Gerald Amerongen
Les fonctions de Président des assemblées législatives :
commentaire de Gerard Amerongen, Président de l’Assemblée législative de
l'Alberta.
Contexte : Dans la livraison précédente, nous avons
publié une déclaration de D. James Walding, Président de l’Assemblée
législative manitobaine dans laquelle celui-ci soulignait certains des problèmes
auxquels les Présidents sont aux prises et suggérait certaines solutions. Dans
le présent numéro, nous publions un commentaire du Président de l’Assemblée
législative de l'Alberta, Gerard Amerongen, sur cette déclaration.
Décision du Président Gerard Amerongen :
Mon respecté collègue, le Président Walding, voit trois difficultés sérieuses pour les
Présidents d’assemblées législatives canadiennes.
L’une d’entre elles tient au fait qu’un Président doit être séparé de sa
circonscription et de son parti. Selon lui, plus un Président cherche à être
impartial, plus il s’éloigne de sa circonscription et du parti qui l’a appuyé
lors des élections.
Nul ne peut sérieusement contester les propos du Président Walding sur
l’éloignement du Président à l’égard de son parti. C'est la coutume au Canada,
bien que cette séparation ne soit pas aussi complète qu’au Royaume-Uni, où elle
est totale.
Mais qu’en est‑il de la séparation par rapport aux électeurs? Si les
Présidents sont plus éloignés de leurs électeurs que les autres députés, il
devrait leur être plus difficile de se faire réélire. Or, en règle générale,
cela leur est plus facile qu’aux autres députés (et qu’aux ministres). Selon une
enquête portant sur les résultats des élections provinciales depuis 1930,
plus de Présidents sont réélus que d’autres députés dans toutes les provinces
sauf Terre-Neuve, l'Île-du-Prince-Édouard et la Saskatchewan. En Alberta et au
Nouveau-Brunswick, tous les Présidents qui ont cherché à se faire réélire
depuis 1930 l’ont été. En Ontario, au Québec et au Manitoba, ce pourcentage
est de 90 .
La seconde difficulté que perçoit le Président Walding tient au système
lui-même, dans lequel un député, et un seul, se trouve dans une position telle
qu’il est censé appuyer les initiatives du gouvernement de l’heure tout en étant
tenu d’agir avec justice et impartialité, ce qui est représente une
injustice.
Étant donné que les Présidents sont toujours censés être justes et impartiaux
au sein de la Chambre et que l’on n’attend jamais d’eux qu’ils appuient (en
Chambre) les initiatives du gouvernement, le dilemme auquel fait allusion le
Président Walding, qui tient à la nécessité d’être à la fois partial et
impartial fait de toute évidence référence à ce que le Président pourrait dire
hors de la Chambre. Mais est‑ce là une véritable difficulté?
Il est vrai qu’un Président qui fait des déclarations de toute évidence
partisanes hors de la Chambre peut être perçu comme partisan en Chambre. Le
meilleur antidote à une telle perception est une impartialité constante et
rigoureuse en Chambre. Chaque Président n’émet‑il pas des opinions devant ses
électeurs? Les Présidents ne font certes généralement pas de déclarations
frappantes sur les dossiers politiques de l’heure, mais, même si c'était le cas,
cela ne les empêcherait pas d'être impartiaux en Chambre.
En d’autres termes, on ne peut demander au Président d'être « en même
temps » partial et impartial. Il en va de même pour tout Président. Il
serait impossible de trouver un Président sans aucun parti pris. La seule
exigence raisonnable est qu’il les mette de côté lorsqu’il assume ses fonctions
de Président.
La troisième difficulté que présentent les fonctions de
Président selon mon
respecté collègue du Manitoba est l’absence d’occasions de débattre en Chambre.
Une étude menée par un distingué comité de la Chambre des communes à Westminster
en 1938 porte précisément sur ce point et sur les deux précédents. Il
semblerait que le rapport qui en a résulté semble être l’opinion définitive du
Parlement de Westminster sur le sujet.
Ce comité comprenait certains parlementaires bien connus et chevronnés, dont
David Lloyd‑George, ancien premier ministre qui a présidé le comité, et
Sir Winston Churchill.
Il faut se souvenir que le comité a étudié le rôle et la position du
Président du Parlement britannique, totalement séparé de son parti et non en
partie, comme au Canada. Donc, si la séparation par rapport au parti est un
problème, cela devrait être encore pire au Royaume-Uni. Or le comité a reconnu
qu’il y avait conflit entre les droits des électeurs du Président et la distance
que doit prendre ce dernier sur le plan politique, mais a également précisé que
c'est précisément pour préserver ces droits en Chambre que le Président doit se
retirer du combat politique. Voici ce que concluait le comité :
« Tenter de priver une circonscription du droit de choisir comme député
quelqu'un qui est considéré comme le plus représentatif de la volonté populaire
serait une grave atteinte aux principes démocratiques. Modifier la position du
Président pour qu’il cesse d'être élu à la Chambre des communes par les mêmes
moyens électoraux que les autres députés ou comme représentant d’une
circonscription parlementaire serait tout aussi répugnant pour ce qui est des
coutumes et de la tradition de la Chambre. Exiger qu’un Président modifie, même
pour ses propres besoins, l’attitude établie envers la controverse politique
irait l’encontre de la tendance de notre évolution parlementaire. Voici ce qu’a
conclu votre comité. Aucun scénario ou proposition qu’il peut offrir ne
constitue plus qu’une solution partielle et chacune présente de nouveaux
éléments qui, de l’avis raisonnable de votre comité, pourraient être moins
acceptables que les maux qu’il est censé guérir ». (Cité dans
Philip Laundy, The Office of Speaker, p. 71)
M. Laundy continue : « L’idée, parfois avancée, que le
Président n'est pas en mesure de représenter correctement ses électeurs en
raison des limites politiques qui lui sont imposées ne semble pas être
fondée. » (Laundy, p. 71 et 72). Le comité nommé en 1938 a
formulé les commentaires suivants sur la question :
Les défenseurs d’un changement de système estiment la position non partisane
du Président après son élection éloigne davantage ses électeurs puisque le
Président ne peut se faire le porte-parole de leur opinion lors des débats ou
par son vote et ne peut non plus tenter de donner suite à leurs griefs par des
moyens politiques. Votre comité n'est pas impressionné par cet argument. Dans le
système politique britannique, quels qu’en soient les mérites et les failles, le
parti maîtrise solidement les gestes de ses membres en Chambre et la
stérilisation d’un seul vote de quelque côté qu’il se trouve aura une influence
si faible sur les questions faisant l’objet des divisions de partis qu’elle en
sera négligeable. Par ailleurs, pour ce qui est des questions non controversées
et des griefs particuliers, votre comité est convaincu qu’un grand nombre de
députés seraient tout à fait disposés à se mettre au service du Président et de
ses électeurs.
Pour ce qui est des intérêts ou des griefs particuliers, les électeurs du
Président sont en fait particulièrement favorisés. Bien que ce dernier ne puisse
présenter de questions, tout dossier les touchant et qu’il estime pouvoir
soulever à titre privé auprès d’un ministère recevra une attention particulière,
la nature humaine étant ce qu’elle est et l’auteur de la requête étant qui il
est. De nouveau, si en raison de circonstances particulières, une question doit
être présentée au public, les autres députés la parraineront de bon gré, ce qui
s’est avéré. Ceci dit, on ne peut contester que la circonscription dont le
député est choisi parmi tous les autres pour ses rares qualités qui lui
permettent de remplir ses hautes fonctions de Président des délibérations de la
Chambre des communes et de représenter cette dernière comme premier député du
pays reçoit un grand honneur.
Il existe bien des façons par lesquelles un député peut, par les mesures
qu’il prend au sein de sa circonscription, promouvoir les intérêts de ses
électeurs, quel que soit leur parti, tout en se maintenant hors de la scène
politique; et la valeur de ces services ne peut être qu’accrue par la position
de leur défenseur. Votre comité est convaincu que la participation à de telles
activités ne pourrait en aucune façon déroger à l'autorité et à l’impartialité
du Président; personne n'est mieux placé pour juger de la mesure dans laquelle
ces fonctions peuvent être assumées que celui qui a été élu à ce poste ».
(Laundy, p. 72)
Faute d’espace, nous arrêterons les citations, après toutefois celle de
M. Laundy concernant le défunt Président Selwyn‑Lloyd, d’après lequel
ceux qui avaient occupé ces fonctions semblent être d'accord avec les opinions
exprimées par le comité. M. Selwyn‑Lloyd estimait que le Président pouvait
représenter sa circonscription plus efficacement qu’un ministre, puisqu’il
n'était pas tenu par une responsabilité collective et donc pouvait librement
soulever les problèmes de sa circonscription même lorsqu’il était tenu de le
faire à titre privé. Il a également défendu officiellement le système actuel
d’élection du Président.
Si ce système est modifié, les fonctions de Président seront radicalement
changées. Si, par résolution de la Chambre, le Président devient un membre
fictif d’une circonscription fictive, son autorité et sa position en seront
gravement diminuées. Il n’aura plus que le statut d’un représentant officiel de
la Chambre sans charge sûre correspondante.
Pour ce qui est de conduire les affaires de la Chambre, le
Président doit
être tout à fait au fait de ce que l’homme de la rue pense, ce qu’il apprend par
les lettres provenant de ceux dont il connaît les domiciles et les antécédents
et par des contacts personnels avec eux.
Ce qui ne veut pas dire que mon collègue, le Président Walding, ne soulève pas
des préoccupations tout à fait fondées. Ce que le présent document cherche à
affirmer est que les Présidents devraient continuer à être élus par les membres
de leur circonscription puis par la Chambre. Ils ne doivent pas devenir des
fonctionnaires ni être sans circonscription ordinaire. Il faut en fait accroître
la reconnaissance et la compréhension des réalités auxquelles fait face le
député sans lequel un Parlement ne peut fonctionner.
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