Anthony Wright
So, What Are The Boys Saying?: An Inside Look At Brian Mulroney In Power, Michel
Gratton, Mcgraw-Hill Ryerson Ltd.,
Toronto, 1987, 242 Pages; Friends In High Places, Claire Hoy, Key Porter Books, Toronto, 1987,357 Pages
The Insiders. Government, Business & The Lobbyist,
John Sawatsky, Douglas Gibson/McClelland & Stewart, Toronto, 1987,358 pages.
Dans une prose pleine de verve et d'esprit, Michel Gratton relate les 32 mois
pendant lesquels il s'est débattu pour aider le premier ministre Brian Mulroney
à se débarrasser d'une passion dévorante. Cette passion? Un très grand besoin
d'approbation des médias et une obsession pour les sondages. Quand Michel
Gratton a démissionné de son poste de secrétaire de presse attaché au Bureau du
premier ministre en mars 1987, il est retourné au quotidien Le Droit. Si ce
livre est à la mesure de son talent, M. Gratton fournira à ses lecteurs la
juste dose de cynisme et d'équité qui fait défaut chez de nombreux pontifes.
Gratton vous pilote adroitement au travers des incompétences et des faux pas, racontant
la chute en disgrâce la plus rapide et la plus étourdissante qu'ait jamais
connue un gouvernement canadien. Le zénith a été atteint le soir des élections
du 4 septembre 1984. Le premier ministre déclara alors : « Très
bien, nous avons gagné. Que faisons-nous maintenant? »Le nadir, lui,
a été atteint le 5 décembre 1986, quand, au cours d'une conférence de presse,
M. Claire Hoy (voir plus loin) du Toronto Sun demandait à M. Mulroney si cela
le gênait que certains l'appellent « Lying Brian » (Brian le menteur).
L'auteur se réjouit que M. Mulroney ait vite mis Hoy en boîte en lui répondant :
« Vous finirez bien par vous rendre compte que ceux à qui vous imposez la lecture de
vos attaques personnelles trouvent généralement leur auteur plus offensant que
la cible elle-même ».
Selon Michel Gratton, cette question que Brian Mulroney avait pris l'habitude de
poser (« Alors, qu'est-ce qu'on raconte dans la presse? »)
a fini par devenir une épitaphe. Il regrette de ne lui avoir jamais répondu, ne
serait-ce qu'une fois : « Qu'importe ce qu'on raconte. Mettez-vous à
l'ouvrage ».
Le livre de Gratton, s'il reçoit l'attention qu'il mérite, pourrait aider le
premier ministre à gagner le respect dont il a besoin pour s'imposer dans le
poste le plus difficile au pays. Il a certainement celui de Gratton, et qu'on l'aime
ou non demeure sans importance de l'avis de l'auteur.
Tout comme John Diefenbaker en 1958, M. Mulroney a été gêné par son écrasante
victoire électorale. Ce gouvernement, au lieu d'être un combattant nerveux et
affamé, les griffes acérées par les luttes constantes, est devenu un géant
malhabile, soucieux uniquement de conserver sa force démesurée. Il a reporté à
la deuxième année de son mandat la mise en application de mesures économiques
douloureuses et impopulaires. À ce moment, la lune de miel s'achevait et le
gouvernement avait perdu son élan. Étant donné la faiblesse de l'opposition, la
presse est vite devenue l'ennemie, le tourmentant et le raillant jusqu'à ce que
les acclamations fassent place au mépris, que les sondages prennent les devants
et que la politicaillerie supplante la politique comme force motrice à
l'édifice Langevin.
Quiconque s'interroge sur ce qu'on pouvait bien raconter dans la presse ont de bonnes
chances de trouver certains éclaircissements dans l'ouvrage dont il est
question ci-après.
Après avoir lu l'observation de Michel Gratton, selon laquelle Hoy s'en est pris
à Mulroney dès son arrivée à Ottawa, on ne s'étonnera pas que Friends in High
Places ne soit pas des plus bienveillants. Cet ouvrage risque, en fait de
lasser les lecteurs que la chasse au gibier politique n'intéresse pas
particulièrement.
Le compte rendu que M. Claire Hoy fait des trois premières années du mandat de M.
Mulroney possède tout le lyrisme d'un téléimprimeur. Les statistiques, les
observations et les citations de critiques et d'amis du premier ministre y
foisonnent. Le sarcasme est toujours en arrière-plan.
« Mulroney était destiné à une carrière de baryton; mais
comme les conservateurs n'avaient pas repris son refrain en chœur ni dansé au
son de sa musique au congrès à la direction du parti en 1976, les dirigeants de
Hanna Mining Company de Cleveland (Ohio) l'ont invité à chanter les louanges de
leur filiale canadienne, l'Iron Ore du Canada. En retour, ils lui ont proposé
de le rendre millionnaire, de lui offrir un manoir à Westmount, une carte de
membre des clubs les plus chics, un camp de pêche au Labrador et quatre sièges
juste derrière le banc des Canadiens au Forum de Montréal. Il s'en est bien
tiré, là encore. Il a mis fin à un conflit de travail et réalisé des profits.
Quand il a fallu décider s'il valait mieux acheminer des dividendes au sud de
la frontière ou soutenir la mine de Schefferville, Mulroney a agi comme le
souhaitaient ses maîtres américains, il a fermé la ville ».
(Je me rappelle que, dans les années 1950, quand Jules Timmins et ses associés ont
tenté de recueillir des fonds sur la rue James et la rue Bay pour financer la
mine de Schefferville, ils n'ont pas trouvé d'intéressés. Un consortium de 18
entreprises étrangères a relevé le défi à Cleveland, les Canadiens étant trop
timorés pour soutenir l'entreprise eux-mêmes.)
La sensibilité et le jugement de certains chroniqueurs continuent d'étonner.
Ainsi, le 29 janvier 1987, accompagnant le premier ministre
au cours d'un safari politique en Afrique, M. Hoy remarqua que M. Mulroney
porta à peine attention à la majesté des chutes Victoria. Il ne s'en serait
approché que de 300 verges, apparemment impatient de « reprendre son
avion nolisé pour entrer à Harare où il devait assister à une autre réunion
». Or, comme Michel Gratton l'explique dans son livre, le premier ministre était à
ce moment « malade comme un chien, fiévreux et tenait à peine sur
ses jambes ». L'ancien secrétaire de presse explique qu'il ne
fallait pas que les journalistes s'en rendent compte, sinon cela allait faire
les manchettes du jour.
Ce récit dynamique des faits et des événements politiques est agrémenté par les
remarques acerbes d'un observateur aguerri. Pour le commun des lecteurs, voilà
un ouvrage lourd qu'on referme facilement; mais il pourrait bien apporter de
l'eau au moulin des facultés de sciences politiques.
De ces trois livres, c'est celui de Sawatsky qui a le plus de poids, sans être
lourd toutefois. Solidement écrit, étayé de faits éloquents et assaisonné
d'interprétations étonnantes sur les motifs et les agissements des gens au
pouvoir, il devrait arriver facilement en tête de liste des succès de
librairie. À bon droit.
A partir de recherches soignées, dont certaines ont probablement été faites par
des étudiants, Sawatsky nous présente l'histoire captivante, de deux ex-adjoints
ministériels qui, par leurs conseils, ont su se rendre indispensables aux
dirigeants d'entreprise qui cherchent à se faire entendre du gouvernement.
Bill Lee et Bill Neville, après avoir mis à l'épreuve leurs talents de persuasion et
leur présence d'esprit dans l'atmosphère surchauffée des cabinets ministériels,
ont fondé la maison Executive Consultants Ltd., dispensant des conseils sur la
façon de traiter avec le gouvernement, suggérant qui voir et comment procéder.
Cette entreprise est devenue lucrative et une poignée de clients du monde des
affaires lui versent des acomptes mensuels. Chez ECL, on n'ouvrait pas de
portes : on indiquait seulement au dirigeant d'entreprise à quelles portes frapper et, une fois introduit comment présenter son
affaire.
Neville devint plus tard l'âme de Public Affairs International, qui a grandi et
prospéré parmi de petites entreprises fondées par d'autres ayant fait la dure
école de la politique. Certaines, dont la Government Consultants International
de l'ancien premier ministre Frank Moores de Terre-Neuve, sont des lobbyistes
déclarés. Non seulement ouvrent-elles des portes et soumettent-elles des
mémoires, mais elles plaident la cause de leurs clients.
Le livre dépasse le simple récit de la montée des consultants gouvernementaux sur
la scène politique fédérale. Sawatsky les suit dans les antichambres des
congrès à la direction des partis et dans les coulisses des campagnes
électorales des premiers ministres. MM. Trudeau, Turner et Mulroney ne
priseront sans doute pas le récit des maladresses, des revirements et les
mesquineries. L'ouvrage montre assez bien la corruption du jeu politique et
toute l'inconduite des joueurs.
Anthony Wright
ancien membre de la Tribune de la presse
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