Philip Norton
C.E.S. Franks, The Parliament of Canada, Presses de l'Université de Toronto, Toronto, 1987,
305 pages.
Dans la préface de l'ouvrage intitulé The Parliament of Canada, l'éditeur révèle que,
d'après un récent sondage Gallup, la majorité des Canadiens s'intéressent peu
ou pas au Parlement. Après avoir lu ce livre, je commence à comprendre
pourquoi.
Dans l'introduction, C.E.S. Franks établit que le Parlement a quatre
fonctions : veiller à l'élection d'un gouvernement légitime, en assurer le
bon fonctionnement en votant des crédits et d'autres ressources, en contrôler
l'activité et, enfin, permettre à l'opposition de jouer son rôle.
M. Franks énumère ensuite diverses caractéristiques de la société canadienne qui limitent
le Parlement dans l'exercice de ses fonctions. Pour l'essentiel, ces limites
constituent le premier thème de l'ouvrage et sous-tendent en fait les autres
chapitres. Mais il y a un second thème, à savoir que le système parlementaire
fonctionne mieux que le portent à croire les écrits à ce sujet. Selon l'auteur,
il y a une grande différence entre les douleurs de croissance qui accablent le
Parlement canadien et les affres de la mort que certains observateurs disent
constater. Les documents sur la réforme, y apprend-on, insistent sur un modèle
axé sur le Parlement, alors qu'en réalité, notre système est centré sur
l'exécutif. L'auteur estime que ce modèle axé sur le Parlement est à la fois
irréalisable et peu souhaitable. Il reconnaît qu'une certaine réforme pourrait
renforcer le Parlement dans l'exécution de ses tâches – il favorise
notamment un accroissement du nombre des députés –, mais il considère que
les réformes radicales préconisées par de nombreux observateurs vont à
l'encontre de la réalité politique et du principe de la responsabilité
gouvernementale. En outre, les partisans de la réforme ne tiennent pas compte
du fait qu'après tout, le Parlement ne s'en tire pas si mal. L'auteur affirme
qu'en comparaison avec la plupart des autres régimes politiques, c'est
finalement une très belle performance.
Malheureusement, M. Franks réussit à convaincre de la valeur du premier thème si bien qu'il
sape la crédibilité du second. La nature du régime politique, le fait que
l'électorat soit versatile et que les députés votent dans le sens de la
discipline de parti, ainsi que le nombre insuffisant des députés et le
favoritisme gouvernemental contribuent à certaines anomalies : une Chambre
dominée par le parti, où les députés demeurent peu longtemps (volontairement ou
pour d'autres raisons), n'ont donc pas beaucoup d'expérience et dont on exige
qu'ils respectent les exigences de leur whip lorsque vient le moment de voter
en vue d'accéder à de hautes fonctions. De l'avis de M. Franks, le député
moyen ne reste pas longtemps au Parlement et, dans la plupart des cas, il n'y
fait pas un bon séjour. Bien souvent, dans la lutte que se livrent les partis,
le simple député n'est qu'un fantassin anonyme, malheureux, sous-payé et
débordé de travail.
Desservant sa propre cause, M. Franks décrit une Chambre (le Sénat est traité dans un
bref chapitre) dont le gouvernement fait peu de cas (les premiers ministres
Trudeau et Mulroney, par exemple, y apportant rarement leur contribution) et où
le gouvernement et l'opposition offrent au public un spectacle peu édifiant.
Les cas exceptionnels dans lesquels le Parlement a eu une influence et que
l'auteur signale, par exemple l'enquête sur le service de sécurité de la GRC,
se perdent dans les marécages de l'inefficacité parlementaire que décrit le
reste du texte.
Pour assombrir davantage le tableau, l'auteur entreprend de comparer les expériences
canadienne et britannique. Selon lui, la Chambre des communes britannique est
beaucoup plus indépendante d'esprit et plus active que la Chambre des communes
canadienne. Cette vérité, M. Franks l'exagère malheureusement, à cause
d'une méconnaissance de l'expérience britannique : il est faux de dire que
des élections partielles sont toujours déclenchées « immédiatement »
après qu'une vacance se produit, que les candidats qui obtiennent un siège très
disputé deviendront, après avoir passé un certain temps à la Chambre, candidats
à un siège sûr et que la convention concernant la confiance a été modifiée dans
les années 70 ; dans ce cas, c'est le comportement qui a changé, non la
convention. L'auteur dit que la Chambre britannique compte 640 députés,
mais ce doit être là une erreur typographique, car, dans trois autres cas, il
cite le nombre exact (650).
C'est toutefois au sujet de la réforme parlementaire que l'auteur se trompe le plus.
Il commet deux erreurs principales. Premièrement, il semble présumer que le
système axé sur l'exécutif et le régime centré sur le Parlement doivent
s'exclure nécessairement; il suppose que toute augmentation appréciable du
pouvoir du Parlement menace l'aptitude de l'exécutif à gouverner et reproche au
Comité spécial sur la réforme (Comité McGrath) de n'avoir pas reconnu cette
possibilité. Deuxièmement, en avançant ses propres propositions de réforme, au
demeurant limitées, il n'explique pas comment elles doivent s'intégrer à ce
système dominé par l'exécutif, thèse qu'il défend avec conviction.
Sur les deux points, le Comité McGrath a été beaucoup plus perspicace que
M. Franks ne le concède– en fait, plus perspicace que M. Franks
lui-même. L'auteur affirme que le comité spécial n'a pas su reconnaître qu'en
Grande-Bretagne, un changement de comportement de la part des députés a précédé
un changement dans le fonctionnement de la chambre. Le comité était au
contraire très conscient de l'ordre dans lequel ces changements se sont
produits et de leur interdépendance. Je le sais, car c'est moi qui ai porté
cette question à l'attention du comité. Les députés ont reconnu qu'ils ne
pourraient apporter le changement de comportement enregistré à la Chambre
britannique (produit d'un phénomène propre à la Grande-Bretagne), mais qu'ils
pourraient par contre souligner qu'aucun changement réel pour l'ensemble de la
Chambre n'est possible sans un changement d'attitude de la part de chacun des
députés. Un changement d'attitude doit nécessairement précéder une modification
de structure et de procédure, ce qui échappe à M. Franks quand il avance
ses propositions de changement.
Dans la liste des recommandations du comité spécial, je ne trouve rien non plus qui
aurait pour effet de créer un régime politique centré sur le Parlement. Le
comité cherchait à faire de la Chambre une assemblée qui influe davantage sur
les politiques du gouvernement et non à l'élever au rang d'organe de décision.
On peut obtenir du gouvernement qu'il écoute et se comporte mieux qu'il ne l'a
fait jusqu'à maintenant sans pour autant se substituer à lui.
Pour important qu'il soit, l'ouvrage de M. Franks n'en est pas moins déprimant.
Le Comité McGrath a publié un rapport beaucoup plus optimiste et beaucoup plus
marquant par les éléments de discussion concrets qu'il apporte au débat.
Philip Norton
Professeur à l'université de Hull
Grande-Bretagne
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