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William Dawson
Report of the
Special Committee on Privileges of the Yukon
Legislative Assembly, 3e session, 24e legislature, 1980, 92 p. et annexes.
Le privilège parlementaire est sans aucun doute l'un
des termes dont on abuse le plus et qu'on a le plus avili dans l'usage qui en
est fait actuellement. Il suffit de lire le hansard quotidien pour constater le
nombre de questions qui sont posées à tort, en grande partie pour obtenir la
parole et faire un discours qui, autrement, serait contraire au règlement.
Néanmoins, à arrive quelquefois qu'une question posée suscite un certain
intérêt et, du moins en apparence, semble avoir un certain rapport avec la
véritable signification des termes employés.
L'an dernier, un tel cas s'est présente a l'Assemblée
législative du Yukon, à l'occasion du rapport d'un comité spécial sur l'écoute
clandestine des communications téléphoniques d'un député, à une époque où un
«étranger» au Parlement faisait l'objet d'une enquête. Le
comite en est arrivé aux quatre conclusions suivantes:
1. L'écoute clandestine était une violation d'un
privilège du député, à savoir la liberté de parole.
2. Ce geste était un outrage, car il gênait tous les
députés dans l'exercice de leurs fonctions.
3. Ce geste était un outrage, car le président n'avait
pas été informé de l'enquête menée par la police.
4. Lorsqu'il y a écoute clandestine, le président doit
en être informé, mais il n'a pas à donner son assentiment. Il peut toutefois,
décider d'en informer ou non la Chambre.
Le comité s'étant réuni à huis clos, ses délibérations
ne font donc pas partie du rapport. Il a soumis à la chambre vingt quatre pages
d'arguments, huit pages d'extraits du hansard du Yukon comme références, le
rapport d'un comité de la Colombie-britannique sur un cas semblable et presque
soixante pages de conseils donnés à ce sujet par un certain nombre d'autorités
compétentes de l'extérieur.
Les documents soumis par le comité montrent bien
jusqu'à quel point toute la question du, privilège peut être délicate, car les
spécialistes de l'extérieur ne s'entendent même pas sur le principe. M. Michael
Clegg (Conseiller juridique de l'Assemblée de l'Alberta) allègue que le Yukon
dispose de tous les pouvoirs exercés en matière de privilège et d'outrages par
l'autres assemblées législatives canadiennes, quoique d'après sa lettre, leur
fondement légal semble avoir été annulé. M. Joseph Maingot (conseiller
parlementaire à Ottawa) interprète Erskine May de façon plus stricte et ne
reconnaît pas les pouvoirs répressifs les plus extrêmes comme la sanction pour
outrage.
Même si l'on présume (comme le fait l'Assemblée du
Yukon) que le droit de traiter d'un tel privilège existe, le délit lui même est
discutable. A part de simples déclarations, il y a peu de preuves que l'écoute
clandestine est en soi une violation de privilège. Dans l'affaire de la
Colombie Britannique, jointe en annexe au rapport, on conclut que l'écoute
clandestine constitue une violation de privilège uniquement en période de
session, et on ne fait que désapprouver le procédé lorsque la Chambre ne siège
pas. Le comité ne traite pas non plus de la question de savoir si tous les
téléphones utilisés par un député (y compris ceux de sa résidence et de son
bureau de circonscription) sont également sacro-saints. Si c'est la liberté de
parole (c'est à dire la libre communication entre un député et ses commettants)
qui est en cause ici, et non pas l'enceinte du Parlement, alors toutes les
communications téléphoniques avec un député doivent vraisemblablement être
protégées. En déterminant que l'écoute clandestine des appels téléphoniques
d'un député représentait une violation de privilège, il est regrettable que le
comité n'ait pas examiné, outre l'ouvrage d'Erskine May (qui ne dit rien de
précis sur la question), le rapport du Comité britannique des conseillers
privés nommés pour enquêter sur l'interception des communications (Cmnd. 283),
lequel nie catégoriquement que l'écoute clandestine ou l'interception de
courrier adressé aux députés constitue une violation de privilège. De même, le
comité aurait pu noter que, pendant la deuxième guerre mondiale, tous les
députés ont été sujets à l'écoute clandestine et à la censure sans soulever de
question de privilège et, à ce qu'on sache, sans que le président en ait été
informé.
Ce qui semble avoir beaucoup intéressé le comité,
c'est la question de savoir si le président doit être informé de l'écoute clandestine
des communications téléphoniques d'un député. Dans le cas qui nous occupe,
l'écoute avait été pratiquée conformément à la loi, aux termes d'un mandat
dûment émis. Le dispositif d'écoute avait été installé à quelque distance de
l'Assemblée, et non pas dans l'édifice. Le comité s'appuie beaucoup sur la
déclaration d'un comité des privilèges d'Ottawa qui, en 1973, affirmait qu'il
fallait l'autorisation du président pour que des forces de police extérieures
puissent pénétrer dans l'enceinte du Parlement afin d'y exercer leurs
fonctions. C'est une bien faible base sur laquelle s'appuyer, car ce comité lui
même n'a pas réellement justifié son assertion. Il était loin d'être entendu
qu'une autorisation était nécessaire: la GRC et la police d'Ottawa ont en effet
donné des ordres à leur personnel seulement après que la question de privilège
eut été soulevée. D'après les preuves recueillies par le comité, la police
devait effectivement s'adresser au personnel de sécurité du Parlement lorsqu
elle entrait dans l'édifice, mais tous les visiteurs étaient également tenus de
le faire.
Il est clair qu'on doit préciser la responsabilité du
député envers ses commettants (et le rapport qu'elle a avec le privilège), car
toute la question de la liberté de parole en dépend. Les délibérations du
Parlement ne sont pas aussi clairement définies que pouvaient le laisser
entendre M. Robert Fortier (Greffier du Sénat) et la Cour suprême dans
l'affaire Roman. Certes, M. André Ouellet a trouvé des limites à sa liberté de
parole et a été inculpé d'outrage au tribunal. De même, Mme Simma Holt a
découvert en 1978 que sa qualité de représentante de ses commettants ne
s'appliquait pas lorsqu'elle comparaissait devant le CRTC. Il importe de
répondre à cette vaste question de façon plus certaine qu'à l'heure actuelle
avant que des personnes respectueuses de la loi ne soient condamnées à la
censure législative.
L'aspect le plus gênant de ce rapport est peut-être
qu'il repose sur la définition vague d'outrage, établie par May et précisée par
d'autres. En bref, il suffit qu'un acte tende à gêner un député dans l'exercice
de ses fonctions pour qu'il soit considéré comme un outrage. Il est clair que
si l'on prend cette définition au pied de la lettre, n'importe quel acte
pourrait représenter un outrage. Il serait peut-être préférable que le comité
et ceux qui utilisent cette définition examinent non seulement celle qui figure
dans May, mais aussi le chapitre qui la précise: ils constateront que les
exemples cités sont raisonnables et ne déforment pas totalement la définition.
Molester un député qui se rend à la Chambre peut ne pas l'empêcher d'y arriver,
mais peut y tendre. La subornation de témoins, la corruption et d'autres
actions semblables peuvent être classées dans la même catégorie. Il est à
remarquer également que la publication prématurée des délibérations et du
rapport d'un comité figurent aussi dans ce chapitre comme des outrages. Il
serait intéressant de voir ce qui arriverait si une assemblée législative
canadienne intentait des poursuites à un journaliste pour publier ce qu'il sait
des délibérations d'un comité.
En résumé, le rapport n'est pas satisfaisant. Tout au
long, l'accent est mis sur la protection du député, en sa qualité de
représentant de ses commettants. On a peine à voir où vient s'insérer un
exercice arbitraire de pouvoirs comme celui dont traite le rapport.
Celui-ci servira à justifier d'autres études sur la
question du privilège ou la modification des lois relatives à l'écoute
clandestine. mais il est loin de représenter une
défense énergique des libertés civiles.
William F. Dawson Professeur de
science politique University of Western Ontario London, Ontario
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