Robert Miller
Parliamentary Control Over Foreign Policy, Antonio
Cassese, éditions Sijthoff and Noordhoff, 1980, 206 p.
Cette collection
regroupe des essais sur l’influence du parlement sur la politique étrangère au
Royaume-Uni, en France, en République fédérale d'Allemagne, au Danemark et en
Italie, ainsi qu’une étude de cas sur le rôle que le Congrès américain joue dans
la politique relative aux droits de la personne. On y trouve également trois
essais sur l’influence que les parlements nationaux et le Parlement européen exercent
sur les affaires intereuropéennes. L’ouvrage contient beaucoup d’information
utile, quoique présentée dans un style plutôt aride, en particulier pour les
dispositions constitutionnelles, le rôle des comités parlementaires et la
participation des parlements au processus d’élaboration des traités. L’argumentation
de l’ouvrage, toutefois, peut sérieusement être remise en question.
Antonio Cassese, directeur
de la collection, écrit dans sa préface que l’ouvrage a pour objet de voir où
et comment les pouvoirs des parlements nationaux en matière de politique
étrangère « s’érodent graduellement au profit de l’exécutif » et de
déterminer ce qu’on peut faire, le cas échéant, pour renverser cette tendance. Une
déclaration d’intention aussi claire en début d’ouvrage est louable, mais les
essais qui suivent, dans l’ensemble, ne prouvent malheureusement pas le
bien-fondé de l’argumentation avancée.
D’après Ian
Brownlee, le Parlement britannique se range généralement derrière la politique
étrangère du gouvernement, quoiqu’il devienne « plus vigilant »
lorsqu’il l’estime nécessaire, comme ce fut le cas lors de l’entrée du
Royaume-Uni dans le Marché commun. Autrement dit, le Parlement se préoccupe de
politique étrangère lorsqu’il le veut bien, un constat peu surprenant qui
s’applique sans doute aussi à d’autres politiques. Mais est-ce que cela
constitue une érosion des pouvoirs du Parlement britannique? Selon la
description même de Brownlee, cette façon de faire tient plus de la perpétuation
d’une tradition beaucoup plus ancienne. « Au xixe siècle, on ne
s’attendait pas du Parlement qu’il se préoccupe des affaires étrangères et en
fait, cette situation découlait de l’idée que la politique étrangère n’était
pas affaire d’opinion publique. »
L’essai sur la
France vient près d’appuyer l’argument de M. Cassese. L’auteur décrit,
dans un style vif, une sorte de dilettantisme parlementaire lorsqu’il est
question de politique étrangère (« le Parlement se divertit »), mais
poursuit en expliquant que cette situation témoigne principalement d’un déclin
général du Parlement français sous le régime de la Constitution de 1958.
Il constate que la plupart des parlementaires français s’intéressent très peu à
la politique étrangère, et que démontrer de l’intérêt pour cette question constitue
une mauvaise tactique politique.
Si les cas des
assemblées britannique et française appuient en partie la thèse d’un déclin de
l’influence parlementaire, plusieurs autres essais la contredisent. Le
Parlement du Danemark est en effet décrit comme ayant une influence
considérable sur la politique étrangère, tant sur le plan constitutionnel qu’en
pratique. La Constitution danoise édicte que le Folketing (le Parlement danois)
doit avoir un comité des affaires étrangères et que le gouvernement doit le
consulter avant de prendre toute décision importante à cet égard. Cette
disposition revêt une importance politique parce que les gouvernements
minoritaires sont fréquents au Danemark et que les chefs de parti siègent au
comité. L’auteur conclut ainsi : « Le Folketing contrôle donc la
politique étrangère du gouvernement en général et ses aspects européens de
façon systématique ».
Comme on pouvait
s’y attendre, c’est l’essai sur le Congrès américain et la politique relative
aux droits de la personne qui illustre le plus clairement le renforcement
croissant plutôt que l’érosion de « l’influence du parlement sur la
politique étrangère ». L’auteure, Patricia Weiss Fagen, explique que l’attention
particulière portée aux droits de la personne, communément associée à l’administration
Carter, a en fait été lancée sur le plan politique par les audiences
de 1973‑1974 et le rapport du sous-comité de la Chambre des
représentants sur les organismes et les mouvements internationaux, qui était
présidé par le représentant Donald Fraser. Ce sous-comité avait vivement
critiqué l’administration et le département d’État pour ce qu’il considérait
comme de l’indifférence à l’égard des questions de droits de la personne. Son
rapport a contribué à instaurer une pratique qui perdure aujourd’hui, soit que
le Congrès inclue des conditions relatives aux droits de la personne et
d’autres conditions dans les projets de loi de crédits traitant d’aide
étrangère et d’assistance militaire. Ce cas illustre un regain plus général de
l’intérêt porté par le Congrès à la politique étrangère, en partie en réaction
à la très faible influence qu’il avait exercée dans la Résolution du golfe de
Tonkin et le bombardement secret du Cambodge. Le Canada a d’ailleurs eu des
raisons de regretter ce renforcement du pouvoir parlementaire lorsque le Sénat
américain a refusé de ratifier les Traités relatifs aux pêcheries et aux eaux
territoriales de la Côte atlantique.
On pourrait tirer
la même conclusion d’autres essais de la collection, dont ceux sur l’Allemagne,
le Parlement européen et même celui sur le Parlement italien, qui est l’œuvre
de M. Cassese lui-même. Il y constate que malgré les nombreux ratés, il y
a maintenant une volonté au Parlement italien de prendre une part plus active
dans les affaires étrangères. De plus, même si les parlements européens ne
détiennent pas en général les pouvoirs du Congrès américain pour contrôler divers
aspects de la politique étrangère, ils ne sont pas sans influence pour autant. Ce
phénomène semble indiquer qu’il est difficile d’étudier cette question en se
concentrant sur les pouvoirs parlementaires officiels. Il faut plutôt examiner les
liens entre le parlement et les processus politiques, l’histoire et les valeurs
d’un pays. Il faudrait donc, dans l’étude des parlements, porter autant
attention aux quatre cinquièmes qui se retrouvent sous la surface qu’au un
cinquième que l’on voit du premier coup d’œil.
Puisque ces
essais ne semblent pas parvenir à démontrer le déclin des parlements dans le
domaine de la politique étrangère, il ne sert à rien d’essayer de l’expliquer. Il
convient néanmoins de souligner que le motif posé par M. Cassese comme un
« truisme » peut aussi être remis en question, à savoir que l’accroissement
du rythme, de la complexité et du multilatéralisme de la politique étrangère réduit
inévitablement les pouvoirs du parlement. L’émergence d’institutions
internationales, pour ne citer qu’un exemple, a dans certains cas renforcé la
main mise de l’exécutif sur les parlements des États membres, mais ce phénomène
n’est pas inévitable comme le démontre l’exemple du Congrès américain. Ce
dernier exerce en effet une influence considérable sur la politique américaine
auprès d’institutions comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire
international. Un rapport publié récemment au Canada par le Groupe de travail
parlementaire sur les relations Nord-Sud recommande d’ailleurs que les
autorités politiques nationales s’intéressent davantage aux travaux de ces
organismes internationaux, ce qui pourrait bien engendrer, ici au pays comme
aux États-Unis, une intensification des travaux parlementaires portant sur ces
dossiers.
Robert Miller
Centre parlementaire pour les affaires étrangères et le commerce extérieur, Ottawa
|