dont la pente était tellement raide qu'elles étaient dangereuses. Il faut aussi pouvoir stationner à proximité et avoir accès aux ascenseurs. L'aménagement le plus important est peut-être celui des salles de toilette car, sans les installations appropriées, le temps qu'un handicapé peut rester dans l'édifice est limité. Idéalement, il faudrait que la salle de toilette des handicapés soit privée parce que certains ont besoin de l'aide de leur conjoint ou d'une autre personne.

J'ai voyagé passablement, et l'accessibilité varie beaucoup selon les lieux. D'après mon expérience, c'est à Hawaï qu'on trouve les meilleures installations, alors que la plupart des pays européens présentent énormément de difficultés pour les handicapés. La ville d'Edmonton est en tête de file depuis le début des années 70 en ce qui a trait aux services pour les handicapés, mais Vancouver et Winnipeg sont aussi très avancées. Le Québec et les Maritimes sont, à mon avis, moins progressistes dans ce domaine. Il y a des problèmes évidents à Québec à cause des rues étroites et des côtes de la vieille partie.

Doug Mowat : Toute collectivité où l'on trouve des immeubles neufs a un avantage appréciable parce qu'il coûte beaucoup moins cher de modifier un plan qu'un édifice. Nous avons la chance, à Vancouver, de vivre au sein d'une population qui sympathise avec les handicapés. On construit maintenant bien peu d'édifices avec des portes tournantes.

À Victoria, le palais législatif avait été profondément rénové avant que je sois élu, et il était presque entièrement accessible en fauteuil roulant. Le seul secteur qui demeurait inaccessible était le bureau du premier ministre, mais ce n'est vraiment pas l'endroit où on désire être convoqué lorsqu'on est député de l'arrière-ban, parce que c'est ordinairement un mauvais présage. Plus tard, j'ai été élu président du caucus, et il fallait bien sûr que je rencontre le premier ministre régulièrement, mais alors Bill Bennett est toujours venu à mon bureau. Il était très compréhensif à cet égard.

Il y a environ deux ans, Rick Hansen a beaucoup sensibilisé les gens aux problèmes des handicapés lors de sa tournée mondiale « L'homme en mouvement ». Avez-vous participé à cette campagne?

Doug Mowat : Je connais Rick Hansen depuis bien longtemps. Je l'ai connu basketteur en fauteuil roulant et jeune étudiant déterminé à obtenir un diplôme en éducation physique. Il a dû triompher de l'attitude traditionaliste suivant laquelle un handicapé était automatiquement exempté des cours d'éducation physique et envoyé à la bibliothèque pour étudier. Il voulait montrer que les personnes handicapées avaient leur place en éducation physique en tant qu'instructeurs ou gérants, et à beaucoup d'autres titres.

Lorsqu'il a conçu pour la première fois l'idée d'une tournée mondiale en fauteuil roulant, il a demandé à la British Colombia Paraplegic Association de le financer. Il avait établi un budget d'environ 150 000 $ et n'avait qu'une idée très vague des difficultés à résoudre. Je lui ai répondu que l'Association avait trop de besoins locaux à combler, mais j'ai quand même réussi à lui obtenir 10 000 $ pour une étude de faisabilité. Un expert-conseil de Chicago, qui avait organisé un tour du monde cycliste, s'est vu confier cette étude, et il a produit un plan commercial sérieux et un budget selon lequel la tournée allait coûter environ un million.

Fort de cette information et grâce à une aide considérable des médias et de certaines compagnies, Rick a pu entreprendre sa campagne.

À plusieurs occasions, pendant que Rick se trouvait dans quelque coin perdu du monde, il a semblé que la campagne tomberait par manque d'argent. La situation s'est améliorée après son retour au Canada, lorsqu'il a quitté Terre-Neuve pour traverser le pays.

Dans quelle mesure, à votre avis, votre situation influe-t-elle sur la façon dont les électeurs considèrent votre candidature et votre travail comme député?

Percy Wickman : Au début, j'ai surtout craint que les électeurs jugent que je ne pourrais pas les représenter convenablement parce que j'étais en fauteuil roulant. On me traitait différemment, peut-être avec un brin de paternalisme. Mais cela n'a pas duré. J'ai craint aussi qu'on me prenne pour un candidat à vocation unique. Les gens ne sont pas encore tout à fait habitués à voir des handicapés intégrés à la société.

Doug Mowat : La possibilité d'être qualifié de candidat à vocation unique ne m'a jamais tellement inquiété. Bien au contraire, on m'a quelquefois critiqué pour ne pas avoir défendu la cause des handicapés autant que je l'aurais pu. C'est surtout une question de style personnel. Je n'ai jamais été porté à prendre la tête de manifestations ni à embarrasser publiquement les ministres au sujet de questions intéressant les handicapés. Je préfère rencontrer les députés et les fonctionnaires qui rédigent les règlements dont l'application touche les handicapés.

Votre incapacité vous a-t-elle influencé dans le choix d'un parti?

Percy Wickman : Pas vraiment, même si j'ai d'abord adhéré au Nouveau Parti démocratique à cause d'une lettre que j'avais adressée au chef du parti, Grant Notley. En fait, j'avais écrit aux chefs de partis pour leur demander de modifier la Loi régissant l'indemnisation des accidents du travail de manière à indexer les indemnités. Les autres chefs de parti m'ont envoyé un accusé de réception, mais Notley m'a téléphoné et m'a invité à déjeuner. Nous avons discuté du problème en profondeur, et il m'a beaucoup impressionné. Il me téléphonait de temps à autre au sujet d'autres questions, et je suis devenu membre du Nouveau Parti démocratique. Après sa mort, je suis resté membre du Parti, mais beaucoup moins actif. Durant mes années à l'hôtel de ville, j'ai fait la connaissance de Laurence Decore qui, plus tard, a accédé à la mairie d'Edmonton puis à la direction du Parti libéral de l'Alberta. Je ne crois pas que ma décision de poser ma candidature comme libéral ait renversé qui que ce soit et, en fait, personne ne m'a téléphoné pour me blâmer d'avoir changé de parti. J'imagine que c'est un peu inhabituel.

Doug Mowat : J'ai toujours été partisan de l'entreprise privée et j'estime que chacun, quelle que soit son incapacité, peut apporter quelque chose à la société. C'est pourquoi j'ai adhéré au Crédit Social; j'ai été membre du caucus créditiste jusqu'à l'automne de 1989. Je me suis retiré du caucus temporairement pour diverses raisons, mais surtout parce que je tenais à m'exprimer librement sur certaines questions comme la TPS, l'entente du lac Meech et la politique forestière qui, à mon avis, ne recevaient pas suffisamment d'attention.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 13 no 1
1990






Dernière mise à jour : 2020-09-14