Paul G. Thomas
Wednesdays are Cabinet Days, Russell Doern,
Queenston House, Winnipeg, 1981, 206 pages.
Les livres écrits par les hommes politiques en
exercice sont difficiles à classer. Doit-on les évaluer selon les normes en
vigueur pour les écrits plus scientifiques, ou faut-il plutôt les considérer
comme du journalisme de haute volée? Peut-on s'attendre à trouver sur le
processus politique des renseignements qu'il serait probablement difficile
d'obtenir d'autres sources? Les gens directement impliqués dans la politique ne
sont-ils pas, la plupart du temps, de mauvais observateurs de la situation? Ne
sont-ils pas portés à donner trop d'importance à des événements insignifiants
et plus sensationnels et à laisser de côté le contexte général et le
train-train quotidien de la vie politique?
Gouverner n'est pas une opération qui se produit en un
lieu et à un moment précis et il est impossible à une personne donnée
d'assister à tous les événements importants. Est-ce une raison suffisante pour
mettre en doute la valeur des exposés faits par des initiés? Le processus
politique se nourrit-il de mythes auxquels les élus doivent souscrire et qui se
retrouvent dans leurs écrits? Les députés ne sont-ils pas portés à trop
personnaliser les événements et à exagérer leur propre contribution? On se
souvient de ce qu'un député sans portefeuille dit à sa femme qui lui demandait :
« que fais tu toute la journée sur ton arrière banc? »« Ce
que je fais? Je légifère. » Exemple typique
de l'écart qui existe entre ce que les gens disent qu'ils font et ce qu'ils
font en réalité.
J'estime pour ma part que les livres écrits par des
hommes politiques, s'ils sont bien rédigés, nous offrent une vue intéressante
du processus politique. Il n'y a certainement aucune raison de penser que les
spécialistes en sciences sociales, qui appuient généralement leurs analyses sur
des entrevues avec quelques législateurs au cours d'une période assez brève,
sont nécessairement mieux à même de faire un portrait plus exact et plus
complet du processus législatif que ceux qui y participent directement depuis
bon nombre d'années. On ne peut toutefois pas se fier uniquement aux
explications des participants pour tenter de comprendre le processus
législatif. Les objections auxquelles nous venons de faire allusion surgissent
malgré tout. Beaucoup d'entre elles, malheureusement, trouvent leur
illustration dans le livre à l'étude ici.
M. Russell Doern en est à son cinquième mandat en
qualité de député du Nouveau parti démocratique à l'Assemblée législative du
Manitoba. Pendant sept ans (1971-1977), il a été ministre des Travaux publics
dans le gouvernement du premier ministre d'alors, M. Edward Schreyer, qui est
maintenant gouverneur général du Canada. Diplômé d'université en histoire et en
science politique, M. Doern a été enseignant et est aussi écrivain à ses
heures. Avec de tels antécédents et une telle expérience, on s'attendait à ce
qu'il produise un livre qui éclaire de l'intérieur le processus politique au
Manitoba. Mais le livre nous laisse sur notre faim, bien que M. Doern déclare
d'emblée que son analyse de l’administration Schreyer est « toute personnelle »
et qu'il ne s'agit ni d'un livre d'histoire ni d'un traité de science
politique.
La majeure partie de l'ouvrage est consacrée au
portrait des personnalités les plus colorées qui sont apparues sur la scène
politique durant les années Schreyer. Ces descriptions sont bien menées et
parfois amusantes, mais elles restent superficielles et n'ajoutent rien à ce
que les médias ont déjà dit de ces personnalités publiques. On nous apprend que
le cabinet raffolait des mets chinois et on nous renseigne sur le goût de
chaque ministre en matière de décoration de bureau et sur le mode de vie de
chacun. Il semble que M. Doern ait classé les membres du cabinet selon la
qualité de leur garde-robe, domaine où il considère avoir été un lanceur de mode.
Il cite une entrevue de Châtelaine avec
Mme Lily Schreyer, qui a joué un rôle déterminant dans le choix de la garde-robe
du premier ministre. Elle surveillait, dit-on, ce que portait M. Doern au début
de chaque nouvelle saison de mode.
Le portrait du « Petit gars de Beauséjour » qui est
devenu premier ministre est bien connu. Edward Schreyer est décrit comme un
homme pragmatique, prudent, frugal, travailleur, sans prétention, accessible,
ayant assez peu le sens de l'humour et dont les discours publics étaient
souvent solennels et abstraits. Doern ne résoud pas ce qui demeure pour de
nombreux Manitobains l'énigme Edward Schreyer.
Comment un homme, qu'on pourrait
difficilement qualifier de charismatique, a-t-il pu être adulé par les foules
au point d'être accusé de susciter un culte de la personnalité? Mis à part
l'éducation rurale du premier ministre, sa formation universitaire qui
impressionnait les électeurs bourgeois, ses antécédents ethniques et son
multilinguisme ainsi que sa perception du conservatisme modéré de l'électorat
du Manitoba, quel est ce mystérieux « facteur Schreyer » auquel Doern fait
allusion? Il ne nous dit malheureusement pas pourquoi M. Schreyer devançait
toujours son parti dans les sondages, même en 1977 lorsque le gouvernement NPD,
à bout de souffle, perdit le pouvoir.
La description de M. Schreyer à la tête du
gouvernement a quelque chose de contradictoire. M. Doern affirme d'abord qu'il n'y a rien de démocratique dans un
gouvernement par cabinet où le premier ministre est « un roi médiéval ou un
monarque féodal ». Mais un grand nombre des exemples fournis contredisent l'idée
d'un exercice autocratique du pouvoir. M. Doern reproche par exemple à M.
Schreyer de ne pas avoir consulté le caucus, à l'exception de quelques-uns de
ses plus anciens membres, sur la nomination des membres du cabinet. Mais ces
nominations sont, de toute évidence, une prérogative du premier ministre et à
ma connaissance, aucun gouvernement ne commence par sonder l'opinion du caucus
avant de procéder à ces nominations. M. Doern a raison de faire remarquer que
Schreyer a refusé de renvoyer des ministres et des hauts fonctionnaires qui
avaient fait preuve d'inertie ou étaient devenus une charge pour d'autres
raisons. Ce comportement s'expliquerait par l'aversion de M. Schreyer pour les
conflits personnels, mais on est loin d'un leadership arbitraire et dominateur.
M. Doern rend assez fidèlement compte de l'interaction
des personnalités au sein d'un cabinet, d'un caucus et d'un parti. D'après ses
descriptions, les réunions du cabinet se déroulaient dans un climat ouvert, le
premier ministre s'efforçant d'imprimer une orientation et de réunir un
consensus. De façon assez simpliste, par contre, les membres du cabinet sont
répartis en trois groupes: les fidèles de Schreyer, les dissidents et les
disciples déguisés en dissidents. Doern reproche à Schreyer de ne pas avoir su
montrer sa reconnaissance à ses partisans les plus fidèles (il se range
lui-même dans ce groupe), tout en récompensant par inadvertance les dissidents.
Il conseille au chef avisé de tenir le dissident pour acquis, mais de
récompenser le partisan fidèle, selon le principe voulant que « les rouages
essentiels ont besoin d'être huilés, tandis que la roue qui grince finit par
s'user ». Ce n'est pas au moyen d'aphorismes aussi simplistes et il y en a beaucoup dans ce livre qu'on peut rendre compte de la complexité
d'un leadership politique et de la vie publique.
M. Doern admet que le rôle de député d'arrière-ban est
ennuyeux et frustrant, et il raconte la campagne qu'il a menée pour se faire
nommer au cabinet. Il finit par obtenir le portefeuille des Travaux publics, un
des moins prestigieux. Bien qu'il n'ait pas introduit un grand nombre de
projets de loi, M. Doern a réussi à s'attirer l'attention des médias, surtout à
cause de ses bévues politiques. Il donne sa version des épisodes qui ont fait
la manchette : la construction d'un lieu d'aisance sur un terrain de la ville,
sans l'autorisation de celle-ci (la bataille des cabinets), la construction
d'un édifice gouvernemental dont la hauteur n'était pas réglementaire (la loi
fut modifiée) et la convocation d'une conférence de presse pour l'enlèvement
d'une pancarte sur la porte du caucus du parti libéral lorsqu'il devint trop
petit pour avoir droit à un bureau. On ne trouve presque rien des réalisations
législatives du gouvernement Schreyer, mais dix pages sont consacrées au fiasco
du projet de visite au Manitoba de John Lennon, l'ancien Beatle, et de sa femme
Yoko Ono projet dont M. Doern fut l'un des principaux instigateurs.
Bien que ses réalisations comme ministre ne soient pas
brillantes, M. Doern ne pèche pas par modestie. Il affiche même parfois un Ton
vaniteux et suffisant. Selon lui, ses collègues du Cabinet ont salué son
arrivée « comme un don du ciel »; ses attaques contre les adversaires sont
qualifiées de « mordantes et dévastatrices »; il était « au sommet de sa forme »
dans l'opposition et son stand, lors du congrès au leadership du parti, en
novembre 1979, où il s'agissait de remplacer Edward Schreyer, était «Ie plus
professionnel». Malgré tous ses talents, M. Doern est arrivé bon troisième et
les délégués lui ont préféré Howard Pawley, qui conduisit le parti à la
victoire aux élections de 1981. Le livre de M. Doern a paru après la victoire
du NPD, mais avant que le premier ministre Pawley ne nomme son cabinet. M.
Doern se range au nombre des ministres « professionnels », parmi lesquels M.
Pawley peut choisir pour constituer sa nouvelle équipe. Notons qu'à l'annonce
de la composition du nouveau cabinet, M. Doern n'en faisait pas partie. La fin
du livre est mélodramatique et donne à penser que la devise de la famille Doern
devrait être: « Perduramus – Nous supportons. »
Le lecteur, lui, n'a pas à subir ce livre car, contrairement
à certains ouvrages universitaires, il est de lecture facile. C'est un album de
photos de quelques figures politiques du Manitoba. Son auteur a malheureusement
manqué une bonne occasion d'analyser plus en profondeur le mode de
fonctionnement d'un gouvernement provincial, type d'analyse dont on a pourtant
bien besoin.
Paul Thomas
Collège St John, Université du Manitoba
Winnipeg
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