Denis Rocan
Limite de la compétence
du Président sur les travaux des comité, le Président
Denis Rocan, Assemblée législative du Manitoba, le 2 juin
1989.
Contexte : Le 1er mai 1989, le Comité permanent du
développement économique de l'Assemblée législative du Manitoba s'est réuni pour
entendre le témoignage du ministre des Finances, M. Clayton Manness, sur le
Rapport annuel de la Manitoba Forest Industries Limited, et, plus
particulièrement, sur une entente pour la cession de l'entreprise de pâtes et
papier à Repap Entreprises Corporation Inc. Les travaux se sont poursuivis
jusqu'aux petites heures du matin le 2 mai quand le ministre a présenté une
motion pour l'ajournement. La motion a été défaite par l'opposition qui voulait,
quant à elle, poursuivre la réunion. À ce moment-là, les députés du parti
ministériel sont partis et la séance s'est terminée dans une certaine confusion
après que le Président eut demandé l'ajournement. Le député de St. Norbert,
M. John Angus, a ensuite demandé au Président de l'Assemblée de trancher la
question à savoir si les députés du gouvernement et le Président s'étaient
rendus coupables d'outrage vis-à-vis du Comité permanent.
Décision du Président Denis Rocan :
J'ai une décision à rendre mais auparavant, je désire informer la Chambre que,
dorénavant, les renvois au Beauchesne dans les décisions que je rendrai se
reporteront à la 6e édition, sauf indication contraire.
Ainsi que l'exigent les usages de
la Chambre, le député a soulevé cette question à la première occasion. Si je
comprends bien la question soulevée par le député, celle-ci comporte trois
éléments principaux :
le présumé outrage au Comité permanent du développement économique par les membres du gouvernement
qui en font partie et qui se sont levés et ont quitté la réunion immédiatement
après qu'une motion d'ajournement a été rejetée;
le présumé outrage au même comité par son Président qui a suspendu la réunion aux premières heures
du 2 mai et qui n'a pas convoqué de nouveau le Comité par la suite;
et
le manquement, de la part des membres du gouvernement faisant partie du Comité ainsi que du
Président, à la Règle 11 du Manitoba qui exige des députés qu'ils assistent aux
séances de la Chambre et de ses comités, à moins d'avoir obtenu un congé de la
Chambre.
Comme tous les députés le savent,
les questions de privilège et d'outrage sont des questions très importantes.
Bien que les questions de
privilège et d'outrage soient étroitement liées et qu'elles soient généralement
soulevées et étudiées d'une manière identique et, souvent, du moins dans cette
Chambre, sous la rubrique Privilège, elles comportent certaines différences.
L'ouvrage de Maingot intitulé Parliamentary Privilege in Canada explique que les
privilèges sont énumérés et connus, tandis que les formes d'outrage ne le sont
pas. Le privilège parlementaire est défini au paragraphe 24 de l'ouvrage de Beauchesne comme étant la somme des privilèges particuliers à chaque Chambre,
parlant en tant que parties constitutives de la Haute Cour qu'est le Parlement,
et faute desquels il serait impossible à celui-ci de s'acquitter de ses
fonctions.
On souligne également, dans le
même paragraphe, que les privilèges du Parlement sont ceux qui sont absolument
indispensables à l'exercice de ses pouvoirs. Les principaux privilèges d'une
législature sont la liberté de parole, l'immunité d'arrestation, les pouvoirs
répressifs de la Chambre, le droit d'exiger la présence et les services des
députés, et le droit de réglementer ses affaires internes. Sir Erskine May
définit de la façon suivante le terme outrage : « Tout acte ou omission qui
gêne la Chambre du Parlement dans l'exécution de ses fonctions, ou qui gêne tout
député ou fonctionnaire de cette Chambre dans l'accomplissement de ses
fonctions, ou qui a tendance, directement ou indirectement, à produire de tels
résultats, peut être considéré comme un outrage même s'il n'existe pas de
précédent ».
Plus simplement, l'Orateur Brand
de la Chambre des communes du Royaume-Uni a déclaré, le 25 juillet 1877,
que « tout membre qui fait obstacle, sciemment et de façon persistante, aux
affaires d'intérêt public sans avoir de motif juste et raisonnable, est coupable
d'outrage à la Chambre » .
Il y a certaines questions que
j'aimerais souligner à la Chambre relativement aux renvois à la Règle 11 du
Manitoba par les députés et aux privilèges d'une législature d'exiger la
présence et les services de ses membres. Les recherches effectuées indiquent
que, d'une façon générale, notre Règle 11 est tombée en désuétude. Le compte
rendu des Débats de la Chambre ne renferme aucune question de privilège fondée
sur un manquement à la Règle 11. Par ailleurs, la disposition correspondante en
vigueur à la Chambre des communes du Parlement canadien (article 15 du
Règlement) n'a pas été appliquée depuis 1878 et est généralement considérée
comme désuète.
À cet égard, de nos jours, les
orateurs de cette Chambre découragent d'une façon générale tout renvoi à cette disposition.
Tant le député de St. Norbert que
le leader à la Chambre ont formulé certaines remarques
à l'égard d'une question d'ordre parce que la question était soulevée
directement à la Chambre au lieu de faire l'objet d'un rapport du Comité.
Premièrement, je crois, en
qualité de Président, que j'ai l'obligation de signaler à la Chambre qu'en vertu
de notre Règlement, le Président est tenu en tout temps d'appliquer celui-ci et
de trancher en ce qui a trait à toute question d'ordre. Les dispositions de
notre Règlement, auquel je viens de faire allusion, sont renforcées par le
paragraphe 171 de l'ouvrage de Beauchesne qui dit en partie que l'Orateur a la
responsabilité d'assurer l'ordre dans les délibérations, en réprimant
éventuellement le désordre, en refusant de mettre aux voix certaines motions ou
modifications jugées par lui irrecevables. Le leader à la Chambre a étayé son
opinion selon laquelle cette question ne devait pas être traitée à la Chambre,
en se reportant à certaines citations renfermées dans la 5e édition de
l'ouvrage de Beauchesne, ainsi qu'à des décisions précises rendues par les
Présidents au Manitoba et à Ottawa. Les recherches effectuées ont permis de
trouver les renvois supplémentaires suivants concernant la question de savoir
s'il est approprié que ce point soit traité à la Chambre. À la page 235 de son
ouvrage, Sir Erskine May déclare que « on ne saurait demander à la Chambre
l'avis de l'Orateur sur ce qui s'est produit, ou peut se produire à un
Comité ». L'article 760(3) de l'ouvrage de Beauchesne mentionne que
l'orateur a plus d'une fois jugé qu'il n'a pas compétence pour statuer en
matière de procédure en ce qui concerne les comités, ceux-ci étant et devant
être parfaitement libres de mener leurs délibérations à leur guise. Par
ailleurs, le paragraphe 107 du même ouvrage mentionne, en partie, que la Chambre
est seule habile à connaître des atteintes au privilège commises en Comité. Par
ailleurs, un examen des pages pertinentes de l'ouvrage de Sir Erskine May
indique que la pratique en usage au Canada, et dont il est fait mention au
paragraphe 107 de l'ouvrage de Beauchesne, s'applique aussi au Parlement du
Royaume-Uni. Le 26 novembre 1987, le Président Fraser de la Chambre des
communes du Parlement canadien a rendu une décision relative à une présumée
question de privilège qui n'avait pas été portée à l'attention de la Chambre au
moyen d'un rapport, concernant le fait de gêner le travail d'un comité. Il a
déclaré qu'il n'existait pas de présomption suffisante, étant donné que les
comités sont libres de mener leurs délibérations à leur guise et que le
Président n'a pas compétence pour statuer en matière de procédure en ce qui
concerne les comités.
Lorsque cette question a été
soulevée à la Chambre, le Comité ne s'était pas réuni depuis son ajournement du
1er mai et, par conséquent, il n'avait pas eu l'occasion de convenir de la
présentation d'un rapport à la Chambre. Dans ces circonstances, il est
compréhensible que le député de St. Norbert ait pu être préoccupé de ce que le
fait de soulever la question en suivant la procédure appropriée risquait
d'entraîner une décision portant que cette question n'avait pas été soulevée à
la première occasion et qu'elle n'était pas recevable.
En conclusion, il ne fait aucun
doute que les accusations qui ont été portées devant la Chambre sont très
graves. Par ailleurs, dans les circonstances, je comprends que le député de St.
Norbert ait cru que la façon dont il a procédé constituait son seul recours s'il
voulait que la question soit portée à l'attention de la Chambre et qu'elle
reçoive l'attention que, selon lui, elle méritait.
Néanmoins, compte tenu des
autorités auxquelles j'ai fait allusion précédemment et des renvois précis que
j'ai cités, je suis d'avis que, pour respecter les usages établis de longue
date, cette question doit être portée à l'attention de la Chambre au moyen d'un
rapport étudié et approuvé par le Comité permanent du développement économique,
puis déposé à la Chambre. Le fait de procéder autrement risquerait de créer un
précédent susceptible d'entraîner des interventions plus fréquentes de la
Chambre dans les affaires des comités qui, comme l'ont soulignées autorités,
doivent être libres de mener leurs délibérations à leur guise.
Le Comité permanent est
maintenant en mesure de se réunir et pourrait être convoqué et étudier la
question soulevée par le député de St. Norbert, puis décider s'il y a lieu ou
non d'en faire rapport à la Chambre.
Sauf le respect que je dois au
député de St. Norbert et à tous les autres députés, ma décision, qui se fonde
sur les précédents et les autorités mentionnés, est que cette question est
irrecevable à titre de question de privilège, ce qui ne l'empêche pas toutefois
d'être soulevée d'une autre façon.
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