Wolfgang Koerner
Parliament in the 1980s, Philip Norton, Oxford University Press, 1985.
Dans son tout dernier ouvrage, le professeur Norton
nous révèle d'intéressants détails sur les changements survenus au Parlement
britannique et dans son mode de fonctionnement. Si Norton déplore le déclin du
parlementarisme, il se montre néanmoins optimiste devant certains changements
internes qui, selon lui, ont accru l'aptitude des deux Chambres à remplir
efficacement leurs fonctions. Ce livre a donc pour objet de reconnaître ces
changements et d'en analyser l'incidence, ce que Norton fait avec bonheur. La
préface, bien rédigée, constitue en même temps une bonne entrée en matière. En
effet, il arrive parfois que des rédacteurs abordent un texte avec une simple
agrafeuse pour outil, sans prendre la peine de livrer quelques-unes de leur réflexions personnelles. Norton échappe à ce
traitement. Sa préface nous éclaire déjà sur le sujet et l'on regrette qu'il
n'ait pas contribué davantage à sa rédaction.
Les chapitres relatifs à la Chambre des communes
portent notamment sur le rôle plus actif des députés de l'arrière ban, les
nouveaux comités spéciaux et la nature changeante du travail des députés dans
leurs circonscriptions. Les textes consacrés à la Chambre haute portent sur le
professionnalisme et l'autonomie accrus de la Chambre des lords et le rôle des
comités. Bien que la plupart de ces textes n'analysent pas en profondeur les
questions traitées, ils sont, néanmoins, instructifs. La conclusion, qui porte
sur les possibilités de nouvelles réformes, donne matière à réflexion.
Dans son exposé, Norton accepte d'emblée le fait que
le Parlement a depuis longtemps cessé de formuler la politique du pays pour
devenir ce que lui-même qualifie d'assemblée à influence politique. De nos
jours, la surveillance et l'influence constituent les fonctions les plus
exigeantes du Parlement. Bien remplies, elles peuvent permettre à l'Assemblée
législative de fixer à l'exécutif sa marge de manœuvre; au pire des cas, ce ne
serait que pure verbiage. Il semble que
l'expansion de l'État providence et, par le fait même, la tendance des
ministres à chercher des conseils et du soutien auprès d'un nombre sans cesse
croissant de groupes d'intérêts empêchent le Parlement de s'acquitter
efficacement de ces fonctions.
Bien que ces changements ne soient pas propres à la
Grande-Bretagne, la dévolution du pouvoir décisionnaire à des organismes externes
menace encore davantage la fonction de surveillance du Parlement britannique.
Selon Norton, le pouvoir décisionnaire dans divers secteurs est aujourd'hui
dévolu à une instance plus haute, à un organisme supranational (la Communauté
européenne) et, plus bas dans la hiérarchie, à des collectivités politiques
disparates. Si l'on ajoute à cela la propension aux référendums, on se rend
vite compte que non seulement il est plus difficile pour le Parlement de
s'acquitter de sa fonction de surveillance, mais de l'avis de nombreux groupes,
ses propres décisions ne seraient plus désormais tenues pour définitives.
L'indépendance grandissante des députés de l'arrière
ban est l'un des facteurs qui semblent, dans un certaine mesure, avoir aidé le
Parlement à faire de nouveau valoir son autorité. Au cours des législatures des
années 1970, les députés ont prouvé qu'ils pouvaient, aux Communes, voter
différemment de leur parti et très efficacement aussi. Bien que cette tendance
se soit atténuée depuis l'arrivée au pouvoir de la première ministre Thatcher,
même son gouvernement, selon M. Norton, se dit prêt à faire des concessions sur
un certain nombre de questions parfois importantes. La menace de dissension et
de désaveu au sein du parti a donc fait contrepoids au pouvoir de l'exécutif.
Après avoir étudié plusieurs raisons qui
expliqueraient cet état de choses (tensions économiques, gouvernements et
idéologies minoritaires et quasi minoritaires)
Norton conclut que les dissensions répétées au sein du parti conservateur
sont dues en grande partie au mode de gestion d' Edward Heath. Heath
n'inclinait pas au compromis, alors que Mme Thatcher a toujours pris soin de
garder le contact avec les députés de l'arrière ban. De fait, Nigel Fraser,
député conservateur de longue date, a fait à un moment donné remarquer que
Heath était admiré, mais non pas aimé. Ses collègues du Parlement faisaient
preuve envers lui de la loyauté qu'on doit au chef du parti, mais bien peu
éprouvaient envers lui le sentiment de loyauté qu'on ressent envers un ami.
Les changements de comportement et d'attitude des
années 1970 ont eu une incidence particulière, celle de donner lieu à la
création de nouveaux comités spéciaux liés aux ministères. Stephen Downs en
étudie l'établissement et l'incidence et conclut que bien qu'ils n'aient
peut-être pas changé radicalement la relation entre le Parlement et l'exécutif,
ils l'ont à tout le moins améliorée.
Dans son exposé sur le rôle des députés au sein de
leur circonscription, James March déclare que leur charge de travail s'est
énormément accrue et que les « députés de l'arrière ban consacrent de nos jours
une grande partie de leur temps à jouer le rôle important de travailleur
social ». C'est pourquoi on a moins tendance aujourd'hui qu'autrefois à considérer
le député de l'arrière ban comme un ministre manqué. March réussit pour le
moins à ranimer notre foi et à montrer que les députés s'acquittent
effectivement des tâches pour lesquelles ils sont essentiellement élus.
Le livre contient également deux chapitres sur la
Chambre des lords, l'un rédigé par Nicholas Baldwin, l'autre par Cliff
Grantharn et Caroline Moore Hodgson, qui exposent certaines tendances nouvelles
qui se dessinent à la Chambre haute maintenant revigorée. Baldwin formule
d'intéressants commentaires sur la façon dont la Chambre des lords s'est
adaptée aux réalités socio-politiques de l'heure et explique comment elle est
devenue, avec le temps, une assemblée plus efficace. La pairie à vie semble
avoir beaucoup contribué au renouveau de cette chambre de même que
l'interdépendance sans cesse croissante entre les députés de l'arrière-ban des
deux chambres qui influent sur l'orientation de leurs partis respectifs.
Les auteurs signalent divers signes de renouveau
parlementaire, si l'on peut dire, et nous donnent un peu d'espoir en
réaffirmant que la force fondamentale d'un gouvernement démocratique réside
dans l'habileté de l'individu à décider, à choisir et à juger. La raison d'être
de la démocratie parlementaire, malgré les prescriptions de la discipline d'un
parti, repose sur la confiance dans le jugement autonome de l'être humain. Une
réforme qui s'appuie sur ce principe ne peut qu'être salutaire.
Une nette distinction est faite dans tout l'ouvrage
entre la réforme « externe » et « interne ». La première comporte des
propositions de réforme radicales comme l'élection des membres de la Chambre
haute ou la représentation proportionnelle aux Communes. La seconde fait état
des pressions qui s'exercent de plus en plus en faveur d'une réforme interne
qui tienne compte notamment des nouvelles attitudes des parlementaires, de
l'établissement de comités spéciaux et permanents et de meilleures ressources
pour les parlementaires de l'arrière ban. C'est pour ce second type de réforme
que Norton se montre le plus optimiste. Rien d'étonnant à cela puisque
l'institution sur laquelle porte l'étude est en très grande partie le produit
d'une lente évolution, fondée sur la « sagesse pratique » en laquelle Burke avait
tellement foi. En voulant modifier en profondeur, les réformateurs radicaux
font fi des enseignements de l'histoire et de l'expérience du passé, plus
particulièrement lorsqu'ils essaient d'appliquer un plan d'ensemble préconçu.
Ce livre est en somme bien rédigé et bien présenté et
il intéressera à la fois le novice et l'expert en matière de parlementarisme
britannique.
Wolfgang Koerner
Bibliothèque du Parlement
Ottawa
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