Revue parlementaire canadienne

Numéro courant
Région canadienne, APC
Archives
Prochain numéro
Guide de rédaction
Abonnez-vous

Recherche
AccueilContactez-nousEnglish
Sur les rayonsSur les rayons
Albert Nigro

Canada ... Notwithstanding de Roy Romanow, John Whyte et Howard Leeson, Toronto, Carswell Methuen, 1984, 286 pages.

N'est-il pas un peu étrange que le premier article de la Charte canadienne des droits et libertés fixe les limites des libertés que nous garantit la constitution? Les droits et libertés des Canadiens ne seraient en somme garantis que dans la mesure où toute violation ne pourrait se justifier dans le cadre d'une société libre et démocratique. Entrée en matière qui n'est pas précisément de bon augure pour un document qui prétend protéger l'individu contre toute ingérence intempestive de l'État. Pourtant, comme les auteurs du livre Canada... Notwithstanding l'expliquent, le préambule typiquement canadien n'est peut-être pas si mauvais après tout.

Ce livre guide le lecteur au fil des six longues années du débat constitutionnel amorcé en 1976 et clos (temporairement du moins) par la proclamation, le 17 avril 1982, de La loi constitutionnelle de 1981 qui comprend la Charte des droits et libertés. Puisqu'une nouvelle rumeur veut que le premier ministre Lévesque souhaite vivement conclure un accord constitutionnel avec le premier ministre Mulroney, ce livre paraît à un moment opportun. Il raconte entre autres comment on en est venu a conclure un accord qui exclut le Québec.

Les auteurs de Canada ... Notwithstanding ont certainement toute la compétence voulue pour relater ces événements. Roy Romanow, en qualité de procureur général de la Saskatchewan, fut l'un des acteurs les plus visibles de ce débat. La plupart des Canadiens se souviendront de lui surtout en raison du rôle qu'il a joué au sein du prétendu cabinet de cuisine, dont les délibérations informelles ont débloqué l'impasse entre les deux parties d'un côté le gouvernement fédéral avec l'Ontario et le Nouveau-Brunswick, et de l'autre les huit autres provinces (la bande des Huit). Il est secondé par M. John Whyte, professeur de droit constitutionnel et Howard Leeson, politicologue, qui ont tous deux agi à titre de principaux conseillers auprès du gouvernement de la Saskatchewan pendant ces délibérations cruciales.

Comme on pouvait s'attendre, l'ouvrage analyse en détail les diverses conférences, propositions et crises constitutionnelles qui ont abouti à l'accord de 1981. On est surpris et heureux de constater que chacune des difficultés que les protagonistes ont eu à affronter dans leurs discussions fait l'objet d'une analyse dont la brièveté ne nuit en rien à la pertinence. Ces analyses, la table des matières détaillée et un index très complet font de Canada ... Notwithstanding un précieux outil de recherche sur l'évolution récente du droit constitutionnel canadien.

L'ouvrage traite du processus d'élaboration d'une constitution et s’intéresse aux négociations serrées qui se sont déroulées au cours de cette période. Il est, en effet, remarquable, pensent les auteurs, qu'un État fédéral biculturel, bilingue et ayant atteint la majorité politique, formé d'un gouvernement fédéral fort et de dix gouvernements provinciaux aussi divers politiquement que régionalement, ait réussi à trouver un compromis qui pût satisfaire tous les participants sauf un, le Québec. Et l'idée d'enchâsser les droits et libertés individuels, qui a fait partie des débats, n'était pas de nature à simplifier les choses. Néanmoins, comme les auteurs le montrent ce compromis historique fut l'aboutissement de grands efforts politiques. Il ne faudrait pas en minimiser l'importance, même si le document qui l'énonce n'a pas le parfait stylistique d'autres documents constitutionnels nés dans des circonstances plus dramatiques (et souvent plus violentes). Reste à voir si l'équilibre entre les droits et libertés individuels d'une part, et les restrictions raisonnables que peut imposer une société libre et démocratique d'autre part, ne s’établira pas au détriment des libertés fondamentales des Canadiens.

Toute étude de l'accord constitutionnel de 1981 doit examiner pourquoi le Québec ne l'a pas signé, et donc examiner les accusations de trahison lancées par le premier ministre Lévesque. Les auteurs de cet ouvrage ont abordé cette question de front et sous deux angles différents. Ils supposent en premier lieu que le Québec était disposé à livrer une guerre constitutionnelle, mais qu'il n'avait pas du tout l'intention de signer la paix. Selon cette thèse, le Québec aurait commis le faux pas de ne pas se rendre compte que tous les autres participants, y compris la bande des Huit qui était opposée au premier ministre Trudeau lors de la dernière conférence constitutionnelle, souhaitaient trouver un compromis constitutionnel. Le Québec n'aurait donc pas à proprement parler été trahi par ses alliés mais aurait été l'auteur de son exclusion en effet, le front commun de l'opposition à la dernière conférence fut brisé par le Québec lui-même lorsqu'il accepta une proposition du gouvernement fédéral sur l'utilisation du référendum pour sortir des impasses constitutionnelles. Il ouvrit ainsi lui-même la brèche qui devait déboucher sur un compromis. Les auteurs abordent ensuite la même question sous un autre angle et reconnaissent explicitement que l'exclusion du Québec était un des défis constitutionnels qui n'a pas été relevé.

L'ouvrage n'est pas sans lacune. La discussion sur la participation d'un de ses auteurs est dans un langage très formel qui contraste avec le ton narratif de l'ensemble. En outre, les auteurs passent complètement sous silence la dimension humaine de ces débats, ce qui est assez irritant, car il est certain que les relations interpersonnelles ont joué dans la dynamique des négociations. Les auteurs ont peut-être délibérément laissé de côté cette dimension souvent exploitée dans les reportages des médias, pour mieux faire ressortir l'aspect proprement politique du débat.

Canada ... Notwithstanding est un excellent livre sous plusieurs aspects : il résume les principaux événements constitutionnels de cette période; il offre une analyse des problèmes en cause et explique le compromis historique conclu. Mais surtout Canada... Notwithstanding nous rappelle que l'accord constitutionnel de 1981 n'était qu'un premier pas sur la voie de la réforme constitutionnelle dans laquelle le Canada s’est engagé avec une prudence vraiment unique.

Albert Nigro
Chargé de recherche, Service des recherches législatives
Toronto


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 8 no 1
1985






Dernière mise à jour : 2020-09-14