James Ross Hurley
Governments Under Stress: Political Executives
and Key Bureaucrats in Washington, London and Ottawa,
Colin Campbell, Toronto, Presses de l’Université de Toronto, 1983, 388 pages.
Colin Campbell estime que ce livre, qui traite d'un
bon nombre de questions concernant les relations entre les organismes centraux
et le pouvoir exécutif aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Canada, peut
éveiller le chef qui sommeille chez un bon nombre de ses lecteurs en leur
demandant : « Si vous étiez président ou premier ministre, comment feriez vous
pour partir du bon pied? »
En cherchant à répondre à cette question, M. Campbell
a mis au point un cadre d'analyse utile pour étudier l'exécutif de trois
systèmes politiques de gouvernement qui ont des racines communes mais qui
présentent des différences importantes : il s’agit dans deux cas, de régimes
parlementaires et dans le troisième, d'un régime présidentiel avec un congrès;
deux États sont fédéraux et l'autre est unitaire, Dans chacun des pays, au
moins un changement de gouvernement est survenu pendant la période considérée,
de sorte qu'il est possible de faire des comparaisons non seulement entre les
trois pays, mais également entre leurs gouvernements successifs.
Le politicien en chambre se sentira désemparé devant
les influences ou les contraintes auxquelles est soumis un nouveau président ou
un nouveau premier ministre dans une société industrialisée et complexe. En
analysant l'interaction de ces influences, les façons d'exercer le pouvoir
ainsi que l'organisation et le fonctionnement des organismes centraux, Colin
Campbell lève le voile sur la façon dont un nouveau titulaire de gouvernement
doit s’y prendre pour s’adapter aux circonstances. Parmi les influences citées
par l'auteur, il y en a qui peuvent se prolonger très
longtemps (la nature bipolaire des politiques globales); d'autres peuvent
persister pendant plus d'un mandat (la stagnation inflation); et d'autres
encore se produisent au cours d'un mandat et ont principalement trait au
calendrier législatif et électoral, à la situation du titulaire par rapport à
son parti, aux ressources institutionnelles dont il dispose et à sa
personnalité.
Colin Campbell porte son attention sur la façon dont
ces contraintes ou « influences » jouent sur le choix par un président ou un
premier ministre d'un style particulier d'exercice du pouvoir qui, en plus de
donner le ton du gouvernement, peut susciter des changements dans les
ressources, l'organisation et le fonctionnement d'organismes centraux conçus
pour atteindre ses objectifs. Il laisse entendre qu'il y a quatre styles
d'exercice du pouvoir : la politique de courtier, où les principales décisions
d'ordre politique sont prises dans la périphérie au moyen de négociations entre
des unités dont l'expérience et l'autorité sont concurrentes, el qui sont
dirigées et surveillées par des organismes centraux; la politique
administrative, où des ministères et des organismes isolés atteignent presque
l'hégémonie sur des secteurs déterminés de gestion politique; la planification
et les priorités, où les unités sont mises au défi de proposer des solutions de
politique de recoupement dont les organismes centraux doivent faire la synthèse
sous forme de stratégie globale; et la politique de la survie où, sous une
extrême tension politique, de nombreuses questions déjà tranchées, au niveau
périphérique, sont ramenées au centre décisionnel.
Des entrevues effectuées auprès de 265 hauts
fonctionnaires de carrière et hommes politiques appartenant à des organismes
centraux de Washington, Londres et Ottawa ont permis d'analyser l'interaction
des influences, du pouvoir directeur et des organismes centraux. Cette méthode
a ses limites. La mesure dans laquelle les hauts fonctionnaires sont libres de
discuter de toutes les questions pertinentes est restreinte et, comme M.
Campbell l'a constaté à Londres, l'accès aux hauts fonctionnaires ou même aux
organigrammes est souvent difficile. Le fait de se concentrer sur le personnel
des organismes centraux mène plutôt à une analyse quelque peu formelle de la
façon dont un nouveau président ou premier ministre essaie de « partir du bon
pied » et n'accorde peut-être pas assez d'importance à certaines autres
influences qui peuvent toucher le style d'exercice du pouvoir et l'élaboration
ou l'évaluation de la politique.
Quelles que soient ces limites, M. Campbell a examiné
de façon extrêmement intéressante le fonctionnement d'un organisme central dans
trois domaines : la planification stratégique, l'élaboration et l'intégration
des politiques économiques et fiscales ainsi que l'affectation et la gestion
des ressources humaines et physiques. L'étude rassemble tout un éventail de
faits, de renseignements sur l'organisation, les opérations et les ressources,
ainsi que des évaluations et des opinions. Il semble qu'on puisse en tirer un
certain nombre de conclusions : la prise collective de décisions dans un
gouvernement ministériel parlementaire peut être plus efficace pour atteindre
les buts fixés par le gouvernement que la centralisation du pouvoir exécutif
dans les mains du président; les États-Unis ont été dépassés par d'autres
systèmes quant aux mécanismes de coordination des prises de décisions
interministérielles et au choix des conseillers politiques; la capacité de déléguer
et d'éviter de se perdre dans les détails en utilisant efficacement les « garde-barrières » peut contribuer au succès d'un président ou d'un premier ministre;
certains facteurs institutionnels et constitutionnels limitent la mesure dans
laquelle un président américain peut adopter, dans l'exercice du pouvoir, un
style axé sur les priorités et la planification.
M. Campbell conclut en donnant certains conseils aux
présidents et aux premiers ministres qui veulent « faire un bon départ, tout en
reconnaissant qu'en dernière analyse, l'exercice du pouvoir est un art. Il y a
vraiment dans ce livre matière à réflexion, mais certaines recommandations
sacrifient parfois l'évaluation des faits à l'analyse de perceptions. Ceux qui
pratiquent l'art de gouverner devront juger de la valeur de ces conseils en
fonction de leur propre réalité. Il faut espérer que dans une étude ultérieure,
M. Campbell pourra interviewer d'anciens hommes politiques (présidents, premier
ministres et membres du Cabinet) pour connaître leur opinions sur les forces et
les faiblesses des organismes centraux et sur la meilleure façon pour un chef
de partir du bon pied.
Certes, l'ouvrage de Colin Campbell est une importante
étude comparative des systèmes de gouvernement, mais l'auteur s’est peut-être
trop concentré sur l'exécutif lui-même. Les allusions au Congrès et au
Parlement abondent dans son livre, mais l'importance des relations au sein du
Congrès ou de la planification à la Chambre n'est pas assez soulignée. Il est
significatif que le bureau du président du Conseil privé ne figure pas parmi
les organismes centraux canadiens. On peut se poser certaines questions.
Comment les caucus, les leaders du Congrès, les réunions des leaders à la
Chambre et la situation qui prévaut au Congrès ou au Parlement touchent-ils la
planification stratégique de l'exécutif et même le style d'exercice du pouvoir?
Comment les organismes centraux tiennent-ils compte de
ces « influences » en élaborant leurs plans stratégiques?
S'il reste des aspects de cette étude qui peuvent être
davantage développés ou mis en relief, Colin Campbell a néanmoins fourni un bon
cadre d'analyse et s’est servi d'une masse de renseignements pour produire un
travail cohérent qui représente un jalon vers d'autres études. Même si ce livre
peut être considéré comme un ouvrage universitaire, le style et la présentation
ne rebutent nullement : l'ouvrage devrait susciter l'intérêt des chefs latents
ainsi que des hommes politiques en exercice, hauts fonctionnaires et étudiants
en sciences politiques.
James Ross Hurley
Bureau des relations provinciales-fédérales
Ottawa
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