Richard Simeon
Rapport du sous-comité sur certains aspects de la
constitution, document déposé au Sénat par le Comité sénatorial permanent des
affaires juridiques et constitutionnelles, le 26 novembre 1980, 44 p.
La réforme de la Chambre haute est un sujet qui semble
intéresser tout particulièrement les rédacteurs de textes constitutionnels. De
la Chambre des provinces, proposée par le gouvernement de la
Colombie-Britannique. le Comité consultatif sur la
Confédération de l'Ontario et d'autres. à la Chambre
de la Fédération. prévue dans le bill C-60 déposé par Ottawa. en
passant par le Conseil des provinces, suggéré par les provinces en septembre
1980 presque toutes les récentes recommandations de modification à la
constitution ont porté sur le rôle de la Chambre haute.
Il y a plusieurs raisons à cela. La plus commune vient de la croyance qu'un gouvernement
central. dans un
système fédéral renouvelé, doit représenter beaucoup plus efficacement
toutes les régnons, Les secondes chambres remplissent habituellement ce rôle
dans les systèmes fédéraux.
Au delà de la préoccupation générale de doter le
système actuel d'une plus grande part de fédéralisme inter gouvernementaux, les
raisons sous jacentes à la création d'une nouvelle Chambre haute ont
considérablement changé, ainsi que les suggestions relatives à sa composition. aux procédures de nomination, à ses pouvoirs et à son statut
juridique. Nous pouvons noter une évolution des premiers concepts qui visaient
à intégrer les provinces ou les régions au sein du Parlement, jusqu'aux
dernières propositions où est préconisée la création d'un nouvel organisme,
complètement indépendant, qui serait une institution intergouvernementale où
les deux ordres de gouvernement seraient réunis à des fins plus limitées.
Les membres du Sénat sont évidemment ceux qui
s’intéressent le plus à ce débat. Leur existence même y est remise en question.
Il n'est donc pas surprenant que le sous comité du Comité sénatorial permanent
des affaires juridiques et constitutionnelles, présidé par M. Maurice
Lamontagne, ait étudié attentivement les nombreuses propositions et ait élaboré
un projet qui comprend une nouvelle institution chargée de relever les, défis
du fédéralisme tout en conservant pratiquement intacte la seconde Chambre
actuelle. Le bref rapport du sous comité
publié en 1980, est malheureusement passé inaperçu dans
la tourmente provoqué par le débat constitutionnel. Cela est bien dommage car
il permettait de clarifier une idée très controversée.
Le Comité Lamontagne établit une distinction
fondamentale entre deux problèmes indépendants qui se sont trouvés associés
dans la plupart des proposition, Le premier problème
traite de la question intergouvernemental c'est à dire la nécessité de
réglementer les relations entre les deux paliers de gouvernement. À ce propos,
le sous comité rejette l'idée d'une réforme d un Sénat et il recommande
d'institutionnaliser les conférences fédérales provinciales au moyen d'un
Conseil fédéral provincial. Le second problème est de s'assurer que le
gouvernement central lui même représente mieux les régions et se préoccupe
davantage de leurs intérêts. Le sous comité propose un
légère réforme du Sénat pour résoudre cette question.
Le sous comité allègue que les principaux griefs
constitutionnels des provinces concernent l'existence de pouvoirs fédéraux
extraordinaires conférés à Ottawa par l'Acte de l'Amérique du Nord britannique,
et qui lui permettent de transcender les pouvoirs des provinces et d'intervenir
dans des domaines de leur compétence. Le droit de réserve. le
droit d'annulation, le pouvoir déclaratoire, celui de dépenser et le pouvoir
d'urgence sont tous des instruments qui permettent à Ottawa de dominer ou de
subordonner les provinces. Tous sont inconciliables avec les principes
d'égalité constitutionnelle des deux paliers de gouvernement, de la non subordination et de la souveraineté des provinces
dans leurs domaines de compétence. Ces principes sont habituellement les
fondements essentiels d'un véritable fédéralisme. Le sous comité propose
l'abolition des droits de réserve et d'annulation qu'il considère désuets. Il
affirme par contre que les autres pouvoirs devraient être conservés. Il faut
donc trouver le moyen de concilier J'exercice de ces pouvoirs transcendants
avec le principe de la non subordination. Le comité
croit que la solution réside dans l'obtention d'un accord entre les deux
paliers de gouvernement avant que l'on puisse exercer de tels pouvoirs. c'est à dire qu'il faudrait l'accord du gouvernement fédéral
et des gouvernements provinciaux. Il est évident que le Sénat actuel ne répond
pas à cette exigence, ni aucune autre institution dont les membres seraient
élus ou nommés conjointement, comme c'est le cas dans le Bill C-60 proposé par
Ottawa en 1978.
Le comité rejette avec autant de vigueur les
propositions visant à créer une Chambre haute au sein du Parlement dont les
membres seraient nommés par les provinces. Elle répondrait aux exigences
provinciales mais ne respecterait pas celles du fédéral. Elle introduirait un
élément confédéral d'importance et permettrait l'introduction d'un pouvoir
exécutif provincial au sein d'un corps législatif fédéral, puisque ses membres
seraient des délégués des gouvernements provinciaux. "Le Parlement fédéral
deviendrait ainsi un organisme hybride et quasiment monstrueux."
La solution selon le comité réside dans la création
d'un organisme inter gouvernemental plutôt que parlementaire. Il existe déjà
une vieille formule typiquement canadienne qui apporterait une solution simple
et pratique sans révolutionner nos institutions, il s'agit des conférences fédérales provinciale.,,. La recommandation principale du sous-comité
est de faire de ces conférences un Conseil fédérale provincial doté de pouvoirs
précis de règles officielles pour la prise de décision, Il serait formé des
premiers ministres ou de leurs représentants, aidés d'un secrétariat permanent
et d'un comité consultatif de fonctionnaires.
Ce conseil assumerait trois rôles. Premièrement, il
serait chargé de négocier les modifications à apporter à la Constitution. Il
rendrait ses décisions selon la formule d'amendement en vigueur à ce moment là.
Deuxièmement. il sanctionnerait l'exercice des
pouvoirs extraordinaires que conservait le gouvernement fédéral, notamment le
pouvoir d'urgence et celui de dépenser. Toutefois, son contrôle se limiterait,
pour le premier, aux mesures d'urgence en temps de paix, et pour le second, aux
programmes à frais partagés. Les propositions du gouvernement fédéral dans ces
domaines devraient être approuvées par une majorité des provinces représentant
une majorité de la population. Troisièmement le conseil jouerait un rôle de
coordination en matière de politiques fiscale et économique; il serait alors
purement consultatif et ses conclusions ne seraient pas exécutoires. Lorsque
des décisions formelles seraient prises il faudrait les faire approuver par les
diverses assemblées législatives.
Cette formule présente un avantage considérable sur
celles qui proposaient la création d'une Chambre des Provinces, car elle permet
de ne pas confondre les rôles législatif et exécutif et ne complique pas
l'imputabilité de chaque gouvernement envers son propre électorat. La
proposition vise carrément à régler le problème essentiel, à savoir l'égalité
des deux paliers de gouvernement. Elle vise également à concilier les activités
des gouvernements fédéral et provinciaux. Elle tient
compte du fait que dans tout changement constitutionnel il faudra prendre en
considération des groupes d'institutions, celles du gouvernement fédéral. celles des provinces et celles de la fédération elle-même.
Ce dernier groupe comprend la Constitution, la Cou r suprême, les procédures
d'amendement et selon cette formule. le Conseil
fédéral provincial. Le conseil serait le véhicule de coordination des
politiques et l'organisme surveillant les ingérences du gouvernement fédéral
dans les domaines de compétence provinciale, et peut être vice versa.
Le conseil proposé par le sous comité serait plus
petit et assumerait un rôle plus restreint que le Conseil fédéral proposé par
le Parti libéral du Québec dans son Livre beige. La position commune"
adoptée par les provinces en septembre 1980 était également différente de la
proposition du Comité: elle ne prévoyait
officielle du gouvernement fédéral. et exigeait
une majorité des deux tiers des provinces pour l'approbation des projets fédéraux
et elle permettait la ratification des nomination importantes. Il ne fait aucun
doute que certaines provinces trouveront
que L règle de la majorité proposée par le sous comite ne protège pas
suffisamment leurs intérêts contre l'exercice di. pouvoir
d'urgence ou du pouvoir déclaratoire du gouvernement fédéral, Et pourtant, ces
deux propositions se fondent sur les mêmes principes que ceux du sous comité.
À I’ intérieur du grand concept d'un organisme intergouvernemental]
proposé par le comité, de nombreuses variantes sont donc possibles. Il offre de
nombreuses possibilités. Selon le comité, le Conseil fédéral provincial ne
pourrait pas remplacer le Sénat actuel. Le rapport défend le rôle du Sériai en
mettant l'accent sur son efficacité lorsqu'il s'agit d'étudier des projets de
loi complexes ou d'enquêter sur des problèmes sociaux importants. Il admet que
le Sénat n'a pas représenté les régions, surtout le moins peuplées, autant que l’on avait espère
en 1867, Il cite plusieurs exemples de défense des intérêts régionaux, mais
admet qu'il aurait pu l'aire davantage. Il n’a pas non plus, de l'aveu même de
ses membre,, fait grand chose pour protéger les
minorités linguistiques. Mais, aux dires du comité, cela nécessite une
amélioration. non une abolition pure et simple.
Comment
procéder? Les changements radicaux sont à rejeter Les membre d'un Sénat
reformer seraient toujours nommes par
Ottawa mais un membre sur deux serait choisi a partir d'une liste établie par
les provinces. D'aucuns prétendent qu’un Sénat élu entraînerait une rivalité
politique avec la Chambre des commune et créerait des problèmes insolubles dans
un régime parlementaire. Le Sénat verrait le nombre de ses membres passer à 126
pour donner plus de poids à l'Ouest. Les membres seraient nommés pour dix ans
et pourraient demeurer en poste cinq ans de plus sur la recommandation d'un
comité spécial. Ou abolirait le pouvoir illimité que détient actuellement le
Sénat d'opposer son veto à tout projet de loi, pouvoir inadmissible dans une
société démocratique. Il pourrait avoir un droit de veto suspensif pour six
mois, ce qui donnerait au gouvernement le temps de reconsidérer son projet de
loi. Le travail du Sénat s'en trouverait probablement accru puisqu'un veto
suspensif de six mois n'a pas autant d'effet qu'un veto absolu. Le Sénat
jouerait également un plus grand rôle dans l'étude des règlements rédigés dans
le cadre d'une loi déléguée.
La formation de caucus régionaux regroupant tous les
partis et la création d'un Comité permanent des affaires régionales et
linguistiques permettraient au Sénat de mieux représenter les divers intérêts
régionaux et linguistiques. Il pourrait également représenter auprès du Conseil
des ministres les régions qui ne sont pas représentées par un député du
gouvernement à la Chambre des communes. Le sous comité ne traite pas de la
question épineuse du droit de veto d u Sénat sur les changements
constitutionnels, puisque la question ne fut soulevée qu'après le dépôt de son rapport.
On peut cependant penser que sa recommandation relative au veto suspensif de
six mois s'applique également aux changements constitutionnels.
Il propose aussi d'autres réformes, notamment un
président élu, un comité permanent des droits de la personne et des conférences
régulières pour résoudre les différends entre le Sénat et la Chambre des
communes. Il ne fait aucun doute que ces changements pourront améliorer
l'efficacité du Sénat, mais ils ne permettent cependant pas au Parlement
fédéral de mieux représenter les intérêts régionaux et déjouer un rôle de
catalyseur pour concilier ces divers intérêts. La nomination des membres par le
gouvernement fédéral demeure le talon d'Achille de ce projet. Ce processus de
nomination à la Chambre haute n'existe dans aucun autre système fédéral. Les
sénateurs n'auront toujours pas de base politique réelle. Il est vraisemblable
que des mandats de 10 ou 15 ans pour les sénateurs ne rendront pas cette
institution plus dynamique. Les caucus régionaux et le Comité des affaires
régionales permettront aux intérêts régionaux de se faire entendre, mais il est
peu probable que les gouvernements provinciaux et les groupes d'intérêt privé
les perçoivent comme un bon moyen d'influencer Ottawa. Ces moyens. tout en étant très utiles, ne suffiront pas à résoudre le
fond du problème.
Le comité réussit mieux à traiter de la question
intergouvernementale qu'à traiter des questions plus générales de la
représentativité du gouvernement central. Ceci ne peut se faire qu'en apportant
des changements majeurs aux institutions représentant la population, les
partis. la Chambre des communes et le Conseil des
ministres.
Il est plus facile d'énoncer les problèmes que de les
résoudre. Il faudrait essentiellement rétablir des partis politiques à
l'échelle du pays. modifier le système des comites
pour mettre plus l'accent sur les questions régionales et fédérales
provinciales et, peut être, assouplir la discipline des partis.
Les sénateurs ont défendu leur rôle avec conviction.
Leurs recommandations rendraient le Sénat plus utile, mais elles ne
représentent qu'un petit pas vers la restauration d'une légitimité nationale
qu'Ottawa doit avoir pour exercer efficacement le pouvoir qu'il possède et pour
négocier avec persuasion au sein d'un conseil fédéral provincial. Nous devons
cependant être reconnaissants au sous comité d'avoir clarifié un débat qu'il a
qualifié à juste titre de désespérément confus.
Richard Simeon Directeur Institute of Intergovernmental
Relations Queen's University Kingston (Ontario)
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