Herb Swan
Question de privilège
concernant une poursuite civile contre un député de
l’Assemblée législative de la Saskatchewan,
Président Herb Swan, 26 avril 1984.
Contexte : Le
25 avril 1984, le député de Regina‑Centre,
M. Ned Shillington, a soulevé une question de privilège
après avoir donné le préavis requis. Il a
déclaré à la Chambre avoir reçu une lettre
d’une société d’avocats de Regina l’informant
que des clients avaient engagé des poursuites et réclamaient des
dommages-intérêts en raison de propos qu’il avait tenus
à l’Assemblée législative. Les propos en question
donnaient à entendre que les acquéreurs de l’ancien
édifice de la Saskatchewan Government Insurance avaient agi de manière
irrégulière.
Le député avait
également reçu une déclaration de la Cour du Banc de la
Reine de la Saskatchewan dans laquelle les demandeurs (les acquéreurs de
l’édifice) disaient avoir subi des pertes économiques
à la suite des propos tenus par M. Shillington.
Selon lui, il s’agissait
d’une tentative pour l’intimider dans l’exercice de ses
fonctions, ce qui violait donc ses privilèges et ceux du Parlement.
La décision du Président Herb Swan : Le privilège parlementaire est l’une des questions
de procédure les plus importantes pour le Parlement. Une atteinte
à ce privilège touche tous les députés et le
Parlement lui-même.
Je renvoie les
députés à la page 70 de la 20e édition de l’ouvrage Parliamentary Practice,
d’Erskine May, qui donne cette définition générale
du privilège : « Le privilège parlementaire est
la somme des droits particuliers dont jouit chaque Chambre, collectivement, en
tant que partie constitutive de la Haute Cour qu'est le Parlement, dont
jouissent aussi les membres de chaque Chambre, individuellement, et faute
desquels il leur serait impossible de s'acquitter de leurs fonctions. Ces
droits dépassent ceux dont sont investis d'autres organismes ou
particuliers. » L’auteur poursuit : « Le trait
distinctif du privilège est son caractère accessoire. Les
privilèges du Parlement sont des droits « absolument indispensables
à l’exercice de ses pouvoirs ». Les députés en
sont bénéficiaires à titre individuel, car la Chambre
serait incapable de s’acquitter de ses fonctions sans disposer librement
des services de ses membres. Mais chaque Chambre en est également
bénéficiaire pour la protection de ses membres et
l’affirmation de son autorité et de sa
dignité ».
Au fil des siècles, les
droits et privilèges des députés ont évolué
parallèlement au Parlement. Le neuvième article du Bill of
Rights de 1688 dit que « l’exercice de la liberté
de parole et d'intervention dans les débats et
délibérations du Parlement ne peut être contesté ni
mis en cause devant un tribunal quelconque ni ailleurs qu'au Parlement. »
Bourinot, une autre sommité en matière de procédure parlementaire,
affirme que la liberté de parole dans les débats est l’un
des privilèges les plus importants des députés, un
privilège reconnu depuis longtemps comme étant essentiel à
de saines discussions et inscrit dans les lois de la Grande-Bretagne et de toutes
ses colonies (quatrième édition, page 47).
À la page 82 de son
ouvrage, May ajoute que : « Le privilège absolu de
s’exprimer librement au cours d’un débat n’est plus
contesté, mais ce privilège, qui mettait autrefois les députés
à l’abri des actions intentées par la Couronne, sert
aujourd’hui, dans une large mesure, à les mettre à
l’abri des poursuites engagées par une personne physique ou
morale. Sous réserve des règles régissant le débat,
un député peut dire tout ce qu’il juge opportun au cours
d’un débat, aussi offensants que ses propos puissent être
pour les sentiments ou la réputation d’une personne; son
privilège le met à l’abri de toute poursuite pour
diffamation, de même que de toute autre question ou
tracasserie. »
Les législateurs de la
Saskatchewan ont reconnu ce privilège important et l’ont inclus
à l’article 27 de la Legislative Assembly and Executive
Council Act, S.S. C.L.-11.1. L’article prévoit que
« (1) Les députés sont soustraits, devant
l’Assemblée législative, aux poursuites civiles ou
pénales, à l’arrestation, à l’emprisonnement
ou aux dommages-intérêts, selon le cas, du fait de toute question
ou affaire qu’ils soulèvent notamment par voie de pétition,
de projet de loi, de résolution ou de motion ou du fait de leurs
déclarations; (2) L’immunité accordée par le
paragraphe (1) s’applique même lorsqu’il y a
télédiffusion des déclarations faites par les
députés devant l’Assemblée, qu’elles soient
télédiffusées en direct ou enregistrées et
télédiffusées à un autre moment. »
Hier, lorsqu’il a
soulevé une question de privilège, le député de
Regina‑Centre a déclaré que la lettre de la
société d’avocats Wilson, Drummond, Finlay et Neufeld et la
déclaration de la Cour du Banc de la Reine le menaçaient en tant
que député de l’Assemblée législative et
tendaient à le gêner dans l’exercice de ses fonctions. La
lettre et la déclaration faisaient suite à certaines de ses
déclarations à l’Assemblée législative.
Je renvoie les
députés à la page 157 de la 20e
édition de l’ouvrage Parliamentary Practice,
d’Erskine May, où il est écrit que :
« Tenter d'influencer la conduite des députés par des
menaces constitue aussi une atteinte au privilège. » À
la page 158, l’auteur ajoute que tout acte qui
n’équivaut pas à une tentative directe d’influencer
un député dans l’accomplissement de son devoir, mais qui
tend à nuire à son indépendance dans l’exercice
futur de ses fonctions, sera considéré comme une atteinte au
privilège. Constitue aussi une atteinte au privilège le fait de
molester un député de l’une ou l’autre Chambre en
raison de sa conduite au Parlement.
Je renvoie les
députés à l’article 24 de la Legislative
Assembly and Executive Council Act de la Saskatchewan qui dit que :
(1) L’Assemblée est
un tribunal et a les droits, les pouvoirs et les privilèges d’un
tribunal lorsqu’il s’agit d’enquêter et de
réprimer sommairement les faits suivants :
a) voies de fait, insultes ou diffamation à
l’endroit des députés lorsque l’Assemblée
siège; j) introduction d’une action civile ou d’une
poursuite à l’encontre d’un député ayant pour
effet de le faire arrêter ou emprisonner en raison d’une question
qu’il a soulevée par pétition, par projet de loi, par
résolution, par motion ou autrement ou en raison d’une de ses
déclarations devant l’Assemblée. »
Après avoir examiné
la question soulevée hier par le député et après
avoir consulté les ouvrages de Bourinot, May et Beauchesne de même
que la Legislative Assembly and Executive Council Act de la
Saskatchewan, j’en conclus qu’il y a, de prime abord, atteinte au
privilège.
Je tiens à souligner
qu’il appartient à la présidence d’examiner si,
à première vue, atteinte a été portée aux
privilèges et aux droits des députés, tels que la liberté
de parole et la liberté d’exercer leurs fonctions de
député en toute indépendance. Il revient à
l’Assemblée législative de décider collectivement
des mesures qu’elle juge indiquées dans les circonstances.
Note de
l’éditeur : M. Shillington a alors proposé que la
question soit renvoyée au Comité permanent des privilèges
et des élections. Toutefois, le gouvernement a proposé un
amendement ordonnant à l’auteur de la lettre de s’excuser
par écrit auprès du Président de la Chambre.
L’amendement a été adopté, mais le 1er mai
seulement, après que l’opposition eut refusé de se
présenter à la Chambre pendant plusieurs jours pour voter.
M. Shillington a retiré la motion amendée à la suite
de l’acceptation des excuses présentées par lettre et du
retrait de la poursuite.
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