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Megan Furi

Un vote qui compte : la réforme électorale au Canada de la Commission de réforme du droit du Canada Commission de réforme du droit du Canada, Ottawa, 2004, 229 p

Le 31 mars 2004, la Commission de réforme du droit du Canada a publié son rapport intitulé Un vote qui compte : la réforme électorale au Canada. Ce document est l’aboutissement de nombreuses années de recherche et de consultation.

Le débat sur la réforme électorale qui a cours au Canada n’a rien de nouveau.  L’inefficacité du système électoral uninominal majoritaire à un tour en usage chez nous est cause de mécontentement depuis des années.  Le « déficit démocratique » étant sur toutes les lèvres, il n’y a rien de surprenant à ce qu’on discute de réforme électorale partout.  Des résultats électoraux faussés, la sous-représentation des femmes et des minorités et l’élection au pouvoir de majorités écrasantes à la Chambre des communes en ont amené beaucoup à croire que notre système électoral n’est plus compatible avec les valeurs des Canadiens en matière de démocratie. Dans son rapport, la Commission de réforme du droit admet que la réforme électorale n’éliminera pas toutes les causes du malaise démocratique canadien, mais qu’elle pourrait constituer un bon point de départ pour « dynamiser et renforcer la démocratie canadienne ».

Le rapport étudie le débat sur la réforme électorale et voit dans quelle mesure d’autres modes de scrutin seraient compatibles avec notre système parlementaire, calqué sur le modèle de Westminster.  Il se termine par une recommandation proposant d’ajouter un élément de proportionnalité au système électoral.  Ses auteurs ont veillé à n’y suggérer que des changements n’obligeant pas à modifier la Constitution.

Les auteurs analysent d’abord les avantages et les faiblesses du système électoral uninominal majoritaire à un tour et soutiennent que, selon de plus en plus de Canadiens, ses « lacunes […] l’emportent sur ses avantages ».  Le propos du rapport est non seulement de dénoncer le statu quo, mais aussi de sonder la validité des arguments favorables à la réforme électorale et d’analyser ses incidences possibles sur le système de gouvernance du Canada. 

Pour y arriver, ils ont axé leur rapport sur cinq grands objectifs.  Le premier était de réfléchir à l’évolution du débat sur la réforme électorale au Canada, de manière à voir l’évolution qu’ont connue au fil des ans les raisons invoquées pour réformer le système électoral et à comprendre les facteurs qui contribuent à caractériser le présent débat.  Les auteurs rappellent aux lecteurs qu’il y a eu dans l’histoire du Canada, à partir du milieu des années 1920 environ, une époque où la montée du Parti progressiste et des partis United Farmers a facilité la réforme électorale dans les provinces. Mais, à l’arrivée des années 1950, tous les changements apportés ont été remplacés par le système uninominal majoritaire à un tour.  C’est tout récemment — lorsque la forte diminution du taux de participation électorale, les résultats faussés et la sous-représentation des femmes et des minorités ont amené beaucoup d’observateurs à exiger qu’on s’attaque à ces problèmes — que la réforme électorale est redevenue une question d’actualité. Le rapport signale qu’une réforme du système électoral serait l’équivalent de la solution qu’un certain nombre de pays, dont la Nouvelle-Zélande, le Japon et l’Écosse, ont trouvée à des problèmes du même ordre.

Le second objectif consistait à examiner les craintes que suscite le système électoral actuel.  Pour cela, les auteurs ont déterminé les valeurs les plus importantes dont tout système électoral doit témoigner, par exemple l’efficacité et la responsabilité du gouvernement, la diversité des idées, la valeur accordée aux votes et l’équilibre entre les régions. Ces critères sont extrêmement utiles pour comprendre le raisonnement à la base des recommandations de la Commission et illustrer avec exactitude ce qui manque au système actuel.  S’il ne faut pas sous-estimer les avantages du gouvernement stable et responsable, il ne faut pas les surestimer non plus.  Une évaluation montre que le système uninominal majoritaire à un tour n’est pas à la hauteur d’un bon nombre de critères.  Ces critères ont été utilisés pour atteindre le troisième objectif, qui était de recommander des façons de réformer le système électoral.

Les auteurs ont examiné un certain nombre de systèmes électoraux en évaluant les points forts et les faiblesses de chacun selon les critères choisis de manière à déterminer lequel refléterait le mieux les valeurs des Canadiens.  Pour examiner différents systèmes  électoraux, il faut mettre en équilibre les avantages découlant d’un certain élément de proportionnalité tout en conservant le caractère responsable du gouvernement, caractère qui prend la forme, dans le rapport, de la relation qui existe entre les députés et leurs commettants.  Selon les auteurs, ce serait possible avec un système de représentation proportionnelle mixte et un système de liste flexible. 

Comme l’une des principales raisons de modifier le système est d’améliorer la diversité et la représentation, le rapport fait d’autres recommandations pour assurer la réalisation de ces valeurs.  Il recommande par exemple que, si un système de liste mixte est adopté, un comité parlementaire examine immédiatement les mesures prises par les partis pour promouvoir la représentation égale des femmes et des minorités à la Chambre des communes.  Les partis politiques ne verront sans doute pas d’un bon œil que le Parlement intervienne dans leurs activités, mais la recommandation fait ressortir un point important : la réforme électorale ne permettra pas à elle seule d’éliminer la sous-représentation des femmes et des minorités.  Il faudra aussi apporter d’autres modifications pour maximiser les avantages prévus du système proportionnel.

L’évaluation de l’incidence possible des réformes recommandées constitue le quatrième objectif de l’étude.  Remplacer le système uninominal majoritaire à un tour par un système de représentation proportionnelle mixte signifierait que, pour que le pays ait les meilleures chances d’avoir un gouvernement majoritaire composé de députés d’un seul parti, il faudrait qu’il donne à ce parti plus de 50 pour cent du vote populaire.  Comme le rapport le signale, depuis 1921, de telles majorités n’ont été élues que cinq fois.  Il est donc raisonnable de supposer qu’un système mixte nous donnerait des gouvernements minoritaires ou de coalition plus souvent.  Le rapport rejette l’idée selon laquelle les gouvernements de coalition conduisent inévitablement à l’instabilité et affirme que des pays et des régions comme la Nouvelle-Zélande et l’Écosse prouvent le contraire. 

Le rapport étudie aussi le problème des deux « catégories » de représentants que produirait un système de liste mixte.  Il reconnaît qu’il risquerait d’y avoir des conflits entre les députés élus à partir de la liste et ceux qui seraient élus directement par les circonscriptions.  Pour aplanir plus facilement certaines des difficultés probables, le rapport recommande que les députés élus à partir d’une liste aient les mêmes droits et privilèges que les députés élus par les circonscriptions et que les partis élaborent des protocoles afin de garantir la cohabitation efficace de tous les législateurs.

Le dernier objectif du rapport était d’expliquer comment la réforme électorale pourrait se dérouler.  L’exposé insiste sur l’importance que le public participe au processus, mais met en garde contre la tentation d’y arriver en recourant au référendum, méthode qui pourrait engendrer une polarisation de l’électorat et pourrait porter à croire qu’une réforme électorale est le seul moyen d’améliorer la démocratie canadienne.  Le rapport recommande que le gouvernement fédéral prépare un avant-projet de loi et ordonne à un comité parlementaire d’entamer une consultation publique sur le système proposé.  Il demande également que, dans l’éventualité où le système électoral serait modifié, un comité parlementaire réexamine le nouveau système adopté après trois élections générales.

Un des points forts de l’examen fait de la question de la réforme électorale est que la Commission reconnaît qu’une réforme ne garantirait pas l’élimination des préoccupations à l’endroit de la démocratie canadienne.  La liste des avantages d’un système à représentation proportionnelle est très longue, mais les auteurs du rapport ont veillé à souligner qu’il s’agit uniquement d’avantages possibles.  Ils reconnaissent aussi qu’aucun système électoral n’est parfait, mais font valoir qu’un système mixte serait plus juste, plus inclusif et plus représentatif de la société.

Le rapport expose clairement les effets possibles des gouvernements de coalition sur l’élaboration de la politique publique et explique que la longévité plus brève des gouvernements de coalition ou minoritaires semble avoir peu d’effet sur l’élaboration de la politique  publique.  Il prend aussi acte des soupçons que suscitent les négociations et les accords dont la formation des gouvernements de coalition s’accompagne, mais se fait rassurant en précisant que les électeurs peuvent encore châtier les partis quand ils jugent qu’ils s’éloignent trop de leurs promesses électorales.

Une des lacunes de l’étude de la réforme électorale faite dans le rapport est que, souvent, elle ne tient pas compte de la perspective parlementaire.  Par exemple, l’examen de la question des gouvernements de coalition est très utile, mais il ne dit rien de la façon dont un gouvernement de ce genre concilierait des principes parlementaires tels que le secret et la solidarité ministériels, d’une part, et la responsabilité ministérielle, d’autre part.

Quant à la question de la représentation, le rapport prend acte avec pertinence de certains des problèmes et conflits qu’éprouveraient les députés élus selon un système différent, mais ne dit pas vraiment si changer le système électoral modifierait le rôle ou les attentes des députés ni comment.  Le rapport passe également sous silence un point secondaire mais important, à savoir que, pour appliquer un système de représentation proportionnelle mixte, il faudrait augmenter la taille des circonscriptions électorales.  Il dit important pour le maintien des relations entre députés et commettants que les circonscriptions soient d’une taille raisonnable et souligne que la possibilité d’avoir un député supplémentaire pourrait atténuer quelque peu l’impact de l’agrandissement des circonscriptions, mais il ne parle pas assez de l’incidence qu’un agrandissement pourrait avoir sur les députés, déjà débordés.  Agrandir les circonscriptions ne les obligerait pas seulement à servir une population plus nombreuse; cela les forcerait aussi, dans de nombreux cas, à parcourir un territoire plus étendu.  Les députés fédéraux, qui déplorent souvent de ne pas avoir assez de budget et de temps, n’applaudiront vraisemblablement pas à l’idée de représenter des circonscriptions plus vastes.

Dans l’ensemble, le rapport constitue une contribution digne de mention au débat actuel sur la réforme électorale.  Il reste à voir si ce débat aboutira effectivement à des changements.

Megan Furi, Division du droit et du gouvernement , Direction de la recherche parlementaire


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Vol 27 no 2
2004






Dernière mise à jour : 2020-09-14