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L'hon
Eleni Bakopanos, députée, c.p.
Dans le présent article, l’auteure affirme que les femmes continuent à
faire face à des obstacles considérables si elles souhaitent participer
pleinement à la vie publique. Elle suggère que les femmes apportent une
dimension différente au processus d’élaboration des politiques et qu’on devrait
les inciter à se lancer en politique active en plus grand nombre.
Lorsqu’une femme décide de briguer les suffrages des
électeurs, elle choisit, selon le poète américain Robert Frost, « le
chemin le moins parcouru ». Le manque de confiance en soi est l’obstacle
le plus difficile que les femmes aient à surmonter. Nous devons décider
d’emprunter cette voie et être prêtes à franchir ce long parcours ainsi qu’à
consentir aux nombreux sacrifices dont il est parsemé afin de servir notre
pays. Heureusement, nous pouvons compter sur les balises qu’ont laissées nos
prédécesseures et sur nos quelques compagnes de voyage pour nous orienter.
Pour que les femmes puissent être pleinement égales aux hommes, elles
doivent, selon moi, être traitées sur le même pied d’égalité dans tous les
domaines de la société : social, économique, juridique, culturel et
politique. Toute société qui continue d’exclure 50 p. 100 de sa population
met en péril non seulement sa démocratie, mais également son développement. En
fait, on constate une corrélation étroite entre le fossé des sexes et la
croissance économique. Dans les pays où l’inégalité des sexes est moins
prononcée, la pauvreté est moins forte, les taux de malnutrition des enfants et
de mortalité infantile sont moins élevés et la croissance économique plus
rapide.
Une étude menée par l’Union interparlementaire en 2000 démontre que
la participation accrue des femmes a modifié le comportement politique; les
femmes adoptent un style plus positif et moins antagoniste. Une autre étude,
effectuée par la Banque mondiale, conclut qu’elles contribuent à la saine
gestion publique et que « lorsque les femmes exercent une plus grande
influence sur la vie publique, le niveau de corruption est moins élevé ».
La faible proportion de femmes parmi les décideurs économiques et
politiques aux échelons local, national, régional et international découle des
nombreux obstacles qu’il faut surmonter par le biais de mesures positives. Les
gouvernements, les sociétés nationales et multinationales, les médias de masse,
les banques, les établissements universitaires et scientifiques ainsi que les
organismes régionaux et internationaux, y compris ceux qui font partie du
système des organisations des Nations Unies, ne tirent pas pleinement
profit des talents des femmes en tant que cadres supérieurs, décisionnaires,
diplomates et négociatrices.
Même depuis sa création en 1901, le prix Nobel n’a été remis qu’à
très peu de femmes. En sciences et en médecine, parmi les 400 prix attribués,
seulement 11 ont été accordés à des femmes et 8, à des hommes et à des
femmes conjointement. En littérature, seulement 9 ont été décernés à des
femmes, aucun en économie et seulement 10 p. 100 dans le domaine de la
paix. En politique, tout comme dans le monde des affaires et le milieu
universitaire, les femmes font face à des obstacles systémiques et structurels.
Le facteur décisif pour favoriser l’entrée des femmes en politique, c’est
l’égalité économique. Il faut de l’argent pour se porter candidat et la plupart
des femmes n’ont tout simplement pas accès aux réseaux de financement des
candidats politiques.
Les femmes doivent se rendre compte que le fait d’en être une n’est plus
un handicap en politique. Nous ne formons une minorité qu’en ce qui a trait à
notre représentation électorale. Nous constituons la moitié de la population
mondiale. Les femmes de l’ère nouvelle sont intelligentes, instruites,
multilingues, elles détiennent souvent plus d’un diplôme et elles sont en
mesure de se lancer en politique fortes d’expériences professionnelles acquises
au cours de carrières dans divers domaines. Bien que beaucoup de femmes
participent à la vie politique, peu d’entre elles se portent candidates. Une
question s’impose : comment peut-on les inciter à modifier le rôle
traditionnel qu’elles occupent en politique, afin qu’elles sortent des
coulisses et passent sur le devant de la scène, étant donné que l’image
conventionnelle des femmes les confine à un rôle d’appui?
En 1995, la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes, a produit
la Déclaration parlementaire de Beijing, qui vise à éliminer le déséquilibre
entre la participation des hommes et des femmes à la vie politique en se
fondant sur la vision suivante de la démocratie : le concept de démocratie
ne revêtira une signification véritable et dynamique que lorsque les politiques
relatives à l’exercice de la politique et la législation nationale découleront
de décisions prises conjointement par des hommes et des femmes, en tenant
compte équitablement des intérêts et des aptitudes des deux moitiés de la
population.
Huit ans après Beijing, les statistiques montrent que la moyenne
mondiale de femmes élues députées de la chambre basse des parlements nationaux
atteint à peine 15,5 p. 100. On affirme généralement que la « masse
critique » de femmes nécessaires au Parlement s’élève à au moins
30 p. 100, point à partir duquel nous pouvons réellement exercer une
influence.
Bien que le nombre de femmes qui se trouvent dans les institutions
politiques canadiennes ait augmenté au cours des 20 dernières années,
elles demeurent minoritaires. Au Canada, seule s’est améliorée la proportion de
femmes nommées par les gouvernements à des postes au sein d’organismes, de
conseils et de commissions. Les femmes détiennent 31 p. 100 de ces postes
et sont à la tête de 14 p. 100 des missions du Canada à l’étranger.
En examinant le nombre de femmes parlementaires dans le monde, on
constate que le Canada dispose d’une longueur d’avance par rapport à la plupart
des autres pays, quant à la représentation des femmes. D’après une liste
mondiale de 181 pays, compilée par l’Union interparlementaire en date du
20 octobre 2003, le Canada occupe la 37e place et compte ainsi 20,6 p. 100 de femmes
parlementaires dans la Chambre basse et 32,4 p. 100 au Sénat.
Le rang que tiennent sur cette liste mondiale certains pays qui
jouissent d’une longue tradition démocratique en étonnera certainement plus
d’un. Par exemple, parmi les pays du Commonwealth, le Royaume-Uni s’est placé
au 50e rang en
affichant une représentation féminine de 17,9 p. 100 et l’Inde, au 88e rang,
en enregistrant 8,8 p. 100. L’Australie, par contre, se situe au 25e rang,
avec 25,3 p. 100. En outre, les États-Unis d’Amérique sont à égalité au 60e rang
avec l’Andorre, avec 14,3 p. 100. La France est à égalité avec la
Slovénie, en 66e position avec 12,2 p. 100. Mon pays
d’origine, la Grèce (le berceau de la démocratie) occupe la 89e position,
avec 8,7 p. 100.
Les pays qui affichent les pourcentages les plus élevés de femmes
parlementaires sont les suivants : le Rwanda, 48,8 p. 100; la Suède,
45,3 p. 100; le Danemark, 38 p. 100 et la Finlande, 37,5 p. 100.
En tenant compte des deux chambres, les pays nordiques occupent à
nouveau le premier rang de la représentation féminine et affichent 39,7 p.
100. Les autres régions, y compris l’Europe, l’Asie et les Amériques,
enregistrent de 13 à 18 p. 100 en moyenne. On remarque une baisse marquée
parmi les États arabes, où la représentation féminine ne s’élève qu’à
5,7 p. 100.
Il nous faut comparer le type de système électoral en place dans les
pays dont la masse critique de femmes dépasse les 30 p. 100. Parmi ces
14 pays, 9 d’entre eux disposent d’un système quelconque de représentation
proportionnelle. La majorité d’entre eux sont des pays nordiques et seulement
deux, le Mozambique et la Nouvelle-Zélande, sont membres du Commonwealth.
Par opposition, parmi les 34 pays dont les femmes ne composent que
5 p. 100 des députés — proportion qui compromet gravement leur
capacité d’induire des changements — 25 d’entre eux disposent de
systèmes majoritaires. Des 13 pays du Commonwealth dans cette catégorie,
10 ont adopté le système uninominal majoritaire à un tour. Le Canada utilise
également ce système. La majorité des pays qui comptent moins de 5 p. 100
de représentation féminine au Parlement se trouvent dans les régions de
l’Afrique et du Pacifique ainsi que dans le monde arabe, là où, dans bien des
cas, les facteurs religieux et culturels dressent des obstacles considérables à
la participation des femmes à la vie publique.
Un système de représentation proportionnelle mixte, une forme de
représentation proportionnelle inspirée du système électoral de l’Allemagne,
est en vigueur dans des pays tels que la Nouvelle-Zélande. Lors des élections
de 1996 en Nouvelle-Zélande, 15,4 p. 100 de femmes ont été élues dans
le cadre du système uninominal majoritaire à un tour dans les circonscriptions,
comparativement à 45,5 p. 100 dans le cadre du système de représentation
proportionnelle qui fonctionne à partir de listes de parti.
La nature potentiellement plus démocratique du système de représentation
proportionnelle est au cœur du succès des femmes. Ainsi, on peut élaborer une
liste de candidats qui reflète la société quant à la proportion d’hommes et de
femmes et à sa composition ethnique, puisque la victoire est pratiquement
assurée aux candidats qui se situent au haut de la liste fermée.
Par opposition, les partis politiques ont beaucoup plus de difficulté à
présenter des listes de candidats équilibrées lorsque les circonscriptions
électorales ne comptent qu’un seul député, comme au Canada, où les hommes et
les femmes doivent s’affronter directement les uns contre les autres pour être
choisis comme candidats et où il est beaucoup plus difficile de prédire qui
sera élu.
En principe, les systèmes de représentation proportionnelle sont en
mesure de créer un parlement qui reflète avec précision la composition de la
société. Les statistiques démontrent une relation très étroite entre le système
électoral utilisé et le pourcentage de femmes élues et établissent que les
systèmes de représentation proportionnelle semblent favoriser l’élection de
femmes. Par contre, les statistiques ne dégagent aucune corrélation semblable
entre le système électoral et le nombre de femmes élues au Parlement lorsque la
proportion de ces dernières se situe entre cinq et 29,9 p. 100. Parmi les
pays qui ont enregistré ces pourcentages, 55 d’entre eux ont utilisé un
système majoritaire et 55, un système de représentation proportionnelle.
Les hommes dominent les grands partis politiques du monde entier. Tant
et aussi longtemps que ceux-ci ne seront pas prêts à partager le pouvoir avec
les femmes ainsi qu’à modifier les structures et les règles relatives aux
partis politiques, les femmes continueront d’être des intervenantes marginales
en politique.
Les prochaines élections fédérales nous feront vivre un moment excitant
de la politique canadienne pour plusieurs raisons. Le Parti libéral du Canada
dispose d’un nouveau chef, Paul Martin, qui a pris plusieurs engagements
quant à la façon dont les choses se passent à Ottawa. Dans ce contexte, il
s’est engagé à augmenter le nombre de candidates aux prochaines élections.
Puisque le but des partis politiques consiste à remporter les élections,
le fait que les femmes qui se portent candidates ont vraisemblablement plus de
chance d’être élues appuie la thèse en faveur de l’augmentation du nombre de
femmes.
La question de l’action positive, en particulier les quotas, a suscité
la controverse dans beaucoup de pays. Bien que l’on présente des arguments
idéologiques en faveur de telles mesures, l’expérience démontre qu’elles
portent fruit lorsque la volonté politique pour les mettre en œuvre existe et
lorsque les femmes sont déjà bien organisées et disposent de suffisamment de
pouvoir pour exercer des pressions sur les partis politiques. Ces mesures
seront vraisemblablement mieux acceptées dans des pays dont la culture favorise
l’égalité des chances pour les femmes dans un large éventail de domaines et qui
disposent de programmes gouvernementaux à cette fin. Les pays nordiques
illustrent le mieux le fonctionnement des quotas.
Certaines personnes devront modifier ce qu’elles entendent par égalité
des sexes en raison des concepts et des pratiques liés à l’action positive. On
croyait qu’il serait suffisant d’éliminer les obstacles proprement dits.
Dernièrement, une nouvelle conception de l’égalité se répand dans toute une
gamme de domaines, dont les affaires des femmes : c’est la notion de
l’égalité du résultat. L’égalité des chances ne se réalise pas tout simplement
en éliminant les obstacles comme tels. Les quotas et les autres formes d’action
positive sont des moyens d’atteindre l’égalité des résultats dans de telles
circonstances; ils attribuent la responsabilité en la matière aux institutions,
plutôt qu’aux femmes uniquement.
Le plan d’action de l’Union interparlementaire ne préconise l’action
positive qu’à titre de mesure intérimaire, afin d’éliminer le terrible
déséquilibre actuel entre les hommes et les femmes. Il recommande de l’abolir
dès que l’on aura atteint l’équilibre des sexes. Le plan recommande également
que les quotas ne visent pas les femmes en particulier, mais qu’ils soient
plutôt également applicables aux hommes et aux femmes, comme cela se fait déjà
en Suède, où ni les homme ni les femmes ne peuvent constituer moins de
40 p. 100 ou plus de 60 p. 100 des députés du Parlement.
Au sein de mon parti, le Parti libéral du Canada, il existe un caucus
des femmes qui compte 67 députées et sénatrices. Nous nous réunissons à
toutes les semaines pour discuter d’une vaste gamme de questions relatives aux
femmes. Le caucus s’inscrit dans le régime parlementaire et vise à porter à
l’attention du gouvernement les grands enjeux qui touchent les femmes. Les
femmes parlementaires se rassemblent également sans égard aux lignes de parti,
afin d’appuyer des politiques pour améliorer le bien-être des femmes et de
leurs familles dans des domaines tels que les services de garde aux enfants et
le congé de maternité. Les Canadiennes bénéficient maintenant d’un congé de
maternité payé d’un an. Le caucus des femmes discute également d’échanges
commerciaux et affirme que « les politiques commerciales doivent garantir
l’égalité des hommes et des femmes et le traitement équitable entre les sexes
ainsi que favoriser le développement durable axé sur les personnes ». Il
soutient que « toutes les ententes et les politiques de l’OMC doivent
respecter les normes internationales en matière de droits de la personne
[…] »
Un des documents publiés par le Conseil consultatif canadien de la
situation de la femme, intitulé Manquantes à l’appel : les femmes dans la
politique fédérale canadienne, affirme que : « Il n’existe pas de
panacée pour régler le problème de la faible représentation féminine. Si les
femmes souhaitent se faire élire, elles doivent apprendre les règles du jeu et
être prêtes à travailler d’arrache-pied et à s’imposer bon nombre de sacrifices
personnels, comme plusieurs l’ont fait par le passé et comme plusieurs le
feront, nous l’espérons, à l’avenir. »
En Amérique du Nord ainsi que dans beaucoup de pays d’Europe, nous
devons également nous pencher sur les obstacles qui se posent en plus aux
femmes d’origine ethnique, comme moi-même, qui souhaitent avoir accès au
processus politique. Elles sont souvent perçues comme étant des ménagères,
surtout par les immigrants de première génération.
À titre de politicienne d’origine hellénique, je suis confrontée à de
nombreux stéréotypes qui persistent toujours dans notre communauté. Les
premières questions qu’on me pose toujours lorsque je participe à des activités
dans la collectivité hellénique sont les suivantes : « Où est votre
mari? Où sont vos enfants? » On ne me demande pas d’abord quelles sont les
plus récentes initiatives de mon gouvernement, comme on le demanderait à un
politicien. Si c’est là mon expérience dans une ville ouverte et cosmopolite
comme Montréal, j’arrive à peine à m’imaginer ce que vivrait une femme du tiers
monde qui souhaite se lancer en politique dans son pays.
La force du Canada — culturellement, socialement et
économiquement — tient au fait qu’il est un des pays les plus diversifiés.
Environ 43 p. 100 de notre population possède des racines ethniques autres
que celles des trois peuples fondateurs du Canada, soit les Autochtones, la
Grande-Bretagne et la France.
Même au sein du caucus de mon parti, on compte de nombreux
parlementaires de diverses origines — italienne, indienne, chinoise,
croate, entre autres. La plupart d’entre eux parlent une autre langue que l’une
des deux langues officielles du Canada. Cela nous permet de communiquer dans la
langue du pays hôte lorsque nous représentons notre gouvernement à l’étranger.
La politique du Canada sur le multiculturalisme, établie en 1971, a
également incité les femmes à entreprendre des carrières non conventionnelles
en éliminant des obstacles tels que le racisme et en favorisant les progrès
institutionnels.
En sensibilisant nos parlements à la question de l’égalité des hommes et
des femmes, nous les rendons plus crédibles, plus pertinents et plus
démocratiques. Cela devrait être l’objectif aussi bien des hommes que des
femmes parlementaires.
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