Arthur Donahoe
Question de privilège
concernant le non-dépôt par le gouvernement des documents réclamés par
l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse. Décision du 16 avril 1984.
Contexte : Le 3 avril 1984, le député de
Cap Breton Sud (Vincent MacLean) accuse le gouvernement de faire outrage à
l'Assemblée législative en n'observant pas les ordres adoptés en bonne et due
forme par cette Chambre au cours de la session antérieure. M. MacLean précise
que 69 des 166 ordres de dépôt sont restés sans réponse au 3 avril 1984. Le 16
avril, après avoir pris la question en délibéré, le Président trancha le
problème de savoir si la question de privilège était fondée sur des
présomptions suffisantes.
Décision du Président Arthur Donahoe
: Nous n'avons
pas de règles précises régissant le dépôt de documents ordonné par l'Assemblée.
En vertu de l'article 2 de nos Règles de procédure, je dois, par conséquent,
prendre une décision en tenant compte, premièrement, des coutumes et précédents
établis dans notre Assemblée et, deuxièmement, des ordres et formulaires
permanents et sessionnels de la Chambre des communes du Canada.
Le 25 février 1981 et le 20 avril 1982, j'ai moi-même
rendu des décisions où j'ai abordé la question de l'exécution des ordres de
dépôt de l'Assemblée. Bien que ces décisions ne portent pas précisément sur le
même point, elles laissent entrevoir que tout ce dossier des motions portant
production de documents est une source d'irritation depuis déjà assez
longtemps.
Selon mes informations, en effet la non-production de
documents requis par la Chambre n'est pas un phénomène nouveau. Le nombre
d'ordres de la Chambre adoptés à chaque session, de 1976 à 1982, varie de 57 en
1977-1978 à un sommet de 234 en 1982. Quant à l'exécution de ces ordres, 50,9
p. 100 des documents requis ont été produits en 1977-1978, 55,1 p. 100 en 1982
et 88,7 p. 100 (ce qui est un record) en 1978-1979.
On constate qu'aucun des deux derniers gouvernements
de la province ne s’est entièrement conformé aux ordres de dépôt de
l'Assemblée. Le fait de le dire ne corrige pas la situation, bien entendu. Je
prends très au sérieux toute la question de la suite donnée aux ordres de notre
Assemblée. À la page 138 de la 5e édition de Beauchesne, on trouve l'énoncé des
principes généraux qui régissent les avis de motions portant production de
documents en vigueur à la Chambre des communes, à Ottawa : Pour permettre aux députés d'obtenir des
renseignements précis sur les activités du gouvernement afin de bien remplir
leurs fonctions parlementaires, et pour rendre publics le plus de
renseignements possible tout en respectant les exigences d'une administration
efficace et de la sécurité de l'État, le droit au secret et d'autres impératifs
analogues, les documents du gouvernement et les rapports d'experts-conseils seront
déposés sur avis de motion portant production de documents, à moins qu'ils
n'appartiennent à l'une des catégories ci-après, auquel cas on demandera que
soit faite une exception.
Ces motions sont semblables aux ordres adoptés par
notre Assemblée. Je signalerais que, une fois adoptée, la motion devient un
ordre de l'Assemblée. Il s'agit d'un ordre du pouvoir législatif qui enjoint au
pouvoir exécutif de déposer certains documents. On ne peut ignorer le fait que
le gouvernement, grâce à sa majorité en Chambre, peut rejeter toute motion de
ce genre. Néanmoins, une fois adopté, l'ordre indique que le gouvernement est
disposé à rendre telle ou telle information publique et à déposer les documents
requis; si tel n'était pas le cas, il n'aurait pas dû ou ne devrait pas
l'adopter.
L'article 86 du Règlement de la Chambre des communes
précise que la prorogation de la Chambre n'a pas pour effet d'annuler un ordre
ou une adresse à la Chambre tendant à la production de rapports ou de
documents, mais que tous les rapports ou documents dont la production, ordonnée
à une session, n'a pas été effectuée au cours de cette même session, doivent
être produits au cours de la session suivante, sans renouvellement de l'ordre.
Nos greffiers parlementaires m'informent, qu'à leur connaissance, aucune coutume
ou usage de l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse ne peut être invoqué
en ce domaine, si ce n'est que, dans le passé, il est souvent arrivé que des
documents soient déposés après l'ajournement d'une session et, plus rarement,
après la prorogation de l'Assemblée.
Il semble qu'il n'y ait pas de coutumes ou d'usages
établis concernant le délai accordé pour répondre à un ordre, et qu'une grande
souplesse règne en ce domaine. La session en cours suit immédiatement celle où les
ordres qui font l'objet de la plainte du député de Cap-Breton-Sud ont été
adoptés. Ce qui me frappe, c'est qu'à aucun moment le gouvernement ou un
ministre n'ait refusé de se conformer à ces ordres. Pourtant, jusqu'à ce jour,
le gouvernement a omis, dans bien des cas, de déposer les documents demandés.
Il pourrait toujours le faire pendant cette session, puisque la Chambre n a pas
été dissoute.
En conclusion, je voudrais rappeler un cas qui s’est
produit pendant la session de 1975. Le mercredi 5 mai de cette année là, le
député de Lunenburg-Est présenta une motion qui enjoignait le greffier de la
Chambre de déposer la liste complète des ordres de l'Assemblée auxquels aucune
suite n'avait été donnée depuis le 23 mai 1974. Le premier ministre d'alors en
appela au Règlement pour s’opposer à la motion, prétextant qu'elle visait des
ordres adoptés lors de sessions antérieures et que cela ne faisait pas partie
des travaux de la session en cours. Le leader de l'opposition, qui est
maintenant premier ministre de la province, soutint au contraire que l'ordre
valait encore pour la session en cours et demandait au gouvernement ou au
ministre visé par l'ordre, de produire les documents demandés avant la fin de
la session.
Le Président MacLean dit qu'il prendrait une décision
sur cet appel dès que celui-ci figurerait au Feuilleton. Le mardi 11 février
1975, la motion d'ordre de l'Assemblée était proposée, ce qui signifiait, à mon
avis, que le Président MacLean l'avait jugée recevable, bien qu'il n'ait rendu
aucune décision en la matière. Le jeudi 13 février 1975, il déclara : « Il y a
quelques jours, le député de Lunenburg-Est a demandé à l'Assemblée d'adopter
une motion, appuyée par le député de Cumberland-Ouest, ordonnant au greffier de
déposer la liste de tous les ordres de la Chambre restés sans réponse entre le
23 mai 1974 et la date de sa motion. Comme l'en avait instruit la Chambre, le
greffier a maintenant produit cette liste, qui est en ce moment sur son bureau.
Je demanderais au greffier d'en adresser un exemplaire à chacun des ministres
concernés pour qu'ils soumettent les réponses à l'Assemblée dès qu'elles seront
prêtes ».
Voilà, me semble-t-il, la procédure à suivre.
J'accepterais sans hésitation une motion visant à obtenir des renseignements
sur les ordres n'ayant pas reçu de suite, si cette motion était proposée par un
député de l'Assemblée dans les formes habituelles.
La longueur de mes explications et les sources que
j'ai consultées et citées indiquent clairement aux honorables députés que nos
règles de procédure ne sont pas très précises à ce chapitre. Je trouve très
intéressante la suggestion du président du Conseil de gestion qui, le 3 avril,
a proposé que tout ce dossier soit confié pour étude à un comité spécial des
règles et de la procédure, et je n'hésite pas à dire, en qualité de président de
ce comité, que la question sera inscrite à son ordre du jour.
Entre temps, et tenant compte des précédents et
coutumes de notre Assemblée, je n'ai pas acquis la certitude que la question de
privilège du député de Cap-Breton-Sud soit fondée sur des présomptions
suffisantes, et je déclare donc sa motion irrecevable, sans préjuger du droit
de tout député de soulever à nouveau la question au cas où, après un délai
raisonnable, on n'aurait pas donné suite à des ordres de l'Assemblée après la
présentation et l'adoption d'une motion demandant au greffier de fournir la
liste des ordres pour lesquels aucun document n'a été produit.
Note de la rédaction : Le lendemain, l'Assemblée adopta
une motion enjoignant au greffier de déposer la liste des ordres (précisant le
titre, le nom du proposant, le ministère concerné et le numéro d'enregistrement
administratif) auxquels on n'avait pas répondu entre le 1er janvier 1982 et le
jour de la présente motion d'exécution.
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