François Bernier
Construing Bilingual Legislation in Canada, par Rémi Michael Beaupré, Toronto, Butterworths,
1981, 161 p.
Ce livre est le résultat d'un effort de synthèse du
droit et de la jurisprudence portant sur l'interprétation de la législation
bilingue au Canada. Dans les deux premiers chapitres, l'auteur, qui est
conseiller parlementaire adjoint à la Chambre des communes, examine les règles
d'interprétation appliquées par les tribunaux canadiens avant et après leur
codification partielle à l'article 8 de la Loi sur les langues officielle.
Cette revue de la jurisprudence l'amène à conclure que le seul dogme à observer
dans l'interprétation de la législation bilingue est le suivant: avant dégagé
une interprétation commune aux versions anglaise et française, on doit
s'assurer qu'elle est compatible avec l'ensemble du texte législatif avant de l'adopter.
Cette méthode est des plus logiques et, comme le
démontre l'auteur, permet de résoudre la plupart des conflits et des écarts
apparents entre deux versions d'une loi. Il est moins certain qu'elle soit
aussi fructueuse dans le cas de conflit véritable entre les versions. Appliquée
dans une cause comme Food Machinery Corp. c. Registrar of Trade Marks. (1946) 2
D.L.R. 258, elle a conduit à l'adoption d'une interprétation n'ayant pas
d'analogue possible dans l'autre langue. A la lumière du principe fondamental
d'égale authenticité, principe auquel les cours de justice ont attribué une
valeur constitutionnelle dans P.G. du Québec. c. Blaikie, l'affirmation de l'auteur
à l'effet que ce résultat témoigne d'un raffinement apporté au principe d'égale
authenticité est quelque peu surprenante. Par ailleurs, M. Beaupré démontre de
façon convaincante que le concept de deux systèmes distincts et hiérarchiques
de règles d'interprétation l'un pour
l’interprétation simple, l'autre pour I’ interprétation croisée élaboré par Boult (R. Boult. "Le
bilinguisme des lois dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada".
(l 968) 3 Oit. L. R. 323) devient caduc lorsqu'on le confronte aux problèmes
concrets d'interprétation bilingue.
Le deuxième chapitre est consacré à une évaluation des
conséquences de l'article 8 de la Loi sur les langues officielles sur les
règles traditionnelles d'interprétation bilingue. Se référant à la
jurisprudence, l'auteur souligne le peu d'influence qu'a eue cette tentative de
codification. Ce point de vue se confirme à l'examen d'un certain nombre de
décisions prises depuis l'adoption de la Loi sur les langues officielles en
1969 où les méthodes d'interprétation traditionnelles sont employées sans même
qu'on fasse mention des exigences particulières de cette loi.
Le troisième chapitre, dans lequel l'auteur aborde la
jurisprudence québécoise, est le plus important du livre et, à mon sens, le
plus intéressant. Toute discussion sur l'interprétation de la législation
bilingue suscite d'autant plus d'intérêt qu'elle a trait à un territoire
juridique où, depuis longtemps, les tribunaux ont dû résoudre ce genre de
difficultés. Celles ci se rapportent tant à la législation fédérale qu'au Code
civil qui contient des règles particulières quant à la valeur interprétative
que l'on doit attribuer aux dispositions françaises et anglaises du Code. L'univers législatif n'est plus seulement
bilingue mais aussi "bi-juridique". Dans Ce contexte, l'application
du principe d'égale authenticité prend de nouvelles dimensions et devient,
comme l'a très bien fait ressortir l'auteur, un problème fondamental du
fédéralisme canadien. Bien que M. Beaupré se refuse à proposer une solution
définitive aux problèmes que soulève la situation particulière du Canada à cet
égard, il expose cependant fort adroitement les divers aspects que revêtent ces
questions dans le système juridique canadien.
Dans le quatrième et dernier chapitre, l'auteur fait
part de ses conclusions générales et aborde certains thèmes connexes. Les premières
peuvent être résumées brièvement de la façon suivante: 1) les règles
Maxwelliennes d'interprétation sont de valeur restreinte pour résoudre les
problèmes posés par le bilinguisme de nos lois et le méthode
"contextuelle" du professeur Driedger convient mieux à une
application juste de la règle d'égale authenticité; 2) les règles actuelles
n'offrent pas de solution satisfaisante aux problèmes qu'engendre le
bi-jurisme" de la législation canadienne et. à cet égard, une intervention
du législateur serait souhaitable; 3) bien que l'article 8 de la Loi sur les
langues officielles prétende être un code complet des règles et méthodes
applicables à l'interprétation de la législation fédérale bilingue, il est
manifestement incomplet et n'est pas adéquat en tant que codification. La
préférence de l'auteur est de ne retenir que le paragraphe 8(l), où figure la
règle d'égale authenticité, et d'en laisser l'application aux tribunaux qui se
sont montrés capables de le faire d'une façon pragmatique.
En terminant la lecture du livre, on ne peut que se
rappeler l'avertissement de l'auteur dans son introduction: en dernière
analyse, il n'existe pas de recette magique pour harmoniser le français et
l'anglais dans nos lois. en dehors d'une réforme fondamentale touchant les
étapes suivies dans l'élaboration des projets de loi. Une étude comme celle de
M. Beaupré devrait apporter une contribution utile à une telle réforme.
En ce qui concerne la présentation du texte, on peut
regretter la décision de ne pas inclure les citations complètes des arrêts dans
les notes intrapaginales, ce qui oblige le lecteur qui vent garder une
perspective chronologique à se rapporter constamment à la table des arrêts.
Construing Bilingual
Legislation in Canada est un complément indispensable à la
documentation juridique canadienne. Très bien écrit, ce livre, qui contient une
analyse détaillée de la jurisprudence, est aussi un ouvrage de référence de
première qualité.
François-R. Bernier,
Division du droit et du gouvernement, Service des recherches ,
Bibliothèque du Parlement
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