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Frank Hanley a été membre du conseil municipal de Montréal de 1940 à 1970. Il a été
élu pour la première fois à l'Assemblée législative du Québec en 1948 et réélu
à cinq reprises par la suite à titre de député indépendant de Sainte-Anne. Au
cours de cet entretien, M. Hanley passe en revue sa carrière politique et nous
livre ses impressions sur ses années au conseil municipal et à l'Assemblée
nationale. Lynda Steele a rencontré M. Hanley en novembre 1985 pour la Revue
parlementaire canadienne.
Qu'avez-vous fait avant d'entrer en politique?
Quand j'étais jeune, j'ai représenté le YMCA en tant que champion municipal et
provincial de boxe, catégorie poids plume. Comme j'ai toujours aimé les
chevaux, j'ai travaillé à titre d'entraîneur dans certaines écuries de la
région. Un certain Mike Grant envoyait souvent des chevaux à la maréchalerie et
je me souviens, à l'époque où je travaillais pour lui, de m'être déjà promené
avec quatre chevaux à la fois dans les rues de Montréal. C'est ma passion pour
les chevaux qui m'a décidé à devenir jockey. J'ai couru dans le Maryland sous
la conduite de mon entraîneur George M. Ridge. À titre de novice, j'ai pu
acquérir beaucoup d'expérience car on me donnait les montures les plus
récalcitrantes. Après quelques années aux États-Unis, j'ai dû, en raison de mon
poids, abandonner la carrière de jockey et rentrer à Montréal. Pour me garder
en forme, j'allais danser à la rue Peel
à dix cents la danse. Pendant la dépression, je vivais de l'assistance
sociale, mais je devais, pour cela, effectuer différents travaux pour la ville.
Je déblayais la neige sur les trottoirs, travaillais dans la construction et
faisais divers autres travaux manuels. je me suis
marié en 1932.
Comment êtes-vous entré en politique?
Un de mes amis, M. Couturier, m'y a poussé.
Nous étions tous les deux à l'emploi de la ville à l'époque. Il n'y avait pas
de syndicats en ce temps là à Montréal et l'on se plaignait beaucoup des
conditions de travail. Un jour, M. Couturier est venu me voir et m'a dit :
Frank, la seule façon de nous défendre, c'est de nous lancer en politique».
Nous avons donc formé l'Association des hommes d'affaires de Sainte-Anne. Nous
étions assez actifs dans la région et nous nous sommes faits
un tas d'amis. En 1940, on m'a envoyé briguer un siège au conseil municipal et
je l'ai emporté par acclamation. C'est Camillien Houde qui était maire de
Montréal à l'époque.
Comment étaient vos relations avec le maire
Houde?
Très bonnes! Juste après mon élection au conseil municipal, les éboueurs ont menacé
de se mettre en grève. Apparemment, ceux-ci ne voulaient pas être contraints de
travailler après les heures normales les jours de tempête. Appelé à la
rescousse par le conseiller Honoré Parent, j'ai réussi à conclure une entente
avec les travailleurs. Désormais, deux hommes seraient désignés à tour de rôle
pour ramener les chevaux au bercail et les autres prendraient place à l'arrière
pour boire leur bière. Le conflit était donc réglé autour de quelques
bouteilles de bière, ce qui m'a mis dans des meilleurs termes avec le maire.
Houde a été, selon moi, le meilleur maire que nous ayons
jamais eu. A son époque, la ville avait un cœur et une âme. Il a toujours pris
soin de ses concitoyens, et ses décisions étaient toujours guidées par le bon
sens. Montréal était à l'époque une ville ouverte.
Qu'entendez-vous par ville ouverte?
On fermait un peu les yeux sur les règlements. Il y avait des prostituées à
Montréal, mais leur territoire était circonscrit de sorte qu'elles ne
dérangeaient personne c'est d'ailleurs
ce que le gouvernement songe à faire à l'heure actuelle. Les joueurs et les
bookmakers gagnaient leur vie eux aussi. Les tripots, par exemple, n'étaient
pas assujettis à une taxe spéciale. Nous ne leur faisions pas payer de permis.
Nous faisions plutôt une descente chez eux tous les mois et leur imposions
chaque fois une amende de 1000 $ (soit douze fois le prix d'un permis).
Montréal était une ville bourdonnante d'activité. Elle attirait aussi de nombreux
américains. Et, en fait de violence, elle fut de 1940 à 1960, la ville la plus
calme en Amérique du Nord!
En 1948, vous avez été élu à l'Assemblée
nationale du Québec. Pourquoi avez-vous choisi de vous présenter à titre de
candidat indépendant?
Je suppose que c'est mon petit côté irlandais... qui fait que j'ai une tendance naturelle
à m'opposer à toute autorité officielle, quelle qu'elle soit! je n'aime pas qu'on me dicte ma ligne de conduite.
J'estimais que j'aurais plus de pouvoir et plus d'influence en étant
indépendant. D'ailleurs, je vais vous dire une chose : j'ai travaillé d'arrache
pied dans Sainte-Anne, j'ai travaillé jour et nuit et je crois avoir réalisé
davantage au conseil municipal et à l'Assemblée nationale à titre
d'indépendant. À mon avis, un bon député doit faire preuve de bon sens et de
discernement. C'était, à mon sens, le meilleur moyen d'obtenir ce que je
voulais, non pas pour moi, mais pour mes électeurs.
Mais quel parti appuyiez-vous aux élections?
Eh bien, je votais évidemment pour le parti au pouvoir. Pourquoi aurais-je fait
autrement?
Parlez-nous de vos rapports avec le premier
ministre Maurice Duplessis?
Nous étions de bons amis et nous nous entendions très bien. Duplessis avait l'appui
du peuple et il a été, à mon avis, le meilleur premier ministre que j'ai connu.
Il était très charitable et très bon envers les groupes minoritaires, mais il
n'était pas aimé des anglophones. D'ailleurs. le crois
que son parti, l'Union nationale, est bien mort avec lui.
L'Union nationale a-t-elle présenté des candidats contre vous?
Je n'ai jamais eu une très forte opposition. M. Duplessis m'appuyait. C'est pourquoi il
n'a jamais présenté de forts candidats contre moi. Une fois, l'Union nationale
décida de présenter un avocat dans mon comté, J'ai entendu dire plus tard,
après que j'eus remporté l'élection, que M. Duplessis avait dit à son candidat
de mettre la pédale douce contre moi. Une autre fois, les Libéraux se mirent en
tête de me déloger, et répandirent la rumeur que le pape souhaitait ma défaite.
Lorsque M. Duplessis eut vent de cela, il décida de m'appuyer financièrement
pour être bien sûr que je l'emporte.
À quoi ressemblait l'Assemblée nationale dans
les années 50?
Oh, elle n'avait rien de commun avec l'Assemblée nationale actuelle. D'ailleurs, je ne voudrais
pas en être membre aujourd'hui. À l'époque elle fonctionnait sous le signe du
gros bon
sens. Aujourd'hui, tout est devenu académique et pompeux. Il est vrai que,
dans le temps, le salaire annuel d'un député n'était que de 2 000 $ ... rien du
tout comparé à ce qu'on les paie aujourd'hui. Mais cet aspect était assez
secondaire; d'ailleurs je n'ai jamais été très attaché à l'argent.
M. Duplessis avait, à l'époque, une forte emprise sur l'Assemblée et savait
comment arriver à ses fins. Je me souviens, qu'une fois, il voulait faire
adopter un projet de loi imposant une taxe de luxe sur les bijoux. Il a fait
venir tous les députés à l'Assemblée et a étiré la séance pendant des heures.
Une fois que la plupart des députés de l'opposition se furent endormis, il a
mis la question aux voix. C'était un homme très rusé qui savait aussi comment
diriger ses ministres. Chaque fois que l'un d'eux était interrogé, M. Duplessis
lui faisait signe de rester assis et il répondait à sa place. Il répondait
toujours à la place de ses ministres. Peut-être Brian Mulroney devrait-il
suivre son exemple. Cela lui éviterait bien des ennuis!
Les pratiques électorales étaient aussi fort
différentes, n'est-ce pas?
Au début, nous devions payer tous nos frais à Québec avec notre salaire annuel de 2 000
$. Ceux qui le pouvaient le faisaient. Les autres étaient aidés en douce par M.
Duplessis. À l'époque, les élections ne se faisaient pas aux frais des contribuables.
M. Duplessis avait établi un système spécial en vertu duquel 10 p. 100 de tous
les marchés gouvernementaux étaient versés au fonds électoral. Lorsqu'il
déclenchait une élection, c'est l'Union nationale qui en payait la note.
Aujourd'hui, ce sont les contribuables. De plus, la «caisse noire» existe
toujours et l'argent qui reste est versé directement dans les coffres du parti.
La méthode de M. Duplessis n'était donc pas si mauvaise, puisque les
contribuables n'avaient pas un sou à débourser. Regardez ce qui se passe
aujourd'hui, Les partis ont des millions de dollars dans leurs caisses, mais ce
sont quand même les contribuables qui doivent financer tous les candidats.
Comme je l'ai mentionné, M. Duplessis nous aidait. Il m'appelait pour me demander combien
il me fallait, et il me remettait le montant dont j'avais besoin. En 1960, son
successeur, Antonio Barrette, me demanda combien je voulais, et il fut
scandalisé lorsque j~ lui répondis qu'il me fallait 35 000 S. A l'entendre,
même le ministre des Finances n'avait reçu que 25 000 $. Mais j'ai quand même
obtenu gain de cause!
Cet argent m'a toutefois occasionné des problèmes. Je pouvais l'utiliser à mon gré
sans avoir à payer d'impôt. Comme il y avait à l'époque un tas de personnes qui
étaient beaucoup plus dans le besoin que moi, j'étais régulièrement sollicité
de diverses façons. Je donnais peut-être une centaine de dollars par semaine.
Six ans plus tard, quelqu'un a bavardé, mettant ainsi les inspecteurs du fisc à
mes trousses. je devais, selon eux, 32 000 $ à l'État.
Comme, bien sûr, le n'avais pas ce montant, on m'a pris ma maison et j'ai dû
emménager dans une autre, plus petite, à Greenfield Park.
Vous avez été forcé de quitter la vie politique
en 1970.
je n'ai trébuché qu'une seule fois au cours de mes campagnes; ce fut
contre le libéral George Springate. La crainte du séparatisme était la question
en vogue à l'époque, et M. Springate insistait beaucoup sur ce thème. Pour ma
part, je n'étais pas inquiet et je croyais que l'élection était gagnée d'avarice.
Mais les gens avaient peur. je suppose que j'ai fait
preuve d'un excès de confiance. C'est pourquoi lorsque la population s'est
ralliée à M. Springate, j'ai dû m'avouer vaincu.
Mais malgré la défaite, je dois dire que j'ai gardé le meilleur souvenir de cette
soirée-là. le m'étais arrangé pour réunir dans la même
pièce jack Webster et Pat Burns (deux animateurs radiophoniques fort
controversés et je leur avais demandé de venir me rejoindre dans une grande
chambre d'hôtel, où toute une équipe était réunie pour attendre les résultats
des élections. le ne leur avais évidemment pas dit qu'ils allaient être en
présence l'un de l'autre. Lorsqu'ils sont finalement arrivés, j'ai verrouillé
la porte derrière eux et nous avons eu droit au meilleur débat de tous les
temps. Quelle soirée inoubliable!
Pourquoi vous êtes-vous présenté comme libéral
au scrutin fédéral de 1972?
Je n'ai jamais été candidat libéral; je me suis présenté comme indépendant. Laissez-moi
plutôt vous expliquer ce qui s'est produit. Au moment des élections fédérales
de 1972, certains amis sont venus me proposer de me lancer sur la scène
fédérale pour secouer un peu le député sortant. J'avais déjà été élu à
l'Assemblée nationale et au conseil municipal, je n'étais donc pas vraiment
intéressé à me faire élire à Ottawa, mais l'idée d'enquiquiner un peu les
Libéraux ne me déplaisait pas. je me suis donc procuré
une camionnette sur laquelle j'ai fait inscrire <Candidat officiel du Parti
libéral»; ce que je n'étais pas, bien sûr. Au volant de ce véhicule, je suis
ensuite allé me balader sur la rue Dorchester, à proximité de Radio-Canada. Il
y avait justement un attroupement et le premier ministre était apparemment en
train d'accorder une entrevue. je me suis dit qu'en
attendant, je pouvais en profiter pour serrer des mains. Pierre Trudeau est
finalement sorti, il a jeté un coup d'œil sur ma camionnette et m'a serré la
main en me disant : «J'espère que vous l'emporterez». Le lendemain, dimanche,
les journaux publiaient une photo de M. Trudeau en train de me serrer la main
et de me souhaiter bonne chance à titre de candidat officiel du Parti libéral,
Vous pouvez imaginer l'émoi que cela a causé dans l'organisation du Parti
libéral à Sainte-Anne.
Quelques jours plus tard, je dînais dans un restaurant de la rue Peel, lorsqu'un de mes
amis est venu me dire que M. Trudeau assistait à une réunion tout près de là.
Je décidai de me joindre aux 40 ou 50 autres personnes qui s'étaient rendues
sur place pour le rencontrer. Imaginez la scène. A la sortie de sa réunion, Pierre
Trudeau me fait signe de le suivre jusqu'à sa limousine stationnée au coin de
la rue. Nous montons, il lève la vitre de la portière et me dit : «Tu m'as bien
eu, coquin». Sur quoi je lui réponds que c'est lui qui
est tombé dans le panneau. Le plus drôle de toute cette histoire, c'est que
j'ai bien failli remporter cette élection!
Comment arriviez-vous à cumuler les fonctions de
député à l'Assemblée nationale du Québec et celles de conseiller municipal?
Comment trouviez-vous le temps de faire tout cela, d'être membre d'autres
organismes et comités et d'avoir une vie familiale?
Il n'était pas rare, à l'époque, de voir un député occuper aussi un poste de
conseiller municipal; au contraire, il était avantageux pour un conseil
municipal d'avoir un représentant à Québec. Cela lui permettait de savoir
exactement ce qui se passait à l'Assemblée nationale. Pour ce qui est du
temps... eh bien, j'en trouvais toujours. En 53 ans de mariage, ma femme ne
s'est jamais plainte de mes absences répétées à des réunions ou à des banquets.
Mes enfants ont plus tard participé à mes activités et ils s'intéressent
toujours à la politique, même si mon petit-fils jure, lui, qu'il n'y succombera
jamais.
Êtes-vous toujours actif en politique?
Bien sûr, je suis président de l'organisation du Parti progressiste-conservateur ici-même
à Montréal, et j'ai travaillé pour Brian Mulroney lorsqu'il s'est présenté à la
direction du parti. Je suis d'ailleurs avec lui depuis ses tout débuts en
politique. Lorsque le gouvernement a songé, il v a quelque temps, à réduire le
montant des pensions de vieillesse, j'ai écrit à Brian pour l'en dissuader. Je
l'ai averti qu'il allait décevoir bien du monde. Il m'a répondu, dans une
lettre, qu'il allait reconsidérer sa décision; ce qu'il a effectivement fait.
Plus d'un an a passé depuis les dernières élections, et jamais je n'ai demandé de
compensation quelconque pour mes services. je dois
cependant dire que j'ai été nommé commissaire au recensement. Ça va me tenir
bien occupé. le n'y connais rien encore mais je vais
apprendre au fur et à mesure. je suis donc encore
actif en politique et dans diverses organisations. Il faut bien dire que je ne
peux pas demeurer inactif.
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