C.E.S. Franks
Jules Léger, Gouverneur général du Canada, 1974-1979 :
textes et réflexions sur le Canada de Jacques Monet s.j. (éditeur), les éditions
La Presse, Montréal, 1982, 237 pages.
De tous les éléments de notre constitution, c'est la
Couronne dont on parle le moins et que l'on comprend le moins bien. La Couronne
se présente sous deux formes : la forme métaphysique du droit constitutionnel,
où en tant que souveraine, elle convoque et dissout les parlements, choisit les
premiers ministres, émet des ordonnances et des règlements et sanctionne les
lois (les ministres du cabinet, ses humbles serviteurs, occupant théoriquement
les postes les plus influents du pays); et la forme réelle en la personne du
gouverneur général qui, reclus dans sa résidence, se plie au bon vouloir du
gouvernement et joue, en tant que chef d'État, un rôle protocolaire, digne,
mais étriqué,
M. Jules Léger, gouverneur général de 1974 à 1979, a
été le quatrième Canadien nommé à ce poste. L'ouvrage qui lui est consacré
comprend des extraits de ses discours et un long essai qu'il a écrit après son
départ où il fait état de ses réflexions et de ses expériences durant son
mandat. Comme il est le seul gouverneur général récent qui ait beaucoup écrit
sur le sujet, ce livre ajoute une contribution précieuse et originale à nos
connaissances du gouvernement canadien.
Dans son introduction, Jacques Monet décrit brièvement
le poste de gouverneur général, les origines de M. Léger et son illustre
carrière à la fonction publique et dans le corps diplomatique. Comme pour de
nombreux autres Canadiens de marque, ses origines étaient modestes, son père tenait boutique dans une localité
rurale du Québec mais il s'est hissé
jusqu'à la magistrature suprême du pays. On trouve peut-être ici réponse à l'un
des paradoxes de la politique canadienne. Notre système parlementaire est issu
de modèles bien établis, coiffant une société très fiere et très respectueuse de
l'ordre établi, tandis que la politique et la société canadienne accordent peu
d'importance au rang ou au titre.
Jules Léger était immensément doué. C'était un homme
digne, profondément humain, qui connaissait et appréciait la diversité, les forces
et l'essence même du Canada. C'était un aristocrate de nature, sinon de
naissance, dont les capacités étaient reconnues même dans un pays où
l'égalitarisme va souvent jusqu'au point de méconnaître la grandeur de quelque
un de son vivant. Ce livre témoigne des qualités que M. Léger a su mettre au
service des fonctions de chef d'État du Canada.
Bon nombre des extraits des discours de M. Léger
évoquent le style exalté d'un prosélytisme séculier qui convient au poste de
gouverneur général; ils expriment une vision de l'unité nationale, du progrès,
de la diversité et de la qualité. Ce sont de merveilleux exemples d'écrits pleins de dignité, rédigés en français et
en anglais, et qu'on pourrait citer à profit dans les manifestations publiques.
Un de ces discours, portant sur l'influence décisive de la presse, est rédigé
dans un style moins sentencieux. À mon avis, c'est un exposé intéressant qui
éclaire d'un jour nouveau un coin de la politique moderne, important et mal
compris.
La troisième section qui contient les réflexions de
Jules Léger sur le poste de gouverneur général et les fonctions qu’il a
remplies à ce titre, est intéressante : nous apprenons qu'il s'est entouré
d'avis avant de dissoudre le Parlement en 1974, nous découvrons comment se
déroulaient les audiences qu'il accordait
régulièrement au premier ministre et, moins fréquemment, à d'autres hommes
politiques, dont le chef de I'opposition et nous
sommes informés de quelques détails sur ses fonctions et les limites de son
autonomie. Il propose que le mandat du gouverneur général soit porté à huit ans
et défend le bien fondé des visites du gouverneur général à l'étranger, par
opposition à celles d'hommes politiques.
Il suggère également que le gouverneur général
devienne le président d'un Sénat réformé et qu'il préside les réunions du
Conseil privé lors de la signature des décrets du conseil. Ces suggestions ne
se matérialiseront probablement jamais. Le gouverneur général représente
l'aspect digne et cérémonial de notre structure constitutionnelle, non
l'élément opérationnel. Quel que soit son rôle privé, en public il demeurera
une figure protocolaire. Ses réflexions sont empreintes de beaucoup de
discrétion et j'aurais souhaité qu'il les eût étoffées davantage.
On peut espérer qu'un jour, un gouverneur général sera
aussi audacieux dans son journal que l'a été le premier ministre Mackenzie
King. D'ici là, c’est probablement la description la plus fidèle que nous
aurons de ce poste vu de l'intérieur.
L'embolie qui a frappé le gouverneur général Léger au
début de son mandat a, de toute évidence, limité ses possibilités. Les discours
reproduits dans ce livre datent en grande partie des premiers mois de son
mandat, alors que les réflexions ont été écrites plus tard. Ce sont les
meilleurs textes qu'un titulaire de ce poste nous ait laissés. Les textes
anglais et français sont de qualité comparable, sauf les réflexions, dont la
version française est à mon avis préférable.
C.E.S. Franks
Département des sciences politiques
Université Queen's
Kingston
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