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La
division des Territoires du Nord-Ouest, qui est prévue pour 1999, entraînera la
création dans l’Arctique de l’Est du nouveau territoire du Nunavut. Aussi, la
population et les législateurs de l’Arctique de l’Ouest sont-ils actuellement
engagés dans un processus qui aboutira à un nouvel ordre constitutionnel. Au
cours de la présente entrevue, un député à l’Assemblée législative des T.N.-O.
parle de certaines des questions à l’étude. L’entrevue a été faite par Gary Levy
en octobre 1996.
Comment
en êtes-vous venu à faire une carrière politique dans les T.N.-O.?
Je
participe à la vie politique du Nord depuis de nombreuses années. En 1964, j’ai
été réviseur du hansard au Conseil des Territoires du Nord-Ouest, dont les bureaux
se trouvaient à Ottawa, à l’époque. Par la suite, j’ai été attaché de presse de
Stuart Hodgson, commissaire des T.N.-O. En 1967, lorsque le siège du Conseil a
été déplacé à Yellowknife, M. Hodgson m’a demandé de demeurer son attaché de
presse. J’ai par la suite dirigé le Service d’information du gouvernement des
T.N.-O. et aidé à la création du service d’interprétation.
J’ai
quitté le gouvernement en 1975 pour acheter un journal, en Alberta. J’en ai par
la suite acheté deux autres. Mes intérêts dans le monde de l’édition m’ont
ramené dans le Nord en 1982, lorsque j’ai fondé le magazine Above and Beyond
pour First Air. Je me suis départi de mes intérêts dans ce domaine lorsque j’ai
décidé de faire le saut en politique. J’ai été élu à l’Assemblée législative en
1995.
Dans
quel contexte politique le débat constitutionnel se déroule-t-il?
Nous
avons, dans le Nord, une forme unique de gouvernement. La législature compte 24
députés élus, mais il n’y a pas de parti politique. Tous les députés sont
indépendants. Au début de la première session de chaque législature,
l’Assemblée élit un président, un premier ministre et les six membres du
Cabinet. Les 16 autres députés siègent à titre de groupe parlementaire
indépendant, dont j’ai été élu président. Comme les simples députés peuvent
battre le Cabinet lorsque l’Assemblée tient un vote, ils jouissent d’une
certaine influence, et le Cabinet est habituellement très réceptif à leurs
opinions.
Où en
est, actuellement, le processus menant à la division du Nord?
Les peuples
du Nunavut ont cherché pendant de nombreuses années à régler une revendication
territoriale et à obtenir le contrôle de leur propre territoire, dans
l’Arctique de l’Est. Ils y sont finalement parvenus avec l’adoption de la Loi
sur le Nunavut, qui leur donne le droit d’avoir leur propre territoire et
de concevoir eux-mêmes la nouvelle Assemblée territoriale.
Qu’est-ce
que cela implique pour l’Arctique de l’Ouest?
Comme 10
des 24 députés actuels à l’Assemblée proviennent de l’Est, il ne restera plus
que 14 députés à l’Assemblée de l’Ouest après la division.
En vertu
de la loi fédérale, l’Assemblée des T.N.-O. doit compter au moins 15 députés.
En conséquence, il faudra apporter au moins une modification à cette loi afin
de nous permettre de reconstituer l’Assemblée après la division. Cela a
déclenché une sérieuse réflexion sur la situation politique et
constitutionnelle de l’Arctique de l’Ouest.
On a
institué un comité d’orientation sur l’évolution constitutionnelle qui comprend
les 14 députés du groupe parlementaire de l’Ouest, des représentants des sept
groupes autochtones et des associations féminines et les maires des
municipalités de la région qui disposent d’un pouvoir d’imposition foncière.
Un groupe
de travail, coprésidé par Jim Antoine et George Kurszewski, a été créé pour
élaborer l’ébauche d’un dossier constitutionnel. Ce document énonce diverses
options et des recommandations sur l’évolution politique et constitutionnelle
du territoire de l’Ouest. Le groupe a présenté son rapport, Partners in A
New Beginning, à l’Assemblée législative le 16 octobre 1996.
Quel
est l’objectif de ce rapport?
Le
rapport reconnaît notamment le droit inhérent des groupes autochtones, lequel
est admis dans la Constitution, ainsi que les règlements négociés auxquels ont
conduit les revendications territoriales. Les Autochtones de l’Ouest pourraient
établir leur propre gouvernement sur leur territoire, mais je crois que le
rapport précise qu’il serait préférable de tenter, autant que faire se peut,
d’intégrer le gouvernement autochtone et le gouvernement territorial.
Comment
procéderait-on pour faire cela?
Le
rapport propose de constituer une nouvelle Assemblée législative de 22 sièges.
Huit d’entre eux seraient garantis aux Autochtones. Les groupes qui auraient
droit à un siège seraient les Inuvialuit, les Gwich’in, la population du Sahtu,
les Flancs-de-Chien, les tribus assujetties au traité no 8, la
population du Deh Cho, les Métis du South Slave et l’Alliance des Métis du
North Slave.
Les
représentants élus siégeraient dans deux assemblées distinctes, une Assemblée
générale (de 14 députés) et une Assemblée autochtone (de 8 députés). Ils
siégeraient aussi tous ensemble à une nouvelle Assemblée législative.
L’adoption des projets de loi exigerait une majorité dans les deux Assemblées.
Ceux qui n’obtiendraient pas l’appui de ces deux majorités pourraient néanmoins
être adoptés avec l’appui des trois quarts de la députation entière.
Quelles
sont les prochaines étapes du processus?
Le
document de discussion sera distribué dans tout l’Arctique de l’Ouest et fera
l’objet de consultations. La période de réflexion et réponse prendra fin en
mars 1997, après quoi le document pourrait être modifié à la lumière des
propositions et suggestions reçues. La proposition révisée serait soumise à la
ratification de la population à l’automne de 1997. Elle serait ensuite
communiquée au gouvernement fédéral, qui la soumettrait au processus
parlementaire. Nous présumons que le Parlement l’étudierait pendant deux ans
avant de l’adopter et d’en faire la nouvelle constitution de l’Arctique de
l’Ouest.
N’a-t-on
pas proposé également la double représentation de chaque circonscription,
c’est-à-dire que chacune soit représentée par un homme et une femme?
Le comité
a reçu cette suggestion, mais n’en a pas fait état dans le rapport principal.
L’idée est toujours à l’étude, cependant, comme beaucoup d’autres. Le rapport
décrit deux autres modèles en plus de celui qui a été proposé.
Dans
l’ensemble, la situation politique dans le Nord vous inspire-t-elle de
l’optimisme ou du pessimisme?
En ce qui
concerne la division du territoire, je crois personnellement que nous allons
trop vite. L’expérience que j’ai acquise lors de l’établissement d’un
gouvernement dans le Nord, en 1967, m’a appris que ce genre de choses ne se fait
pas du jour au lendemain.
Hormis la
structure de l’Assemblée, il y aura beaucoup de détails à régler. Comment
partagera-t-on les actifs des actuels T.N.-O.? Combien vaut la Société
d’énergie des Territoires du Nord-Ouest ou la Commission des accidents du
travail? Y aura-t-il deux structures gouvernementales parallèles à l’avenir? Ou
une seule structure mixte? Certains actifs appartiendront-ils à l’un des deux
gouvernements, qui louerait alors des services à l’autre? Qu’adviendra-t-il des
employés actuels de la législature et du gouvernement des T.N.-O.? Devront-ils
déménager et se réinstaller? Auront-ils le choix? Ce sont là des questions
importantes auxquelles nous devrons accorder mûre réflexion pour pouvoir
traiter chacun d’une manière juste et équitable.
Je crois
que les citoyens du Nord, qu’ils soient de l’Arctique de l’Est ou de l’Arctique
de l’Ouest, qu’ils soient autochtones ou non, sont aux prises avec des
problèmes communs et qu’ils trouveront des solutions qui seront dans l’intérêt
de tous. Ils ont une tradition bien ancrée de consensus, et si une orientation
semble absolument inacceptable à un groupe ou à un autre, je suis certain
qu’elle sera abandonnée, que les citoyens reprendront les discussions et qu’ils
travailleront jusqu’à ce qu’ils aient trouvé une solution satisfaisante pour
tous. Sur ce point, je suis optimiste. Quant à savoir si nous accomplirons tout
ce travail dans les délais actuellement envisagés, je suis pessimiste.
Abstraction
faite de l’échéancier, d’autres facettes de la proposition relative à
l’Arctique de l’Ouest vous inquiètent-elles?
Il s’agit
d’un document de discussion, et je crois que, en tant que tel, il est bon. Je
crois personnellement que l’idée de donner deux votes à certains citoyens et un
seul à d’autres va susciter une forte opposition.
Je doute
également que le modèle proposé soit conciliable avec les traditions
canadiennes en matière de gouvernement et même qu’il permette un jour
d’instaurer un système fondé sur des partis politiques. Je ne suis pas certain,
par exemple, qu’il soit sage d’avoir un Cabinet de six membres dont quatre
seraient choisis dans l’ensemble de la population et deux seraient élus
uniquement par l’électorat autochtone.
Nous avons
là l’occasion de repenser notre système de gouvernement de fond en comble, et
il se pourrait bien que l’idée de modifier le mode d’élection du premier
ministre — le faire élire directement par l’ensemble de la population, par
exemple — recueille des appuis.
Quel
rôle le gouvernement fédéral joue-t-il dans tout cela?
Le
gouvernement fédéral pourrait apporter une petite modification à la Loi sur
les Territoires du Nord-Ouest de manière à permettre que l’actuelle
Assemblée législative (amputée des députés de l’Est de l’Arctique) ne compte
que 14 députés. Puis, après un certain temps, les deux Assemblées pourraient
régler les questions relatives à la division du territoire pendant que
l’Arctique de l’Ouest continuerait d’étudier ses options constitutionnelles.
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