Alan Cairns
The Canadian House of Commons: Essays in Honour of Norman Ward, John C. Courtney, Calgary, University
of Calgary Press, 1985, pp.xv, 217.
Ce recueil d'articles édités par John Courtney rend honneur à son
collègue Norman Ward, mis à la retraite après 40 ans d'enseignement en science
politique à l'Université de la Saskatchewan. La bibliographie dressée par
Shirley Spafford atteste, sans équivoque, la réussite de Norman Ward dans sa
carrière : série ininterrompue de livres, articles et rapports gouvernementaux
étalés sur quatre décennies. Et il est toujours actif, puisque la 6e édition de
The Government of Canada paraîtra bientôt ainsi que la biographie de James G.
Gardiner signée avec David Smith. Une œuvre pareille mérite certes de la
reconnaissance.
Dans leur interprétation des décisions judiciaires, les chercheurs
juridiques utilisent souvent l'expression fort révélatrice « le juge et
compagnie », pour rappeler au lecteur que les juges n’œuvrent pas seuls, mais
qu'ils dépendent, en dernière analyse, de conseillers juridiques, de
professeurs en droit et de toute l'infrastructure du savoir et de la procédure
légale sur lesquelles reposent les décisions judiciaires. Les spécialistes du
Parlement et du fédéralisme canadiens ont aussi l'appui et les conseils de leur
propre équipe. Norman Ward étudie le Parlement depuis fort longtemps, en
particulier la Chambre des communes, et les livres qu'il a écrit sur le sujet
ont contribué à mieux comprendre cette institution.
Comme le note John Courtney dans l'introduction, les reproches des 20
dernières années envers la Confédération ont incité les spécialistes en science
politique à se pencher sur le fédéralisme, les relations entre francophones et
anglophones et la constitution. Ce livre vise à rétablir un certain équilibre
en étudiant la Chambre des communes sous ses divers aspects. Eugene Forsey a
bien résumé le thème central de l'ouvrage L'influence de la Chambre des
communes a diminué, et continue de diminuer alors qu'elle devrait
augmenter.(195)
Le livre, avec une introduction de l'éditeur, un post-scriptum de M.
Forsey et huit chapitres denses, donne une bonne idée de la complexité des
arrangements et des normes qui façonnent le comportement des 282 députés
occupant la plus démocratique des Chambres de notre régime bicaméral. Le parti
politique est un des éléments déterminants de ce comportement, comme le soutien
avec conviction Paul Thomas dans un essai remarquable intitulé : Parliamentary
Reform Through Political Parties. La
plupart des initiatives individuelles dans un système de Parlement/cabinet ne
sont que la manifestation d'un comportement de parti (43). Cette thèse est
également soutenue par David Smith dans son étude de James G. Gardiner, un
personnage partisan et dont l'impératif catégorique se limitait à la loyauté au
Parti libéral.(70) Dans un chapitre sur l'organisation et le rôle des partis au
Parlement, M. Thomas parle de ces derniers comme « des entités organiques »(45)
difficilement manipulables. Les réformateurs devraient pas conséquent orienter
leurs recherches vers les partis afin d'aboutir à des résultats valables.
La force des partis expliquerait justement l'échec relatif de la réforme
des comités. Des partis forts et des comités forts ne sauraient coexister,
affirme M. Thomas. (51) Il indique néanmoins que l'importance accrue du caucus
pourrait servir de véhicule aux députés pour influer sur les chefs de parti.
Depuis quelques décennies, les lois sur le financement des élections et
la délimitation des circonscriptions électorales ont beaucoup modifié le
contexte d'affrontement entre partis. Deux essais très fouillés, l'un de John
Courtney et l'autre de F. Leslie Seidle, se penchent sur les commissions de
révision des limites des circonscriptions électorales, et sur la Loi sur les
dépenses d'élection. La Commission de révision des circonscriptions
électorales, créée en 1964, et la Loi sur les dépenses d'élection, adoptée en
1974, sont deux réformes réussies qui ont rehaussé la légitimité de la Chambre
des communes en renforçant l'intégrité du mode d'élection des députés.
Un changement plus récent, la Charte canadienne des droits et libertés
et le rôle qu'elle fait jouer aux assemblées législatives et aux tribunaux,
font l'objet d'un article de W. R. Lederman. Tout en donnant aux tribunaux un
rôle relativement plus important, la Charte, contrairement à une opinion assez
répandue, ne débouche pas sur un affrontement entre assemblées législatives et
tribunaux. L'auteur considère plutôt ces deux institutions comme des
partenaires ayant à assurer la justice pour le peuple sous la férule de la loi.
(8) Ainsi ces institutions différentes partageraient un travail dont le but
consisterait à assurer les normes les meilleures dans une société libre et
démocratique(108), contribution de la Charte à nos usages politiques. Dans son
article, M. Lederman ne fait pas la moindre allusion à l'opinion selon laquelle
la Charte serait une intrusion mal venue ou erratique dans un système fondé
historiquement sur le principe de la suprématie parlementaire.
Au moment où l'on cherchait à obtenir un consensus sur la Charte, les
députés de la Chambre des communes avaient la tâche ardue en raison de séances
de plus en plus longues. Les députés, note John Stewart dans son chapitre
intitulé Commons Procédure in the Trudeau Era,(La procédure aux Communes sous
l'ère Trudeau), ont maintenant des bureaux, des installations et des services
correspondant à leur emploi à plein temps (39), et notamment un bureau de
circonscription payé. M. Stewart examine les changements de procédure en 1968
et en 1969, pendant la période Trudeau, et les considère accessoires. Le
gouvernement Mulroney devra donc prendre de nouvelles mesures, énoncées par
l'auteur, s'il entend réellement accroître le pouvoir de la Chambre des
communes. (Ce chapitre a été rédigé avant la parution du rapport McGrath et la
réponse du gouvernement).
Les lois visant à rehausser l'intégrité du mode électoral et l'invasion
sans cesse accrue de la technologie télévisée ont marqué les partis politiques
depuis 20 ou 30 ans. La période de questions actuelle, affirme C.E.S. Franks, est un rejeton de la télévision. Tout comme le sont les élections
modernes, selon John Meisel. Dans ce chapitre intitulé The Boob Tube Election:
Three Aspects of the 1984 Landslide (Les élections télévisées : trois aspects
du raz de marée de 1984) l'analyse de M. Meisel ne porte pas exclusivement sur
l'impact de la télévision, loin de là, mais on y mentionne son rôle déterminant
sur l'issue du scrutin, notamment à l'occasion des trois débats entre les chefs
de parti. M. Turner a de toute évidence fait piètre figure dans ces débats,
surtout face au doigt accusateur de Mulroney qui lui reprochait son impuissance
à s'opposer aux nominations partisanes de son prédécesseur, M. Trudeau. M. Meisel
déplore l'influence de la télévision sur l'issue des élections et s'inquiète
des simplifications et des distorsions qui accompagnent ce phénomène. Il
propose la création d'un comité parlementaire chargé d'étudier les moyens de
réduire au minimum les désavantages des débats télévisés et de maximiser leurs
atouts.
Presque tous les chapitres traitent d'un problème d'actualité, à
l'exception de celui de David Smith, intitulé Cabinet and Commons in the Era of
lames G. Gardiner (Le cabinet et les Communes à l'ère de James G. Gardiner). Ce
chapitre, une composante d'un projet de plus grande envergure écrit en
collaboration avec Norman Ward, vise à approfondir la discussion quelque peu
naïve, selon Smith sur le rôle des ministres dans les régions. Selon Gardiner, un
cabinet conçu comme un regroupement de porte-parole des régions nuirait à la
diversité naturelle d'un pays fédéral, aux dépens de l'unité essentielle du
parti au pouvoir jusqu'ici possible grâce au processus décisionnel du
cabinet.(70) La thèse de Smith est que le régionalisme de Gardiner s'enracinait
dans son nationalisme et que ces deux éléments se sont conciliés grâce à la
capacité d'intégration du Parti libéral qu'il a loyalement servi.
Le chapitre le plus stimulant est le problème des débats et de la
période de questions, de C.E.S. Franks. L'auteur jette un regard nouveau sur
ces deux activités : il les examine d'abord comme un jeu, puis comme un
processus d'orientation générale et, enfin, comme une forme littéraire. Sous la
perspective d'un processus d'orientation générale, M. Franks juge trop
centralisé et trop secret le processus des décisions prises par le cabinet.
Résultat : le public, mal préparé aux grands changements d'orientation, oblige
le Parlement à se montrer convaincant, une tâche pour laquelle il est encore
maladroit. A cela s'ajoute aussi le problème d'une absence de mandat précis
chez les élus, en particulier lors de la formation d'un nouveau gouvernement;
l'orientation générale qu'ils veulent donner au pays. Malgré la discipline de
parti et la centralisation du pouvoir exécutif, la Chambre des communes, selon
M. Franks, est plutôt sujette à subir les influences particulières de groupes
de pression. Franks considère les commissions royales efficaces pour susciter
un consensus chez le peuple, précisément en raison de leur action exécutée en
dehors de la structure secrète de l'exécutif. (12) Néanmoins, les commissions
royales se limitent à suppléer au processus d'élaboration des politiques, non
seulement à cause de leur caractère intermittent, mais aussi en raison de leur
disparition au moment où leur rapport est soumis au gouvernement. La mise en
oeuvre de leurs recommandations dépend par conséquent du processus politique,
ce que leur reproche Franks. John Meisel partage l'opinion de M. Franks en ce
qui touche les faiblesses des partis au Parlement en matière d'intégration.
Meisel craint que cette politique axée sur des questions particulières, comme
le troisième débat télévisé des élections de 1984, organisé par le Comité
d'action national sur le statut de la femme, une fois élargie à d'autres
groupes, pourrait gravement miner la capacité des politiciens à trouver des
arrangements et un consensus. (175)
En examinant avec un peu de recul toutes les parties de l'ouvrage et en
cherchant à grouper les impressions qui se dégagent de ces analyses
spécialisées de la Chambre des communes, plusieurs éléments nous frappent.
1) Tout d'abord, les lecteurs de ce volume se rappelleront que la
Chambre des communes appartient à ses membres, et non au peuple canadien.
Thomas nous souligne le rôle central de l'intérêt du parti auquel les réformes
doivent s'adapter, Stewart renchérit en notant que les réformes les plus
susceptibles d'être adoptées sont celles qui facilitent la vie des députés. Et
il est maintenant banal d'affirmer que la possibilité d'obtenir une
représentation proportionnelle, en tout ou en partie, et quels qu'en soient les
avantages par ailleurs, se heurte au réflexe intéressé des membres de la
Chambre favorisés par les règles actuelles.
2) Les réformes essentielles à améliorer les moyens du candidat lors
d'une élection, connaissent un succès relatif; mais se rapportent à
certains aspects critiques sur les actions des élus, elles rencontrent un
succès moindre; cette distinction, établie par John Courtney dans
l'introduction, est certainement valide, en dépit du contraste un peu trop
marqué. L'inquiétude soulevée par Meisel au sujet des débats télévisés axés sur
un seul sujet montre bien que les moyens utilisés pour se faire élire nécessitent
beaucoup d'attention. Le mouvement des femmes, conscient de la disproportion
des sexes à la Chambre, contesterait fort probablement l'affirmation selon
laquelle ces moyens sont efficaces. La préoccupation de Frank au sujet des
élections et de leur incapacité à donner aux élus canadiens un mandat précis,
voire même à sensibiliser ne fut-ce que superficiellement l'électorat aux
problèmes réels auxquels le pays est confronté, souligne une autre faiblesse
sur le plan des moyens. Enfin, cela va de soi, à moins d'une perception
valorisante des actions du député, on assistera inévitablement à un déclin de
la qualité des candidats disposés à prendre les moyens pour se faire élire.
3) Il y a un contraste saisissant entre, d'un coté, le jugement porté
sur la Chambre des communes que Franks résume de façon lapidaire : Les
activités prolongées, brutales, ennuyantes, dégradantes et généralement
improductives du Parlement jettent le gouvernement dans le discrédit,
l'opposition et le Parlement lui-même (15) et, de l'autre, l'affection que
l'auteur lui porte très clairement. Après des années d'observation une formule
émerge chez les analystes : il faut s'en approcher avec des sentiments mêlés
d'affection, de sollicitude et d'exaspération, auxquels s'ajoutent des recommandations
pour son amélioration et des doutes sur leur mise en œuvre. La question
capitale est la suivante : qu'est-ce qui garde vivante la version idéalisée en
fonction de laquelle son rendement réel est mesuré avec indulgence; et
qu'arriverait-il si cette version idéalisée finissait par être considérée comme
un élément nostalgique, sentimental et sans pertinence? Le statut de la Chambre
des communes lui vient tout autant de l'inertie héritée du passé et des verres
rosés au travers desquels elle est perçue que de son rendement réel.
Qu'arriverait-il si ses admirateurs perdaient leurs illusions? Il y a quelque
temps, Richard Crossman a lancé l'idée que la Chambre des communes britannique
faisait plus partie de l'appareil solennel que du rouage efficace du
gouvernement. Il n'est pas certain que la Chambre des communes canadienne
recevrait une appréciation plus favorable si elle était jugée à la lumière des
mêmes critères d'efficacité et de dignité.
4) Un volume comme celui-ci est inévitablement tourné vers l'avenir.
Ceux qui proposent des réformes présupposent qu'elles pourront s'appliquer un
jour. Et pourtant, aucun des chapitres ne cherche à discerner les perspectives
d'avenir de la Chambre des communes au XXIe siècle et par conséquent les
exigences auxquelles elle aura à répondre. Cette approche, à la Oakeshotte, qui
consiste à empêcher le bateau de sombrer en répondant aux besoins du moment, a
certes ses avantages. Par contre, il ne fait aucun doute que les gouvernements
de l'avenir auront une tâche encore plus lourde à abattre. Quel que soit le
retour au marché réalisé dans la foulée des sentiments néo-conservateurs, il
est probable, voire presque certain, que le gouvernement du Canada aura à
répondre à des exigences croissantes en matière de leadership et de coordination,
aussi bien au pays que sur la scène internationale. Le monde ne deviendra pas
un habitat où il sera plus facile pour les nations et les États de vivre. À
long terme, la lutte d'influence que se livrent les institutions du gouvernement
aussi bien que les pays et les États est de nature darwinienne. La Chambre des
communes saura-t-elle relever ce défi futur? La réponse à cette question, qui
n'est pas fournie par les communications inhabituellement satisfaisantes de ce
recueil, n'est pas évidente.
Norman Ward sera certainement heureux de lire ces essais rédigés en son
honneur et il faut féliciter John Courtney d'avoir regroupé en un recueil des
écrits aussi stimulants et de si haute volée. Ce livre, au prix très abordable,
pourrait figurer sur une liste complémentaire d'ouvrages à lire dans le cadre
d'un cours sur la Chambre des communes.
Alan C. Cairns
Département de science politique
Université de la Colombie-Britannique
|