Gary Levy
The Battle Over Bilingualism, Russell Doern, Cambridge
Publishers, Winnipeg, Manitoba, 1985, 227 pages.
Russell Doern vient d'écrire un autre livre troublant. Sa première
publication, Wednesdays are Cabinet Days (voir le numéro de l'automne 1982 de cette
revue) relatait sa carrière au Cabinet d'Ed Schreyer, au Manitoba. Il s'en est
fallu de peu qu'il explique comment une personne aussi pragmatique, prudente et
modeste qu'Ed Schreyer ait acquis la réputation d'être un dirigeant
charismatique; mais M. Doern a l'habitude de s'écarter de son sujet et de
décrire des événements qui n'ont aucun rapport, comme le brouhaha qui a entouré
la visite de John Lennon et de Yoko Ono.
Ce second livre est troublant pour ces mêmes raisons mais également
parce qu'il expose comment nos institutions politiques peuvent nous mener dans
des impasses. Il constitue également un exemple classique de conflit entre la
conscience d'un individu et la discipline de parti.
Le récit nous reporte en 1890 lorsque l'Assemblée législative du
Manitoba a aboli l'usage du français dans les tribunaux et les corps
législatifs de la province, bien qu'il eût été garanti au moment où la province
entra dans la Confédération, en 1870. Puis en 1976, un agent d'assurances de la
ville de Saint-Boniface, M. George Forest, refuse de s'acquitter d'une
contravention dont le procès-verbal est écrit en anglais, prétendant que la loi
de 1890 n'est pas valide et que la contravention aurait dû être imprimée dans
les deux langues officielles.
L'affaire est portée devant la Cour suprême qui, en 1979, donne raison a
M. Forest. Le gouvernement provincial des conservateurs de l'époque, avec M.
Sterling Lyon comme premier ministre, entreprend donc de faire traduire toutes
les lois et certains documents officiels en français. Le travail n'avance que
lentement, si bien qu'en 1980, Roger Bilodeau conteste une contravention qui
lui est imposée pour excès de vitesse parce que les lois sur lesquelles elle se
fonde n'ont pas encore été traduites. Cette affaire est elle aussi portée
devant la Cour suprême mais, cette fois, les gouvernements fédéral et
provincial essaient de conclure une entente avec la Société franco-manitobaine
afin de régler l'affaire à l'amiable.
Cette entente, d'après Doern, visait plus que la simple traduction des
lois et aurait imposé à tous les ministères du gouvernement de la province un
bilinguisme officiel. À ce moment, les néo-démocrates avaient remplacé les
conservateurs au pouvoir et M. Doern se trouva donc en conflit avec son premier
ministre, le solliciteur général et la plupart des membres de son propre
caucus.
Le livre relate la lutte menée contre le projet de loi au caucus, au
cours de réunions publiques, et de plébiscites municipaux tenus à Winnipeg et, enfin,
au sein de l'Assemblée législative même. L'un des rares héros du livre, mis à
part M. Doern, est le président de l'Assemblée, M. James Walding, qui, d'après
l'auteur a refusé de céder aux pressions du gouvernement et de faire une
entorse au Règlement afin de faire adopter la loi malgré les obstructionnistes.
En fin de compte, le projet ne fut pas adopté et la question fut
renvoyée à la Cour suprême, laquelle déclara tous les statuts du Manitoba non
valides, tout en leur laissant temporairement leur force de loi en attendant
qu'ils soient traduits dans un délai raisonnable.
L'auteur conclut par quelques observations sur ce qu'il est advenu des
principaux protagonistes, y compris lui-même. Après avoir été membre du NPD
pendant 23 ans, l'auteur s'est désaffilié du parti en juin 1984 dans
l'intention de se faire réélire comme député indépendant.
L'auteur écrit dans un style agréable et son histoire est fascinante,
bien que l'on soit porté à le soupçonner d'une certaine partialité. Il serait
intéressant d'entendre ce que les autres personnages ont à dire au sujet des
divers incidents relatés. L'on pourrait sympathiser davantage avec l'auteur si
ce n'était les nombreuses remarques gratuites et personnelles qu'il fait sur
ses adversaires. En effet, il décrit le premier ministre Howard Pawley comme un
faible, influencé par des conseillers apolitiques, sa femme en particulier; le
solliciteur général, Roland Penner, comme un idéologue; le leader
parlementaire, Andy Anstett, comme le garde du corps de Penner, comme Roy Cohn
le faisait pour Joe McCarthy, tandis que la ministre Myrna Phillips passe pour
une féministe militante sans trop d'expérience, de sens politique ou de savoir
vivre.
Manifestement, le débat sur le bilinguisme a été chargé d'émotivité pour
M. Doern. Il est toutefois malheureux qu'il n'ait pas tenu compte du conseil de
sa propre femme, Phylis, qui lui avait recommandé de s'en tenir à son sujet et
d'éviter les allusions personnelles. M. Doern a dit avoir reconnu la sagesse de
ce conseil mais a cru bon de se défendre contre les attaques ignobles dont il
avait été victime.
Peut-être son audace est-elle inhérente à un non-conformiste comme lui.
Quoi qu'il en soit, son expérience nous démontre une fois de plus que la
dissidence au sein des partis politiques et des corps législatifs canadiens est
moins bien acceptée que dans la plupart des pays du monde occidental.
Gary Levy
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