Lloyd Francis
Réflexions sur la
sonnerie d'appel au vote, Chambre des Communes, 30 mars 1984.
Contexte : En mars 1982, la sonnerie d'appel au vote de la
Chambre des communes retentit pendant quinze jours parce que le whip de l'opposition
officielle refusa de se présenter devant le Président de la Chambre en signe de
protestation contre un projet de loi omnibus déposé par le gouvernement. Le
Président de l'époque, Mme Jeanne Sauvé, refusa d'intervenir et les partis
réussirent finalement à sortir de l’impasse. Peu après, un comité spécial
entreprit d'étudier la procédure de la Chambre en vue de la réformer. Plusieurs
de ses recommandations furent adoptées, mais aucune ne portait sur le problème
de la sonnerie. Depuis 1982, la situation s’est reproduite plusieurs fois et,
en l'absence de lignes directrices, la présidence a pris certaines initiatives.
Des motions dilatoires ont été déclarées nulles si elles n'avaient pas fait
l'objet d'un vote à l'heure normale d'ajournement. À
trois occasions, lorsque la question mise aux voix était une question de fond,
la sonnerie a été interrompue pour recommencer le lendemain.
L'incident le plus récent eut lieu le 19 mars 1984. Le
lendemain, le leader de l'opposition en Chambre, M. Nielsen, prit la parole
pour invoquer un rappel au Règlement. Il contesta le droit du Président de
suspendre la séance sans l'approbation de l'opposition. Le 30 mars, le
Président Lloyd Francis lui répondit ce qui suit :
Décision du Président (Lloyd Francis) :
L'honorable
député du Yukon (M. Nielsen) a affirmé que la présidence avait outrepassé ses
pouvoirs en suspendant la séance et la sonnerie. Il a alors déclaré : « La
suspension d'une séance jusqu'au lendemain au beau milieu d'un vote est presque
sans précédent ».
Il n'y a bien sûr qu'un seul précédent de ce genre,
soit celui du 9 mai 1983. Nous en avons maintenant un autre à la suite des
cloches qui ont commencé à sonner le 28 mars. Il a poursuivi en disant qu'il ne
pouvait trouver aucun texte ni précédent appuyant le pouvoir de la présidence
de suspendre « unilatéralement » une séance. Je suis d'accord avec lui et je lui
assure que ma décision du 19 mars n'a pas été prise à la légère. J'ai étudié
les précédents. J'ai tenu des consultations. J'ai en outre attendu presque
jusqu'à la dernière minute en espérant que les représentants des partis
m'informeraient de leurs intentions.
L'honorable député du Yukon a parlé du pouvoir de la
présidence de la Chambre des communes britannique d'ajourner ou de suspendre
une séance en cas de grave désordre. Permettez-moi de lui assurer qu'il ne
m'est jamais venu à l'esprit d'essayer de justifier ma décision par cette
procédure. Il n'y avait pas de désordre grave et cette pratique n'avait aucun
lien avec la situation à laquelle nous étions confrontés. Rien dans la pratique
et les précédents britanniques ne pourrait nous aider à résoudre un problème
posé par les cloches,
Ce problème est unique au Canada et je ne connais
aucune autre assemblée parlementaire hors du Canada où les cloches peuvent
sonner durant une période illimitée avant un vote par appel nominal.
L'honorable député du Yukon a soutenu que ce sont les
whips qui déterminent le moment de la tenue d'un vote parce qu'un vote
constitue une expression de la volonté de la Chambre et non de celle de la
présidence. C'est pourquoi il estime que même l'interruption de la sonnerie au
cours de la nuit outrepasse les pouvoirs de la présidence, même si cette
interruption ne peut modifier la durée de la période pendant laquelle les
cloches peuvent sonner, ni l'issue du vote. C'est son opinion et je la
respecte.
Tout en appuyant la décision de la présidence de
suspendre la sonnerie, l'honorable Président du Conseil privé (M. Pinard) a
reconnu, tout comme l'honorable député du Yukon (M. Nielsen), que c'est aux
whips qu'il incombe de décider du moment de la tenue d'un vote. Il a signalé
qu'aucun article du Règlement ne guide la présidence quant à son rôle à l'égard
de la sonnerie. Il n'existe pas non plus de jurisprudence à ce sujet, sauf en ce
qui concerne l'expiration des motions dilatoires et de la suspension de la
sonnerie jusqu'au lendemain lorsque la Chambre est saisie d'une motion de fond.
Les questions qui se posent donc sont les suivantes :
Comment la présidence peut-elle aider la Chambre s’il n'existe aucun article du
Règlement ni résolution sur lesquels elle puisse se guider? Comment peut-elle
s'acquitter de ses fonctions lorsqu'elle se trouve aux prises avec une
situation où quoi qu'elle fasse, sa décision semblera partisane? Ne pouvant
s’appuyer que sur le bon sens, la présidence ne peut faire que ce qui lui semble
sensé dans les circonstances.
L'honorable député de Hamilton Mountain a fait un
certain nombre de commentaires importants. Il a déclaré qu'il faudra bien que
la Chambre en vienne un jour à s’attaquer à un problème qui pourrait se révéler
désastreux pour le régime parlementaire. Il a signalé que le Règlement de la
Chambre visait à protéger chaque député. Il a en outre insisté sur l'embarras
dans lequel se trouve la présidence devant une situation comme celle du 19
mars.
Je suis entièrement d'accord avec lui. Permettez moi
de lui assurer que la présidence a toujours conscience de son devoir de
protéger les minorités. En ce qui concerne les votes, cependant, la présidence
ne pourra pas faire grand-chose tant que ce seront les whips du gouvernement et
de l'opposition officielle qui détermineront conjointement le moment de la
tenue d'un vote. En pratique, un seul des deux, agissant de son propre chef,
peut exercer le contrôle total parce qu'en vertu de notre pratique actuelle, le
vote ne peut avoir lieu à moins que les deux whips ne s’approchent ensemble du
Bureau. Compte tenu de ce problème, la Chambre ou les leaders parlementaires à
la Chambre pourraient peut-être réfléchir un peu à la position et aux droits
d'un tiers parti.
Examinons ce qui se produirait si on laissait sonner
les cloches indéfiniment. Poussée à l'extrême, cette pratique pourrait
paralyser totalement le Parlement. Nous avons vu comment le gouvernement du
Manitoba a été forcé de proroger l'Assemblée législative parce que l'opposition
a laissé sonner les cloches indéfiniment afin d'empêcher l'Assemblée de voter
sur une importante mesure gouvernementale. Nous pouvons facilement imaginer un
gouvernement minoritaire qui laisserait sonner les cloches indéfiniment afin
d'éviter d'être battu sur une question de défiance. Nous avons aussi vu comment
les cloches peuvent perturber les arrangements pris en vue de donner la
sanction royale à des projets de loi. La Chambre a certes tous les droits
d'organiser ses affaires comme elle juge bon, mais j'estime que l'on a manqué
gravement de courtoisie à l'égard de l'autre endroit et du représentant de Son
Excellence le gouverneur général à la suite des incidents du 28 mars. La Chambre
des communes veut-elle vraiment ancrer en permanence cette façon de procéder
dans sa pratique?
Il me semble que la Chambre a trois choix. Les cloches
peuvent être contrôlées par les whips, par la présidence ou par le Règlement.
J'estime que la Chambre devrait se pencher sur les avantages et les
inconvénients de ces trois options. Si les whips exercent un contrôle illimité
sur les cloches, nous savons tous ce qui pourrait se produire. Cela
signifierait que le whip du gouvernement ou celui de l'opposition pourrait
exercer un veto absolu sur la tenue d'un vote. Cette pratique conviendrait peut
être au gouvernement et à l'opposition officielle, mais serait elle
satisfaisante pour la Chambre en entier? Serait-elle acceptable pour les
simples députés? Serait elle juste pour un tiers parti?
Si la présidence contrôlait les cloches, cela
l'obligerait à assumer une très grave responsabilité. Cette solution
avantagerait la Chambre, car un arbitre impartial contrôlerait les cloches.
Pour reprendre les propos de Redlich, la présidence devrait protéger la
majorité contre l'obstruction et protéger la minorité contre l'oppression. On
pourrait donc s’attendre à ce que la présidence intervienne si l'on utilisait
les cloches pour faire indéfiniment obstruction à une mesure gouvernementale.
On pourrait aussi s'attendre à ce qu'elle intervienne si un gouvernement
essayait d'empêcher un vote qu'il s'attendrait à perdre.
La troisième solution consisterait à adopter un
article du Règlement qui limiterait la durée de la sonnerie ou pourrait prévoir
la tenue de votes à des moments prédéterminés au cours de la semaine. Ainsi,
tous les députés sauraient d'avance de combien de temps ils disposent pour se
rendre à la Chambre. Je crois que cette solution serait idéale. Seule
l'adoption d'un article du Règlement pourrait régler cette question une fois
pour toutes et permettez-moi de dire à la Chambre qu'elle a grandement besoin
d'une telle disposition.
Comme on l'a suggéré, je consulterai les trois leaders
parlementaires dans le but de régulariser cette question de procédure très
importante. Pour le moment, en attendant que l'on s’entende pour changer la
pratique, ou jusqu'à ce que je reçoive d'autres instructions de la Chambre, je
continuerai de suivre les précédents établis récemment. Les motions dilatoires
seront réputées avoir expiré à l'heure ordinaire d'ajournement si l'on n'en a
pas disposé plus tôt. Dans le cas des questions de fond, si la Chambre n'en a
pas disposé avant l'heure ordinaire d'ajournement, la séance et la sonnerie seront
suspendues jusqu'à 9 heures le matin du jour de séance suivant à moins que la
présidence ne soit informée entre-temps d'une heure précise à laquelle les
whips ont l'intention de tenir le vote.
Je ne veux pas laisser entendre que l'une ou l'autre
de ces solutions réglerait le problème de façon satisfaisante. Si nous ne
limitons pas la durée des cloches, nous risquons constamment de nous retrouver
dans une impasse.
La Chambre est maîtresse de sa propre procédure. Dans
les cas incertains, la présidence ne peut que faire son possible pour
interpréter la volonté de la Chambre et protéger les droits des députés. Sans
l'appui de la Chambre, la présidence est impuissante. Je crois que nous
devrions tirer une leçon de l'expérience récente. Les problèmes auxquels nous
faisons face ont été décrits, et j'aimerais remercier les honorables députés de
leur contribution à cette discussion. La présidence en a beaucoup appris, tout
comme les honorables députés, je l'espère.
Je crois avant tout que ces incidents ont été très
instructifs pour cette grande institution que nous chérissons tous. La
présidence est prête à collaborer avec la Chambre afin de régler ce problème
difficile et pressant. La Chambre ne devrait cependant pas oublier la position
de la présidence. Il ne faudrait pas placer celle-ci dans une situation où elle
se retrouvera aux prises avec des devoirs contradictoires.
Tant que la Chambre ne s’attaquera pas à ce problème,
celui-ci constituera une menace constante pour l'efficacité de la Chambre et la
sécurité de la présidence. La crédibilité des institutions parlementaires est
en jeu et je crois que nous avons le devoir de la protéger.
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