Gerald Amerongen
Déclaration du Président de l'Assemblée législative de l'Alberta, 11 mars 1983, sur le
statut du chef de l'opposition officielle.
Contexte : Quatre députés de
l'opposition furent élus lors des élections provinciales partielles du 2
novembre 1982 : deux députés du Nouveau Parti démocratique (dont M. Grant Notley, chef du parti), et deux députés indépendants, dont l'un (M. Ray
Speaker) était le chef de l'opposition officielle et le chef du Parti du crédit
social durant la législature antérieure. À la suite de ces élections, MM.
Notley et Speaker demandèrent tous deux à être reconnus comme chef de
l'opposition officielle et à bénéficier de ce statut au sein de la nouvelle
Assemblée.
Décision du Président Amerongen
: Je remercie les honorables députés de l'opposition des mémoires excellents et
très utiles qu'ils m'ont soumis. Les indépendants en ont rédigé six et le NPD
quatre, plus un supplément. Il est clair que cette question ne paraît simple à
aucun des honorables députés de l'opposition : deux des mémoires du NPD
comptaient plus de 120 pages, avec les documents fournis à l'appui.
En fait, on trouve des précédents concernant la non reconnaissance d'une
opposition officielle. Dans un tel cas, on n'aurait, bien entendu, aucun chef
de l'opposition officielle. La première question à se poser est donc la
suivante : y a-t-il lieu de désigner une opposition officielle dans cette
Chambre? Cinq raisons militent en faveur d'une réponse affirmative.
1. La Loi sur l'Assemblée législative ne stipule nulle part qu'on doive avoir un chef de
l'opposition, mais elle le suppose, puisqu'elle prévoit, par exemple,
l'indemnité spéciale qui doit lui être versée. Il va de soi que si, pour une
raison quelconque personne n'était désigné à ce poste, le
paiement de cette indemnité serait impossible. Mais il peut être avantageux
pour l'opposition, du moins pour cette partie de l'opposition pouvant être
reconnue comme l'opposition officielle, d'avoir un tel chef.
2. Je suppose que durant la présente législature, une commission des limites des circonscriptions
électorales sera mise sur pied. Or, la Loi sur la Commission des limites des
circonscriptions électorales stipule que deux des membres de cette commission
doivent être nommés par le chef de l'opposition.
3. Nos règles de procédure,
que nous appelons notre règlement, mentionnent également à plusieurs reprises
ce chef et tiennent pour acquis que quelqu'un remplira cette fonction.
4. En vertu de ce
règlement, la durée des discours du chef de l'opposition est de 90 minutes alors
que les autres députés n'ont que 30 minutes. Si on ne reconnaît à personne le
droit de tenir ce poste, l'opposition perdrait ce temps de débat
supplémentaire.
5. Le chef de l'opposition
a le droit de désigner comme prioritaires certains points à l'ordre du jour de
l'Assemblée ou de demander qu'on leur accorde une attention spéciale. À défaut
d'un tel chef, l'opposition pourrait perdre cette prérogative.
Il est évident que
si on peut trouver un fondement raisonnable à la reconnaissance d'une
opposition officielle et de son chef, cette reconnaissance doit être accordée.
Tous les députés de
l'opposition conviennent que cette reconnaissance relève du Président. Elle
n'est du ressort ni du gouvernement, ni des partis et n'est pas une question de
politique. Il est vrai qu'en Alberta, avant 1970, le gouvernement semble être
intervenu une ou deux fois lors de modifications à la Loi sur l'Assemblée
législative, pour diviser ou modifier le montant de l'indemnisation spéciale du
chef de l'opposition. Ces cas d'exception mis à part, chaque fois que cette
question a été soulevée, elle a, semble-t-il, été référée au Président de la
Chambre.
Il s'agit d'une
question de statut au sein d'un parlement. La décision, par conséquent, pour
autant qu'il soit possible d'en prendre une, devrait se fonder sur des
circonstances propres à ladite Assemblée.
Or, on ne m'a indiqué
aucun précédent ni aucune règle où la désignation d'une opposition officielle
fut fondée sur des circonstances extérieures au Parlement. Il faut néanmoins
prendre une décision : si aucun élément de solution ne peut être trouvé dans
cette enceinte, il semble opportun d'aller chercher ailleurs une réponse qui
soit basée sur des faits bien établis.
Nos honorables
collègues indépendants soutiennent que la décision doit être prise
principalement en fonction de l'exercice d'une charge et de la continuité. Leur
argument tend en réalité à prouver que puisque l'honorable député de Little Bow
(M. Ray Speaker) était chef de l'opposition dans la législature, il devrait
continuer d'être le titulaire de cette charge. Ils concluent que lors qu'aucun
autre groupe de l'opposition n'est plus important que celui que dirige l'ancien
chef de l'opposition, il n'y a personne pour le remplacer et que, par souci de
continuité, il doit être reporté comme chef de 1 opposition officielle. Il n'y
a cependant aucun précédent pour montrer que l'exercice d'une charge ou la
continuité ait été le facteur déterminant, ou un facteur quelconque, dans la
décision de reconnaître un chef de l'opposition.
On peut bien sûr
citer des cas où le chef de l'opposition officielle dans une assemblée
législative a été reconfirmé dans ses fonctions à la législature suivante.
Mais, dans chacun de ces cas, cette nouvelle reconnaissance était fondée sur
des raisons autres que l'exercice de la fonction et la continuité. Les
arguments avancés dans les mémoires et les résultats des recherches
n'établissent pas qu'une personne soit devenue chef de l'opposition simplement
parce qu'elle avait tenu ce poste antérieurement.
S'il existait une
règle relative à l'exercice d'une fonction, il faudrait qu'elle s'applique aux
députés à titre individuel et aux charges qu'ils remplissaient antérieurement.
Mais il s'agit ici de la reconnaissance d'un groupe.
Il en est ainsi parce que tout ce que le Président peut vraiment faire c'est de
reconnaître une opposition officielle; il revient ensuite à ce groupe de se
choisir un chef. Il faudrait donc forcer un peu les arguments fondés sur
l'exercice d'une charge ou sur la continuité pour qu'ils nous permettent
d'affirmer que la fonction que remplissaient trois députés d'un parti dans la
dernière législature continue d'être tenue par deux députés qui ne sont pas
membres d'un parti dans cette Chambre.
Les indépendants
avancent aussi un autre argument interne qui se fonde sur ce qu'on pourrait
appeler l'ancienneté. Selon leur raisonnement, lorsqu'il n'existe aucun autre
moyen de décider qui pourrait diriger l'opposition, il faut compter les années de service des députés et
accorder la priorité au député ayant les plus longs états de service. Cet
argument méconnaît le point essentiel, à savoir qu'il faut d'abord reconnaître
le groupe. le choix d'un chef étant une décision prise
par ce groupe. Les députés qui ont de longs états de service font souvent
l'objet d'une déférence spéciale dans nos parlements, mais cette déférence ne
peut servir de fondement à un droit. Dans notre
tradition parlementaire, l'ancienneté ne confère pas les droits ou le prestige
reconnus dans les chambres élues de nos voisins du Sud.
Un troisième facteur interne à mentionner est la déclaration signée par les
deux députés indépendants, dans laquelle ils s'engagent à travailler en équipe.
Mais cette décision ne peut, au mieux, avoir d'autres effets que de mettre les
deux groupes de l'opposition sur un pied d'égalité à l'Assemblée.
Les honorables députés du NPD ont, de leur côté, avancé un argument qui s'appuie sur un
article de la Loi sur l'Assemblée législative relatif au « parti reconnu. Cette
notion ne s'applique cependant pas au cas qui nous occupe. D'abord, la loi en
question exige d'un parti reconnu qu'il ait un effectif d'au moins quatre
membres. Ensuite ce parti devient un deuxième groupe d'opposition, en plus de
l'opposition officielle.
Les néo-démocrates ont également invoqué la Loi sur la divulgation des finances et des
contributions électorales. Aux termes de cette loi, l'organisation du NPD, en
dehors de la Chambre, est considérée comme un parti enregistré. Mais cette loi
ne dit rien de ce qui se passe dans une assemblée législative. Elle ne fait que
réglementer la collecte, les dons et les dépenses à des fins politiques.
À notre avis, donc, aucune des recherches mentionnées n'a mis à jour une
loi ou un règlement qui pourrait servir de fondement raisonnable à une prise de
décisions dans les circonstances présentes.
Les députés du NPD
disent en outre que l'opposition officielle doit normalement se composer de
membres élus d'un parti. Or, il semble que ce ne soit pas le cas ici. Pendant
le mandat de mon prédécesseur, le Révérend Peter Dawson, quelques députés
indépendants ont effectivement constitué l'opposition officielle à l'Assemblée
législative de l'Alberta. Leur chef était reconnu comme chef de l'opposition.
De nombreux textes tirés des Journaux, des quotidiens et d'autres sources ont
été présentés pour trancher la question de savoir si ces députés indépendants
étaient effectivement membres d'un parti politique. Il semble qu'à bien des égards
le mouvement indépendant, comme il était parfois appelé, ait effectivement agi
en qualité de parti politique. En somme, le NPD suggère que lorsque deux
groupes politiques ont des effectifs égaux, comme c'est le cas ici, et que
chacun d'eux réclame le titre d'opposition officielle, il faudrait choisir le
groupe dont les membres appartiennent tous au même parti.
Il semble effectivement qu'il faille reconnaître la validité limitée de cette thèse. Je
dis « limitée » parce que si dans cette Chambre, il y avait un groupe majoritaire
de l'opposition formé d'indépendants, il n'y aurait absolument aucun doute que
ce groupe aurait le droit d'être désigné comme opposition officielle, que ses
députés élus appartiennent ou non à un parti.
Mais on peut hésiter à prendre une décision sur cette question à partir d'un argument aussi ténu. Il
existe cependant, en dehors de cette Assemblée des circonstances qui ont un
rapport avec ce qui se fait dans cette Assemblée. En dehors de l'Assemblée,
comme chacun le sait, les organisations de parti aident les députés à faire
leur travail à l'Assemblée. Cette circonstance doit être retenue dans le cas
qui nous occupe, en raison du nombre égal de députés dans les deux groupes
d'opposition.
Il y a aussi l'argument du vote populaire. Selon les chiffres publiés par le président
général des élections, les candidats du NPD ont recueilli, lors des dernières
élections provinciales, presque autant de voix que tous les autres candidats
non conservateurs réunis. On va peut-être un peu loin en affirmant, sur la foi
de ces faits, que tous ceux qui ont voté pour les candidats de tel ou tel parti
provincial sont représentés par les candidats élus de ce parti.
Personne n’ignore que de nombreux électeurs votent pour un candidat plutôt que pour un parti. Les
exemples les plus évidents sont ceux des députes de cette Chambre qui ont été
élus comme indépendants, c'est à dire qui ne sont liés à aucun parti. Un autre
exemple très clair est celui de notre ancien collègue M. Gordon Taylor : il a gardé
la confiance de ses électeurs en étant successivement candidat social
démocrate, indépendant et progressiste-conservateur.
Si, en qualité de députés, nous ne représentons que les personnes qui ont voté pour nous ou pour
notre parti respectif, il s'ensuit que personne ne représente ceux qui ont voté
pour les partis qui n'ont pas élu de candidats : le parti libéral, le crédit
social, le Western Canada Concept ou l'Alberta Reform Movement. Je ne doute
pas que tous les députés de cette Chambre rejetteraient l'idée qu'ils ne
représentent pas tous les citoyens de leur circonscription.
Force nous est néanmoins de reconnaître que, dans bien des cas, les électeurs qui sont membres
d'un parti ou qui le soutiennent préfèrent présenter leurs doléances aux
députés élus de ce parti.
Puisqu'il faut absolument désigner une opposition officielle pour que son chef devienne le
chef de l'opposition officielle, puisque par ailleurs deux groupes égaux en
nombre briguent cette désignation, et compte tenu des raisons mentionnées ci
dessus, je reconnais les honorables députés de Spirit River Fairview (M. Grant Notley) et de Edmonton Norwood (M. Ray Speaker) comme l'opposition officielle
de cette 20e Assemblée législative, du moins pour l'instant.
J'ai dit « pour l'instant », parce que mon choix repose sur une base extrêmement fragile.
Tout changement de circonstances au sein de la Chambre pourrait facilement me
contraindre à modifier cette décision. Les honorables députés que je viens de
mentionner ont d'ailleurs eux-mêmes reconnu dans leur mémoire du 15 novembre
1982 qu'en toute justice, un changement de nombre aurait pour conséquence
nécessaire un changement dans la désignation. Ils y déclaraient : La
supériorité numérique serait un argument suffisant pour qu’un groupe de députés
indépendants constitue l'opposition officielle. Il est certain qu'il en serait
ainsi.
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